Lorsque l’on passe le plus clair de son temps à se déhancher sur une piste pour attiser le désir de la gent masculine, on a forcément besoin d’un défouloir quelconque par la suite, sans quoi on ne peut pas nous qualifier d’humain. D’ordinaire, Prim passait évidemment ses nerfs sur un homme choisit sur le vif, mais ce soir, l’envie n’était guère présente. Elle voulait faire quelque chose de plus fou, de plus marquant. Une manifestation de motocross ne lui vint cependant à l’esprit qu’en entendant parler des clientes du club à la sortie de celui-ci, alors qu’il se faisait tard et qu’une étudiante comme elle devrait être rentrée au bouiboui qu’elle louait en guise d’appartement. L’adresse lui fut cependant donnée très agréablement, alors qu’elle en avait simplement fait la demande. Aussitôt, Prim s’était ruée dans cette espèce de vieux tacot qu’elle avait pour bagnole afin de se rendre au lieu indiqué, où l’ambiance battait déjà son plein. La manifestation était évidemment commencée, mais la jolie brunette put sans problème se frayer un chemin dans la foule afin de s’en mettre plein la vue. Ce qui ne fut pas peut dire, vu ce que ses mirettes prirent. Prim n’était pas seulement enthousiaste, elle était littéralement captivée, chose qui ne lui arrivait pas si souvent… et qui pouvait donc être aisément notée. Elle savoura chaque seconde de la « représentation », qui lui parut bien trop courte à son goût. D’ailleurs, à la fin de celle-ci, la plupart des gens se dirigeaient vers la sortie comme de véritables moutons de Panurge, mais Prim ne l’entendait pas de cette oreille : elle fut l’une des rares à se frayer un chemin afin de parler aux véritables artistes qu’elle venait de voir à l’œuvre et dont elle brûlait de découvrir les moindres secrets. C’était culotté, cela dit. Plusieurs types ressemblant à des montagnes semblaient veiller sur les motobikers comme s’il s’agissait de véritables stars de cinéma. Prim était suffisamment petite et menue pour parvenir jusqu’à l’un de ces fameux bikers, cela dit. Elle n’hésita pas à lui débiter un discours captivé, accompagné d’un sourire qui aurait fait tourner plus d’une tête, et ce avant même d’être remarquée par l’une de ces fameuses montagnes. « Ca fait un peu midinette, mais franchement, y’a pas à dire vous en avez dans le pantalon ! C’était culotté, fabuleux, artistique même ! Je suis fan de votre taff. Vous avez un ou deux secrets sous la main pour quelqu’un qui pense s’y essayer un de ces quatre ? »

Culotté, et plutôt étonnant de la part d’une demoiselle faisant nettement plus jeune que vingt et un an. On la remarqua bientôt, et ce n’était pas tant son joli minois ou même son regard d’un bleu clair turquoise qui attira l’attention, ou bien encore l’évidente tenue légère qu’elle portait sous son coat ne dissimulant pas ses jambes musclées… mais bien parce qu’elle s’était aventurée là où elle n’aurait jamais dû. Bientôt, elle se fit attraper le bras par un type qui ressemblait fort à un videur de boîte de nuit, et aussitôt, son charmant franc parler se mêla à la partie pour protester. « Quoi, c’est un crime de dire ce qu’on pense ? Après tout, ils ont fait un boulot du tonnerre de Zeus ! Lâchez-moi ! Au pire des cas, si vous voulez vraiment jouer les rabat-joies, je saurais me raccompagner toute seule, je vous remercie ! » Prim allait hélas devoir obéir, mais avant ça, elle tenta une dernière percée face au biker qu’elle avait interpelé avec charme et prestance : un clin d’œil à son intention avant que de devoir tourner les talons.

Primrose n’était pas vexée par l’intervention du vigile, cela prouvait que la sécurité restait efficace malgré la foule, mais elle ne fut pas non plus fâchée que ce bel inconnu vienne la secourir en balançant qu’elle était avec eux. Une chance ! Sans quoi, elle se serait fait raccompagner sans autre forme de procès et, surtout, sans pouvoir obtenir le moindre conseil. Cela aurait été particulièrement dommage étant donné ce qu’elle avait vu ce soir : le talent du jeune homme qu’elle avait osé aborder sans aucune timidité, répondant au nom de Sohàn, était de loin le plus véridique de tous. Le fait qu’il soit arrivé à la seconde place n’était qu’un honteux scandale, mais cette remarque, elle la gardait précieusement sous le coude pour le moment. Inutile de passer trop de pommade sur le dos d’un homme : il risquerait d’y prendre goût et de ne plus être intéressé que par cela. Vous l’aurez compris, à force de travailler dans un club de strip-tease où le client est roi, cela finit par laisser quelques séquelles plutôt difficiles à faire partir. « Enchantée Sohàn ! » répondit-elle avec enthousiasme, non sans noter cette gêne palpable dont il faisait preuve à cause de l’entrée en matière plutôt brutale de l’un des vigiles. Est-ce qu’il lui avait fait mal ? Prim ne répondrait jamais à cette question sincèrement, évidemment. Le fait de paraître encore plus faible qu’elle ne l’était ne se trouvait pas être une tactique appréciable selon elle. La jolie demoiselle haussa donc les épaules, un immense sourire marquant ses traits de poupée de porcelaine tandis qu’elle enchaînait, toujours avec le même enthousiasme : « Moi c’est Primrose. Mais tu peux m’appeler Prim, et je sais, c’est un nom complètement ringard. Merci Maman ! Bref… où en étions-nous ? Ah oui, les conseils ! » La pimpante brune avait du mal à tenir en place, remerciant une hyperactivité qui lui pourrissait littéralement la vie depuis des années. On avait d’ailleurs du mal à la supporter à la longue, hélas, et personne n’arrivait jamais à la connaître dans ses moments calmes et doux à cause de cela. Prim ne se plaignait pas réellement de sa solitude, mais elle trouvait dommage que personne ne soit capable d’un brin de patience…

« Vrai, tu me donnerais des conseils ?! Oh et ne t’inquiètes pas pour l’autre montagne, je suis plus dure à cuire que j’en ai l’air. La preuve, je ne voudrais pas m’essayer à cet espèce d’art que tu fais sinon ! D’ailleurs, tout à fait entre nous, tu méritais largement la première place. Ce n’est pas toi que j’aurais accosté sinon. Je veux le meilleur pour éviter de me rompre le cou au premier cours, je préfère attendre le second, c’est ma politique. » Prim esquissa à nouveau un grand sourire avant de se rendre compte qu’elle bondissait du coq à l’âne sans préparer son interlocuteur de quelque manière que ce soit. Au pire, il ne la suivait pas et lui demanderait des précisions. Mais pour l’instant, elle crevait littéralement d’envie de monter sur l’un de ses engins pour mettre derrière elle son métier, ses problèmes divers et tout ce qui lui pourrissait littéralement sa vie d’étudiante. Sa relation avec la gent masculine comprise. « Merci d’avoir volé à mon secours, au fait » conclut-elle d’une voix nettement plus calme et douce, accompagnée d’un clin d’œil.