Combien de temps cela faisait-il qu'Austin tournait en rond au milieu des chaises trônant dans le hall d'accueil des urgences pédiatriques qui servait également de salle d'attente ? Il n'en avait aucune idée, dans la mesure où chaque secondes lui semblaient duré des siècles. Marchant dans un sens, puis dans l'autre, il se rendait régulièrement vers le bureau pour demander des nouvelles de sa fille, mais on lui répétait qu'il devait se montrer patient et qu'on viendrait le chercher dés que les médecins en auraient terminé avec Lua. « Bande d'incapables... » marmonnait-il, si bas qu'il peinait lui-même à s'entendre. Il fulminait. Pour tenter de se calmer, il sortit une énième fois son paquet de cigarettes mais le retrouva vidé de son contenu. Il était tellement stressé qu'il était déjà sorti pour griller tous les bâtons de nicotines qu'il avait avec lui. Levant les yeux au ciel, il jeta le paquet et alla s'assoir. Il devait impérativement se calmer où il allait finir par péter les plombs. Mais tout à coup, comme par miracle, on vint le chercher et on l'emmena voir sa fille.

Austin ne quitta l'hôpital qu'à la fin des heures de visites autorisées pour les parents en zone pédiatrie. D'un pas décidé, il traversa le parking et s'enferma dans sa voiture, démarrant le moteur pour s'engager avec vitesse sur la route, traversant Manhattan pour rejoindre Brooklyn jusqu'au quartier de Williamsburg. Trouvant de la place au bas de son immeuble, il se gara et quitta son véhicule pour rentrer chez lui, impassible, le visage renfermé. Une fois rentré, il fonça dans son salon et fouilla dans les tiroirs d'un meuble pour trouver de quoi fumer. Puis, tout en allumant sa cigarette, il alla ouvrir la porte vitrée donnant sur le balcon et se posa à l'extérieur, tirant une immense latte de fumée pour calmer ses nerfs. Le regard perdu parmi les lumières des immeubles voisins, il se repassait le film des événements de l'après-midi. Tout s'était passé tellement vite : lui qui discutait avec la maîtresse de Lua à la sortie des classes, les crissements de pneus qui avaient attirés l'attention de tout le monde dans la cour d'école, le son du choc entre le pare-choc de la voiture et un corps humain,le regard d'Austin qui s'était posé sur la voiture arrêtée puis sur le corps de la petite fille allongée au sol. Lua. La Mercedes l'avait percutée de plein fouet alors qu'elle voulait simplement récupéré le ballon que la gamine et ses camarades avaient laissé échappé sur la route. Au souvenir de cette vision de sa fille, inerte sur le bitume, Austin écrasa sa cigarette à peine consumée dans le cendrier qui trônait sur la table extérieure et retourna à l'intérieur. Complètement à cran et alors que des larmes avaient déjà commencer à glisser contre ses joues, il passa ses mains sous la table basse du salon et la renversa avec force, faisant gicler tout ce qui s'y trouvaient. Il dût se contenir pour ne pas saccager son appartement. Il se laissa tomber sur le canapé, les yeux humides, et passa ses mains tremblantes sur son visage. « Ne vous en faites pas monsieur McDaniels. Votre fille s'en est très bien sortie. Elle a une légère commotion cérébrale, rien de très grave, deux côtes fracturées et une jambe cassée. Avec une telle violence de choc, elle aurait pu mourir, rassurez-vous, elle se rétablira vite. » Le médecin avait beau s'être montré rassurant, Austin avait été en proie à une panique sans nom. Elle était vivante, c'était le principal et il se sentait, certes, libéré d'un poids énorme. Mais pour les services sociaux, ces simples blessures allaient être un très bon moyen pour le faire passer devant le tribunal.

Sans réellement réfléchir, Austin laissa le bordel dans son appartement, enfila sa veste de moto et, casque en main, quitta les lieux pour monter sur sa moto et conduire jusque dans le Bronx. Arrivé devant la maison où résidait Kiara-Luka, il ôta son casque et fut heureux de voir que de la lumière s'échappait des fenêtres. Rassuré, il éteignit sa bécane après l'avoir correctement garée et s'avança vers le palier. Une fois devant la porte, il passa une main sur son visage, fébrile, tentant encore de se calmer alors que ses yeux étaient rougis par les larmes qui menaçaient depuis qu'il avait quitté l'hôpital -bien que quelques unes aient réussi à se frayer un chemin parmi ses cils pour glisser contre ses joues. Pourquoi se rendre chez elle alors qu'il avait une famille entière à New York ? Parce qu'il savait pertinemment qu'aucun de ses frères et soeurs ne parviendraient à le rassurer, à évacuer la boule de nerfs qui avait pris forme dans son ventre. Contrarié, Austin était difficilement contrôlable et, dans cette situation, il se retenait clairement de péter les plombs. Mais la jeune chercheuse parviendra à le canaliser, il en était persuadé. C'est pourquoi, malgré l'heure tardive, il toqua à sa porte, sa gueule d'ange déformée par ses yeux rougis et son teint pâle. À vrai dire, il n'avait même pas pensé à l'éventualité qu'elle pouvait être occupée. Il avait juste besoin d'elle.

Si Kiara-Luka semblait radieuse et heureuse depuis qu'elle fréquentait Austin, le mécanicien ne l'était pas moins. Lui qui avait une fâcheuse tendance à se montrer trop sérieux montrait dorénavant une nouvelle facette de sa personnalité. Ses collègues de boulot le lui avaient fait remarquer à plusieurs reprises, notant qu'il souriait bien plus qu'à la normale et qu'il semblait s'adonner à coeur joie à chacune des tâches qui lui étaient confiées. C'était de là que venait l'expression être sur une petit nuage ? Parce que l'américain se sentait littéralement planer depuis qu'il voyait la jeune chercheuse. Certes, il n'y avait rien d'officiel, elle comme lui ne désirant pas s'engager trop rapidement. Ils vivaient au jour le jour, s'appelant régulièrement, se voyant le plus souvent possible et cela suffisait à rendre le jeune père heureux. Certaines personnes de sa famille l'avaient également remarqué, Madison par exemple qui, étant plutôt proche de son aîné, l'avait largement charrié sur la source de son bonheur. Il ne lui avait pas caché que c'était grâce à Kiara-Luka qu'il souriait sans arrêt, et sa cadette trouva cette nouvelle très drôle, elle qui connaissait son frère plus comme un coureur de jupons que comme un homme s'accrochant sentimentalement à une femme. Ne brusquons pas les choses, aucun sentiment ne semblait être en jeu d'après Austin, bien qu'il tenait indéniablement à l'australienne.

C'est pourtant bien connu : un bonheur ne dure jamais éternellement et il y a toujours une ombre pour noircir le tableau. C'est fou comme un simple "accident" pouvait rendre le mécanicien complètement... barge. Il était, certes, une personne nerveuse de base, impatiente et qui peine à contenir ses émotions, principalement quand il s'agit de la colère. Mais suite à l'accident, il avait été tellement choqué qu'il n'avait réagi que plusieurs heures plus tard, une fois qu'il s'était retrouvé enfermé seul chez lui. Il avait retenu sa rage, son affolement tout l'après-midi et s'était laisser exploser dans un trop plein de désarroi avant de se rendre chez Kiara-Luka. Après avoir tapé à la porte, les secondes s'écoulant jusqu'à ce qu'elle ouvre la porte lui semblèrent passer au ralenti. Sentant soudainement une vague de chaleur désagréable l'envahir, il ouvrit sa veste baissa la tête pour souffler doucement alors que la paume de sa main s'était posée sur son pectoral gauche. Son coeur battait anormalement vite et, contrairement à quand il se trouvait aux côtés de la chercheuse, il ne battait pas par plaisir, et c'était loin d'être agréable.

Puis finalement, la porte s'ouvrit. Dés qu'il entendit le cliquetis de la serrure qui s'ouvrait, le jeune père redescendit sa main pour la glisser dans la poche de son jean, son autre main tenant toujours son casque. Malgré le fait que Kiara-Luka lui apparaisse en contre-jour à cause de la lumière du salon, il n'eut aucun mal à déchiffrer l'alerte qui prenait forme sur son visage. Sans un mot, le mécanicien expira lentement, concentré sur son rythme cardiaque trop rapide. À vrai dire, il était tellement concentré qu'il entendit à peine le « Hey... » que la jeune femme lui adressa, visiblement anxieuse de le voir dans un tel état. Ce n'est que quand elle l'attrapa par son tee-shirt pour l'emmener à l'intérieur qu'il prit pleinement conscience qu'elle était en face de lui. Et, aussi étrange que cela puisse paraître, il sentit soudainement un sanglot l'étrangler. Comme un enfant, il avait subitement envie de fondre en larmes alors qu'il avait réussi à se contenir toute la journée. À croire qu'il n'arrivait pas à faire semblant face à l'australienne. « Désolé de débarquer si tard... je te dérange pas j'espère ? » marmonna-t-il après avoir longuement inspirer pour ravaler la tristesse qui s'était soudainement emparée de lui. D'un geste machinal, il passa sa main dans sa chevelure décoiffée par son casque, casque qu'il posa d'ailleurs là où il trouva de la place. Quand son regard larmoyant croisa les iris émeraudes de Kiara-Luka, son coeur se retourna et il sentit à nouveau sa trachée se crisper. Il s'était juré de ne pas pleurer, alors il lutta, encore, finissant par baisser la tête tout en se pinçant l'arrête du nez avec son pouce et son indexe. Il se racla la gorge et redressa la tête. Conscient qu'il était là pour une bonne raison et que la demoiselle devait certainement se demander la raison de son état, il finit par lui annoncer en quelques mots ce qu'il avait traversé aujourd'hui. « Ma fille est à l'hôpital et j'étais en train de péter les plombs chez moi. Je... j'avais besoin de te voir... » Sa voix s'était montrée faible, vacillante, et de nouvelles larmes étaient venues lui brouiller la vue, si bien qu'il s'était vu obligé de marmonner doucement la fin de sa phrase, les sanglots lui bloquant la gorge l'empêchant de parler comme il l'aurait souhaité.

Le visage de Kiara-Luka exprimait parfaitement son inquiétude, et elle ne chercha pas à le dissimuler en faisant entrer un Austin particulièrement perturbé chez elle. Scrutant ses expressions, Kiara ne quittait pas le mécanicien des yeux, les sourcils froncés par le questionnement qui commençait à foisonner dans son esprit. L'inquiétude ne se fit d'ailleurs que plus grande lorsqu'elle vit et entendit le sanglot qu'Austin étouffa lorsqu'il se retrouva face à elle. Elle resta néanmoins silencieuse, ne voulant pas le brusquer mais se doutant que son regard devait en dire assez. Ce n'était pas tellement "savoir pour savoir" qui l'intéressait, elle voulait comprendre ce qui mettait Austin dans un tel état parce qu'elle se sentait mal de le voir ainsi. Elle pour qui seulement les larmes de Connor semblaient avoir une quelconque valeur se retrouvait touchée par celles d'Austin, cet homme qu'elle connaissait si peu et à qui, pourtant, elle était si accro.

« Désolé de débarquer si tard... je te dérange pas j'espère ? » lâcha-t-il, en contraste total avec son expression et le ton de sa voix. Prise par surprise, Kiara-Luka ne sut d'abord pas quoi répondre et, par réflexe, tourna la tête vers le couloir menant à la chambre de son petit frère. Dans d'autres circonstances, elle aurait fait sortir Austin, aurait pu l'inviter n'importe où pour que l'environnement de Connor ne soit pas perturbé, mais là elle voyait le mécanicien tellement mal qu'elle pria juste pour que son jeune frère ne se réveille pas. « Non, non, bien sûr que non. » le rassura-t-elle d'une voix douce et toujours aussi inquiète de voir l'américain dans cet état de détresse. Elle mourrait d'envie de lui demander ce qui le rendait comme ça, ce qui était arrivé pour qu'il se décide à venir taper à sa porte aussi tard alors qu'il devait avoir des personnes beaucoup plus proches de lui pour partager sa détresse et mieux la comprendre. Kiara-Luka n'avait jamais vraiment su comment réconforter quelqu'un, elle avait passé une grande partie de son enfance dans une solitude qui l'avait parfaitement contentée et même avec toute la socialisation qu'elle avait opérée, le réconfort dépassait de loin ses aptitudes.

Elle ne dut pas attendre trop longtemps avant qu'il ne dévoile enfin la raison de son mal-être. « Ma fille est à l'hôpital et j'étais en train de péter les plombs chez moi. Je... j'avais besoin de te voir... » La voix chevrotante du jeune homme, les larmes qui naissaient de nouveau aux coins de ses yeux, tout criait sa détresse et transperçait Kiara-Luka de toutes parts. Pas parce que c'était comme ça que ça se passait dans les films, ou parce que c'était comme ça qu'on agissait avec elle les rares fois où elle se sentait mal & où ça se voyait, mais parce que son corps lui intimait de le faire, elle s'approcha du jeune homme et entoura ses épaules de ses bras pour l'attirer contre lui en étouffant un simple « Oh ! » compatissant. Certes, elle n'avait aucune idée de comment réconforter quelqu'un mais là, elle ne pouvait que comprendre ce qui pouvait passer par la tête du mécanicien. Elle n'avait jamais été mère à proprement parler, mais elle pouvait à peine cautionner l'idée de savoir Connor, dont elle s'occupait finalement comme d'un fils, blessé, à l'hôpital, pendant qu'elle serait impuissante. Prendre Austin dans ses bras n'était pas grand chose, mais c'était tout ce qu'elle pouvait faire, et si ce n'était pas grand chose elle espérait tout de même qu'il comprenne que malgré ses capacités limitées pour le réconforter, elle était là pour lui.

Après un long moment où elle ne se résolut pas à le lâcher, elle posa brièvement ses lèvres contre la jointure de sa nuque et de son épaule et s'écarta doucement pour poser sa main sur sa joue, effaçant au passage la trace d'une larme. Austin ne lui avait pas beaucoup parlé de Lua... Il l'avait mentionné, elle était bien contente qu'il l'ai fait d'ailleurs, qu'est-ce que ça aurait été si il avait débarqué ici pour lui dire ça sans l'avoir avertie avant qu'il avait une fille ?! Mais même si ça restait une inconnue, le principe était là : sa fille allait mal. Elle souffla doucement un « Viens... » en l'entraînant vers le salon, directement mitoyen du jardin dont la baie vitrée était ouverte et où traînait toujours son télescope, et l'invita à s'asseoir silencieusement avant de reprendre la parole. « Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Est-ce que... c'est grave ? » demanda-t-elle, sincèrement inquiète, en prenant place près de lui.

Que faire lorsque notre raison de vivre se voit menacée ? Depuis qu'il avait recueilli sa fille, Austin avait appris à vivre par son regard, à vivre pour elle et non plus pour lui, de manière égoïste, comme il en avait toujours eu l'habitude. Lua l'avait incontestablement changé, l'avait mûri. Il était devenu adulte et responsable au moment même où il avait signé les papiers en guise de reconnaissance de sa paternité et depuis, il n'avait fait qu'évoluer de manière de plus en plus positive. Il avait appris à se soucier de quelqu'un d'autre que sa personne, de faire passer la petite avant lui, de toujours penser à elle en premier. Et s'il n'y avait que ça ! Lua lui avait également appris ce qu'était d'avoir une vraie famille. Lui qui avait toujours vécu au milieu d'une fratrie orageuse, surveillée par des parents qu'il ne supportait pas, il s'était vu adorer endosser le rôle de père et aimer sa fille comme il ne l'avait jamais fait avec personne. Je vous laisse donc imaginer, après toute cette description, comment se retrouvait Austin en ce moment même. Sa fille, la prunelle de ses yeux était à l'hôpital, et le pire était certainement à venir. Et, pour seul moyen de se calmer, il s'était empressé de rejoindre le domicile de Kiara-Luka, persuadé qu'elle seule parviendrait à l'apaiser.

Au moment de lui demander s'il la dérangeait, la jeune chercheuse jeta un regard en direction du couloir menant aux chambres. Certainement pour vérifier si son frère n'était pas réveillé. Austin savait que son cadet était autiste et qu'il comptait beaucoup pour elle. Ils avaient eu l'occasion d'en discuter et il comprendrait tout à fait qu'elle lui refuse de rester, pour le bien de Connor. Mais contre toute attente, elle lui répondit d'une voix rassurante. « Non, non, bien sûr que non. » Le garagiste souffla. Elle ne le rejetait pas, il allait pouvoir lui parler, se confier et il se sentirait certainement mieux. Une vague de soulagement le parcourut. Mais elle fit vite de disparaître quand il tenta d'expliquer la raison de sa venue. Sa gorge serrée l'empêchait de respirer, l'obligeant à expirer lentement à plusieurs reprises alors qu'il mettait tout en oeuvre pour ne pas craquer. Austin ne pleurait que très rarement. C'était en réalité la première fois depuis l'arrivée de Lua dans sa vie que les larmes menaçaient à un point tel qu'il n'était pas loin d'éclater en sanglot. Et Kiara-Luka le nota immédiatement et eu le meilleur réflexe possible en s'approchant de lui pour le prendre dans ses bras. « Oh ! » Se laissant complètement faire, Austin leva les yeux au plafond quelques courtes secondes, se mordant la lèvre inférieure, le visage déchiré. Puis, étouffé par un nouveau sanglot, il finit par fermer ses yeux à s'en fendre les paupières, laissant ainsi quelques larmes glisser contre ses joues, puis il redescendit la tête pour appuyer le bas de son visage contre l'épaule de la jeune femme, encerclant sa taille de ses bras pour la serrer contre lui. Son corps tremblait, il était au bord de la crise de larmes mais tenait bon, respirant le plus calmement possible. Les bras de Kiara-Luka qui l'entouraient l'aidait à se contenir, à se calmer même. Il parvint à contrôler ses tremblements, à freiner son rythme cardiaque trop rapide.

Ce ne fut que quand il semblait plus paisible que la belle australienne se dégagea de leur étreinte. Le regard rougis et larmoyant du père célibataire croisa immédiatement le sien et elle vint rapidement essuyer les traces de larmes qui brillaient sur la peau de son visage. « Viens... » lui murmura-t-elle tout en l'entraînant avec douceur en direction du salon. Austin se laissa complètement faire, la suivant d'un pas lent et mal assuré, puis prit place à ses côtés. À peine fut-il assis qu'il pencha son buste en avant pour appuyer ses coudes contre ses genoux, plaçant ses mains l'une contre l'autre avant de presser les côtés de ses indexes contre le bas de son visage. Le regard perdu dans le vide, il essayait tant bien que mal d'effacer les souvenirs qui remontaient à son esprits. « Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Est-ce que... c'est grave ? » osa Kiara-Luka tout en s'asseyant à ses côtés. Si c'était grave ? D'un côté, non. Lua s'en était incroyablement bien sortie selon les médecins et elle se remettrait rapidement, les os des enfants se solidifiant très vite. Mais si Austin était inquiet de savoir sa fille à l'hôpital, il était rongé par quelque chose de pire encore : les services sociaux. On le suivait de près, on l'épiait et cet incident allait être l'argument parfait pour le traîner devant le tribunal et tenter de lui ôter la garde de sa fille. Dépité, le mécanicien finit par se redresser en reniflant doucement et glissa son bras contre le dossier du canapé, en direction de Kiara-Luka, avant de regarder la demoiselle. « Elle s'est faite renverser par une voiture. Elle a une jambe cassée, deux côtes légèrement fracturées et une légère commotion. Les médecins disent qu'elle s'en est bien sortie et qu'elle sera vite sur pieds. » Une nouvelle qui devrait certainement rassuré la chercheuse qui semblait s'inquiéter. Le problème étant qu'Austin ne lui avait qu'évoqué la présence de sa fille sans lui présenter toute l'histoire. Sans lui expliquer que cela ne faisait que deux ans qu'il l'avait à charge et que les services sociaux le surveillaient de très près. Était-ce le moment de lui en parler ? Au fond de lui, il ne pouvait pas trouver la réponse. Tout ce qu'il s'avait, c'est qu'il avait besoin d'en parler et qu'il voulait que la jeune femme soit au courant. Il ne voulait rien lui cacher. « Mais il y a autre chose... » reprit-il, hésitant. Il détourna son regard le temps d'un instant et, passant sa langue entre ses lèvres, replanta ses yeux débordant de larmes sur cette femme qui l'obsédait tant. « Je ne t'ai pas tout dit sur Lua... c'est une histoire compliquée. » Et il attendit. Préférant ne pas la forcer à tout entendre, il lui laissait le choix d'entendre son histoire ou non. Ils s'étaient promis de ne pas précipiter les choses, d'avancer sans prises de tête, alors il la laissait choisir.

D'ordinaire, Kiara-Luka n'était pas la personne vers laquelle on venait naturellement se confier - elle-même se confiait finalement peu, de nature solitaire. Même à l'époque du lycée, où elle avait connu une socialisation soudaine, il était de notoriété commune que la jeune femme n'était pas une oreille particulièrement entraînée. D'ordinaire, elle ne savait pas réconforter les gens, et ne voulait pas non plus être réconfortée quand elle allait mal, c'était tout simplement dans son caractère : ce n'était pas qu'elle n'aimait pas ! Seulement qu'elle était une vraie incapable dans le domaine.

Alors, comment faisait-elle pour agir ainsi avec Austin ? Elle-même ne comprenait pas vraiment, elle faisait au feeling et, réellement inquiète pour sa fille - qu'elle ne connaissait ni d'Eve, ni d'Adam -, n'avait aucun mal à compatir pour le mécanicien. Lorsqu'ils furent assis, la jeune femme fit d'ailleurs rapidement part de sa curiosité légitime en lui demandant à quel point la petite Lua avait été blessée. Sa main vint se poser naturellement dans le dos du jeune homme, qu'elle caressa lorsque celui-ci s'appuya sur ses coudes et ses genoux, apparemment accablé par toute la misère du monde. Un geste comme un autre pour tenter de le rassurer, alors qu'elle écoutait avec stupéfaction l'état des choses. « Elle s'est faite renverser par une voiture. Elle a une jambe cassée, deux côtes légèrement fracturées et une légère commotion. Les médecins disent qu'elle s'en est bien sortie et qu'elle sera vite sur pieds. » La main libre de Kiara-Luka vint trouver son propre front et elle ferma les paupières un instant, accusant le coup. Elle ne connaissait même pas la petite, et elle était tout de même touchée de savoir tout ce qu'elle avait ! Elle ne pouvait même pas commencer à imaginer ce que devait ressentir Austin, le père de la petite, dans ce cas-là. Bon, les nouvelles étaient légèrement égayées par le fait que les médecins étaient optimistes, et Kiara-Luka s'empressa de le souligner. « Si les médecins sont optimistes, alors y'a pas de raison qu'elle ne guérisse pas très vite. » dit-elle doucement, pas sûre du ton à adopter.

« Mais il y a autre chose... » reprit Austin, faisant une nouvelle fois s'emballer le coeur de la blonde. Lui adressant un regard interrogatif, Kiara-Luka fronça les sourcils en voyant Austin détourner le regard. Autre chose ? Elle était une scientifique curieuse, et il trouvait le moment pour lui mettre du suspense ? Si c'était le cas, et à en voir le regard qu'il planta de nouveau dans le sien & qui la déstabilisa par la profonde tristesse qu'elle y lut. « Je ne t'ai pas tout dit sur Lua... c'est une histoire compliquée. » Les sourcils de la chercheuse se froncèrent encore plus et elle secoua doucement la tête, semblant attendre la suite. Puis, se souvenant que cette scène était complètement irréaliste & qu'Austin avait peur de s'imposer encore une fois, le visage de Kiara-Luka se détourna juste un instant vers le couloir toujours silencieux avant de reposer son regard sur Austin en venant prendre sa main. Pas parce qu'il l'obsédait, qu'elle mourrait d'envie de le toucher, mais par pure compassion. Est-ce qu'elle pouvait vraiment continuer de se cacher derrière un mur lorsqu'Austin avait autant besoin de se confier et qu'il se sentait aussi mal ? « J'ai toute la nuit... Si tu veux en parler. » souffla-t-elle doucement en recommençant à caresser son dos avec sa main, remontant parfois jusqu'à sa nuque comme elle l'aurait fait avec Connor pour le calmer pendant une crise de panique.

En général, Austin n'était pas le genre de personnes qui broyaient du noir à longueur de temps. Il avait appris, au courant de sa vie, à relativiser dans n'importe quelle situation et à rester impassible quand bien même il se voyait touché par telle ou telle situation. Mais cela, c'était sans compter sa fille. Après une année à s'en occuper, il n'avait pas rencontré de problème majeur en dehors de son combat constant face aux services sociaux. Aujourd'hui était une première, la première fois que sa princesse s'était réellement vue menacée, la première fois où il s'était retrouvé impuissant pour l'aider. Et cette sensation de faiblesse, d'incapacité à lui venir en aide lui était insupportable, si bien qu'il avait craqué. Il s'était battu, s'était montré fort tout au long de la journée -Lua avait besoin de sentir que son père ne flanchait pas-, mais dés qu'il s'était retrouvé seul chez lui, tout avait volé en mille éclats. Maintenant qu'il se trouvait avec Kiara-Luka, il ne se retenait toujours de pleurer, trop fier pour fondre en larmes, mais il se sentait incapable de retenir sa douleur. Personne n'est invincible, chacun peut montrer un instant de fragilité à un moment où à un autre.

La main que posa la chercheuse dans son dos l'électrifia et le rassura. Il n'était pas seul, elle était là pour lui, pour l'écouter, l'épauler, il le sentait. Et, dans le fond, c'était tout ce dont il avait besoin en dehors du fait que sa fille se remette rapidement de cet accident. Qu'importe si sa famille le soutenait ou non, ce ne serait pas la première fois qu'il se retrouve seul face à ses problèmes. Mais il se surprenait à dépendre d'une personne pour la première fois. Pour la première fois de sa vie, alors qu'il s'était toujours battu seul contre les difficultés, il sentait au fond de lui qu'il ne parviendrait pas à passer cette épreuve sans le soutien de Kiara-Luka. Cette main rassurante qu'elle posa donc dans son dos pour le lui caresser avec tendresse l'encouragea. Elle était là et, avec elle, il savait que cela sera moins dur à vivre. « Si les médecins sont optimistes, alors y'a pas de raison qu'elle ne guérisse pas très vite. » Sur ce point, elle avait raison. Les médecins lui avaient clairement dit que la petite avait eu de la chance et se remettrait vite de ses blessures. Mais ce n'était pas tant l'état physique de sa fille qui l'inquiétait réellement -après tout, elle était une McDaniels et les McDaniels ne baissent jamais les bras.

Austin fit vite de faire remarquer à la jeune femme qu'il y avait autre chose d'inquiétant dans cette histoire, et cette révélation sembla attiser la curiosité et l'anxiété de la jolie blonde. Une histoire compliquée, c'était le cas de le dire. Et ça allait être d'autant plus compliqué de tout expliquer à Kiara-Luka. Son passé de drogué, ses erreurs, le comportement de parfait connard qu'il avait adopté à l'époque... Il ne voulait pas qu'elle le voit autrement, que l'image qu'elle avait de lui soit ternie par ses futures confessions. Mais il ne voulait pas lui cacher ce qu'il avait été. Car, après tout, son passé faisait partie de lui et était la cause de l'homme qu'il était devenu : un père célibataire se battant chaque jour pour sa fille et qui avait trouvé une raison de sourire à la vie. Le mécanicien se sentit fléchir, il baissa donc la tête un instant, au moment même où la demoiselle guettait le couloir pour voir si son frère était toujours aussi tranquille. Ce n'est que quand elle lui attrapa la main qu'Austin reporta son attention sur elle. Posant son regard sur leurs mains liées, il entremêla ses doigts avec les siens pour la lui serrer, sentant sa trachée se contracter. « J'ai toute la nuit... Si tu veux en parler. » lui murmura-t-elle, rassurante. Rabaissant la tête, le jeune père ferma les yeux et souffla doucement en serrant la main de la belle australienne pour se donner du courage. Il voulait lui en parler, tout lui expliquer afin qu'elle connaisse -presque- tout de lui. Mais il avait peur, peur de créer une distance. Mais bordel, il n'allait pas pouvoir continuer des mois, des années peut-être à ses côtés sans lui parler de son passé. Ce soir était une occasion à ne pas rater... alors il se lança. Ramenant sa main libre sur celle de Kiara-Luka qu'il tenait déjà dans son autre main, il passa le bout de sa langue sur ses lèvres et garda son regard planté sur leurs doigts entremêlés. « Je suis pas spécialement fier de mon passé... y a certaines choses que j'ai faites que je regrette aujourd'hui. Comme la période où je me droguais. » D'accord, comme manière d'aborder la chose, ce n'était pas très délicat. Mais Austin n'était pas doué pour ce genre de choses, parler de lui. Alors il expliquait ses pensées avec les mots qui lui venaient, et ce n'était pas toujours au mieux. « Comme je te l'ai dit, avec ma famille ça a toujours été très tendu, compliqué. Et il y a quelques années, la moto ne me suffisait plus à fuir ça... j'ai malheureusement rencontré le chemin de la coke, puis de l'extasie et de l'héroïne... ça m'aidait à penser à autre chose, je me sentais bien dés que j'en prenais, je me sentais presque normal. » Conscient de l'absurdité qu'il était en train de dire et qui, pourtant à l'époque, avait été son argument majeur, il rigola nerveusement et secoua brièvement la tête avant de relever son regard vers Kiara-Luka, plantant ses yeux larmoyant sur son magnifique visage. « Ça a été la plus belle connerie de ma vie... mais en même temps la plus belle chose qui puisse m'arriver. Parce qu'indirectement, c'est grâce à la drogue que j'ai Lua avec moi aujourd'hui... » Discours complètement incohérent qu'il s'empressa d'éclaircir après avoir déglutit et prit une inspiration, le regard à nouveau porté sur leurs mains liées. De son pouce, il caressait la main de sa dulcinée, ce geste lui donnant une once de courage pour parler ouvertement de son passé. « J'ai rencontré Jenna alors qu'elle était en train de se faire arnaquer par un dealer. Je l'ai aidée et on ne s'est plus vraiment quittés... ça a duré plusieurs mois, mais c'était plat. Y avait aucun sentiment... juste de la drogue et de la baise... » lâcha-t-il, dents serrées, ne supportant pas de reparler de son ex. « Quand elle m'a annoncé qu'elle était enceinte, d'abord j'ai cru qu'elle délirait. Mais elle était sérieuse. Alors je l'ai plantée dans notre appart', je me suis barré, je l'ai laissée seule... » Cela restait ce dont il avait le plus honte. Non pas pour Jenna : elle n'était qu'une toxico que la mort attendait bras ouverts et elle n'avait mérité que le départ d'Austin. Mais c'était pour Lua, pour ses quatre premières années de vie qu'elle avait passées sans son père. « Il y a un peu plus d'un an, on m'a appelé pour annoncer la mort de Jenna. Overdose. Ça faisait quatre ans que je ne l'avais pas revue, je m'en foutais complètement... mais on m'a aussi annoncé que sa fille se retrouvait sans famille et que, d'après les papiers de naissance, j'étais le père. On m'a fait passer des tests qui ont bel et bien montré que Lua était ma fille et on m'a demandé si j'étais prêt à assumer mon rôle de père. Je l'étais pas du tout, je flippais carrément... mais quand je l'ai vue arriver, avec sa petite bouille d'ange, j'ai pas hésité une seule seconde et j'ai signé les papiers de reconnaissance parentale. » continua-t-il alors qu'un sourire franc, presque niais, prenait forme sur son visage pâle. Parler de sa fille lui redonnait toujours le sourire, elle était son rayon de soleil. Mais son léger sourire disparut quand le sujet des services sociaux fut abordé. Tête baissée, il reprit. « Mais à peine la paperasse signée, on m'a dit que j'étais placé sous surveillance judiciaire... parce que Jenna était une toxico et qu'ils savaient que je l'étais aussi. Au moindre écart de conduite, à la moindre erreur, on me retirait la garde de Lua. Alors je me suis repris en main, avec l'aide d'une de mes soeurs. J'ai suivi une cure pour arrêter la drogue, mais je crois que c'est Lua qui m'a donné la force d'arrêter... puis avec ma famille on a déménagé ici, à New York. Je me suis installé dans Brooklyn, je me suis trouvé un travail et depuis... je me bas pour garder Lua. J'ai été appelé au tribunal il y a quelques mois, un an après que je l'aie recueillie et... ces connards ont jugé que je n'étais pas encore apte à la garder définitivement. Ils ont rallongé le délai... » Sa voix dérailla. Se pinçant les lèvres, une de ses mains se détacha de celles de la chercheuse pour venir presser l'arrête de son nez, paupières closes. Austin n'avait jamais été craintif. Depuis son enfance, il avait toujours été un garçon courageux, qui n'avait peur de rien. Mais, en tant qu'adulte, il connaissait enfin la peur, la peur de perdre son enfant. Il craignait les services sociaux comme un gamin aurait peur du noir. Un sanglot lui déchira la gorge, sanglot qu'il retint du mieux qu'il put. Soufflant doucement, il tenta de détendre sa gorge vainement, et dût reprendre la parole avec une voix instable et tremblante. « Cet accident... ça va être l'argument parfait pour me convoquer. Ils vont utiliser ça contre moi, pour me retirer la garde, pour me priver de mon bébé... » La détresse d'un père. Craquant complètement, le mécanicien lâcha définitivement les mains de Kiara-Luka et les posa toutes deux contre son visage, coudes contre ses genoux, un nouveau sanglot le secouant.