austin & kiara

❝ disenchantment ❞

Ce matin, lorsque Kiara s'était réveillée, ça avait été par le chant d'un oiseau ; ça avait été son signe. En sortant dans le salon, elle avait pu admirer un soleil resplendissant dans le ciel qui la fit sourire avant qu'elle ne réalise que c'était ce qu'elle attendait fatalement : le printemps. Même quelques jours auparavant, lorsqu'elle s'était dit « au printemps, je le dirais à Austin », ça lui avait paru lointain, presque une autre vie, elle serait peut-être une autre personne... Ce n'était pas le cas. Elle n'avait pas plus accepté la nouvelle que la veille, ou que la semaine précédente, et pourtant elle ne pouvait pas le cacher plus longtemps. Déjà, fuir avec Hazel pour le Kentucky avait commencé à attirer les soupçons de son petit-ami, qu'elle fuyait sans pouvoir lui faire face en sachant qu'elle lui cachait quelque chose d'aussi gros que ça. Alors, trouvant le moyen de réunir assez de courage, et surtout sans se donner assez de temps pour réfléchir, Kiara appela le portable de son petit-ami en sachant pertinemment qu'à cette heure matinale, il serait en train de conduire Lua à l'école et ne pourrait donc pas lui répondre. En effet, elle tomba sur sa messagerie et se racla donc la gorge avant de prendre la parole après la tonalité. « Austin, c'est Kiara, je... Tu peux passer chez moi, après avoir déposé Lua ? Je dois te parler, c'est, euh, rien de grave hein, mais... enfin, bref, passe, s'il te plaît. Je t'aime. » Réalisant qu'elle racontait n'importe quoi - « rien de grave », vraiment ?! –, Kiara s'empressa de raccrocher et soupira longuement avant de passer une main fatiguée sur son visage et de se préparer un café – tiens, une boisson qu'elle n'aurait jamais à abandonner pour le bien d'un éventuel bébé ! Elle sortit vite sur la petite terrasse de l'appartement au rez-de-chaussée qu'elle avait pu louer à son retour à New York, terrasse qu'elle avait agrémenté de plantes pour tenir compagnie à son éternel télescope. Observant la mer, elle resta un long moment ainsi, son café entre les mains, à penser à ce qu'elle pourrait bien dire à Austin lorsqu'il viendrait. Il n'y avait pas de bonne façon de le dire ; la seule fois où elle l'avait avoué jusqu'à présent, elle avait fondu en larmes, réalisant pour la première fois à quel point ça la touchait, plus même qu'elle ne l'aurait pensé. Plus que pour elle, elle pensait à Austin, à leur couple ; elle ne pouvait pas avoir d'enfants, qu'en serait-il d'eux fondant une famille ? Comme elle l'avait dit à Hazel, Austin avait déjà manqué une bonne partie de l'enfance de sa fille, et Kiara ne voulait pas le priver de pouvoir profiter du bonheur de serrer son enfant nouveau-né, sa chair & son sang, dans ses bras. Pour le coup, elle se détestait, elle détestait ce corps à qui elle avait l'impression de n'avoir rien fait & qui l'agressait de la sorte, qui la privait du bonheur d'être mère, bonheur dont elle était témoin à chaque fois qu'elle repensait au ventre rebondi de sa jumelle alors qu'elle discutait avec son plus grand fils. Fermant les paupières un instant, Kiara ne les rouvrit finalement que lorsqu'on toqua à la porte. Supposant que c'était Austin, même si elle n'avait aucune idée du temps qui venait de passer, la jeune femme lança un « C'est ouvert ! » par-dessus son épaule sans oser rentrer de nouveau dans l'appartement, comme si elle voulait retarder l'échéance.

Quelques secondes seulement s'étaient écoulées entre le moment où elle avait entendu les frappements à la porte et celui où Austin l'avait rejointe, mais pour Salem, ça n'avait pas duré moins d'une éternité. « Kiara ? » entendit-elle le jeune homme appeler, probablement de l'entrée. Les paupières de la jeune femme se fermèrent un instant et elle sentit ses doigts se mettre à trembler ; serrant ses mains autour de sa tasse de café pour les garder aussi immobiles que possible, la jeune femme fit un pas en arrière pour s'asseoir sur l'un des petits fauteuils de la terrasse et finalement, rendit les armes en soupirant d'agacement et en posant son café qu'elle était en train de renverser partout à cause de ses tremblements. C'était une éternité, et pourtant ça arrivait si vite ! Elle avait l'impression d'être au volant d'une voiture sur le point d'entrer dans une collision monstre, incapable de contrôler quoique ce soit, impuissante face à la vague funeste qui allait s'abattre sur elle ; parce que finalement, pour elle, il n'y avait que cette possibilité. Même si Nahla lui avait dit et répété qu'il y avait des alternatives pour pouvoir avoir un enfant, qu'Austin avait déjà une fille, il semblait évident pour la chercheuse que le fait qu'elle ne puisse pas enfanter allait poser un énorme problème dans leur relation. Seulement, aussi effrayée soit-elle, elle ne pouvait pas le lui cacher plus longtemps, elle ne pouvait de toute façon pas vivre à ses côtés en le lui cachant, elle avait l'impression de trahir sa confiance, c'était barbare comme comparaison mais, un peu comme si elle vendait un produit bas-de-gamme au jeune homme sans lui révéler que sa date de péremption en tant que mère était déjà arrivée. Si elle considérait seulement l'adoption ou le recours à une mère porteuse ? Absolument pas. Même s'ils étaient rêveurs, Austin & elle n'essayaient pas particulièrement d'avoir un enfant en ce moment, elle savait juste que ça allait arriver un jour, qu'ils allaient devenir plus sérieux sur le sujet si leur relation continuait sur cette lancée, seulement elle était tellement déçue, tellement blessée de se voir priver ce droit d'enfanter alors qu'elle voyait sa jumelle supporter trois enfants, sa cousine élever son fils toute seule... « Ah, t'es là. » La voix d'Austin provoqua des frissons dans le dos de Salem, qui remontèrent jusqu'à sa nuque pour atteindre son front juste au moment où Austin y déposa un baiser, renvoyant le flux électrique dans l'autre sens. Sous l'effet de la surprise, sa montée de stress soudaine, Kiara sentit sa mâchoire se serrer sans qu'elle ne puisse le contrôler et, tendue, elle fut incapable de soutenir le regard de son petit-ami, qui remarqua bien vite que quelque chose n'allait pas. « Tout va bien ? Ta voix sonnait bizarre dans le message que tu m'as laissé... » La brune déglutit et baissa la tête ; oui, vraiment, elle n'avait pas été une très bonne actrice sur ce coup. Secouant doucement la tête, elle dut s'y reprendre à plusieurs fois avant de pouvoir parler, et encore ! Elle ne prononça qu'un « Non, je... » enroué avant de devoir se racler la gorge dans une tentative vaine de la dénouer. Comme un soudain mais vague souvenir, elle se rappela de « prendre son temps » et « d'être aux contrôles » comme lorsqu'elle stressait pour ses oraux. Elle resta donc un long moment à tenter d'atténuer les tremblements de ses doigts, réalisant qu'elle avait espéré en vain trouver « la bonne chose à dire » sur le moment, comme elle avait échoué à y penser pendant des semaines. « Il n'y a pas de bonne façon de le dire, je crois, alors... Je vais... » Elle ne savait même pas par où commencer. Sa peur de connaître sa réaction ? Balancer l'information de but en blanc ? « Je veux juste te dire que, enfin, je comprendrais si tu préfères... » Rompre ? Partir ? Fuir ? Les sourcils arqués, Kiara sentait que son contrôle ne tenait qu'à un fil, et pour cause, elle commençait par ce qui l'atteignait le plus : sa peur qu'Austin l'abandonne. « … t'éloigner. » souffla-t-elle, ne croisant que brièvement le regard du mécanicien avant de sentir des larmes envahir ses yeux. Elle baissa donc de nouveau la tête, fermant les paupières pour empêcher ses émotions de la submerger, et soupira profondément avant de reprendre la parole. « Je peux pas avoir d'enfants. » lâcha-t-elle brutalement. « Je peux pas avoir d'enfants. Voila. » répéta-t-elle avant que sa voix ne meurt sur la fin de sa phrase.