La famille Sullivan comptait trois enfants. Aaron, l’ainé, puis les jumelles, Aloysia et Tamsin. La famille Sullivan n’a jamais vraiment rien eu de la famille aimante, parfaite, solidaire. Il a longtemps été question de passions forcées, de conflits entre les parents, conflits entre les frère et sœurs, d’un père qui privilégiait toujours l’un de ses enfants plus que les autres. Cela a fait que pendant un long moment, les différents membres de la famille avaient du mal à être vraiment proches. Bien sûr, au fil du temps, les gens changent. Aloysia et Aaron se sont rapprochés, Tamsin et Aloysia ont fait de même – ce qui pouvait sembler logique pour des jumelles. Le fait est que ce processus a été assez long. Pour que les jumelles agissent comme toutes les jumelles à la relation fusionnelle que l’on a l’habitude de voir. Elles ne se comprenaient pas vraiment au début, ne partageaient pas les mêmes centres d’intérêt, ne se ressemblaient même pas physiquement. Mais aujourd’hui toutes leurs différences ont perdu toute l’importance que les deux jeunes filles semblaient y porter. Aujourd’hui, elles sont les deux sœurs à la relation fusionnelle et qui ne peuvent passer plus d’une journée sans se parler ou se voir. Par contre, il reste une petite ombre au tableau. Enfin, petite… Non en fait, c’est une grosse tâche qui gâche le tableau familial. Parce que même les relations entre les parents se sont quelques peu arrangées aussi. Mais il reste un problème : Si la brune s’entend parfaitement avec son grand frère, ce n’est pas le cas de la blonde. Aaron et Tamsin ne sont pas adressés un seul mot depuis pas moins de huit ans. Huit long années où ils n’ont jamais été capable de se dire autre chose que des banalités ; et encore même ceci leur a toujours demandé beaucoup d’efforts.

A l’origine de cette querelle – querelle n’étant pas encore le bon mot pour qualifier ce qui se passait entre le frère et sa sœur – une relation père/fille prenant un peu trop d’importance, et un sentiment de jalousie mais surtout d’injustice de la père des deux autres enfants. Tamsin avait toujours été très proche de son père, et avait toujours passé énormément de temps avec Andrew durant son enfance et son adolescence. Elle avait mis du temps à le reconnaitre mais elle l’acceptait volontiers aujourd’hui : son père la faisait toujours passer au-dessus de tout, avant son frère et sa sœur, et cela ne lui avait jamais posé de problème. Elle pensait naïvement qu’il avait énormément de temps libre en dehors de son boulot – ce qui n’était pas vrai étant donné qu’il était médecin – et qu’il le partageait équitablement entre ses trois enfants. Mais une discussion qu’elle eut avec Aaron avait bien vite chassé cette idée de son esprit. C’était suite à cette conversation que la guerre avait été déclarée, d’ailleurs. Aaron avait eu des mots blessants, elle était allée jusqu’à pleurer. Là, elle avait décidé de ne plus jamais lui adresser la parole et n’était pas disposée à faire le premier pas vers la réconciliation. Elle pensait surement à tort que si elle faisait celle qui rampait vers lui, cela voudrait dire que les paroles n’avaient pas eu d’impact sur elle. Or, elle en avait énormément souffert. Il avait quand même insinué qu’elle n’était pas une vraie Sullivan ! Il était allé beaucoup trop loin, et c’était à lui de s’excuser. Seulement, en l’espace de huit ans, la demoiselle a eu le temps de réfléchir à tout ça. Et sa position a changé.

Tamsin trouvait la situation de plus en plus alarmante. Ils faisaient partie de la même famille ! Elle ne pouvait pas croire qu’une famille pouvait être divisée à ce point, et que les problèmes ne pouvaient pas être réglés en peu de temps. Cela faisait quand même huit ans ! Presque une décennie. Les deux avaient changés, elle en était sure, et les deux étaient des adultes à présent. Ils devaient bien être capables de se parler en face, de se poser et d’essayer de régler leurs problèmes de manière raisonnable. Elle ne savait pas pourquoi elle avait tant attendu, ni pourquoi Aaron avait tant attendu lui aussi. Peut-être était-ce de l’indifférence de la part du jeune homme et qu’il la haïssait réellement, ou pire, était toujours convaincu qu’elle n’était pas une Sullivan et qu’elle ne valait pas la peine de faire des efforts ? Ou peut-être était-ce de la fierté ? La jeune femme n’en savait rien et n’avait peut-être pas envie de savoir au fond. Elle voulait juste que les choses s’arrangent. Puis elle avait promis à Aloysia qu’elle irait voir leur ainé pour lui parler. C’est pourquoi elle se trouvait à présent devant la porte de l’appartement que partageaient Aaron et Aloysia, attendant qu’on lui ouvre. Et pour une fois ce n’était pas sa sœur qu’elle venait voir. Elle était quand même un peu nerveuse, et avait peur de la réaction de son frère quand il la verrait. La porte s’ouvrit enfin, les battements de son cœur s’accélérèrent. Tamsin les sentit s’arrêter lorsqu’elle laissa apparaitre un Aaron surpris et mécontent. Son regard ne laissait rien transparaitre. Il lui parla d’un ton sec et bref, souhaitant l’expédier le plus rapidement possible. Elle le savait, ça s’annonçait plutôt difficile. Lorsqu’il voulut lui fermer la porte au nez, elle fit un pas en avant, puis posa la main dessus, la retenant de les séparer. « Ce n’est pas Aloysia que je viens voir. » Elle fit un pas de plus en avant, entrant dans l’appartement, forçant son frère à reculer. Elle ne le lâcherait pas si facilement, elle était déterminée. « C’est toi. Et je crois bien qu’on a des choses à se dire. Beaucoup de choses à se dire. Ça fait huit ans, Aaron. » finit-elle par dire en le regardant bien droit dans les yeux, l’air déterminé.