En théorie, Hansel aurait dû être partie pour être d’humeur massacrante pour toute la journée, mais par une chance incroyable, son secrétaire n’avait pas manqué de préparer une sorte de petit déjeuner de fortune sur son bureau, avec un café tout chaud et juste apporté du Starbucks, à la vanille et à la cannelle, ainsi que plusieurs cookies qu’il avait dû faire lui-même. Cela lui rendit le sourire pour au moins quelques minutes et puis après tout… ici, aucun risque que son insupportable mari ne vienne la chercher : Häagen n’avait pas le droit de venir dans son cabinet de psy, sans quoi elle ne manquerait pas de porter plainte illico presto, elle s’en était fait le serment. Il pouvait toujours chercher à l’emmerder jusqu’à ce que mort ne s’en suive à l’appartement où elle était CONTRAINTE de l’héberger, mais ici… c’était son empire, sa terre vierge et non souillée, son Eldorado. « Monsieur je vous prie ? » demanda-t-elle à l’homme fringant présent dans sa salle d’attente. Il était seul, il n’y avait donc pas besoin de se perdre en cérémonie, d’autant que Hansel ne disait jamais le nom d’un patient à voix haute pour d’autant plus de discrétion. « Il me semble que c’est la première fois que vous venez me voir, je vais donc vous laisser vous présenter et après… nous commencerons par le sujet que vous souhaitez. Je vais vous écouter dans un premier temps et ensuite poser des questions afin qu’à la fin de la séance, un maximum de choses n’aient été mises à plat, telle est ma façon de procéder. Si vous avez des questions posez-les tout de suite, sinon, vous pouvez commencer. »

En théorie, s’il y avait bien quelqu’un qui ne s’y connaissait pas en histoires de cœur, c’était bien Hansel mais quelque chose lui disait que sous le couvert de la plaisanterie, il y avait beaucoup de vrai dans le discours du jeune homme. Comment pourrait-il en être autrement ? Ses yeux ne la regardait guère et fixait plutôt un point dans le vague, comme s’il avait quelque chose à cacher. Alors, vrai ou faux ? « Dans quel sens vous considérez-vous comme sans gêne, exactement ? » Hansel conservait sa position droite, bien qu’elle ait déjà commencé à prendre des notes en professionnelle qu’elle était. Il valait mieux qu’elle sache sur quoi travailler pour la séance prochaine, si toutefois ce patient décidait d’aller jusqu’à une prochaine séance, chose qui n’était jamais gagnée d’avance avec une première séance. « Pourquoi ai-je l’impression que vous n’êtes pas venu ici pour une vraie séance ? D’ordinaire, les patients restent assis sans bouger, scrutent la pièce de là où ils sont assis et se présentent d’abord pour mieux sombrer dans un grand silence car ils ne savent jamais par où commencer. Quelque chose me dit que vous avez l’habitude de ce genre de séance… je me trompe ? Inutile de ne pas être honnête, il s’agit de mon métier vous savez. »

Hansel analysait froidement la situation comme s’il n’y avait plus aucune trace de jugement dans son regard d’un bleu puissant. En temps normal, s’ils avaient été en dehors de son cabinet et qu’il n’avait pas été son patient, sans doute se serait-elle permise d’être nettement plus dure et impitoyable… mais ici, elle instaurait de fait un respect avec lequel personne n’était invité à jouer. Pas plus ce patient que quelqu’un d’autre… et sans doute était-ce pour cela qu’elle refusait à son « mari » de venir la voir à son cabinet, où tous la respectaient pour le formidable thérapeute qu’elle était. « Vous dîtes ne pas aimer les psys, parce qu’ils n’ont pas su vous soulager de la douleur provoquée par la perte de votre frère ? Ou parce que vous liez désormais la culpabilité qui vous ronge au fait qu’à l’époque, on ne vous ait obligé à venir en consulter un ? » Hansel cherchait à creuser la surface car manifestement, au-delà du fait qu’il venait sur le conseil d’un ami, il avait l’air de renfermer bien davantage qu’une simple rancune envers la profession de la somalienne. « Pourtant vous êtes revenu aujourd’hui, et peut-être qu’inconsciemment, vous n’êtes pas si bien que cela, et que ce n’est qu’un masque que vous offrez aux autres. Vous l’avez ôté en entrant ou est-il toujours présent ? »

« Est-ce réellement une question de cran ou bien est-ce parce qu’il vous était difficile de choisir entre surveiller votre sœur et faire vos devoirs ? Si cela peut vous rassurer, tout est parlant. » Hansel conservait un sérieux presque solennel alors qu’ils parlaient ni plus ni moins de l’enfance de Blaine. C’était le chapitre souvent le plus parlant d’un être humain puisqu’il détermine la suite des évènements, de l’évolution du caractère, du choix de ses études mais aussi de sa carrière. Hansel elle-même voyait son enfance comme extrêmement parlante… si on ne l’avait pas tant mise à l’écart pour ne privilégier que son frère, sans doute son cœur se serait-il bien moins fermé et ne serait-elle pas devenue la femme froide et rationnelle qui faisait face actuellement à son patient. Mais elle n’aurait probablement pas le même prestige non plus… comme quoi, atteindre le sommet a de toute façon son prix. « Je ne pense pas que vous en ayez besoin mais que vous en avez un. Comme tout le monde, Monsieur O’Neil. » C’était la première fois qu’elle l’appelait par son nom de famille et ce n’était pas sans raison : Hansel voulait marquer sa phrase, lui donner une importance particulière. « Et quelles choses croyez-vous vitales à cacher ? »

« Il est vrai que l’on peut faire deux choses en même temps, mais n’est-ce pas le meilleur moyen de mal faire les deux ? Je ne parle pas spécifiquement du drame que vous avez évoqué mais plutôt de façon générale. » Après tout, si elle avait bien compris, son patient était jeune à l’époque et n’aurait jamais dû avoir cette tâche pesant sur ses épaules. Mais difficile de juger si Blaine continuait inlassablement à changer de sujet comme de chemise. « Je vais passer sur cette digression Monsieur O’Neil, poursuivez » reprit-elle d’un air détaché et presque froid tant il était distant. Hansel ne pouvait guère se permettre de répondre à quelque question que ce soit de la part d’un patient, même si elle avait effectivement un cœur. Il était froid, recouvert de pierre mais il existait bel et bien, même si personne ne le sentait jamais battre tant elle agissait avec calcul et méchanceté. « Avez-vous l’impression de ne pas avoir de cœur en exerçant ce métier ? » énonça-t-elle sans le quitter des yeux, son stylo demeurant immobile entre ses doigts. « La mort fait partie de la vie, Monsieur O’Neil. Tuer gratuitement est un crime mais sans doute la légitime défense est un phénomène sur lequel vous devriez vous pencher davantage. Qu’est-ce qui vous fait dire que votre métier est mauvais ? »

Autant dire que Hansel ne l’avait clairement pas vue venir, celle-là. Blaine venait tout juste de se relever pour lui tendre une photo d’un patient qu’elle ne connaissait que trop bien – et pour cause, il lui rendait visite plus de trois fois par semaine – mais la jeune somalienne était aussi terriblement habituée à ce que les fédéraux ne viennent lui demander des informations personnelles liées à ses patients sans aucune trace de papier officiel. Voilà pourquoi la jolie blonde s’enfonça davantage dans son fauteuil, ayant au préalable lâché son stylo avec tact contre son bureau pour mieux joindre ses mains contre son ventre. Sa position n’était pas défensive, au contraire, elle était presque trop assurée, comme si elle avait une bonne habitude de ce genre de menace. « Ce que font mes patients en dehors de ce bureau ne me regarde pas. Ce n’est ni mon job de les juger, ni de les pousser à quelque acte que ce soit. Mais je ne trouve pas votre manœuvre plus intelligente, Monsieur O’Neil. » Hansel haussa un sourcil, sans le lâcher des yeux, avant de reprendre : « Si vous saviez le nombre d’agents qui m’ont demandé des informations classées sous le secret professionnel… je ne pourrais même pas les compter. A moins que vous n’ayez de quoi saisir mes dossiers et mener légalement un interrogatoire, je ne puis hélas rien faire d’autre pour vous. Et croyez bien que vous pouvez vous le tenir pour dit. »

Hansel ne l’avait toujours pas quitté des yeux, cherchant à savoir s’il était vraiment aussi prompt à l’aider qu’il ne le disait ou s’il souhaitait juste boucler un dossier supplémentaire sur la lourde pile devant parsemer son bureau. « Si vous avez une commission rogatoire, la chose est différente » répliqua-t-elle sans sentiment aucun avant de ne prendre en main le papier pour l’observer longuement. Il ne fallait pas non plus qu’il croit qu’elle allait lâcher des bombes d’informations comme ça sans aucune garantie… il en allait de sa vie, certes, mais également de son gagne pain et ce n’était pas chose négligeable. « Je ne veux ressembler à rien du tout, je n’agis pas sans raison Monsieur O’Neil. Reste maintenant à savoir ce que vous voulez savoir exactement. Je ne connais pas les détails précis de votre enquête et à moins que vous ne m’aiguilliez avec des questions, je crains fort de ne pas pouvoir vous donner la plus petite information que vous souhaiteriez obtenir de ma part. Et pour information, je ne souhaite pas comparaître devant un tribunal : c’est ça qui m’exposerait bien davantage. »

« Pourquoi procrastiner en remettant à demain ce que l’on peut faire aujourd’hui ? » énonça Hansel d’une voix particulièrement assurée. La blonde n’avait pas la moindre intention d’être harcelée tous les jours de la semaine par cet officier de la loi si elle pouvait lui donner tous les renseignements dont il avait besoin aujourd’hui. Contrairement à Blaine, Hansel avait une fâcheuse tendance à tout fait le jour même afin de n’être que plus tranquille par la suite. « Il n’a jamais donné d’initiales jusqu’ici, pas à moi en tout cas. J’ai senti du remord dans ses paroles mais il ne m’a pas encore donné non plus de méthode opératoire ou de façon qui puisse laisser deviner la façon dont il choisit ses victimes. Tout ce que je sais, c’est qu’il fait des choses hors la loi et qu’il voue un véritable culte aux armes du passé, comme les Colt. Sans doute une vérification du fichier des armes volées pourrait déjà vous donner un indice mais je ne vais pas vous apprendre votre boulot. Avant de continuer, ce que je souhaite savoir c’est ce que vous mettez en œuvre pour protéger les psys à qui il a parlé, justement. »

« Vous voyez sûrement les choses d’un autre œil puisque vous êtes un homme de terrain Monsieur O’Neil mais il n’empêche que tout psychopathe qu’il soit, si tant est que cette pathologie soit vraiment la sienne, il possède des phases de crise et des phases de remord. Celles-ci sont plus ou moins longues selon le degré de pathologie du patient mais en l’occurrence, ses phases de remord sont assez longues et il a pleuré à de nombreuses reprises dans mon cabinet. Je pense avant tout que mon patient est malade, Monsieur. » Hansel n’était pas portée sur la sentimentalité, Blaine n’avait donc aucune raison de douter de son intégrité. Quand bien même, elle avait témoigné à plus d’un titre pour des affaires de ce genre et n’avait aucune raison de ne pas dire toute la vérité… à moins de ne vouloir se retrouver six pieds sous terre. « Vous êtes en train de me dire que je vais avoir une secrétaire garde du corps et que je vais devoir déménager de New York ? » s’étrangla Hansel, manifestement choquée. Bah… si elle pouvait demander le divorce avec ça, elle n’allait pas cracher dans la soupe ! « Je signe où ? » débita-t-elle subitement.

« Je ne vous prends pas pour un con, Monsieur. Il y a des maladies mentales, de véritables pathologies et certains patients n’ont pas forcément conscience de la différence entre ce qu’est le bien et le mal. Faites donc des recherches, renseignez-vous auprès de psychiatres, puisqu’il ne s’agit pas de mon domaine de prédilection, mais il existe de vraies pathologies et il ne s’agit aucunement d’une plaisanterie. Vous m’avez demandé mon avis et je vous le donne, mais si vous questionnez mon professionnalisme en agissant avec la passion de l’homme de terrain, nous ne risquons pas d’avancer. » Hansel n’était pas femme à se laisser marcher sur les pieds, pas alors qu’elle prenait Blaine pour un rustre n’ayant guère côtoyé les bancs de l’école et se trouvant donc inférieur dans la chaîne alimentaire où elle fanfaronnait tel le coq qu’elle méritait parfaitement d’être. Cela ne l’extirpait pas de la situation complexe dans laquelle elle se trouvait, mais il n’empêche qu’elle ne faisait ni preuve de mensonge, ni de légèreté de jugement dans ses propos. « Je n’ai pas dit que je ne ferais pas avec, vous me prêtez d’idiotes intentions. Quant aux Marshalls, libre à vous de les faire monter quand vous le souhaitez tant que cela peut être discret. Vous savez ce que cela veut dire, être discret, Monsieur O’Neil ? »

« Vous vous méprenez et tournez mes paroles à votre sauce, Monsieur O’Neil » reprit Hansel tout en se permettant un soupir largement mérité. Inutile de parler de ça avec son « patient » puisque cela s’avérait être une discussion totalement stérile au bout du compte. « Vous êtes trop passionnel, c’est inutile que de parler de cela avec vous plus longtemps. Vous n’êtes absolument pas objectif. Mon travail n’est pas de prendre parti, et c’est cela que vous ne voulez pas comprendre. J’écoute et je décèle d’éventuelles pathologies, c’est tout » reprit-elle, aussi calmement qu’elle le pouvait, même si l’envie de l’envoyer péter à perpète les petites olives lui démangeait actuellement la langue. « Je ne doute pas du sérieux de vos propos mais plutôt de votre capacité à garder vos témoins en vie. Passionnel comme vous l’êtes, qui me dit que l’émotion ne prends pas également le dessus sur votre raison sur le terrain également ? Vous oubliez que je suis psy, Monsieur O’Neil, c’est mon travail d’observer le comportement des gens. »

Tout ceci amuserait presque Hansel si la situation n’était pas aussi sérieuse ni ne la mettait directement en danger au final. La somalienne avait oublié d’être complètement stupide dans son genre et préférait mille fois provoquer qu’être provoquée. « Vous délimitez vos propres limites, cela ne veut pas dire que ce sont les mêmes pour tout le monde et encore moins les bonnes. Je ne dis pas qu’il ne faut pas mettre en prison les criminels, même si ceux-ci souffrent de troubles mentaux aggravés mais ne pas les soigner n’est pas une solution en soit. Vous avez votre opinion et j’ai la mienne, en qui j’ai bien plus confiance puisqu’elle est motivée par des années de pratique. Votre talent sur le terrain est sûrement indéniable Monsieur O’Neil, mais vous ne pouvez décemment comparer votre travail et le mien. Ils sont complémentaires et ne cherchent donc pas à se tirer entre les pattes. » Néanmoins, Hansel partit ouvrir la porte et contre toute attente, il s’agissait d’un Marshall. Celui-ci avait cru bon d’entrer car il semblait que partir soit nettement plus urgent qu’ils ne le pensaient tous de prime abord. « C’est un adieu dès lors, Monsieur O’Neil. Bonne continuation… » Hansel n’alla pas jusqu’à lui dire merci, lui serrant la main par principe et politesse sans faire davantage de fioritures. Ce n’était pas la peine… surtout pas alors que sa vie était en danger.

TOPIC FINITO **