L'anonymat de certaines victimes atténue toujours la culpabilité. by Madeleine Ouellette-Michalska

La pluie brisait le silence presque trop intense de l’instant. Chaque bruit était couvert par le grondement de l’averse sur le goudron. Les fars de la voiture éclairaient chaque petite goutte d’eau jusqu’à ce qu’elle s’écrase sur le sol. Le temps semblait en suspens. Il l’était d’une certaine manière pour les deux jeunes hommes, et d’une autre pour la jeune fille blonde allongée au sol, inanimée. Sohan restait silencieux, inexpressif, comme si rien de tout cela ne le touchait.. Comme s’il était trop détaché de tout.. et observait avec sérieux son complice, espérant le voir reprendre possession de lui-même.


- FLASH BACK -


Comme à chaque occasion qui se présentait, Sohan s’était apprêté et avait planifié sa soirée. Une ou deux personnes, deux ou trois rails de coke, trois ou quatre verres, cinq ou six paquets de cigarettes. Halloween n’avait rien de spécial pour lui, si ce n’était une soirée destinée à réaliser les fantasmes. Autant dire qu’il y avait le choix : Ramener une succube chez soi, draguer le beau Mr Adams, danser avec la sorcière sexy branchée SM, ou se laisser séduire par un ténébreux démon. Il y en avait définitivement pour tous les goûts. Sohan, lui, avait opté pour le look neo-vampire : Un pantalon en cuir, un t-shirt noir, sans manches, à larges mailles – ne cachant donc absolument pas son torse, et de multiples chaînes et bagues ornant son cou, ses poignets et ses doigts. Aucune trace de maquillage, quoique ses yeux furent peut-être légèrement cernés de noir. Les pupilles dilatées, certainement à cause de la prise de cocaïne, intensifiaient incroyablement son regard et lui donnaient cet aspect vampirique tant voulu. Etonnant, d’ailleurs, qu’il se soit prit au jeu du déguisement. Certainement voulait-il savoir jusqu’à quel point le fantasme du vampire existait-il.. Cela lui aurait suffit, juste par curiosité.
La soirée s’était agréablement passée, entre plusieurs verres, plusieurs danses, plusieurs allés-retours dans les backrooms avec ses victimes au sang frais. Sa tête, pendant un long moment, avait bouillonné d’une euphorie qu’il connaissait bien. Il connaissait ses phases.. surtout après le petit cocktail que lui avait préparé son dealer. Car non, la cocaïne n’avait pas été la seule substance qu’ils avaient prit Kostos et lui. La Stardust n’avait servi qu’au début de soirée. Mais ledit mélange, lui, avait été absorbé en milieu de soirée par les deux jeunes hommes.. et chacun avait alors connu des instants d’allegresse absolue dont ils ne garderaient que des vestiges, le lendemain matin.
Et ils étaient finalement sortis, le sourire aux lèvres. Sohan, la veste en cuir sur les épaules, avait remarqué une voiture, un peu plus loin, dont la portière semblait ouverte. Voiture sûrement très, très coûteuse, à en voir le modèle. Instantanément, Sohan s’était retourné vers Kostos et l’avait fixé de ses yeux brillants et malicieux, comme si la plus merveilleuse idée du monde venait de lui traverser l’esprit. Doucement, son regard s’était estompé et un air plus sérieux, plus narquois, plus espiègle prit place sur son visage. Sohan, bien que se doutant que Kostos était prêt à tout, lui adressa ce genre de regard qui disait « tu n’as pas le droit de refuser ». Il avait dirigé ses yeux sur la voiture, puis avait à nouveau regardé Kostos, plein de malice. Tout en allumant une cigarette, il s’était dirigé vers la voiture et en un instant, se retrouvait à l’intérieur du coté passager. Une ou deux secondes après, les fars de la voiture étaient allumés et Sohan baissa la vitre du coté conducteur en se penchant, juste assez pour apercevoir le brun.

- ça te dirait une petite ballade, babe ?

Il n’y avait pas de clés de contact. Le blond avait manifestement trafiqué quelque chose dans la voiture.


- FIN DU FLASH BACK -


Il tardait trop à se reprendre. Sohan avait préféré ne plus attendre et avait saisit Kostos par le bras pour l’éloigner. Une résistance. Kostos restait là, abruti par la vision qui s’offrait à lui. La pluie continuait de s’abattre impitoyablement sur le corps de la jeune inconnue. Sohan regarda un instant autour de lui, s’assurant que personne ne les ais vu, puis reposa son regard sur le brun qui s’approchait de la victime. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre que le pauvre être sensible qu’il était avait besoin de voir le visage de celle qu’il avait tué. Sohan fronça les sourcils un instant, lui souffla un "Tu ne devrais pas.. " désinvolte, qu’il ne sembla pas entendre. Il allait se rendre malade s’il la regardait. Observer ce genre de situation en face était la meilleure façon de se laisser hanter par les remords et la culpabilité, de telle façon qu’il n’y ait jamais plus aucune échappatoire. Observer la mort en face.. était déjà douloureux. Observer la mort que l’on a soit même causé.. se comparait à un véritable gouffre sans fond. Et Kostos, s’y jetait sans réfléchir. A peine avait-il écarté les cheveux de la blonde.. à peine les larmes avait-elles commencé à couler sur ses joues que Sohan s’était rapproché de lui et avait fermement saisit son bras en soufflant un "ne la touche pas" glacial.

- Oublie-la. Elle est morte. Il n’y a rien à faire.

Son ton était froid, détaché, impitoyable comme l’orage qui se préparait au dessus de leurs têtes. Il était trop peu approprié à la situation. Et sa main, insistante, montrait trop peu de compassion. Mais il n’y avait pas de temps pour la compassion, comme il n’y avait pas de temps pour les larmes, ni les lamentations, ni la culpabilité. L’important, à présent, était de s’en sortir.. ce qui était toujours possible. Il n’y avait ni de temps pour la faiblesse ni pour la sensibilité. Pas de temps pour les sentiments. Ceux-ci étaient, comme toujours, les facteurs des pires complications..

L’orage grondait impitoyablement au dessus de leurs têtes. Sohan avait reprit le volant, jugeant préférable d’emmener le jeune homme le plus loin possible du corps, de cette rue, de ce quartier. Il restait, lui, toujours aussi inexpressif quoiqu’il eut peut-être froncé les sourcils plus qu’à l’accoutumée.. peut-être à cause de la gravité de la situation, peut-être en signe de concentration, peut-être réfléchissant à une solution ? En réalité, il éprouvait ce sentiment qu’il haïssait presque autant que l’affection. Ce sentiment qui rendait tout aussi faible que les personne pour qui on l’éprouvait : la compassion.


- FLASH BACK –


Il avait laissé le jeune homme le repousser sur la place du passager. Il n’avait de toute manière pas eut un seul instant l’intention de conduire, ses prises de drogues diverses ayant trop assimilé son esprit. Elles avaient été trop nombreuses, trop fréquentes, trop peu espacées dans la soirée. Il n’avait de cesses de jouer avec le feu, de se mettre en danger tout en assurant savoir ce qu’il faisait. Certains le considéraient fou, d’autres l’imaginaient masochiste ou secrètement suicidaire, et d’autres encore le voyaient simplement accro, à un point de non-retour.
Ainsi, le sourire aux lèvres, il s’était décalé et, tout en tirant longuement sur sa cigarette qu’il avait récupéré, avait jeté un regard complice, envoûtant, malicieux à son beau camarade d’illégalité.
Puis pour le jeu, pour le fun, rien que pour l’embêter, Sohan avait glissé sa main sur la nuque du gladiateur et avait déposé un baiser chaud et presque érotique dans son cou, finissant par l’y mordre légèrement. Il effleura la peau du jeune homme du bout de sa langue et s’approcha doucement de son oreille, un petit sourire vraiment pervers aux lèvres.

- tu fais vraiment gay habillé comme ça. On dirait un de ces mecs du club SM en bas de chez moi..

Le vampire lui jeta ce regard difficilement définissable, à la fois séducteur comme celui qu’il adressait à ses proies, et à la fois narquois comme sachant pertinemment qu’il n’y avait rien à obtenir de Kostos mais s’en amusant malgré tout. C’était le problème avec Sohan : Il n’arrêtait jamais de jouer. Tout n’était qu’un jeu. Une vaste scène de théâtre. C’était sa façon d’aborder et de considérer cette ironique existence qu’était la leur, et dont peu de gens parvenaient à saisir l’idée.
Ils démarrèrent et traversèrent des rues, des avenues entières sans ne pouvoir dire lesquelles. « Mets de la musique à réveiller les morts man! » Sohan n’avait pas réagit. Il ne l’avait probablement même pas écouté. Il avait fixé la route, juste devant li, toute trace d’amusement ayant disparu. Il savait ce qu’il se passerait, dans moins de cinq secondes. Il s’avait qu’il n’y avait rien à faire, qu’ils allaient trop vite et étaient trop défoncés l’un comme l’autre. Et il savait que même s’ils n’avaient rien pris, la pluie qui s’était peu à peu intensifiée et transformée en averse aurait tout de même eut raison de la voiture et aurait été un facteur décisif dans ce qui allait se dérouler sous leurs yeux. Tout cela avaient été des pensées qui avaient traversé son esprit en une fraction de seconde. Non pas des pensées, d’ailleurs, mais plutôt un ressenti soudain, comme si cette fraction de seconde lui avait permis de tout comprendre, instantanément.
Il eut à peine le temps de prononcer le nom de son camarade, par simple réflexe. Les cinq secondes étaient passées. Tout avait semblé marcher au ralenti : Ils avaient vu la silhouette de la jeune femme, puis son regard s’était posé sur le conducteur, sur Kostos, sans même avoir le temps d’exprimer quoique ce soit.. puis plus rien. Le vide. Les lumières des lampadaires. La pluie qui continuait de s’abattre sur le pare-brise comme si de rien n’était. Un silence s’installa, troublant, déstabilisant. Ce silence qui laissait le temps à chacun de comprendre ce qui s’était passé.


- FIN DU FLASH BACK –


La compassion. Un sentiment qu’il avait trop rarement connu, qu’il s’agisse de la sienne à l’égard des autres, ou de l’inverse. Kostos était presque tremblant, dévasté par ce qu’il avait fait. Sohan l’observait du coin de l’œil ou dans le reflet de la glace qui se trouvait devant le jeune homme, restant toutefois attentif à sa conduite. Et il le regardait, restant silencieux. Kostos avait les traits tendus, le regard perdu ; perdu entre devoir réaliser, devoir assumer, ne pas en être capable.
Sohan s’arrêta sur le bord d’une route, auprès des docks. Il y avait environ 95% de chances pour que l’un des gangs la récupèrent. Ils s’occuperaient eux-mêmes de changer la plaque et d’en modifier la carrosserie. C’était encore la meilleure solution pour faire disparaître une voiture. Sohan sortit de cette dernière, se retrouvant sous la pluie battante, et ouvrit la porte du coté du brun oour l’en sortir lui aussi. Il le tint en face de lui, l’observa droit dans les yeux et lui assena certainement la toute première gifle que le jeune homme ait jamais reçu de sa part, puis le tint par les épaules, à nouveau.

- Arrête de faire le gosse. Tu pense vraiment pouvoir te le permettre, là ? Bouge-toi, bordel ! C’est pas comme si t’avais le choix. Tu dois l’oublier, t’as pas d’autre alternative…. Ou tu ne t’en sortiras jamais.

Le pire dans tout cela, c’état que Kostos était encore défoncé, même s’il était conscient de ce qu’il se passait. Mais le lendemain matin.. Il ne pourrait plus se supporter, s’en rendrait malade. Il se haïrait et se torturerait jusqu’à épuisement. Cela parce qu’il ne réalisait pas à quel point il aurait mal, à quel point il serait hanté par ce qu’il avait fait. Il avait fallu qu’il voit son visage.. Abruti. Il ne comprenais pas à quel point il était primordial qu’il reprenne possession de lui-même, là, maintenant, qu’il accepte d’oublier, de passer au delà. Même si ce n’était pas mince affaire..