« Tu danses vraiment comme une savate, en fait ! » « Parle pour toi, vieux chnoque ! » Vous l’aurez deviné, il n’y a pas qu’avec le patron de la boîte de strip-tease pour lequel elle travaillait, Duke, que Primrose se « chamaillait » à longueur de journée. Les danseurs masculins faisant la majeure partie du show l’avaient tout de suite adoptée, et n’avaient de cesse de la chercher. Après tout, elle n’était qu’une nouvelle parvenue, arrivée à dix-sept ans, obligée de se cacher jusqu’à ce que son vingt et unième anniversaire ne soit sonné par le gong. Pourtant, chacun applaudissait son talent, son audace et sa langue bien pendue avec prestance et insistance même. Chaque soir, c’était le même refrain : on la dévisageait littéralement, la déshabillait même du regard, mais on s’amusait du fait qu’elle n’ait cette formidable répartie pour rendre les échanges d’autant plus prenants. Lorsque l’on est strip-teaseur, on se coltine les pires couguars de sa création n’ayant guère de conversation. Ce qu’elles souhaitent, c’est regarder et toucher, pas parlementer pendant des heures. En somme, après chaque show, les différents danseurs avaient pris l’habitude d’inviter la jolie Prim au dinner du coin histoire de peupler l’atmosphère sonore de manière délicieuse et enthousiaste. Il s’agissait presque d’une seconde famille, surtout pour une demoiselle ayant surtout connu l’école à la maison jusqu’à son lycée, puis la rigidité d’une branche de chêne une fois qu’elle était partie vivre chez ses grands-parents en Irlande. Une horreur. La vie à New York lui apportait tous les excès qu’elle n’avait jamais pu effectuer auparavant, et autant dire qu’elle profitait honteusement depuis ses dix-sept ans sans éprouver le moindre remord. Après tout, peu nombreuses étaient les personnes au courant de son vrai métier et sans doute était-ce bien mieux ainsi. Au moins, on ne la jugeait pas, ne la considérait que comme l’étudiante en criminologie qui fait beaucoup plus jeune que son âge et gueule plus fort qu’autrui histoire d’être entendue ET écoutée. Mélange volcanique, vous en conviendrez… « Franchement, à la barre, on aurait dit que t’attendait le bus, Matt ! C’était pathétique, j’avais presque envie de te filer un bifton pour que tu ailles t’acheter de quoi becter ! » Et c’était reparti pour un tour.

Sauf que ce soir là, alors que Prim n’avait pas réellement pris la peine de se changer de cette tenue affriolante et tellement courte que l’on y voyait presque au travers, elle n’imaginait pas que la rue derrière le club serait habitée par qui que ce soit. Celle-ci était toujours déserte et absolument parfaite pour garer l’espèce de vieux tacot qu’elle avait l’audace d’appeler « sa voiture ». Quand on a de faibles moyens, on fait avec les moyens du bord. Il faut dire que Prim n’était pas la seule étudiante à avoir un prêt étudiant sur le dos de la taille de l’état de Washington, ni même la seule étudiante dans cette rue : la preuve, en l’espace d’une seconde, son sourire avait soudainement disparu et elle venait de faire tomber ses clefs face à la stupeur s’étant emparé d’elle. « Peter ?! » énonça-t-elle sans réellement y croire. Ca par exemple ! Il s’agissait bien de la dernière personne qu’elle s’attendait à croiser, surtout à une heure pareille, et encore moins dans cette rue justement réputée pour son bar de strip-tease. Elle en était tellement bouche bée qu’elle mit un temps considérable à se baisser pour ramasser ses clefs, et peina même à s’en emparer tant ses gestes n’étaient plus aussi mesurés qu’avant cette rencontre subite et inattendue. « Je ne m’attendais pas à te croiser dans le coin » poursuivit-elle tout en passant sa main contre sa nuque, cachant habilement sa nervosité tout en tâchant de paraître aussi naturelle que possible. Avec un peu de chance, elle allait éviter l’interrogatoire. Une chance que ses collègues danseurs l’aient devancée et soient déjà partis au volant de leurs propres voitures… « Bon… et bien avant que je ne me gèle définitivement mon exceptionnel petit cul, je vais tailler la route. Jouer les statues silencieuses, tu sais bien que c’est pas mon truc ! » Clefs en main, Prim était décidée à prendre la tangente. Du moins le souhaitait-elle.

En cette fin d’été, la chaleur qui régnait à New-York était littéralement étouffante. Et elle était d’autant plus difficile à supporter en plein cœur de la ville, là où l’air avait du mal à arriver. Logistiquement parlant, l’appartement de Peter était plutôt bien situé. Brooklyn, un coin ni trop calme ni pas assez, tout le nécessaire à portée de main… bref, l’irlandais ne s’en était jamais plaint. Mais ces derniers temps, son petit nid douillet avait la fâcheuse tendance à se transformer en fournaise, ce qui poussait son propriétaire à sortir le soir même si ça ne faisait en temps normal pas partie de ses habitudes. Malheureusement pour lui, il ne pouvait plus se réfugier chez Coleen, et le fait d’aller rendre visite à Mia lui paraissait juste trop étrange pour qu’il l’envisage. Il faut dire que ses relations avec les deux jeunes femmes étaient quelque peu… mouvementées. D’abord il y avait Coleen, dont il était toujours amoureux mais qui par sa faute, s’était considérablement éloignée. La jalousie qu’il n’avait pas pu contrôlée avait eu raison de leur couple, et les morceaux semblaient de plus en plus difficiles à recoller aux yeux du jeune homme. Et puis entre temps, Mia avait fait son apparition… que l’on pouvait qualifier d’apparition remarquée ! Sans bien savoir ni comprendre pourquoi, Pete avait été comme envoûté par cette fille, alors que sa sœur jumelle se trouvait être une de ses meilleures amies. Mais qu’importe, une fois la gêne passée, il était tombé sous son charme et avait désormais bien du mal à la chasser de ses pensées. Bref, entre la chaleur et ses tracas, Peter avait décidé de s’offrir le luxe d’une petite balade à travers New-York, au frais.

Le jeune homme avait décidé de rester dans son quartier, et il arpentait au hasard les rues qui se présentaient devant lui. Sans avoir de but précis, sans savoir où ses pas le menaient, il se contentait de marcher et de profiter de la fraicheur du soir. Sans qu’il ne s’en aperçoive, sa petite promenade de santé le mena jusque dans une rue qui lui parut assez peu fréquentable… jusqu’à ce qu’il y distingue une silhouette pas tout à fait inconnue. Intrigué, Peter s’approcha en fronçant les sourcils et malgré la pénombre, il reconnut sans trop d’efforts celle pour qui il avait fait office de tuteur quelques années plus tôt. Visiblement désemparée, Prim lâcha les clés de sa voiture au sol, et articula le prénom du jeune homme d’un ton qu’il ne jugea pas spécialement amical. Et sur le coup, Pete ne comprit d’ailleurs pas pourquoi elle se montrait si méfiante, et même maladroite au moment où elle tenta de récupérer ses clés. Mais lorsqu’il daigna lever un peu le nez, et qu’il constata dans quel genre de rue ils se trouvaient, les sourcils du jeune homme se froncèrent instantanément. « Je ne m’attendais pas à te croiser dans le coin » En effet… mais le jeune homme pouvait tout aussi bien lui retourner le question. Qu’est-ce qu’elle pouvait bien faire ici, et surtout à cette heure-ci ? En silence, l’irlandais se mit à échafauder tout un tas d’hypothèses qui pourraient éventuellement expliquer la présence de Prim à cet endroit précis, et surtout éviter l’explication la plus banale, celle qui crevait les yeux et à laquelle Peter ne voulait pas croire. Mais il fut rapidement sorti de ses pensées quand la jeune femme déclara : « Bon… et bien avant que je ne me gèle définitivement mon exceptionnel petit cul, je vais tailler la route. Jouer les statues silencieuses, tu sais bien que c’est pas mon truc ! »

Machinalement, Peter posa ses yeux sur le postérieur de la jeune femme {Bah quoi ? Elle l’a bien cherché ! }, et c’est à ce moment précis qu’il remarqua sa tenue… plutôt légère. Littéralement bouche bée, l’irlandais du se faire violence pour reporter son regard en direction du visage de Prim et ainsi ne pas passer pour un pervers, mais ce qu’il venait de voir avait clairement éveillé sa curiosité, et son inquiétude. Même s’il n’était plus son tuteur depuis un moment, Peter avait gardé avec Prim (comme avec le reste du monde, d’ailleurs) ce côté protecteur et inquiet dès que quelque chose ne tournait pas rond. En la voyant filer sous son nez sans aucune explication, il s’empressa donc d’attraper son bras pour le retenir. « Hé, attends ! Qu’est-ce que… qu’est-ce que tu fais ici ? » questionna-t-il d’un ton qu’il s’efforça de ne pas trop assimiler à celui d’un inspecteur de police. Il jeta alors un nouveau coup d’œil discret en direction de la tenue de Prim, et ne put résister à l’envie de lâcher une autre question : « Et… c’est quoi cette tenue ? »

Primrose était en quelques sortes dans de sales draps. Très sales, les draps. Elle n’avait pas toujours été proche de Peter, mais depuis qu’il était revenu de son accident, les deux jeunes gens se faisaient confiance. La brunette avait l’impression de briser cette confiance, non pas en lui cachant un métier dont elle n’était pas fière, mais plutôt de se faire prendre la main dans le sac. Après tout, chacun sa manière de subvenir à ses besoins, or elle devait faire avec, sans aide aucune venant de sa famille. Elle entendait d’ici le général lui servant de grand-père, elle risquait d’en entendre parler jusqu’à la saint glinglin. Comment lui en vouloir ? Prim préférait de loin de désaper devant des clients prêts à baver sur elle plutôt que de retourner dans l’espèce de prison aseptisée où elle avait été retenue pendant les trois ans de son lycée. Quitte à fâcher Peter au passage : après tout, elle était majeure et parfaitement consciente des conséquences possibles liées à ses actes. Cela dit, si elle avait pu prévoir le fait qu’il la rattraperait, sa question au sujet de la tenue qu’elle portait lui arracha une large grimace qu’elle dissimula tant qu’elle lui tournait le dos. C’est parti, il allait la questionner façon interrogatoire et Prim allait mettre un temps considérable pour tout lui expliquer, si toutefois elle était prête à se lancer dans un véritable monologue à ce sujet. Impossible d’inventer un mensonge, pourtant, pas sans une préparation de chaque détail afin d’être parfaitement crédible et d’éviter de se trahir. Elle se tourna donc vers lui, une expression aussi impassible que possible pour dissimuler sa culpabilité, et finit par hausser légèrement les épaules comme s’il ne s’agissait pas d’une chose importante. « Je reviens d’une soirée. Tu sais pourtant que je suis une fêtarde comme on en fait peu, non ? » C’était presque crédible. Après tout, en bonne séductrice qui se respecte, Prim mettait souvent le paquet, pour peu que l’accompagnent ses « collègues » du club. Mais elle n’en faisait jamais un compte rendu détaillé à Peter, sinon il risquait d’avoir les cheveux dressés sur la tête. « Ne me dis pas que je te choque… déconne pas, elle est super top, cette tenue ! »

Prim tâchait de faire avaler son mensonge à son ami tout en gardant un contrôle extraordinaire de ses émotions, mais ce ne fut pas évident. Il risquait de lui en vouloir s’il découvrait un jour son mensonge, et personne ne lui disait qu’il n’était pas capable de revenir le lendemain pour voir si elle n’avait pas été embauchée comme strip-teaseuse. La jolie brune espérait que ce ne serait pas le cas. Elle détesterait de devoir se cacher éternellement afin d’éviter qu’il ne découvre une vérité dérangeante. Après tout, il s’agissait de sa vie privée… lui demandait-elle ce qu’il faisait de la sienne, hum ? Chacun ses travers. « La question c’est aussi ce que toi tu fais dans un tel coin ! C’est bien le dernier endroit sur terre où on peut t’attendre d’ailleurs. Et je me demande si tu comptes me faire subir un interrogatoire approfondit, aussi. » Ce n’était pas réellement son genre, mais tout dépendait s’il la croyait ou pas.

Ce soir, le hasard avait visiblement décidé de jouer des tours à Peter. Tout d’abord en l’emmenant dans cette rue où il n’avait jamais mis les pieds auparavant, et on comprenait aisément pourquoi. Puis en lui faisant rencontrer dans cette même rue son amie Prim… qui plus est vêtue d’une tenue un peu particulière. A vrai dire, l’irlandais ne pouvait pas dire si le plus surprenant pour lui était de la voir ici, ou de la voir dans cette tenue. Mais il devait bien avouer que le tout donnait un mélange détonnant, et une situation qu’il n’aurait jamais crue possible avant de l’avoir vécue. Incapable de se retenir bien longtemps, Peter se lança dans un mini-interrogatoire qui lui paraissait inévitable, et que Prim semblait même redouter. En même temps, il la comprenait. Il y avait forcément quelque chose qu’elle avait omis de lui préciser, et ce depuis leur première rencontre qui remontait maintenant à plusieurs années en arrière. Partagé entre la stupeur et l’inquiétude, Pete attendait presque fébrilement qu’elle daigne lui répondre, et lui donner les quelques explications qui s’imposaient. Et la seule excuse qu’elle trouva à lui donner fut celle d’une soi-disant fête à laquelle elle venait de participer. Peter était dubitatif, mais il tenta de ne pas le montrer… du moins pas tout de suite. « Ne me dis pas que je te choque… déconne pas, elle est super top, cette tenue ! » « Super top » n’était pas exactement le terme que Peter aurait choisi pour désigner l’accoutrement dans lequel il venait de la trouver, mais il se contenta de hausser les épaules et répondit en la scannant une nouvelle fois du regard : « Euh, moui… »

Ce n’est que lorsque les yeux de Pete firent un rapide tour d’horizon que son inquiétude monta encore d’un cran. Car oui, l’établissement qui se trouvait juste à côté d’eux était bel et bien un club de strip-tease. Et si la fête à laquelle Prim avait participé se trouvait là-dedans, il avait clairement loupé un épisode de sa vie et de ses habitudes. D’ordinaire, il lui faisait entièrement confiance. Mais aujourd’hui, quelque chose lui disait que la jeune femme était en train de le rouler dans la farine, et qu’il l’avait surprise au mauvais moment. Néanmoins, il ravala toutes ses questions et s’efforça de ne pas porter de regards trop insistants en direction de la tenue légère qu’elle portait. « La question c’est aussi ce que toi tu fais dans un tel coin ! C’est bien le dernier endroit sur terre où on peut t’attendre d’ailleurs. Et je me demande si tu comptes me faire subir un interrogatoire approfondit, aussi. » Sur sa première déclaration, elle marquait un point. Et d’ailleurs, Pete lui-même avait un peu de mal à s’expliquer ce qu’il faisait dans un tel endroit. Mais il ne se démonta pas, et répondit le plus naturellement du monde : « Moi ? Je me baladai juste pour prendre l’air, et comme je ne regardai pas trop où j’allais… j’ai atterri ici. C’est glauque comme endroit non ? » questionna-t-il en guettant sa réaction, cherchant à savoir si elle était une habituée des lieux ou pas. « Et oui, évidemment que je vais te faire subir un interrogatoire ! Tu… t’as pas participé à une soirée là-dedans quand même ? » demanda-t-il en désignant le club derrière eux. « Oh et puis… si on allait ailleurs ? Genre, à un endroit où tu serais au chaud et à l’abri ? » Sous-entendu à l’abri des mecs louches qui trainent probablement dans cette rue, et auxquels ta tenue « super top » pourrait bien donner des idées.

Vraiment, ce côté protecteur chez Peter avait son petit charme. C’était inhabituel que l’on fasse preuve de tels égards envers Prim, aussi avait-elle encore beaucoup de mal à s’y faire, mais elle trouvait cela attachant. Du moins jusqu’à ce qu’il ne mette son nez dans la partie la plus honteuse de son existence, à savoir son travail nocturne. Nul ne savait mieux que la brunette à quel point le lien entre sa tenue et le club en face duquel ils se trouvaient actuellement pouvait être facilement fait. Elle accepta donc l’invitation du jeune homme pour aller ailleurs, tout en sachant pertinemment que pendant qu’ils seraient en route, Prim au volant et Peter en co-pilote, elle n’allait pas échapper à l’interrogatoire en règle pour ce genre de situation. Seulement voilà… il n’avait pas exactement le tempérament qu’il fallait pour accepter sans broncher le fait que l’une de ses amies ne joue les gogo danseuses dans un club réputé, et ce afin de payer son prêt étudiant et ses autres factures. Elle le voyait déjà lui faire un discours pour le moins inspiré sur le fait qu’il existe de nombreux autres métiers pouvant lui permettre de joindre les deux bouts… mais en solitude, et à New York qui plus est, Prim risquait fort d’y laisser la chemise en deux temps trois mouvements à moins de recevoir une aide financière familiale, chose que son orgueil ne pourrait jamais supporter. Oui, il était le seul coupable. Sans celui-ci, il y a belle lurette qu’elle aurait appelé sa mère ET ses grands-parents pour qu’ils ne l’aident à venir à bout du prêt étudiant menaçant sans arrêt de la mettre sur la paille. Mais ça… Peter ne devait surtout pas en avoir vent. Une telle information la mettrait dans une situation si délicate qu’elle peinerait même à le regarder à nouveau dans les yeux. La seule chose que l’on pouvait blâmer pour avoir engendré le tempérament de la jolie brunette en guise de résultat, est l’éducation réac et strictissime des grands-parents de la demoiselle. « C’est glauque comme endroit mais on s’y fait, crois-moi. Contrairement aux apparences, il n’y a pas de truands à l’arme blanche prêt à te déchiqueter si tu ne leur file pas tout l’argent que tu as sur toi. Franchement, c’est plutôt rassurant au contraire ! Mais tu ne connais pas, c’est pour ça que tu réagis comme ça. » Prim tenta un petit sourire qui se voulait encourageant, mais devant le sérieux de Peter, elle se ravisa très rapidement. Il était du genre à ne pas lâcher le morceau, et si elle voulait se débarrasser de cette mine inquiète qu’il affichait, elle savait hélas ce qui lui restait à faire.

« Mais tu vas hurler si je te dis la vérité ! » protesta-t-elle en toute bonne foi, non sans quitter la route des yeux. Il ne manquerait plus qu’un accident leur arrive et pour sûr, la boucle serait bouclée au niveau des pires soirées de la création. « Tu sais que tu n’es pas obligé de t’inquiéter dès que j’ai un bobo hein ? Je ne dis pas que j’en ai un, mais je sais très bien ce que je fais. Je sais m’occuper de moi, comparé à beaucoup d’assistés que je côtoie ! C’est une si mauvaise chose que je veuille prendre les choses en main moi-même ? » L’intimidation. Prim espérait que cela marcherait, mais quelque part, Peter gardait toujours son objectif sans le perdre des yeux, il allait donc être difficile de le déloger de là à moins qu’il ne soit parfaitement persuadé qu’elle dise la vérité. Chose qui était le cas, d’ailleurs, même si elle prenait des dizaines de sentiers paumés pour y parvenir réellement. « Je bosse là bas certains soirs. T’es content ? Ta curiosité est satisfaite ? Ca paye les factures et personne ne me reconnait. Oh et je sais très bien ce que tu vas me sortir : que je pourrais faire un boulot plus sain… et plus mal payé aussi ! Je n’ai pas envie d’être serveuse jusqu’à la fin de ma vie ! Je vais continuer jusqu’à la fin de mes études de fac, et ensuite j’arrêterai… ce n’est pas la fin du monde, si ? »

Puisque Prim avait tout d’abord émit l’hypothèse de filer, qu’elle le fasse, mais pas sans lui. En s’invitant un peu sans lui demander une quelconque autorisation, Peter proposa à la jeune femme d’aller voir ailleurs, chose qu’elle accepta sans hésiter. C’est donc tout naturellement que l’irlandais s’installa à bord du véhicule alors que son amie prenait le volant et démarrait son bolide. Il avait beau tourner et retourner la situation dans tous les sens, Peter n’en revenait toujours pas. Et pourtant, il avait été le tuteur de Prim pendant une année entière, à la suite de quoi ils étaient restés relativement proches. Après son accident, leur amitié s’était même renforcée, et il pouvait aujourd’hui se targuer de la connaître par cœur. Du moins, c’est ce qu’il avait pensé jusqu’à aujourd’hui. Bien sûr, il connaissait son tempérament et son goût plutôt prononcé pour la fête, mais si on lui avait dit que la demoiselle avait pour habitude de fréquenter ce genre de boites… il ne l’aurait pas cru. C’était tout simplement insensé. Evidemment, elle avait un physique plutôt avantageux, mais même pour se faire un peu d’argent, Pete ne pouvait pas concevoir qu’elle l’utilisait pour faire tourner les têtes des clients d’un club de strip-tease. Pete avait tendance à être hyper-protecteur avec tous ceux qu’il appréciait (c’est d’ailleurs ce qui avait causé la perte du couple qu’il formait avec Coleen), et Prim ne faisait pas exception à la règle. C’est donc un regard inquiet qu’il n’avait de cesse de lui lancer alors que la jeune femme tentait de se justifier, en dédramatisant du mieux qu’elle pouvait la dangerosité de l’endroit.

« Mais tu vas hurler si je te dis la vérité ! » La bouche entrouverte sous le coup de la surprise, Peter braqua un regard éberlué sur sa voisine. En protestant de la sorte, elle venait tout simplement de confirmer les pires craintes du jeune homme. S’il avait de bonnes raisons de hurler, c’est forcément qu’elle avait fait une bêtise, ou du moins quelque chose qui ne lui plairait pas. S’efforçant de rester silencieux pour la faire mentir, Pete se contenta de froncer les sourcils sans pour autant la quitter des yeux. Il n’eut d’ailleurs pas besoin de prononcer un seul mot pour que la jeune femme continue son récit. « Non ! Bien sûr que ce n’est pas une mauvaise chose mais… » Peter soupira, mais décida de ne pas en dire plus pour ne pas risquer de la couper alors qu’elle semblait si bien partie. Si proche de l’aveu qu’il redoutait tant. Et cet aveu tomba quelques secondes plus tard. Elle travaillait là-dedans certains soirs. Stupéfait, Peter avait un peu l’impression de découvrir une nouvelle facette de son amie, une nouvelle Prim qu’il n’avait encore jamais rencontrée auparavant. Cependant, quelque chose retint son attention : si elle faisait tout ça, c’était pour payer ses factures. En somme, elle avait un peu la même histoire que lui, à ce détail près que Peter avait « choisi » le mannequinat et non le strip-tease. D’ailleurs, il détestait ça et ne languissait que la fin de ses études, et l’arrivée de ses premiers salaires pour pouvoir arrêter de poser comme un objet en petite tenue sous les objectifs des photographes. « Mais… je… » Elle s’était bien débrouillée mine de rien, et son discours laissait Peter sans mot, sans argument valable pour protester. Mais après quelques secondes de réflexion, il ne put tout de même pas s’empêcher de répliquer : « Mais c’est hyper dangereux ton truc ! Imagine si un de tes clients te… Enfin bref, tu vois très bien ce que je veux dire ! T’as vraiment pas trouvé autre chose ?! » Le fait que ce soit le seul métier convenablement payé pour une étudiante lui paraissait tout de même un peu gros et déjà, Peter s’imaginait un tas de scénarios catastrophes quant à l’avenir de Prim dans cette boîte. Il lui lança finalement un petit regard de gamin coupable, et déclara : « Et je m’inquiète si je veux ! »

« D’accord, tu t’inquiètes si tu veux ! » Prim leva une main du volant pour plaider sa bonne foi, tout à fait consciente du « sale quart d’heure » qu’elle risquait de passer. Peter n’était pas mauvais, bien au contraire, il était la crème la plus protectrice qu’elle connaissait. Mais dans ce genre de situation, cela lui donnait un arrière-goût amer dans la bouche : elle avait la furieuse impression de revenir au temps maudit des nombreuses interdictions imposées par ses grands parents. Il n’avait pas idée des efforts qu’elle faisait pour se détacher justement de cette idée et éviter d’y penser, surtout dans un moment pareil, afin de ne surtout pas dire des choses qu’elle pourrait regretter. Il était inquiet pour elle, voilà tout. Et si elle n’était toujours pas habituée à la chose, cela ne lui faisait pas de mal de s’en rendre compte. Prim faisait pourtant mine de passer outre pour se concentrer sur la route, pourtant déserte à cette heure-ci, tout en ayant un mal fou à déglutir au fur et à mesure des secondes : comment diable lui expliquer la situation sans qu’il ne hurle d’épouvante ? Elle ne connaissait pas bien sa situation financière, et n’avait donc aucun contre argument à lui opposer. Il serait lâcher de supposer quoi que ce soit, du reste, surtout s’il venait à le prendre mal. Elle finit donc par se passer une main nerveuse contre son visage hautement maquillé avant de reprendre, d’une voix cette fois nettement moins assurée : « Dangereux, je n’irais pas jusque là ! Je n’ai jamais eu de souci en quatre ans, je te jure ! » Oups… et voilà que sa nervosité l’obligeait à énoncer la vérité sans gant et sans préparer Peter à ce qu’il pouvait bien entendre de sa bouche. Il risquait de se faire de nombreux cheveux blancs durant cette conversation, surtout s’il venait à comprendre à quel point elle savait compartimenter sa vie afin qu’aucun aspect ne déborde sur un autre. Il n’y avait qu’ainsi qu’elle pouvait continuer à se regarder dans une glace sans craindre le reflet qu’elle y voyait. Mais Peter ne pourrait sûrement pas le comprendre, hélas, et ce malgré cette amitié en or massif les liant… « Ne crie pas ! Je n’ai pas voulu demander de l’aide à qui que ce soit, et même si ça te choque, ça paye très bien. Ca m’évite d’avoir à m’inquiéter toujours pour la matérielle… je ne pourrais pas me concentrer sur mes études si c’était le cas. D’autant que j’aurais bientôt fini, c’est l’affaire de pas longtemps maintenant ! »

Prim ne savait pas exactement où elle allait, avec tout ça. Elle roulait sans forcément s’en rendre compte, au radar, trop choquée par sa propre situation en face de Peter pour oser ne serait-ce que demander une destination. Mais pourquoi diable s’était-il rendu dans le même coin où elle se rendait pour bosser ?! « Je suis majeure et vaccinée, tu sais. Je me débrouille depuis quatre ans sans pépin. Tu sais pourtant que je suis quelqu’un de démerde ! C’est ce qui fait ma force. Au moins, à la fin de la journée, je sais que je fais des efforts pour mon futur à moi sans avoir personne à remercier. » Question de fierté, peut-être. Mais Peter allait tout de suite tiquer sur le fait qu’elle ait commencé à bosser dans ce club à dix-sept ans, soit quand elle était encore mineure. Pour sûr, avec cette information en main, elle risquait d’en entendre parler jusqu’à la fin des temps… et peut-être n’était-ce pas une mauvaise chose, pour quelqu’un n’ayant plus vraiment la vraie notion de la vie. « Tu veux aller où, au fait ? Tu ne m’as pas dit. » Jolie diversion, Prim. Du grand art !

Le fait de s’inquiéter dans n’importe quelle situation, pour tout et n’importe quoi du moment que ça concernait ses proches était un « défaut » dont Peter n’était jamais parvenu à se débarrasser. Et à bien y réfléchir, il n’avait jamais vraiment cherché à le faire non plus. Bien que ce trait de caractère lui attire parfois pas mal d’ennui, c’était plus fort que lui. En réalité, le jeune homme aurait aimé pouvoir ne pas s’inquiéter, ne pas toujours imaginer les pires scénarios possibles, souvent digne des plus grands films hollywoodiens. Mais cet aspect protecteur et presque chevaleresque faisait partie intégrante de sa personnalité, et il avait l’impression que jamais il n’arriverait à s’en détacher. Au plus grand désespoir de Prim ce soir… La jeune femme sembla d’ailleurs abandonner la partie en l’autorisant à s’inquiéter s’il le voulait, tout en restant consciente qu’il n’allait certainement pas s’en tenir là. Et elle avait raison. Mais du mieux qu’elle pouvait, Prim tentait de le rassurer, en essayant de lui faire gober que non, ce métier n’avait rien de dangereux. Peter lui lança alors un regard en coin, et il n’eut besoin de prononcer aucun mot pour lui faire comprendre ce qu’il pensait au plus profond de lui. « C’est ça, prends-moi pour un con en plus ! »

La jeune femme avait voulu s’en sortir seule, sans dépendre de personne et sans avoir à demander de l’aide, et dans un sens c’était louable. Mais l’irlandais n’arrivait pas à s’enlever cette image d’elle à moitié nue, dansant au milieu d’une horde de vieux pervers qui posaient leurs regards sales sur elle. Et franchement cette vision, aussi artificielle soit-elle, n’avait absolument rien de rassurant pour lui. Puis vint l’argument principal de la jeune femme, qui rappela gentiment à son ami qu’elle était majeure et vaccinée. Mais aux yeux de Pete, ce n’était évidemment pas une excuse valable, bien au contraire. « Je sais bien que tu te débrouilles Prim… Et je me doute aussi que tu dois avoir de bonnes raisons de faire ça mais… tu ne te rends pas compte ! Imagine qu’un de tes clients veuille vraiment aller plus loin, tu crois que tu ferais le poids face à lui ? Non, tu ne me feras pas changer d’avis, c’est trop dangereux ! Et le fait que tu n’aies pas eu d’ennuis en quatre ans ne veut pas dire que tu n’en auras jamais Prim ! » Même s’il savait au fond de lui que c’était peine perdue, Peter essayait par tous les moyens de lui faire la leçon. Après tout s’il ne le faisait pas, qui le ferait ? Il savait Prim totalement indépendante et en général c’était plutôt une bonne chose. Mais cela pouvait aussi se retourner contre elle et ce jour-là, Pete se mordrait les doigts s’il n’avait pas agi avant. Administrativement parlant, il n’était plus son tuteur. Mais en réalité, il ne pouvait s’empêcher de veiller sur elle comme s’il avait été investi d’une mission lors de leur première rencontre à la fac.

En réalisant que Prim avait tout de même de bons arguments, Peter adopta une mine renfrognée en braquant ses yeux droit devant lui. Il avait encore un tas de choses à lu dire, à lui faire comprendre mais avant qu’il n’ait pu reprendre la parole, son amie le coupa : « Tu veux aller où, au fait ? Tu ne m’as pas dit. » Réalisant alors qu’ils roulaient au hasard depuis un bon moment, mais sans que la colère et la frustration ne le quittent, Pete répondit brusquement. « Vas où tu veux ! » Puis, en s’apercevant qu’il était à pieds, il reprit mal à l’aise : « Euh… enfin… tu peux aller chez moi aussi, si tu veux. » Un brin vexé, il tourna la tête vers l’extérieur pour éviter le regard certainement amusé de la conductrice.

« Fais pas ta mauvaise tête, je viens chez toi avec plaisir ! » Prim n’essayait pas réellement de se rattraper, pas alors qu’elle était persuadée de ne pas mal agir. Mais cela ne l’empêcha pas de lui caresser délicatement le haut du bras pour lui faire comprendre qu’elle ne voulait pas heurter sa sensibilité, sans pour autant quitter la route des yeux. Après tout, il valait bien mieux qu’elle ne se concentre sur les fous du volant les entourant sur l’immense avenue qu’ils étaient en train d’emprunter. Cela lui permettait d’avoir quelques minutes de paix avant que Peter ne revienne à la charge pour mieux l’inciter à quitter son job actuel. Mais il allait vite s’apercevoir que ses possibilités d’autre travail étaient limitées, surtout avec les dettes qu’elle trimballait notamment à cause de son prêt étudiant. D’autant que si ses grands parents avaient des moyens relativement aisés, c’était loin d’être le cas de sa mère. Prim ne s’en remettrait jamais si elle mettait sa mère dans de sales draps, jamais. Leur relation était fusionnelle et avant même que d’être sa génitrice, Morgane était aussi sa confidente. Prim savait à quel point elle avait été en difficulté sa vie durant, que ce soit au niveau financier mais également personnel. Cela arracherait littéralement le cœur de l’étudiante si jamais elle venait à apprendre toute la vérité. Sa confiance en elle serait à jamais brisée, alors que le premier désir de la jolie brune, c’était de la rendre fière. Difficile d’expliquer cela à Peter alors qu’il restait bloqué sur l’aveu qui venait de parvenir à ses oreilles. Son côté protecteur envers Prim ne risquait pas de s’atténuer alors qu’il devait se mettre en tête de la faire changer de vie. Hélas, comme beaucoup, il risquait d’être rempli de bonnes intentions, de l’inonder de belles paroles, sans forcément avoir conscience des conséquences si jamais elle décidait effectivement de quitter son emploi actuel, si dégradant soit-il aux yeux de beaucoup de gens. Ce n’était pas prêt d’arriver, en somme… « Je suis vraiment désolée que tu désapprouves ce que je fais Pete, vraiment… mais c’est ma vie. A moins que tu n’aies d’excellents arguments et solutions à m’opposer, je ne vais pas changer de façon de faire juste pour tes beaux yeux. Pas alors que je me mettrai en faillite personnelle. Merde, tu n’as pas idée de ce dont tu parles ! Bientôt, tu as finis tes études, et tes soucis financiers éventuels vont sûrement s’effacer dès lors que tu trouveras un job. Et vu comment tu es brillant, on va t’accueillir à bras ouverts, j’en suis persuadée. Enfin bref. Tout ça pour dire que malgré le danger, je m’en sors très bien ainsi. C’est impeccable, même. » Mais le côté danger restait toujours au bout des lèvres de Peter, et tant qu’elle ne lui aurait pas opposé un argument béton, il ne risquait malheureusement pas de la lâcher avec.

« Tu sais que je suis entourée par d’autres strip-teaseurs ultra baraqués ? Sans oublier le patron, qui veille sur moi. Si on abîme l’étoile de son show, j’aime mieux te dire qu’il serait le premier à ruer dans les brancards. En toute honnêteté, je me suis rarement sentie autant en sécurité. Tu ne sais pas parce que tu ne les as pas rencontrés. Mais plutôt que de juger sans savoir, pourquoi tu ne viendrais pas un soir ? Tu jugerais sur pièce au moins ! » Prim se permit de le regarder pendant quelques secondes avant d’entamer sa manœuvre pour se garer juste devant chez Peter. Elle connaissait la route par cœur, vu le nombre de fois où elle était venue ici. Restait à savoir si cette fin de soirée allait être agréable ou plutôt du genre soupe à la grimace. « Ca ne te déranges pas que je vienne au moins ? Je veux dire, tu n’attendais personne… ? »

Pete agissait un peu comme un enfant boudeur sur ce coup-là, ce qui lui valut d’ailleurs une caresse sur l’épaule. Caresse à laquelle il se contenta de grimacer, d’ailleurs. Prim venait chez lui avec plaisir, et c’était tant mieux. L’irlandais espérait juste qu’elle ai prévu de quoi se changer une fois arrivée là-bas car dans le cas contraire, son invitation sonnerait vraiment bizarre dans son esprit. Si la concierge le voyait entrer dans l’immeuble accompagnée d’une fille en si petite tenue, s’en était fini de son image de jeune premier et de gendre parfait. Pas qu’il ne tienne réellement à préserver sa réputation, mais quand même. Il connaissait sa concierge, et il savait pertinemment que les réflexions et les allusions qui suivraient une telle scène seraient insupportables. Alors que Prim se concentrait une nouvelle fois sur la route, elle ne put cependant pas garder le silence bien longtemps. Très vite, elle s’excusa mais n’hésita pas à renchérir. Elle faisait tout ça pour l’argent, et même si elle prenait pas mal de risques, c’était sa décision à elle. Mais Peter n’abdiquait pas, bien au contraire. Et alors qu’il allait à son tour en remettre une couche quant aux dangers de ce métier, Prim le devança et lui opposa un argument de poids. Un argument auquel il n’aurait même pas pensé et qui pourtant, se tenait plutôt bien. Les collègues de travail de la jeune femme devaient effectivement être plutôt bien bâtis, et même son patron ne tolèrerait visiblement pas qu’on lui fasse du mal. Et ça, c’était un point pour elle. Un point que Peter fit mine de ne pas relever, car il réduisait à néant toutes ses remarques.


Mais plutôt que de juger sans savoir, pourquoi tu ne viendrais pas un soir ? Tu jugerais sur pièce au moins ! » L’irlandais écarquilla les yeux et entrouvrit la bouche pour protester, même si aucun son ne put sortir d’entre ses lèvres. Etait-elle vraiment en train de lui faire cette proposition ?! En soi, ça se tenait ça aussi. Mais dans l’esprit du jeune homme, il était absolument inconcevable d’aller assister à un spectacle de strip-tease dans lequel Prim jouait les premiers rôles. « Pas question ! » finit-il par répliquer. « C’est… c’est pas contre toi hein ! Mais ça serait juste trop bizarre, je pourrai pas ! » Pendant qu’il répondait, la jeune femme avait manœuvré pour se garer juste au pieds de l’immeuble où il vivait, et l’irlandais s’empressa d’ailleurs de poser sa main sur la poignée pour s’extirper du véhicule. Mais il dut stopper son geste en entendant Prim le questionner : « Ca ne te déranges pas que je vienne au moins ? Je veux dire, tu n’attendais personne… ? » Paradoxalement, cette question créa un effet de surprise chez Peter. Et pourtant, quelques semaines auparavant elle aurait été tout à fait légitime. Mais beaucoup de choses avaient changées dans sa vie ces derniers temps, et désormais la question ne se posait même plus. Il haussa d’ailleurs les épaules avec dédain, et déclara : « Non, non, t’inquiètes. De toute façon… je n’ai plus personne à attendre ! » termina-t-il, un brin mélancolique. En effet, depuis qu’il s’était séparé de Coleen, il n’avait plus grand monde pour venir lui rendre visite, et son appartement lui paraissait parfois bien vide. « Tu… euh, tu as de quoi te changer là ou… ? Enfin c’est juste que… Je te préfère quand tu es habillée normalement ! » finit-il par se dépatouiller en tentant de ne pas être trop désobligeant ni même vexant.

« T’es vraiment vieux jeu quand tu t’y mets ! Ca va, je vais enfiler autre chose ! » Prim attendit néanmoins que Peter ait ouvert la porte de son appartement pour s’engouffrer à l’intérieur direction la salle de bain. Évidemment, elle avait toujours une tenue de rechange dans son sac à dos, double vie oblige. La jeune femme n’était pas qu’une strip-teaseuse, après tout. Elle restait une étudiante prometteuse, intelligente et tout à fait à même de se préparer une carrière qui la protègerait du manque cruel d’argent dont elle souffrait à l’heure actuelle. Mais autant dire qu’il lui était compliqué de ne pas être vexée à chaque fois qu’elle se prenait son métier en pleine figure, mais avec Peter : depuis qu’il le savait, c’est comme s’il y revenait constamment. N’avait-il donc pas compris qu’elle en avait déjà honte de son côté ? Il avait droit d’être inquiet, mais elle avait tout autant droit d’être heurtée, voire même blessée, de l’entendre lui demander de se changer… après tout, il n’était pas obligé de détailler sa tenue toute les deux secondes, il pouvait aussi agir avec politesse et ne regarder que ses yeux. Où était donc passée sa galanterie légendaire ?! Pourtant, Prim s’était exécutée, et ne sortit de la salle de bain qu’une fois habillée d’un t-shirt et d’un jean lui allant parfaitement. Pire, elle arrivait à être tout à fait séduisante ainsi vêtue… étrange, n’est-ce pas ? Elle se pointa donc dans le salon en déposant son sac à dos précautionneusement, avant de placer ses mains dans ses poches. Peter allait probablement lui sortir un long discours plein de bonnes intentions et elle ne voulait pas l’entendre. Après tout, chacun sa vie… bien qu’elle soit proche de lui et qu’ils aient partagé beaucoup de choses, il n’avait aucun droit de juger ce qu’elle faisait, non aucun. « J’ai accepté de me changer parce que je te respecte et que je n’ai pas envie de te mettre mal à l’aise… mais tu me juges. Et ça, ça me met mal à l’aise. Je suis en droit d’attendre que tu agisses de la même manière avec moi, à savoir que tu saches passer outre toutes ces conneries. Je fais ce que je fais parce que je n’ai pas le choix… ça ne veut pas dire que ça m’amuse ou que j’en suis fière, bien au contraire. Alors je suis également en droit d’attendre que tu ne me balances pas sans arrêt mon métier en pleine poire. On fait tous des trucs dont on a honte. Que tu ne l’acceptes pas, et bien… c’est ton droit, on est en démocratie ! Mais tu n’es pas mon père Pete. Et jusqu’à preuve du contraire, je suis majeure. Alors épargne-moi ton discours moralisateur, par pitié… sans quoi tu sais comme moi que je ne risque pas de rester longtemps ici. » Il ne s’agissait pas d’une menace, mais plutôt d’une promesse, et le sérieux présent sur le visage de porcelaine de Prim le prouvait largement.

« Que s’est-il passé pour que tu n’aies plus personne à attendre ? Tu as rompu avec ta copine ? » Prim ne s’était jamais trop intéressée à la vie sentimentale de son ami, et pour cause, les grandes histoires du genre ne l’intéressaient jamais sur la longueur. Mais elle était prête à faire l’effort car cela se faisait entre amis… on exécute des concessions pour le bien de la personne d’en face, et en l’occurrence, si Peter avait besoin de parler, Prim était toute disposée à l’écouter. Il avait toujours pu lui parler, qui plus est. « Tu peux m’en parler. Tu sais bien que je suis une tombe… »

Il était vieux jeu, et il en était pleinement conscient. Mais même s’il essayait parfois de se contrôler un peu, il était aujourd’hui quasi-persuadé qu’il avait raison. Pour lui, Prim ne se rendait pas tout à fait compte du danger. Peter était bien conscient de ne pas avoir toutes les clefs en main, de ne pas vraiment connaître le monde du strip-tease et de ce genre de boîtes, mais ce qu’il en voyait dans les séries télé qu’il affectionnait tant lui suffisait. Sa formation de criminologie n’aidant pas, il avait souvent tendance à imaginer le pire, même lorsqu’il n’y avait pas lieu de le faire. Pour pouvoir changer de sujet et ainsi éviter de hausser le ton, Pete avait donc demandé à son amie de se changer. Il avait d’ailleurs été particulièrement maladroit en lui demandant une telle chose, mais le jeune homme en prit conscience un peu trop tard. Prim s’était exécutée, mais le regard qu’elle afficha en sortant de la salle de bain fit craindre le pire à l’irlandais. A coup sûr, leur petite discussion allait reprendre de plus belle et se connaissant, tout allait très certainement déraper. Et le speech qui s’ensuivit confirma chacune de ses craintes. Peter aurait voulu répliquer, protester, se défendre, mais devant le fait accompli, il n’avait d’autre choix que de constater que Prim avait raison sur toute la ligne. Si elle s’était rhabillée pour lui, il devait à son tour faire un effort, et tenter d’oublier cette petite histoire. Il était honteux, un peu comme un gamin qui s’apercevait qu’il avait fait n’importe quoi, et baissa d’ailleurs les yeux avant même que Prim n’ait terminé son discours. « Je… je sais tout ça, mais c’est juste que… ça me fait tellement bizarre de t’imaginer là-bas ! Mais t’as raison, je… désolé. Promet-moi juste que tu fais attention, et que tu ne prends pas trop de risques… »

Puis, sans prévenir, la jeune femme renvoya le sujet « Coleen » à la figure d’un Peter des plus surpris. Prim, ou comment changer de conversation pour retourner toute l’attention sur son interlocuteur. Et même si Pete n’aimait pas particulièrement parler de lui… dans ce cas précis il ne savait plus exactement ce qu’il préférait. Dans tous les cas, il lui fallait un moyen d’éviter de penser à Prim en petite tenue, alors toutes les occasions étaient bonnes. « Que s’est-il passé pour que tu n’aies plus personne à attendre ? Tu as rompu avec ta copine ? » Précipitamment, l’irlandais s’exclama : « Non ! » avant de se reprendre en levant les yeux vers sa voisine. « Si… Enfin, j’en sais rien… Disons que… on a décidé de faire une pause. » Telle était la véritable raison expliquant l’absence de Coleen chez lui. A cause de sa foutue jalousie, il avait tout gâché et l’avait poussée à partir. Devinant visiblement son malaise, Prim lui proposa gentiment de l’écouter. Le jeune homme commença par laisser échapper un petit rire amer. Peu habitué à étaler sa vie devant qui que ce soit, il se laissa tout de même tenter, certainement parce qu’il en avait grandement besoin et qu’il savait que Prim était quelqu’un de confiance. « Elle ne me manque pas autant que je l’aurai imaginé… c’est bizarre. Je… en fait, il y a cette fille, Mia… Elle est… » Incapable de mettre des mots sur ce qu’il voulait exprimer, Peter se contenta de soupirer longuement. « Je crois pas que ce soit intéressant tu sais… C’est tellement compliqué ! Je… je sais plus vraiment où j’en suis là… »