« Mademoiselle Johanson, j’espère que vous n’avez pas oublié que votre projet d’art moderne doit être remis demain ! » Je la regarde, acquiesce légèrement de la tête. Oui, oui, oui, ça doit faire des douzaines de fois qu’elle me le rappelle, et seulement aujourd’hui ! Je la vois me toiser, ma professeure de sculpture, je vois bien qu’elle me juge. Qu’elle juge mes cheveux en bataille, ma chemise longue, mes pantalons noirs collés à ma peau, mes ongles rongés, mes yeux peinturés de noir, mes vieux souliers. Elle me juge, ne m’aime pas. Eh bien, ça tombe parfaitement bien car je ne l’aime pas non plus. Sans un mot de plus, je quitte la pièce et traverse les couloirs de l’école rapidement. Je veux sortir d’ici, j’ai besoin d’air. Ce projet d’art moderne, je ne l’ai même pas commencé. Et il compte pour beaucoup. Oh, je n’ai qu’à ramasser une canette de Pepsi vide, écrasée et sale, et ça comptera pour de l’art. Cette vieille peau est si pointilleuse, mais tant que tu as une bonne justification, elle l’acceptera. Je sors dehors rapidement, inspirant l’air frais. Il fait assez froid, mais pas assez pour que je grelotte. La nuit pointe le bout de son nez ; dans moins d’une heure, ce sera le coucher de soleil. Je saute dans le premier bus qui me mène au Brooklyn Waterfront, l’endroit idéal pour regarder le soleil décliner.

C’est magnifique. Tout simplement magnifique. Je n’ai jamais été une fille très philosophique, à regarder le paysage et tout le reste, mais n’importe qui serait d’accord avec moi. Je pense à ce que je ferai cette nuit. Je ne suis pas d’humeur à aller faire la fête comme je le fais toujours. Vraiment pas d’humeur. J’ai simplement le goût de… oh, je ne sais plus trop ce dont j’ai envie. Je m’installe confortablement sur la barrière, m’allume une cigarette et observe les alentours. Touristes, couples, familles, ils passent sans observer, ils voient sans regarder. Ça en est presque triste. Je me relève, décide de faire un tour sur la Promenade. J’entre dans un magasin, observe ce qu’ils ont à vendre. Qu’est-ce que je fais ici ? Ce n’est certes pas des habitudes d’errer comme cela, sans but et sans objectif. J’aperçois un porte-clé avec la Statue de la Liberté. Un ricanement s’échappe de mes lèvres. Ça me rappelle quelques souvenirs d’une certaine soirée.

Je continue à marcher, comme cela, avant de retourner devant la superbe vue du coucher de soleil. Je m’assoies sur un banc déjà occupée par un homme. Je lui jette un regard. Cheveux mi-longs, d’un brun doux, barbe de tous les jours, yeux sombres. Séduisant, extrêmement charismatique. Je ne sais pas trop ce qu’il fait, je crois qu’il observe le coucher de soleil tout comme moi. Pour une certaine raison, il m’inspire confiance, quelque chose de particulier émane de lui. Quelque chose de réconfortant. J’écrase ma cigarette par terre, gardant mon regard sur le paysage. Je commence à fredonner, une vieille chanson que j’ai entendue il y a longtemps. J’ai le goût d’engager la conversation, mais j’ignore quoi dire. Sans doute vais-je paraître étrange à ses yeux ; mais bon, ça ne serait pas la première fois. Un sourire étire mes lèvres, je passe ma main dans mes cheveux et j’aperçois l’appareil photo qu’il tient entre ses doigts. Hum. Je m’étire, lui prends des mains, je ne l’entends pas réagir. Il est déjà ouvert et tout de suite, je le prends en photo. Oui, je passerai certainement pour une folle, mais j’avais envie de l’essayer. Moi et mon impulsivité.« Joli » est tout ce que je dis.

« Prends ces photos et fait pas d'chichi ! Regarde les et tu me diras ce que tu en pense, j'suis sûr que dans tout ça tu trouveras ton bonheur. Qui plus es, ça peut faire des super modèles ! » J'hausse les épaules et attrape le dit dossier entre les mains de mon collège. Un simple photographe que je connais depuis quelque mois. Marc, un truc comme ça. Un petit français qui rêve de faire carrière aux U.S.A. Quoi qu'il en soit, il me bassin depuis une demi heure à vouloir que je regarde ses dossiers. Une pochette pleine de photos de filles qu'il aurait prit en photo. Selon lui, je peux trouver mon bonheur là dedans et avoir enfin un modèle pour présenter à d'autres photographes. D'une main, je tiens ma cigarette qui est entrain de se décimer entre mes mains. De l'autre je tiens le dossier, pas spécialement emballé. « M'ouais, je vais voir ça. Mais, c'est bien parce que c'est toi. » Il sourit, presque fier avant de me donner une simple tape amicale sur l'épaule. A mon tour, je tourne les talons et décide de sortir de sa petite boîte. Dehors, le temps est .. calme. Très calme, il fait presque beau, il fait pas trop tard et à vrai dire je n'ai aucune idée de quoi faire pendant tout ce temps. Allons-y Allonso, tout au felling ! Je laisse tomber ma clope au sol avant de l'écraser de mon pied. Le document entre mes mains, c'est tout en marchant que je le feuillette. D'assez belles photos, je dois l'avouer. La première se nomme Katarina Adamovitch, surement une russe. Cheveux blonds platines, des yeux bleus très claire .. Plutôt pas mal. Mais, on va dire que j'ai jamais été fan des blondes aux énormes seins - c'est que ça que l'on voit sur la photo, de mon point de vue. Je tire une grimace avant de passer à la prochaine. Marina Da Silva, espagnole. Teint bronzé, les cheveux bruns de la même couleur que ses yeux. Assez jolie cette Marina je dois l'avouer, mais je ne sais pas, elle a un truc que j'aime pas. Peut être ses deux petits yeux de rats, ouais je pense que c'est ça ! La prochaine, encore une, puis de nouveau une. Je ne trouve pas mon bonheur. Je suis un pur perfectionniste et là, rien du tout. Je soupire presque désespéré. Je vais encore en faire une, si c'est pas la bonne, je vais pas me casser la tête à continuer plus loin. Antigone Zéphyr Johanson, irlandaise. Celle là, des yeux bleus à s'en perdre dedans, une chevelure brune ni trop foncée, ni trop claire. Un corps juste bien proportionné et ce petit air malicieux, provocateur sur le visage qu'elle a. C'est bon, merci Marc j'ai trouvé mon modèle ! Y'a un léger soucis par contre. Je n'ai aucun renseignement et me faudrait le numéro de téléphone de la jeune femme, pour la contacter et essayer de voir si elle veut bien faire mon modèle.

Un simple haussement d'épaules et je referme le dossier, j'ai mon appareil accroché à une sangle. Donc celle ci de posée sur mon épaule et mon appareil qui pendouille gentiment dans les airs - non je ne suis pas un inconscient, du tout. Je suis arrivé prêt d'un pont, je sais pas depuis combien de temps je marche mais ce que je sais, c'est qu'il y a un superbe coucher de soleil. Un sourire se dessine sur mon visage, mes yeux rivés sur ce coucher de soleil. Magnifique. Je pousse un faible soupire de bien être avant de me laisser assoir sur un banc. Les bras posés sur le dossier du banc, je regarde les gens passer. Des enfants, des couples, des personnes comme d'autres. C'est assez sympathique comme tableau. Je pose le document à côté de moi, j'attrape mon appareil photo entre mes doigts et immortalise ce moment. Il est simple que ce l'on voit c'est les jambes des personnes qui marchent et le coucher de soleil en fond. Rien de très concret, et à tout dire je ne l'ai jamais été. En aucun cas, certainement pas. Je ne fait pas attention à mon entourage, je suis juste dans mon petit monde à moi. Ma bulle oui.Sauf que tout à coup, je me retrouve sans plus rien dans la main, j'entends juste le bruit de mon appareil et un simple commentaire. « Joli » Une femme, une adolescente, une enfant, je n'en sais rien. Mais, ça sonne féminin. J'ai pas spécialement peur que l'on me pique à l'appareil, puis à la limite c'est pas le matos complet, donc ! Un rire sort vivement de mes lèvres et les yeux levés au ciel, je ne la regarde pas encore. « Joli ? » Je marque une vague pause et me pointe du doigt, pivotant simplement histoire d'avoir mon regard posé sur elle - je reste polie, surtout face à une jeune femme ! Gentleman ? Oui, sur les bords ! « L'appareil ou l'inconnu que tu viens de prendre en photo ? » Dans le genre "j'abordelesgens" je dois bien avouer que la jeune femme c'est bien débrouillée. « Non, enfin j'te pose cette question, juste pour éviter la confusion et pas me faire de fausses illusions ! »