Je savais que les interviews faisaient parti des points négatifs de mon métier. Mais en même temps, ils étaient essentiels. Si je voulais que le plus de personnes possible soient au courant de mon combat, la promotion de mes livres était essentielle, malheureusement. Et je devais donc parler, parler et encore parler. Et pour une personne qui passait la majorité de son temps en pleine mer, tout seul, sans aucune civilisation, autant dire que parler n’était pas son activité favorite, loin de là même. Je me demandais pourquoi mon agent ne pouvait pas s’en occuper. Bon, en même temps, j’avais toujours demandé à être indépendant. Et si mon éditeur était devenu mon agent, je n’avais toujours aucun contrat signé à propos de date limite ou autres. Je ne signais le contrat que lorsque mon livre était terminé, et ce n’était que pour des raisons financières. Mais mon éditeur avait bien compris que j’aimais ma liberté et que je ne voulais pas m’engager sur une période ou une autre. Mon dernier livre s’était terminé quand il s’était terminé, quand j’avais eu envie de mettre le point final. Et c’était probablement pour cela que je restais chez mon éditeur d’ailleurs. J’avais eu des propositions que certaines personnes trouveraient alléchantes, dans des grandes maisons d’édition. Mais il fallait tout faire selon leurs règles. Alors que c’était moi l’auteur non ? Enfin, si je n’arrivais pas à écrire, je n’allais pas écrire, cela semblait logique. Et bien pas pour ces grandes maisons d’édition. Et comme je ne faisais pas cela pour l’argent – même si, avouons-le, cela faisait du bien de savoir que Toni ne manquerait plus jamais de rien – je me moquais de leurs diverses propositions. Mon éditeur acceptait de m’éditer selon mes propres termes, et cela me convenait parfaitement. Je me demandais ce que mon interviewer voudrait à boire. Fronçant les sourcils, je décidais que je lui demanderais le moment voulu, alors que je l’attendais sur mon voilier. Après tout, j’avais fait pas mal de provision, donc il aurait au choix de la bière ou du vin – j’avais pensé à ce dernier qu’à la dernière minute, sachant que tout le monde n’aimait pas la bière.

Alors que j’entendais quelques petits coups sur la porte de ma cabine, je commençais à me lever pour aller accueillir celui qui devait être mon interviewer. Pourquoi j’avais accepté cette interview déjà ? Non parce que les interviews représentaient un peu tout ce que je détestais : parler de moi. Dans mes livres, même si j’imagine que ma passion se sent à la lecture, il n’y a rien à propos de moi, à part peut-être la préface. Mais sinon, je ne parle jamais de moi. Toni, ma petite sœur, pense que je manque de confiance en moi ou quelque chose de ce style. C’est faux, je pense juste que je ne suis pas assez important dans ce monde pour que l’on parle de moi. Et ce n’est pas un manque de confiance, c’est tout simplement la vérité. Qui suis-je pour que des inconnus puissent s’intéresser à ma vie ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Rien, ou rien de bien important. Mon seul combat est la protection de la faune et flore marine, et je n’arriverais pas à sauver les merveilles de l’océan tout seul. Je ne suis donc rien. Et c’est d’ailleurs pour cela que j’ai accepté cette interview, étrangement. Plus il y aura des personnes qui connaissent mon combat, plus il y aura des personnes qui s’intéresseront à l’océan et voudront le préserver, et plus je m’approcherais de mon but. Mais jamais je ne pourrais le faire seul. Voilà pourquoi je n’étais pas important dans cette histoire. Je n’étais qu’une personne parmi tant d’autres. Avec peut-être une jolie plume, de ce que j’avais lu et entendu de diverses critiques littéraires, mais rien de plus qu’une simple personne parmi tant d’autres. Je soufflais rapidement, comme pour me donner du courage, avant de lui ouvrir la porte. « Bonjour. Vous devez être M. O’Brien ? Adrian Cameron, enchanté. » le saluais-je tout en lui tendant ma main pour lui serrer la sienne.

Allez, il fallait que je fasse des efforts. Après tout, cela faisait parti de la promotion de mes livres non ? Et si je pouvais signer des autographes dans des librairies, je pouvais bien répondre à quelques questions. Et puis, le journaliste s’était forcément renseigné sur mon compte. Il savait donc probablement que je vivais la moitié de l’année sur mon bateau, en plein milieu de l’océan. Il devait donc se douter que les relations n’étaient pas vraiment mon fort, et que j’étais plutôt du type solitaire, non ? Peut-être qu’alors il ne se formaliserait pas si je faisais une ou deux gaffes. « Très bien Suileabhan. » acceptais-je en espérant ne pas avoir écorché son prénom. Puis vint le silence. Je détestais ce moment-là, quand je ne savais absolument pas quoi dire et qu’il fallait que je trouve un sujet de conversion. Pourtant, le silence ne me dérangeait pas, bien au contraire, mais je savais qu’il était coutume de ne pas laisser un silence s’installait. Et si mes proches ne s’en offusquaient, je ne savais pas ce qu’il en serait pour le journaliste. Donc, trouver un sujet de conversation. Qu’est-ce que je pourrais bien aborder ? Mon livre peut-être. Après tout, il était un peu là pour ça, non ? Et j’aimais bien connaître l’avis des gens sur mes journaux – il m’était toujours difficile de les considérer comme des romans, puisque je ne faisais jamais d’effort d’écriture et écrivais plutôt ce qui me passait par la tête. « Donc, vous avez lu mon livre ? » demandais-je dans un sourire qui devait plutôt ressembler à une grimace. « Enfin bien sûr, je me doute que vous l’ayez lu, vous ne serez pas là sinon. Mais qu’est-ce que vous en avez pensé ? » reprenais-je rapidement, me rendant compte à quel point ma première question pouvait être stupide. « Vous voulez quelque chose à boire peut-être ? J’ai de la bière, ou du vin, ou je dois avoir une canette de soda quelque part. »

Je n’étais pas la personne la plus sociable existant sur cette planète. Sinon, je ne vivrais pas la moitié de l’année sur mon bateau d’ailleurs, cela semblait logique. Mais depuis que ma petite sœur m’avait poussée – ou forcé plutôt – à aller voir un éditeur avec mon premier « livre », je n’avais pas vraiment le choix. Si mon livre n’avait pas été un succès, je n’aurais probablement pas eu à faire tout ça. Mais étrangement, il avait été un best seller, et je devais donc m’habituer aux interviews. Bon allez, j’avais réussi à en faire une à la télévision, en direct en plus ! Je devrais bien pouvoir en faire une autre avec un journaliste, non ? «D’accord. » répondais-je à propos de la boisson, avant de m’installer en face de lui. Nous commençâmes par parler de mon livre. Enfin en tout cas, je lui demandais ce qu’il en avait pensé. Même si j’imaginais que s’il était là, c’était qu’il ne l’avait pas détesté. Après tout, pourquoi perdrait-il son temps à interroger un « auteur » dont il avait détesté les livres ? Mais je fus quand même touché d’apprendre qu’il en avait fait une critique positive, et lui lançais donc un petit sourire pour seule réponse. Après tout, il était normal d’aimer que des personnes aiment notre travail, non ? J’imagine que c’était le cas, en tout cas. J’aurais pu le remercier, mais j’imaginais qu’il n’avait pas dit ça pour me faire plaisir, et n’avait qu’été honnête. « Très bien. Par quoi on commence donc ? Vous me posez des questions c’est ça ? » lui demandais-je en fronçant un peu les sourcils, avant de reprendre. « Personnellement, je n’ai rien à cacher. Donc si quelque chose vous semble pertinent, n’hésitez pas à me le demander. Vous savez plus que moi ce qui intéressera vos lecteurs j’imagine. »

Bon, une interview en face à face, ne pouvait pas être pire qu’une interview à la télévision, en direct qui plus est. Une de mes pires paniques. Je n’étais vraiment pas à l’aise avec des personnes que je ne connaissais pas, et devoir parler – de moi et de ma personne en plus – devant une foule d’inconnu m’avait pas mal angoissé. Au moins, avec le journaliste, si je faisais des gaffes ou autres choses du style, il pourrait toujours l’enlever. Ce qui me rappelait qu’il faudrait que je lui demande d’en avoir une copie avant qu’il ne le publie. C’était mon éditeur et agent qui m’avait conseillé de faire ça. S’il pouvait faire les interviews à ma place, je serais capable de signer un contrat d’exclusivité. Mais bon, il ne me connaissait pas autant que je me connaissais, ce qui semblait logique. Et puis j’aimais ma liberté. Et il le savait, c’était d’ailleurs pour cela qu’il me la laissait. Comme je n’avais pas de contrat avec lui, je pouvais prendre le temps que je voulais pour écrire mes livres, et c’était tant mieux. Je détesterais avec une date limite, cela me bloquerait complètement. J’étais plutôt du style à vivre le moment présent, sans me prendre plus la tête que ça. Si j’avais envie d’écrire, j’écrivais. Si je n’en avais pas envie, et bien je ne le faisais pas. Et si j’avais une date limite, cela serait impossible de travailler ainsi. J’acquiesçais lorsqu’il proposa que nous commencions, et le regardais sortir son bloc-notes et son magnétophone, commençant à ressentir une boule prendre place dans mon estomac. Je soufflais doucement avant de répondre à sa question, passant ma main dans mes cheveux. « Je viens d’Australie déjà, donc j’ai toujours été proche de l’océan. Et dans ma famille, c’est la même chose. Ma sœur est passionnée de surf par exemple. Et c’est à dix ans que ma passion a commencé. Mon frère venait d’ouvrir un bar location, et il avait donc des voiliers à disposition. Même si j’ai moi-même commencé par le surf. »

On ne pouvait pas vraiment dire que j’étais à l’aise dans ce genre de situation. En même temps, si je n’étais pas une personne solitaire, je n’apprécierais jamais de rester seul pendant des mois, sur mon bateau, en plein milieu de l’océan. Après tout, qui, à part un solitaire, pouvait bien accepter de vivre seul, sans contact humain, pendant des mois ? Il était donc naturel que je n’aime pas vraiment parler, et encore moins parler de ma petite personne. Mais il fallait que j’en vienne à là pour promouvoir mon livre, et donc pour que des personnes s’intéressent à mon combat. Donc le moindre mal était tout de même de parler de moi, non ? Je hochais doucement la tête à sa question, avant de faire un petit sourire. Je n’avais tout simplement pas eu le choix. Ma petite sœur, Toni, m’avait tout simplement forcé à amener mon « livre » chez un éditeur. Donc je n’avais jamais vraiment eu l’idée d’écrire un livre. J’avais tout simplement écrit ce qui me passait par la tête lorsque j’étais en mer et j’étais ensuite allé voir un éditeur. C’était d’ailleurs pour cela que je ne considérais pas mon livre comme un roman, mais plutôt comme un journal de bord. « Alors en fait, je suis navigateur depuis des années, et je passe donc la moitié de l’année en mer. Et donc dans ces moments-là, j’écris. J’écris ce que je vois, ce que je ressens, … Et bon, ma petite sœur a fouillé dans mes affaires, l’a lu et m’a forcé à aller voir un éditeur. Je ne sais pas si vous avez des frères et sœurs, mais personnellement, je n’arrive pas à lui dire non. Donc voilà. Je n’ai pas écrit dans le but d’être publié. J’ai simplement écrit parce que j’aime écrire, pour moi. Et ensuite, le reste est simplement venu plus tard. »

Bon, on ne pouvait pas dire que cela se passait mal, tout du moins pour le moment. L’atmosphère s’était un peu allégée, et je tentais de faire abstraction du fait que le journaliste allait reporter tout ce que j’allais dire. Cela me permettait d’être plus naturel dans mes réponses, et de ne pas avoir à me poser trop de questions. Bref, c’était plus simple pour moi. Et puis, je n’étais pas sûr qu’il veuille de réponses toutes faites et prévues. Il avait plutôt l’air de vouloir quelque chose de plus naturel. Et si je pensais au fait qu’il allait tout reporter dans son article, je ne pourrais que réfléchir à mes réponses, et non répondre du tac au tac. Il commença donc par me demander comment j’en étais venu à écrire un livre. C’était étrange comme les personnes pensaient qu’un livre pouvait être écrit simplement dans l’optique d’écrire un livre. Enfin, moi j’avais du mal à concevoir ça. J’avais écrit simplement parce que j’avais eu envie d’écrire. Et le fait que mes écrits aient été publiés, c’était plus une coïncidence qu’autre chose. Si ma petite sœur n’avait pas fouiné dans mes affaires et ensuite poussé à aller voir un éditeur, je serais toujours un anonyme qui écrit pour le plaisir d’écrire. Je hochais de la tête dans une petite grimace lorsqu’il m’indiqua que j’avais déjà répondu à la question qu’il voulait me poser. Il passa donc à la question suivante. « J’ai absolument tout écrit tout seul. »  commençais-je dans une petite moue dubitative. « Parce qu’il y a des personnes qui n’écrivent pas tout seul ? » lui demandais-je ensuite avant de passer ma main dans mes cheveux. Puis j’entrepris de répondre à sa question plus en détail. « En fait, si j’appelle ce livre mon journal de bord, c’est tout simplement parce que je l’ai écrit à bord de mon bateau. Je n’ai fait aucune retouche lorsque j’étais en mer, et je n’en ai pas fait non plus une fois donné à mon éditeur. J’imagine que c’est important que ce soit publié tel quel, sans réflexion préalable. Vous voyez ? Enfin, c’est plus … naturel. »