« Comme tu dis, je connais pas ce que t'as traversé, & je sais pas ce que tu ressens. Tout ce que je sais, c'est qu'aujourd'hui ta vie se résume à ce taudis, et à tes pilules. Tu préfères vraiment ça à la vie que t'avais avant, avec Lua, avec moi ? » Cette question, Austin l'avait retournée dans son esprit un nombre incalculable de fois depuis que Kiara avait quitté son appartement deux semaines plus tôt. Et la réponse avait en réalité été trouvée au moment même où la question lui avait été posée : bien évidemment qu'il préférait sa vie d'avant, celle où il pouvait élever sa fille sans avoir à l'imaginer seule, loin de lui, celle où Kiara était à ses côtés. Mais cette vie là était révolue à ses yeux. La jeune femme y avait mis un terme au moment même où elle avait fait le choix de suivre les idéaux de son père pour aller s'installer en Australie et rejoindre les plus grands chercheurs, au moment où elle avait fait passer son travail avant leur histoire. Avant ce qu'Austin avait cru être de l'amour. Mais l'aimait-elle seulement ? Une partie de lui lui répondait que oui. Elle ne serait pas revenue à New York, sans Connor, si elle n'avait pas une bonne raison. Et pourtant, il ne pouvait s'empêcher de penser que, si elle était partie loin de lui, c'était parce que leur amour n'était pas assez fort pour se mettre en travers de son travail.

Il avait fallu une semaine à Austin pour que celui-ci daigne enfin sortir de chez lui, s'étant arrangé les jours précédents pour se nourrir grâce aux services de livraison. Mais force était de constater que, depuis ce qu'il avait tiré comme étant un arrêt maladie auprès du psychiatre que Madison l'avait forcé à aller voir, l'argent diminuait gentiment dans son compte en banque. Il parvint donc, dieu sait avec quelle force, à s'extirper de son appartement pour se rendre à son travail, la mine grise. Ses collègues l'accueillirent en marchant sur des oeufs, conscients que la moindre parole de travers risquait de le faire changer brutalement de comportement. Alors ils l'avaient simplement laissé reprendre son travail à son rythme. Mais remettre les mains dans le cambouis des motos n'avaient pas été suffisant pour lui. Les journées lui semblaient toujours aussi longues, ses pensées étaient toujours autant hantées par Kiara. Et c'est pour cette raison que, ce soir là, Austin se tenait face à la chambre 4202 du Helmsley Park Lane Hotel.

Bien que rasé et habillé plus convenablement que lors de leur dernier entretient, le mécanicien ne paraissait pas pour autant mieux. Son teint était toujours autant livide, ses yeux toujours aussi vitreux et cernés. Il avait peut-être repris le travail, mais l'envie de se sortir du cercle vicieux de la drogue ne le remuait pas encore suffisamment pour qu'il se soit débarrassé de toute sa marchandise. Salem en avait déjà liquidé une bonne partie en la versant dans les toilettes il y a deux semaines de ça, mais il avait eu de quoi tenir encore pour quelque temps. Sauf que, s'étant retenu de se fournir de nouvelles doses, il avait fini par se retrouver sur la paille, sans rien à utiliser pour lutter contre sa dépression douloureuse. En rentrant chez lui ce soir là, il avait remué sans dessus dessous son appartement à la recherche de la moindre trace de pilule ou de poudre qui pourrait faire redescendre son manque. Mais il n'avait rien trouvé. Alors, sans réellement réfléchir, il avait quitté les lieux, était monté sur sa moto et avait roulé jusqu'à Midtown pour se glisser dans les couloirs jusqu'à se retrouver face à la porte qui était censée donner sur la chambre de Kiara. Les mains tremblantes, Austin était resté hésitant plusieurs minutes. Devait-il réellement venir la voir dans cet état ? Il se savait incontrôlable quand il n'avait rien pris et les dégâts avaient été suffisants quand la chercheuse était venue le voir deux semaines auparavant. Pourtant, il finit par toquer à la porte, fourrant ensuite ses mains au fond des poches de son jeans pour tenter d'en dissimuler les tremblements. Mais ses yeux injectés de sans parlaient pour lui, malgré tous les efforts qu'il faisait en luttant contre ce foutu manque.

« Non, je suis pas encore dans ma chambre. Tu sais combien de temps il faut pour monter 42 étages ? » déclara Kiara au téléphone à son collaborateur, qui avait interrompu son dîner pour qu'elle regarde ses relevés & en fasse des constatations de toute urgence. Si elle mettait du temps à se réinstaller à New York, le travail n'avait pas attendu & en voyant la nature de l'appel qu'avait reçu sa fille, Richard Duke n'avait pas tenu rigueur à la brune d'écourter leur dîner pour aller travailler, et comme il disait, "déchiffrer un autre mystère de l'univers". Oui, son père avait beaucoup, beaucoup de fierté & d'espoir pour elle, et c'était comme ça depuis que les psychologues lui avaient dit que sa petite tête blonde était assez surdouée pour sauter une, puis deux classes. En même temps, en sortant major de sa promo du MIT, elle avait aussi donné de quoi espérer à son père ! En arrivant devant la porte de sa chambre, Kiara se contenta d'embrasser rapidement la joue de celui-ci avant de pénétrer dans son chez-elle provisoire, le téléphone toujours vissé à son oreille. « Oui, je t'envoie ça dès que j'ai terminé, je m'y mets maintenant. » déclara encore la jeune femme avant de raccrocher pour allumer son ordinateur et sortir son calepin, un papier & sa calculatrice, qu'elle balança sur le lit avant de s'y installer, d'ouvrir le mail que lui avait envoyé Young & de se mettre au travail.

Deux heures plus tard, Kiara avait abandonné calculs & relevés. A vrai dire, elle avait beau tenter de se concentrer, elle en était incapable et à chaque fois qu'elle se permettait de détourner un tant soit peu son regard de ses calculs, son esprit était envahi par les souvenirs de sa dernière rencontre avec Austin, deux semaines plus tôt. Deux semaines... une éternité. La chercheuse n'avait pas osé retourner chez le mécanicien : il ne voulait pas la voir, et il voulait encore moins de son aide, que pouvait-elle faire contre ça ? Il savait où la trouver... et il ne l'avait pas fait. Pourtant, elle l'avait attendu ! La semaine précédente, elle avait questionné les réceptionnistes au moins cinq fois par jour sur une éventuelle visite, sans succès. Pas de visite, pas d'appel, rien... Et être prise dans son travail ou des retrouvailles familiales ne pouvaient même pas lui changer vraiment les idées, puisque tout revenait finalement à lui. Même s'il l'avait clairement exclu de sa vie la dernière fois qu'ils s'étaient parlés, Kiara ne pouvait pas rester insensible à la situation, & pas seulement parce qu'elle était folle amoureuse d'Austin ! Non... Lua aussi était un sujet qui la préoccupait, et elle s'était même renseignée sur les procédures pour qu'Austin récupère sa fille avant de réaliser que si ce n'était pas lui qui faisait le choix de se reprendre, elle ne pouvait absolument rien faire. Oui, Kiara avait espéré... en vain, mais peut-être le méritait-elle. Elle était partie, et il la blâmait : il avait raison, elle avait eu tort, & il ne se suffisait pas de simplement revenir pour tout arranger... Et pourtant, ce serait tellement plus simple ! Le regard de la jeune femme tomba sur la couverture d'un livre qui était tombé de sa table de chevet et elle l'attrapa pour le jauger : elle n'avait trouvé rien d'autre que les études pures & dures qu'elle connaissait depuis toujours pour trouver un moyen d'aider Austin, et elle avait fait ce qu'elle avait pu pour se renseigner sur les drogues, leurs effets & le moyen de s'en sevrer, elle qui d'après Austin ne savait pas du tout à quoi elle avait affaire... Soit, c'était toujours le cas - un bouquin ne remplaçait pas le vécu, et pour la première fois elle n'arrivait pas à extirper des paragraphes les informations désirées.

Un coup frappé à la porte la sortit de ses pensées et elle jaugea l'heure avant de soupirer : soit son père était venu lui apporter le dessert qu'ils n'avaient pas pu déguster plus tôt dans la soirée, soit Young l'avait traquée jusqu'à sa chambre pour la remettre au travail. Espérant que ce soit plutôt la première option - elle ne dirait pas non à un fondant au chocolat -, la jeune femme jeta nonchalamment le bouquin qu'elle avait entre les mains sur son lit et alla jusqu'à la porte pour l'ouvrir... et se retrouver devant l'objet même de ses pensées. Trop surprise pour réagir pendant un instant, Salem ne put que murmurer un « Austin... », le regard brillant. Elle n'y croyait plus, le croyait même perdu, et pourtant il était là, en face d'elle, devant la porte de sa chambre. Ne manquant pas de remarquer l'état physique toujours aussi déplorable du jeune homme, Kiara se reprit rapidement & papillonna des paupières avant de s'effacer derrière la porte. « Entre, entre. » l'invita-t-elle avant de refermer la porte derrière lui, non sans avoir au passage jeté un coup d'oeil dans le couloir pour s'assurer que ni son père, ni son frère ne se trouvaient dans les parages. Finalement, elle emboîta le pas à Austin en le regardant mi-subjuguée, mi-inquiète, attendant de savoir s'il était venu pour l'accabler de nouveau, lui demander de l'aide, les deux ou aucun.

Pourquoi était-il venu au juste ? Il n'arrivait même pas à savoir quelle mouche l'avait piqué. Il s'était juste souvenu, dans son moment de folie et de détresse à la recherche de quoi apaiser son manque, que Salem lui avait donné son adresse s'il décidait d'obtenir son aide. Il ne voulait pas de son aide, et pourtant il était là, à attendre qu'elle vienne lui ouvrir. Austin se perdait et ne comprenait pas lui-même la raison de ses actes. Mais peut-être qu'au fond de lui, une part de son subconscient lui faisait comprendre qu'il devait se réveiller, se reprendre en main et arrêter toutes ces conneries... et qu'il ne pouvait pas le faire sans Kiara. Il était simplement incapable de s'en rendre compte, bien trop aveuglé par la souffrance et la colère qu'il ressentait à l'égard de la jeune femme.

Les secondes se firent tellement long que le mécanicien commençait à se dire que la chambre devait être vide et qu'il ferait mieux de s'en aller et de chercher rapidement un dealer pour stopper cette pression qu'il sentait traverser la totalité de son corps. Mais, au moment où il s'apprêtait à partir, la porte finit par s'ouvrir, ce qui l'arrêta net dans ses objectifs. Statique, il n'osa dans un premier temps pas croiser le regard de la brune, se contentant de crisper ses mains qu'il avait précédemment glissées dans le fond de ses poches. Quand il entendit sa douce voix murmurer son prénom, ses paupières se fermèrent pour quelques secondes, lui rappelant combien il aimait l'entendre le prononcer. Mais il finit tout de même par rouvrir ses yeux et planter son regard dans celui de la chercheuse. « Entre, entre. » lui demanda-t-elle gentiment après s'être reculée. Austin hésita un court instant avant de s'engouffrer à l'intérieur de la chambre. Soufflant péniblement, il passa une de ses mains sur son visage, profitant du moment où Kiara jetait un regard dans le couloir pour tenter de se calmer. Il avait l'impression qu'on lui serrait le crâne dans un étau, qu'on l'écartelait tout en lui passant le feux d'un chalumeau sur la peau. La sensation de manque le rendait fou et il détestait cela. La dernière fois que ça l'avait pris, il avait carrément eu des hallucinations et s'en était pris verbalement à Lua alors que la petite jouait tranquillement dans sa chambre. Le véritable cauchemar du parfait drogué.

Finalement, Kiara ferma la porte et se retourna pour lui faire face. Le regard qu'elle lui lançait montrait toute son inquiétude et le jeune père se sentit immédiatement oppressé. Il ne voulait pas de la pitié des gens, encore moins de celle de la jeune femme. Alors pour essayer de le lui faire comprendre et surtout de se débarrasser de cette oppression qu'il ressentait, il ne tarda pas à prendre la parole, sur un ton sec. « Je suis pas venu pour te dire que j'ai décidé d'arrêter... c'est pas le cas. » Croisant à nouveau son regard, Austin en fut déstabilisé. En la voyant ainsi face à lui, il ne pouvait pas s'empêcher de penser à ce qu'ils avaient vécu ensemble : leur rencontre hasardeuse au garage, leur comportement d'adolescents passionnés au mariage de Mina et Don, leur amour grandissant lors de leur week-end dans un chalet au milieu de la forêt de Jefferson. Tout ces instants qu'Austin avaient tenté d'effacer de son esprit en vain. Il n'y parvenait pas pour une raison toute évidente : il était fou amoureux de la jeune femme et était incapable de se débarrasser de ça. Perdu et désorienté, le regard du mécanicien changea, montrant à présent la détresse qui l'habitait. Et sa voix en fit de même. « De toute façon, même si je le voulais, j'y arriverai pas Kiara ! Ça doit fait trois heures à peine que j'ai rien pris et regarde-moi ! » s'exclama-t-il en se désignant de ses propres mains. Son teint livides, ses yeux rougis, les tremblements de ses mains prouvaient à quel point le manque ne lui réussissaient pas. « Je suis qu'une baltringue, je suis incapable de me sortir de ça. J'en n'ai pas la force. » lâcha-t-il, à bout. Depuis que Kiara était partie, il avait perdu toute envie de se battre pour n'importe quelle cause, que cela soit pour Lua ou pour la drogue. Et il se complaisait dans son malheur, se persuadant qu'il était bien trop faible pour s'en sortir. C'était certainement ça le plus terrible dans sa dépression, cette certitude qu'il était incapable de sortir la tête de l'eau et qu'il était condamné à tout perdre.

Salem était complètement dépassée par c qui était en train d'arriver à Austin, et c'était aussi pour ça qu'impuissante, elle n'avait pas osé l'attaquer de nouveau en venant le voir chez lui, surtout que leur dernier échange avait plutôt violemment dérapé & qu'elle ne tenait pas à être de nouveau plaquée sans vergogne contre un mur. La drogue, Kiara ne connaissait pas : élevée dans un univers militaire, il n'y avait pas eu grand chose d'autre dans sa vie que les études - son premier et plus sérieux petit-ami était anti-drogues - et pendant ses fêtes étudiantes, elle n'avait pas vraiment touché à autre chose qu'à l'alcool qui lui avait bien assez suffi pour passer des soirées inoubliables. Pour elle, les drogues, c'était quelque chose qu'elle voyait quand elle allumait la télé, pendant les pubs entre ses séries ou celles de Connor, une idée abstraite que Kiara avait toujours vue comme négative & inutile. Mais maintenant qu'Austin était retombé dedans, Kiara en venait à regretter d'en savoir si peu &, par conséquent, de ne pas savoir comment agir exactement pour l'aider ; surtout que les bouquins qu'elle avait acheté pour se renseigner ne l'avaient pas tant aidée que ça.

Et pourtant, Austin était là. Alors qu'elle avait pensé qu'il ne viendrait jamais taper à la porte de sa chambre d'hôtel, il était devant elle. « Je suis pas venu pour te dire que j'ai décidé d'arrêter... c'est pas le cas. » l'arrêta-t-il immédiatement, transformant l'expression de Kiara. Bon, d'accord, bien, c'était un début, pas particulièrement bon, mais un début. Si ce n'était pas pour se sevrer, cependant, la brune ne voyait pas vraiment pourquoi il était venu jusqu'aux abords de Central Park, jusqu'à elle. Seulement, le jeune homme ne semblait pas n'avoir que ça à dire & bien vite, ce fut de la détresse qu'elle ressentit venir de lui. « De toute façon, même si je le voulais, j'y arriverai pas Kiara ! Ça doit fait trois heures à peine que j'ai rien pris et regarde-moi ! » Les yeux de l'intéressée tombèrent sur celles d'Austin, qu'il avait enfin sorties de ses poches pour lui montrer les tremblements qui les agitaient. Kiara déglutit et son front se plissa : effectivement, il ne semblait vraiment pas en bon état. « Je suis qu'une baltringue, je suis incapable de me sortir de ça. J'en n'ai pas la force. » En l'entendant, Kiara avait envie de s'approcher, de le prendre dans ses bras & d'espérer qu'en lui disant que tout allait bien se passer, ça allait effectivement être le cas. Voir Austin dans cet état la prenait tout simplement aux tripes, elle en était malade, d'être incapable de l'aider, de le comprendre, ou simplement de savoir comment lui parler.

Kiara s'approcha doucement du jeune homme mais resta tout de même à bonne distance, cherchant son regard avant de prendre la parole. « Alors t'en sors pas tout seul, Austin. » soupira-t-elle, doutant que cette fois il entendrait plus que la dernière fois son discours. « Je suis là, et je suis sûre que je suis pas la seule. » S'accordant un instant pour s'humecter les lèvres, la jeune femme approcha encore d'un pas, prudente. « C'est pas insurmontable... » souffla-t-elle avec sincérité & espoir.

Austin était en plein cauchemar. Il lui était déjà arrivé de ressentir le manque, de se retrouver sans n'avoir rien pris après plusieurs heures. Mais les effets n'avaient jamais été aussi intenses, probablement parce que, en ce moment même, il ne manquait pas que de la drogue. L'amour, l'attention de Kiara lui manquait aussi terriblement et ceci depuis des semaines. Il était simplement trop rancunier pour l'avouer à part entière à la jeune femme qui, pourtant, n'attendait qu'une chose, qu'il tende la main vers elle et lui demande de l'aide et du soutien. Mais tendre une main, appeler à l'aide pouvait se montrer être une tâche extrêmement difficile, le mécanicien en faisait les frais. Il lui suffisait pourtant de ranger sa rancoeur et sa colère pour avouer à la chercheuse qu'il avait besoin d'elle pour se relever. Et pourtant, il se murait dans le silence total, se contentant de se plaindre sur son état. Au moins, il avouait qu'il était dans un état déplorable, c'était un bon début. Mais c'était insuffisant. Bien trop insuffisant. Et Austin avait bien peur de ne pas trouver la force nécessaire pour dépasser ce stade.

Debout devant Kiara, jamais il ne s'était senti aussi faible. Il lui en fallait très peu pour craquer, il le savait. Mais au lieu de se laisser aller, il luttait, encore et toujours. C'était donc à ça que se résumait sa vie ? Une lutte éternelle pour des causes diverses ? Certes, se battre pour une histoire de drogue tait bien moins glorieux que de tout faire pour obtenir la garde de sa fille. Mais en ce moment, que pouvait-il faire d'autre ? Ses mains tremblantes pointant toujours son propre torse, Austin sentit rapidement qu'il perdait pied. Non, il ne devait pas baisser les bras, il ne devait pas se montrer dans toute sa faiblesse et sa sensibilité face à la jeune femme. Elle l'avait trop fait souffrir pour mériter de le voir ainsi. « Alors t'en sors pas tout seul, Austin. » Le concerné releva son regard rougi pour croiser celui de Kiara et immédiatement, il sentit la désagréable sensation salée de ses larmes lui piquer les yeux. « Je suis là, et je suis sûre que je suis pas la seule. » Peinant à soutenir son regard, il le détourna une nouvelle fois, passant le bout de sa langue contre ses lèvres en soufflant doucement alors que sa vue se brouillait. Si, elle était la seule. Aucun ami n'était réellement venu lui tendre la main, et ne parlons pas de sa famille : tous, à l'exception de Madison, s'étaient contentés de le sermonner quant à son nouveau plongeon dans le monde de la drogue. Mais aucun ne lui avait tendu la main. Il était seul, désespérément seul. « C'est pas insurmontable... » lui glissa-t-elle alors qu'elle s'était rapprochée de lui de quelques pas. Le jeune père finit par à nouveau poser ses yeux larmoyants sur elle et, sentant les larmes lui chatouiller les cils, il cligna des yeux et passa une de ses mains tremblante sur son visage en appuyant ses doigts contre ses yeux, les faisant glisser jusqu'à l'arrête de son nez. « Arrête. Arrête de me dire que je ne suis pas seul, parce que c'est le cas ! » Il finit par rabaisser sa main, laissant à nouveau son visage détruit à vue. Son regard accrocha rapidement celui de la chercheuse et, la voix tremblante, il continua. « Tu me dis que tu es là, mais tu étais où ces dernières semaines ? Je pensais que... » tenta-t-il de continuer avant de s'arrêter brutalement. Son regard fut attiré par un livre qui traînait, ouvert sur le lit, présentant une image qu'Austin ne connaissait trop bien. S'en approchant, la photo devint plus claire et la colère se remit à bouillir en lui. Attrapant le bouquin avec une soudaine vivacité, il fit volte-face pour se retrouver face à Kiara et le lui tendit en fronçant les sourcils. « Tu crois franchement que c'est avec ça que tu vas m'aider ? Avec ta science à deux balles ? » attaqua-t-il en lui montrant l'image de poudre blanche qui décorait une des pages du livre. « Bordel mais j'en veux pas de ton aide Kiara ! » cracha-t-il en finissant par jeter le livre plus loin avec force. La colère brillant dans ses yeux au milieu de ses larmes la fixait, comme si elle était le centre de tous ses malheurs - ce qui n'était pas totalement faux. « C'est quand que tu comprendras que j'ai crevé d'amour pour toi, que tu m'as arraché le coeur quand tu es partie, que j'ai sombré parce que tu m'as soudainement retiré ce à quoi j'avait réussi à me raccrocher ? » Craquant, il recula d'un pas et passa à nouveau une de ses mains sur son visage, tremblant comme jamais. La colère, la déchirure se mélangeaient et il ne savait pas combien de temps encore il serait capable de se contenir suffisamment.

Kiara avait profondément envie d'aider Austin. Le voir dans l'état dans lequel il venait la voir aujourd'hui était une véritable torture, elle qui ne l'avait jamais connu si bas & si mauvais. Elle peinait d'ailleurs à reconnaître l'homme dont elle était follement & presque instantanément tombée amoureuse, mais elle ne voulait pas se résoudre à abandonner le jeune homme qui se trouvait aujourd'hui devant elle. Sa détresse la heurtait de plein fouet, et pourtant elle se sentait aussi complètement impuissante, incapable de le sauver de la pénombre dans laquelle il semblait s'être retranché.

Elle aurait voulu qu'il rende les armes, qu'il s'abandonne contre elle, et même si elle n'avait toujours aucune idée de la façon dont résoudre son problème, elle aurait voulu qu'il la laisse entrer dans ce cocon indestructible dans lequel il semblait s'être réfugié. Mais si le regard qu'Austin remonta sur elle était plein de larmes, il n'y avait aucune trace de bonté dedans. « Arrête. Arrête de me dire que je ne suis pas seul, parce que c'est le cas ! » lui dit-il en se frictionnant les yeux, probablement pour s'empêcher de pleurer. Kiara voulut lui répéter qu'elle était là, mais il la devança. « Tu me dis que tu es là, mais tu étais où ces dernières semaines ? Je pensais que... » Il avait raison, elle l'avait abandonné & elle n'avait aucune excuse valable pour ça. Seulement, s'il n'avait pas fini sa phrase, c'était parce qu'Austin semblait avoir été attiré par autre chose. En suivant son regard, Kiara tomba rapidement sur le bouquin qu'elle avait jeté sur son lit un peu plus tôt. « C'est pas - » tenta-t-elle vainement de se justifier, interrompue par Austin. « Tu crois franchement que c'est avec ça que tu vas m'aider ? Avec ta science à deux balles ? » cracha-t-il, faisant reculer d'un pas la jeune femme. D'une petite voix, elle réussit à prononcer un « Je voulais juste essayer de comprendre, de t'aider... » avant qu'Austin ne s'emporte en l'arrêtant une nouvelle fois. « Bordel mais j'en veux pas de ton aide Kiara ! » s'était il de nouveau exclamé avec violence, balançant le livre avec une force qui fit sursauter la brune, à qui la scène de la salle de bain deux semaines auparavant était très fraîche dans son esprit. « C'est quand que tu comprendras que j'ai crevé d'amour pour toi, que tu m'as arraché le coeur quand tu es partie, que j'ai sombré parce que tu m'as soudainement retiré ce à quoi j'avait réussi à me raccrocher ? » Et il l'accablait de nouveau. A vrai dire, Kiara n'avait pas non plus été ravie de quitter New York pour Sydney, où elle s'était finalement si peu adaptée qu'elle avait fini par y renoncer. Seulement, même si elle avait été poussée par le fait que la cohabitation entre Connor & Lua semblait impossible et le fait que ce soit son père qui le lui ai trouvé, c'était aussi son ambition professionnelle qui l'avait poussée à accepter ce programme : comme toujours, elle avait fait passer le travail avant tout. « J'ai compris, Austin ! » s'exclama-t-elle à son tour, accablée. « Et je t'ai déjà dit que j'étais désolée, et que j'avais eu tort. » reprit-elle, blasée de savoir que même si elle le répétait, ça ne rentrerait pas plus dans l'esprit du mécanicien que la première fois. « Mais tu peux pas me blâmer pour t'avoir fait retomber, j'ai pas mis la drogue dans tes mains. Tu t'y es mis tout seul, Austin, et... » Effrayée qu'il s'emporte, le prenne mal ou l'interrompe, elle accéléra le débit de ses paroles en les tempérant. « Et c'est pas grave... Mais c'est pas une vie, et t'as beau dire que je sais rien de toi, je sais que c'est clairement pas la vie que tu veux avoir. » Elle déglutit en retrouvant le silence, craignant la prochaine réaction de l'américain.

« C'est pas -» tenta-t-elle immédiatement quand elle le vit qui se rapprochait du livre abandonné sur le lit. Mais c'était trop tard, il était déjà hors de lui en voyant le sujet du livre qu'il n'avait pas tardé à prendre en main pour le montrer à la chercheuse en laissant éclater sa colère. « Je voulais juste essayer de comprendre, de t'aider... » De l'aide, de l'aide et encore de l'aide. En quoi la blâmer ? Elle ne faisait rien de mal. Mais Austin était tellement enfermé dans sa bulle qu'il ne parvenait même pas à accepter le fait que, seul, il ne parviendrait jamais à s'en sortir. Pourtant, il allait falloir qu'il accepte son aide, parce qu'alors qu'il était en train de hurler sur Kiara parce qu'il ne supportait pas qu'elle se mêle de ces problèmes après l'avoir lâchement laissé tomber, sa fille était seule dans un foyer, certainement à attendre le moment où on lui annoncerait qu'elle pouvait rentrer chez elle et continuer à mener sa ville de petite fille aux côtés de son père.

« J'ai compris, Austin ! Et je t'ai déjà dit que j'étais désolée, et que j'avais eu tort. » À force de cracher sa haine sur elle, de lui faire porter le chapeau de son malheur, voilà que Salem se mettait hors d'elle à son tour. D'un point de vue externe, c'était tout à fait compréhensible : elle l'aimait et elle voulait simplement l'aider. Mais une fois de plus, Austin était bêtement aveuglé par sa douleur, persuadé que, s'il avait plongé, ce n'était que parce qu'elle l'avait laissé seul avec pour seule compagnie, sa souffrance. Le visage renfrogné, les lèvres tremblantes, le mécanicien finit par sentir la chaleur d'une larme lui caresser la joue. Il ne prit même pas la peine de l'essuyer, incapable du moindre mouvement. « Mais tu peux pas me blâmer pour t'avoir fait retomber, j'ai pas mis la drogue dans tes mains. Tu t'y es mis tout seul, Austin, et... » Le concerné détourna la tête, incapable de soutenir le regard de la jeune femme plus longtemps. « Et c'est pas grave... Mais c'est pas une vie, et t'as beau dire que je sais rien de toi, je sais que c'est clairement pas la vie que tu veux avoir. » La gorge du jeune père se serra et il dût baisser la tête, sa vue devenant subitement floue. Sa colère consommait tellement de son énergie qu'il se sentait défaillir, mais une fois de plus, il refusait de baisser les bars. Alors il redressa la tête et fixa Kiara de ses yeux brillants alors qu'une nouvelle larme roula sur sa joue. « La vie que je voulais avoir, c'était la vie que je menais à tes côtés. » souffla-t-il, presque à cours d'air. Il se sentait suffoquer intérieurement, étouffer comme s'il était enfermé dans une pièce sous vide. Ses poumons semblaient peiner pour aspirer l'oxygène nécessaire et son coeur se soulevait beaucoup trop irrégulièrement. Se pinçant à nouveau l'arrête du nez, il finit par passer ses doigts sur ses joues pâles pour effacer toute trace de larmes. Ce n'est que quand il se sentit capable de ravaler ses pleurs qu'il réussit à soutenir le regard de Salem. « Peut-être bien que tu ne m'as pas mis la drogue dans les mains. Mais tu m'as laissé seul, tu m'as arraché le coeur. Pourquoi tu es partie bordel ? Ton travail c'était tellement plus important que nous ? » Il avait beau lutter, sa colère reprenait à nouveau le dessus. Et, sans une seule envie de se montrer violent, il s'approcha de Kiara et lui attrapa les poignet comme pour la forcer à le regarder dans les yeux. Son regard rougis ne lâchait plus le sien et sa voix se mit à nouveau à dérailler, plus forte. « Je pensais qu'on avait un avenir ensemble. Avec l'histoire de Connor et Lua, j'ai pété les plombs sur le moment mais ça ne voulait pas dire que je n'étais pas prêt à vivre avec toi. Il n'y avait rien sur cette putain de terre que je désirais plus que ça, de faire ma vie avec toi. Parce que je t'aimais. » Un sanglot secoua sa cage thoracique, l'obligeant à marquer une courte pause. Mais se sentant à nouveau perdu parmi la masse de sentiments qui l'envahissait, il tira sur les poignets de la chercheuse comme pour appuyer ses paroles et lui montrer à quel point il parlait à coeur ouvert. « Je t'aime bordel Kiara ! Tu comprends ça ? Je t'aime ! » s'écria-t-il, complètement désespéré. Ses paroles et son comportement se contredisaient complètement, mais il était tellement perdu qu'il était incapable de se montrer clair dans le message qu'il voulait adresser à la jeune femme.

Si Austin s'était jusqu'à présent obstiné à lui dire qu'elle n'avait aucun droit de regard sur ce qu'il faisait de sa vie & qu'il refusait constamment son aide, Kiara refusait de s'avouer vaincue & persistait à se dire qu'elle ne pouvait pas laisser Austin repartir dans l'état dans lequel il était. Ce n'était pas tellement de la pitié, juste l'amour profond qu'elle éprouvait pour lui qui s'exprimait. Elle était revenue pour lui, et elle ne comptait pas l'abandonner ; elle avait l'impression de faire ça pour l'Austin qu'elle avait connu avant de partir pour Sydney. Le voir de la sorte la torturait & elle n'était pas encore au bout de ses surprises. « La vie que je voulais avoir, c'était la vie que je menais à tes côtés. » Le souffle de Kiara s'arrêta un instant & son regard se plongea dans celui d'Austin, y restant accroché jusqu'à ce qu'il ferme les yeux et efface les larmes qui jonchaient ses joues. Le coeur de la jeune femme battait si fort qu'elle craignait qu'il abîme une de ses côtes & pourtant, elle ne fit aucun mouvement, complètement soufflée par ce qu'Austin venait de lui dire. « Peut-être bien que tu ne m'as pas mis la drogue dans les mains. Mais tu m'as laissé seul, tu m'as arraché le coeur. Pourquoi tu es partie bordel ? Ton travail c'était tellement plus important que nous ? » Cette fois-ci, ce fut Kiara qui fut incapable de soutenir son regard et, les joues roses & le sang battant contre ses tempes, elle baissa les yeux. Elle aurait voulu lui répondre, et elle aurait sûrement dû, mais elle en était un incapable. Un simple "non" qui, elle le savait, ne suffirait pas à le convaincre. Parce que le travail, c'était tout pour Salem, & Austin l'avait remarqué dès leur première rencontre, lorsqu'elle avait dû prendre un congé après que sa moto soit tombée en panne. Et même après, Salem ne l'avait pas caché, son travail la passionnait et elle en oubliait parfois de manger ou de dormir tellement elle pouvait être prise dans ses recherches ou ses observations. Pour son ambition professionnelle, Kiara avait laissé tomber une histoire de trois ans & refusé une demande en mariage, et pourtant, face au paradis qu'elle avait brièvement vécu avec Austin, son travail ne faisait plus le poids.

Austin s'approcha d'elle pour attraper ses poignets, et la brune releva un regard douloureux vers lui. « Je pensais qu'on avait un avenir ensemble. Avec l'histoire de Connor et Lua, j'ai pété les plombs sur le moment mais ça ne voulait pas dire que je n'étais pas prêt à vivre avec toi. Il n'y avait rien sur cette putain de terre que je désirais plus que ça, de faire ma vie avec toi. Parce que je t'aimais. » Sa voix chevrotante fit vibrer tout le corps de Kiara, dont le regard était irrémédiablement emprisonné dans celui d'Austin. Elle n'était même pas sûre d'être encore en train de respirer. Dans son esprit, au rythme des battements effrénés de son coeur, le puzzle des images de leur relation se reconstitua : leur rencontre, leur premier baiser, leur première fois, celles d'après, dans ce monde qui n'appartenait qu'à eux. « Je t'aime bordel Kiara ! Tu comprends ça ? Je t'aime ! » termina le mécanicien en tirant sur ses poignets. Ses paroles se répercutèrent dans tout son corps à la manière d'un ricochet, atterrissant dans son coeur qu'elle crut sentir exploser au fond de sa cage thoracique.

Il l'aimait. Il l'aimait toujours, malgré sa rancoeur, malgré ces dernières semaines, et c'était désormais tout ce qui comptait. Qu'elle ai cette place dans son coeur qu'elle voulait tant avoir, celle qui lui permettait de s'approcher encore un peu plus d'Austin. Le souffle court tellement il était irrégulier, la jeune femme ne tenta pas de se détacher de l'emprise qu'Austin avait sur ses poignets. Le front plissé d'une légère inquiétude, elle n'hésita pourtant pas. Des mots ne suffiraient pas à le convaincre, elle en avait fait l'expérience & il semblait y rester sourd. De toute façon, elle n'avait pas envie de le lui dire, pas alors qu'il doutait de tout ce qu'elle disait. Alors, sans laisser le temps à Austin de réagir, elle se mit sur la pointe des pieds pour capturer ses lèvres dans un doux baiser. Ses lèvres étaient sèches, mais elle ne s'en formalisa pas : elle l'aimait, plus qu'elle n'avait jamais aimé quiconque, et il lui avait trop manqué pour qu'elle résiste à ce besoin de l'embrasser pour lui faire comprendre que cette histoire dont il faisait le deuil n'était pas terminée.

Il lui avait dit "je t'aime". Sans s'en rendre compte, il lui avait avoué ce qui, dans le fond, continuait à le faire souffrir. Car en soi, ce n'était pas le départ de Kiara qui l'avait blessé. C'était le fait d'en être tombé désespérément amoureux et de ne plus l'avoir à ses côtés, croyant ainsi avoir été totalement berné par l'amour. Il n'était jamais tombé amoureux, ayant toujours préféré accumuler les histoires sans lendemain. Premièrement à cause de son ancienne situation instable, et ensuite parce qu'il avait Lua et que la petite fille lui prenait tout son temps. Mais quand Kiara avait débarqué dans sa vie, ça avait été comme si un ouragan avait tout emporté autour d'eux, les laissant seuls tous les deux. Il était tombé sous son charme sans même s'en rendre compte, mais il avait rapidement compris que la chercheuse représentait plus qu'une simple conquête à ajouter à son tableau de chasse. Il n'y avait qu'à voir à quel point ses pensées était toujours hantées par Salem, à quel point son coeur ricochait dans sa cage thoracique quand il l'avait à ses côtés, à quel point il était tendre avec elle dans tous les moments qu'ils partageaient, des plus banaux aux plus intimes. Austin s'était transformé en un autre homme, un homme amoureux qui s'était pourtant envolé aussi vite qu'il était apparu, au moment où Kiara était partie.

La tenant avec fermeté par les poignets, l'américain peinait à croire qu'il venait de dire à Kiara qu'il l'aimait. Il venait de laisser éclater la vérité en plein jour, de lui dire qu'il l'aimait encore, comme un fou, et que son absence le tuait. Et à présent, il se retrouvait face à elle, le souffle court et les larmes débordant ses yeux pour trembler au bord de ses cils, incapable de prononcer un mot de plus. La jeune femme resta tout aussi silencieuse que lui, visiblement retournée par ce qu'elle venait d'entendre. Leur regard ne se lâchaient pas, accroché l'un à l'autre comme s'ils ne s'étaient pas recroisés depuis des siècles. Affaibli, Austin sentait ses muscles trembler. Le manque s'imposait en lui, prenant un peu plus possession de lui à chaque minute, comme un terrible virus. Il était à bout de force et son coeur battait avec tellement de force qu'il avait l'impression qu'il n'allait pas tarder à s'arracher de sa poitrine. Sans trouver plus de courage que ça, il finit par lâcher le regard de Kiara et baissa la tête, fermant les yeux. Mais il fut rapidement enclin à la relever. Tout à coup, un gout sucré vint contraster avec la dureté de ses lèvres, une douceur qui ne lui avait que trop manqué et pour cause étant donné que c'était la douceur des baisers de la chercheuse. Cela faisait des semaines que le contact de leurs lèvres n'était devenu qu'un simple souvenir douloureux de leur histoire, mais tout à coup, tout semblait ne jamais avoir disparu. C'était comme si une soudaine lueur était venue éclairer le monde sombre dans lequel il s'était enfermé, comme si la carapace indestructible qu'il s'était formée venait de voler en éclat pour laisser Salem y pénétrer. C'était comme s'il revivait.

Il lui fallut quelques secondes pour réaliser que Kiara l'embrassait. Ses yeux fermés se crispèrent et il sentit son coeur s'emballer. Mais quand il finit par réaliser que, non, il n'était pas dans un de ses rêves où il se voyait avec celle qu'il aimait, ni dans une de ses hallucinations dues à la drogue, il s'emporta rapidement, Soudain pris d'une ardeur qui contrastait avec l'état chaotique dans lequel il était arrivé, il serra les poignets de la chercheuse qu'il n'avait toujours pas lâchés, la tirant contre lui comme par per qu'elle s'en aille. Il prolongea leur baiser, mais il était tellement déphasé qu'il ne se rendit pas compte que sa tendresse habituelle avait disparue et qu'il se montrait beaucoup trop brusque. Dans un état complètement second, il ne maîtrisa plus ses gestes et, très rapidement, il finit par avancer jusqu'à ce que Salem se retrouver coincée entre le mur et lui. Ses lèvres délaissèrent les siennes pour aller se perdre dans son cou, une nouvelle fois sans grande douceur, et une de ses mains agrippait sa hanche avec fermeté alors qu'il glissait déjà son autre main sour le haut de la jeune femme. Incontrôlable, guidé par ses pulsions, pulsions qui, mélangées au manque et à la fatigue, n'avaient absolument rien de celle que Salem avait pu lui connaître par le passé.

C'était comme si, en un instant, les dernières semaines qu'elle avait vécu n'avaient pas existé. Sydney, sa solitude, ses regrets... Il n'y avait plus rien, plus rien d'autre qu'Austin & elle, comme avant toute cette histoire qui avait fini par les séparer. Ses lèvres pressées contre les siennes, sentant ses mains enroulées autour de ses poignets, elle ne voulait pas penser au fait qu'il se droguait, que sa fille était ils-ne-savaient-où, qu'elle était censée travailler ce soir, tout ce qui importait était qu'il l'aimait, qu'il le lui avait dit & qu'elle n'avait jamais cessé de l'aimer. A travers la douceur de son baiser, Kiara espérait faire retrouver au jeune homme les sensations de ce qu'avait été leur quotidien durant le temps qu'ils avaient passé ensemble, la douceur que lui-même adoptait avec elle, l'euphorie dans laquelle ils étaient constamment plongés l'un en présence de l'autre. Austin ne pouvait décemment pas rester dans l'état dans lequel il était depuis que Kiara était partie, pas alors qu'elle était ainsi prête à le soutenir, pas alors qu'elle était prête à tout recommencer avec lui, qu'elle était revenue pour lui. Elle se devait de le lui faire comprendre, de la façon dont il le faudrait... Et c'était ce baiser qu'elle avait trouvé.

Celui-ci ne tarda cependant pas à la dépasser. Alors que, durant les premières secondes, elle avait craint qu'il le repousse, Austin ne tarda pas à faire preuve d'un entrain qui surprit la jeune femme. Elle gémit légèrement de douleur en sentant les doigts du jeune homme se serrer encore plus autour de ses poignets, et tenta de s'en dégager mais elle était aussi assaillie par le baiser qu'Austin approfondit avec une fougue qu'elle ne lui avait jamais connue et qui, à vrai dire, commençait à l'inquiéter. Elle se laissa tout de même entraîner en arrière, n'ayant pas vraiment le choix, jusqu'à ce que son dos bute contre le mur de sa chambre, où Austin la plaqua avec pas loin de la même force qu'il avait utilisée sur elle deux semaines auparavant, dans sa salle de bain.

L'homme qui était en train de dévorer son cou était loin d'être celui dont elle était tombée amoureuse, mais la jeune femme avait peur de s'en être rendue compte trop tard. Elle soupira de soulagement lorsqu'il relâcha ses poignets endoloris mais déjà, il s'attaquait à sa hanche, lui arrachant un nouveau gémissement de douleur. « Austin... » souffla-t-elle en tentant de repousser la main d'Austin qui lui meurtrissait la chaire, en vain. Est-ce qu'il était en train de l'embrasser ou de la mordre ? « Arrête... » La jeune femme tenta de se dégager, mais il n'y avait aucun espace entre le mur & le corps d'Austin. « Austin, ça suffit ! » tenta-t-elle encore, plus fort et la voix empreinte de panique alors qu'elle sentait sa main se diriger vers son coeur battant la chamade, même pas sûre qu'il l'entende.

Et soudainement, elle fut libérée de l'étau de ses bras. Eberluée, Kiara rouvrit les yeux : a quelques pas de là, Austin avait lourdement atterri sur son lit, qui avait tout de même amorti sa chute, et entre eux, la carrure de son père n'avait jamais parue aussi menaçante malgré son âge avancé. Comment était-il entré dans sa chambre ? Comment avait-il su ? Elle n'avait clairement pas le temps de lui poser ces questions et, anticipant bien vite les intentions de son père, elle se précipita vers lui. « Papa, non ! » s'écria-t-elle en se jetant presque devant lui pour l'empêcher d'attaquer de nouveau Austin. Le regard mauvais & flamboyant, Richard ne semblait même pas la voir. La jeune femme posa sa main sur l'épaule de son père dans l'espoir de le calmer, et ça eut le mérite de le faire réagir. « Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? » cracha-t-il, reportant tout de suite son attention sur Austin. Essoufflée, éprouvée et confuse, la jeune femme ne trouva d'abord pas quoi répondre. « C'est rien, c'est... » Non, son esprit de génie ne trouvait absolument rien pour défendre Austin face à son père et pourtant, elle ne savait que trop bien de quoi son paternel était capable. Richard reposa une nouvelle fois son regard sur sa fille et sembla comprendre qu'elle ne souhaitait vraiment pas ajouter plus de violence à la situation. Il soupira, mais ne décoléra pas et, laissant sa fille impuissante, la poussa pour s'approcher d'Austin et le saisir par le col de son haut sans vergogne. « Je veux que tu déguerpisse d'ici tout de suite, et que tu ne reviennes plus jamais. » cracha-t-il en plongeant son regard profondément menaçant dans celui d'Austin. « Et ne t'avise pas de toucher un seul cheveu de ma fille. » Richard pourrait bien devenir fou : il n'avait aucune idée de ce qui était en train de se passer, mais il savait sa fille en danger et pour Salem, il pourrait tuer. Il lâcha finalement Austin en le poussant vers la sortie, se mettant devant sa fille en dominant le mécanicien de toute sa hauteur, pendant que Salem, comme une enfant, se penchait pour essayer de voir par-dessus son épaule.

Au fond de lui, une lueur de lucidité persistait, lui ordonnant de lâcher Kiara, d'arrêter d'être aussi brutal avec elle. Mais c'était comme si ses pulsions le rendaient sourd et aveugle, incapable de déceler le moindre mot ou geste de détresse de la part de la jeune chercheuse. C'était comme s'il s'était transformé en un prédateur qui avait longtemps été privé de chasse : il était incapable de s'arrêter, bien trop absorbé par le parfum enivrant de la demoiselle et totalement inconscient de la violence dont il faisait à nouveau preuve face à elle. « Austin... » Son prénom prononcé avec supplication ne le stoppa pas plus, ses lèvre continuèrent de parcourir sa peau fruitée. Elle essayait pourtant tant bien que mal de lui faire lâcher prise, mais c'était comme s'il était fait de béton et que Salem était condamnée à rester prisonnière tant qu'il n'avait pas décidé de la lâcher de lui-même. « Arrête... » Une nouvelle supplication qui, à nouveau, n'amena aucune réponse comportementale de la part du jeune père. Remontant ses mains le long de son corps, il resta complètement sourd aux paroles de Salem et se contenta de satisfaire au mieux le désir qui l'avait soudainement pris et hanté. « Austin, ça suffit ! » Sa voix se montrait plus forte, mais rien n'y fit. Austin était devenu incontrôlable et, bien que ce comportement de lui ressemblait en aucun point, il ne parvint pas à s'arrêter d'embrasser son cou, presque en lui arrachant la peau à force d'y mettre beaucoup trop d'engouement.

Mais tout à coup, il se sentit tiré en arrière avec une telle vivacité qu'il gicla jusqu'au lit. Trébuchant contre ce dernier, il sentit une douleur secouer ses tibias qui venaient de heurter le bois du meuble avec force, ceci avant de s'étaler de tout son long contre le matelas. Grimaçant légèrement, il lui fallut quelques secondes pour se remettre les idées en place et pouvoir glisser sur le côté afin de s'appuyer sur ses mains pour redresser son corps. Il croisa bien rapidement le regard d'un homme qui semblait avoir un certain âge. Cet inconnu à la carrure intimidante se dressait entre Kiara et lui, et ce ne fut que quand la jeune femme s'écria « Papa, non ! » que le mécanicien comprit à qui il avait affaire. Un père qui défendait sa progéniture bec et ongle, il avait connu cela lorsqu'il avait Lua à ses côtés. Pourtant, il ne parvint pas à accepter le comportement du père Duke alors que, si sa fille avait été à la place de Salem, lui-même n'aurait pas attendu pour casser la figure au responsable de ses malheurs. « Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? » « C'est rien, c'est... » Austin se fit discret, conscient que la situation s'envenimait de plus en plus. Il ne lui fallut pourtant pas attendre longtemps pour être à nouveau au centre de l'attention. Richard Duke n'avait pas l'air de plaisanter et le fusilla très rapidement du regard. Sans écouter les proclamations de sa fille, il finit par s'avancer vers le jeune père et le força à se relever en le tirant brutalement par le col de son haut. Impuissant, le mécanicien se sentit porté comme si ses pieds ne touchaient plus terre, et, très rapidement, son regard croisa celui du père de Salem. Par un simple échange visuel, il comprit qu'il avait intérêt à disparaître très vite. « Je veux que tu déguerpisse d'ici tout de suite, et que tu ne reviennes plus jamais. Et ne t'avise pas de toucher un seul cheveu de ma fille. » Le concerné n'eut même pas le temps de répondre que Richard l'avait déjà lâché tout en le poussant en direction de la porte. Le souffle court, Austin resta quelques instants immobile, le temps de se remettre les idées en place et de regarder Kiara pour une dernière fois. Leurs regards se croisèrent, alors qu'elle tentait de distinguer la scène par-dessus l'épaule de son père. L'américain tenta de lui faire comprendre par un simple regard à quel point il était désolé, puis, conscient qu'il avait tout bonnement intérêt à filer sans insister, il s'éclipsa de la chambre après avoir ouvert la porte. Traversant le couloir d'un pas vif, il emprunta l'ascenseur et sortit de l'hôtel. Il n'avait aucune envie de rentrer chez lui et le manque lui devenait insupportable. Alors, passant sa main sur son visage pour effacer toutes les traces de faiblesse qui avait pu y apparaître, il souffla un bon coup et se dirigea vers Brooklyn, plus précisément dans un endroit où il pourrait se dégoter de quoi satisfaire son manque.