Un week-end ennuyeux touchait à sa fin. L’approche de l’automne commençait à se faire ressentir, les touristes quittaient peu à peu la grosse pomme, les soirées étaient plus fraîches et les rayons du soleil n’apportaient plus la même chaleur que pendant l’été. L’air était moins étouffant et donc plus respirable. Les new-yorkais reprenaient enfin possession de leur ville et leur routine par la même occasion. Fini les vacances, bonjour la rentrée. Tandis que les adultes avaient repris le chemin de leurs bureaux, les enfants étaient retournés à l’école. La plupart en étaient ravis mais d’autres beaucoup moins.

Kate elle, n’avait pas pris de vacances. Elle était en train de monter son entreprise et ne pouvait pas se le permettre. De toute façon, les vacances, ce n’était pas trop son truc. Pendant les cinq années qu’elle avait vécues sur une île paradisiaque, elle avait eu la chance de pouvoir profiter de tous les avantages que cela impliquait. Après une journée de cours ou de travail, elle n’avait qu’à traverser la rue pour se retrouver à la plage. Elle pouvait lire des dossiers au bord de sa piscine ou louer un bateau pour le week-end et s'amarrer au pied d’une falaise dans une crique inaccessible à pieds, nager dans une eau turquoise, faire de la plongée sous-marine bref, tout ce qu’on fait habituellement lorsqu’on a la chance de partir à destination d’un endroit magique comme cette île.
Puisqu’elle pouvait faire tout cela en un week-end seulement, la jeune femme n’avait pas ressenti le besoin de prendre de véritables vacances.
Dans une ville comme New York, elle en ressentirait tôt ou tard le besoin mais pour l’instant elle se concentrait sur sa carrière.

Ce week-end était le premier depuis des mois qu’elle avait passé seule. Elle n’était même pas sortie de chez elle. Le seul moment où elle avait pris l’air c’est lorsqu’elle avait lu quelques chapitres d’un roman policier sur la terrasse du salon pendant que le parquet séchait après un coup de serpillière. En effet, la jeune femme avait consacré son samedi matin au grand ménage hebdomadaire. Elle n’avait pas eu d’autre choix que de prendre cette habitude. Exit la femme de ménage.
En ce dimanche soir, elle n’avait plus rien à faire. Les courses étaient faites, le linge repassé et rangé, l’appartement impeccable et le travail qu’elle avait ramené du bureau était terminé. Si son chien avait été là, elle serait partie le promener mais une de ses amies qui craquait complètement devant l’animal l’avait supplié de la laisser l’emmener avec elle pendant les trois jours qu’elle passait chez ses parents. Ils avaient une grande propriété dans le New Jersey et Kate n’avait pas mis longtemps avant de céder à la demande.

Puisqu’il n’y avait pas besoin d’avoir un chien pour aller faire une promenade, la brune se décida à descendre. Elle n’avait pas d’itinéraire précis et marchait simplement dans le village.
Une heure plus tard, sur le chemin du retour, lorsqu’elle était à environ un kilomètre de chez elle, elle sentit une goutte de pluie lui tomber sur la main. Elle leva les yeux vers le ciel et remarqua que les gros nuages gris qu’elle avait aperçus au loin au début de sa balade étaient à présent au dessus de sa tête. Elle se remit en chemin et pressa le pas en espérant ne pas se faire surprendre par une averse mais c’était trop tard. En quelques minutes, les quelques gouttes s’étaient transformées en trombes d’eau.
Kate était déjà trempée et le temps qu’elle se retrouve devant chez elle, elle serait si ruisselante qu’elle donnerait l’impression d’avoir pris une douche toute habillée. A mi-parcours elle était dans la rue de Logan.

Logan était un homme qu’elle avait rencontré dans un magasin de pianos deux semaines plus tôt. Alors qu’elle venait demander les services d’un accordeur pour son propre piano, elle avait attendu que le gérant termine avec un client en jouant quelques notes à un modèle en exposition. Logan avait engagé la conversation et depuis, ils étaient devenus amis. C’était la première fois que Kate se liait si vite d’amitié avec quelqu’un. Mais le professeur de théâtre avait su se montrer drôle et de très agréable compagnie. Il ne posait pas de questions trop personnelles et la jeune femme n’en posait pas non plus. Elle avait juste le sentiment qu’ils étaient sur la même longueur d’onde. Ca relevait presque de l’alchimie.
Puisque Logan lui avait donné son adresse et lui avait dit qu’elle pouvait passer quand elle voulait, elle se dit que pour cette fois elle allait le prendre au pied de la lettre. S’il était chez lui et qu’il n’avait rien de prévu, il accepterait sans doute de l’abriter le temps que l’averse passe.

Alors qu’elle arrivait devant le bâtiment, un de ses habitants y rentrait justement. Kate en profita pour se glisser derrière lui et après avoir cherché sur les boîtes aux lettres le nom de Graham ainsi que l’étage et le numéro de l’appartement, elle monta les escaliers. Même en courant, elle avait froid. Son jean et son tee-shirt en coton lui collaient à la peau. Parcourue d’un frisson, elle toqua à la porte de l’appartement et attendit avec impatience que Logan lui ouvre.

L’averse qui prenait de l’ampleur était l’une des premières du mois de septembre. Kate n’avait donc vraiment pas eu de chance. La seule fois du week-end où elle mettait le nez dehors, il fallait que la météo fasse des siennes. Quand elle habitait sur une île tropicale, elle avait l’habitude de ce genre de changement brutal. Parfois, il pouvait y avoir un ciel bleu qui virait en quelques minutes à l’orage. Du coup, les insulaires finissaient pas s’y faire. Lors de la saison des pluies, la plupart d’entre eux sortait avec un parapluie dans leur sac même si le temps était au beau fixe. En comparaison, les pluies de New York paraissaient faibles. Il n’empêche que devant la porte de Logan, Kate avait froid et se sentait comme un chien mouillé. Après avoir toqué, elle entendit une voix d’homme à travers la porte. Apparemment, Logan était en train de râler. Pourquoi et après quoi, la jeune femme n’en savait rien. Elle espérait que l’homme ne serait pas de mauvaise humeur et que sa visite ne tombait pas à un mauvais moment. Quelques secondes plus tard, il ouvrit la tête et la surprise se lut sur son visage. Soit il était étonné de la voir ici, soit il l’était de la voir dans cet état là. Ou peut-être les deux.

Kate eut une moitié de réponse quand il tourna la tête vers la baie vitrée contre laquelle frappait la pluie. De toute évidence, les nuages n’étaient pas près de se disperser. Sans que l’architecte ait eu besoin de dire quoi que ce soit, elle fut invitée à entrer. Elle ne fit qu’un pas à l’intérieur pour ne pas mouiller le plancher. Comme Logan était au téléphone, elle préféra le laisser terminer sa conversation. Mais oubliant son interlocuteur, il raccrocha tout simplement. Alors qu’il allait chercher une serviette, Kate posa son regard sur un des deux chatons qui luttait avec une chaussette comme s’il s’agissait d’une souris. Elle n’avait pas encore remarqué la présence du deuxième animal, probablement occupé à manger ses croquettes dans la cuisine. Elle n’avait jamais vraiment porté les chats dans son cœur. Pour elle, ces animaux n’étaient que des opportunistes qui ne pensaient qu’à dormir et à manger, voire à copuler lorsqu’ils n’étaient pas castrés. Contrairement aux chiens, ils n’avaient aucune notion de la fidélité puisqu’ils quittaient bien souvent leurs maîtres dès que la gamelle n’était plus remplie. Cependant, Kate ne repoussait pas un chat quand il venait vers elle pour réclamer un câlin et comme toute personne normale, les chatons l’attendrissaient quelque peu. Ce n’est pas pour autant qu’elle pourrait envisager d’avoir un chat, ça c’était hors de question. Son berger australien lui donnait assez d’affection et c’était le seul animal de compagnie qu’elle voulait.

L’homme revint avec la serviette tant attendue et la passa autour du cou de son invitée surprise. Il lui demanda ce qui lui était arrivé mais poursuivit directement en lui proposant des vêtements secs. Puisque ce n’était vraiment pas le moment pour la chef d’entreprise de tomber malade, elle hocha la tête et adressa un petit sourire à Logan. Elle lui fournit alors une explication sur son état:

- Je me promenais et j’ai été surprise par la pluie alors je suis venue me réfugier chez toi. Ca ne te dérange pas si je reste jusqu’à ce que l’averse soit finie?

S’il avait un rendez-vous à l’extérieur, elle comprendrait parfaitement qu’il veuille qu’elle reparte. C’était également le cas s’il attendait quelqu’un, comme une femme par exemple. Avec un physique comme le sien, Logan devait forcément attirer la gente féminine, surtout avec son charisme. On n’attrape pas des mouches avec du vinaigre…

Si ça ne tenait qu’à elle, Kate verrait ou téléphonerait à Logan tous les jours, rien que pour bavarder. Et d’ailleurs, depuis le peu de temps qu’ils se connaissaient, ils gardaient beaucoup contact. Il ne se passait pas quarante-huit heures sans qu’ils en aient. Cela allait d’un rendez-vous dans un café à mi-chemin entre leurs deux appartements au coup de téléphone, en passant par le sms et le mail. Après une dure journée de travail, la jeune femme appréciait d’échanger quelques mots avec une personne à laquelle il lui avait été très facile de s’attacher en tant qu’ami. Elle n’avait pas d’explication à cette alchimie et n’en cherchait pas vraiment. Elle se disait simplement que Logan devait avoir une bonne aura. Il était rassurant.
Il avait beau avoir dix ans de plus que l’architecte, cette dernière le trouvait tout aussi jeune qu’elle tant sa présence était rafraîchissante et agréable.
Pourtant, le mystère qui planait autour de lui aurait pu la rendre méfiante mais c’était tout le contraire puisque de son coté, elle ne se sentait pas obligée de parler d’elle non plus. Ils savaient donc qu’ils s’appréciaient l’un l’autre tels qu’ils étaient dans le présent et pas en fonction de ce qu’ils avaient pu faire dans le passé.

Kate suivit son généreux hôte jusque dans sa chambre après avoir retiré ses chaussures d’un coup de talon et avoir remonté son jean à ses genoux pour ne pas laisser une traînée humide derrière elle. Sagement, elle attendit que Logan lui choisisse des vêtements. En même temps que lui, elle tourna la tête en direction du miaulement. En voyant le soutien-gorge, la brune haussa les sourcils. Vu qu’il était peu probable que l’homme se travestisse à ses heures perdues, c’était forcément une vraie femme qui l’avait oublié là. C’est avec un sourire à peine refoulé qu’elle vit Logan effrayer le chaton pour qu’il lâche prise et qu’il s’enfuit. Elle savait qu’il était embarrassé, ce qui lui fut confirmé par la remarque qui suivit. Elle n’était pas prête d’oublier ce qu’elle venait de voir et dans quelques temps, elle pourrait même en rire avec lui. Loin d’être naïve, elle se doutait bien que Logan pouvait être un homme à femmes s’il le voulait alors pourquoi se priver?

Elle prit les vêtements qu’il lui tendit et le remercia. Ce n’est que maintenant qu’elle remarqua que lui aussi avait les cheveux humides, ce qui, mis en relation avec le fait qu’il était torse nu, indiquait qu’il venait de prendre une douche. Si la jeune femme était arrivée quelques minutes plus tôt, il lui aurait sans doute ouvert avec une simple serviette autour de la taille. Elle aurait du courir plus vite.
Alors qu’elle s’apprêtait à aller dans la salle de bains, Logan lui tendit sa ceinture. C’était l’accessoire indispensable pour maintenir le pantalon sur sa fine silhouette. Un autre sourire naquit sur son visage quand l’homme lui caressa la joue tout en lui annonçant un chocolat chaud. Il savait déjà qu’elle n’aimait pas le café.
Une fois dans la pièce, Kate se déshabilla et posa ses vêtements secs sur le rebord du lavabo, dans le mince espoir qu’ils sèchent un peu. Heureusement, la pluie n’avait pas été assez violente pour la mouiller complètement et ses sous-vêtements étaient encore secs.

Enfin dans des vêtements secs, elle se dirigea vers le salon-cuisine où l’attendait Logan. Elle observa la pièce et se dit que malgré les quelques affaires qui traînaient, l’appartement était douillet. Il n’était pas très grand et son duplex avait une surface environ deux fois supérieure mais il y avait un certain charme entre ses quatre murs. L’appartement était à l’image de son propriétaire, rassurant. On avait l’impression qu’il suffisait de s’enfoncer confortablement dans le canapé pour se sentir en sécurité.
Le canapé allait attendre; pour le moment l’heure était au chocolat. Tandis que le micro-onde ronronnait aussi fort que le chaton qui avait suivit la nouvelle arrivante et qui se frottait maintenant contre ses jambes, la jeune femme fit une remarque sur le soutien-gorge:

- Ne t’en fais pas, si ta copine revient, je me cacherais dans ton placard.

L’amant caché dans le placard était l’image classique de la femme qui trompe son mari alors elle pouvait bien s’appliquer quand il s’agissait de la maîtresse, du mari et de sa femme. Sauf que Kate n’était pas la maîtresse de Logan. Mais si sa petite amie débarquait et qu’elle voyait une autre femme dans les vêtements du beau brun, elle serait en droit de se poser quelques questions.

Même si cela faisait sept mois que Kate avait quitté l’île et Mark avec, elle ne se sentait pas prête à se lancer dans une vraie relation. La rupture l’avait faite souffrir et les dernières paroles de son ex également. Dans l’état actuel des choses, elle se disait qu’elle aurait préféré qu’il reste à des milliers de kilomètres d’elle, en plein Pacifique. Ce qu’elle ressentait pour lui était très ambigu, même elle ne pourrait pas le décrire. D’un coté, il avait été le seul homme dont elle ait été amoureuse, elle avait envisagé un avenir avec lui et encore aujourd’hui elle était convaincue qu’aucun autre homme ne pourrait lui faire ressentir ce qu’elle avait ressenti pour lui. Mais d’un autre coté, il avait réduit à néant toute l’estime et tout l’amour qui lui restait en lui disant qu’au fond, la période où il avait été en couple avec lui correspondait à une période où il ne savait plus ce qu’il faisait et qu’au final, il n’avait fait que transférer l’amour qu’il avait pour son ex sur elle. Son ex, c’était Brooke. Brooke Parker avait été la meilleure amie de Kate pendant près de cinq ans. Lorsque Mark avait appris qu’elle lui avait caché qu’il était père pendant quatre années, il avait été furieux et s’il était réellement amoureux de la mère de sa fille, il cachait drôlement bien son jeu.

L’histoire était compliquée et la jeune Evans s’efforçait de faire un trait sur tout ça. Il fallait qu’elle aille de l’avant, elle le savait. Mais pour le moment, elle préférait faire du sur place, c’était toujours mieux que de reculer, reculer en aillant des regrets et en se disant que ses plus belles années étaient derrière elle. Kate était de nature optimiste et elle n’avait pas ce genre de pensées. Elle était certaine qu’elle poursuivrait une belle carrière, qu’une fois remise de sa dernière relation elle trouverait un homme avec qui elle serait heureuse.

Depuis qu’elle était à New York, elle était sortie avec trois hommes mais jamais dans l’optique de se poser. Ca ne durait jamais plus d’un mois. C’était juste histoire pour se passer des moments sympas, notamment au lit. Alors Logan pouvait bien enchaîner coup d’un soir sur coup d’un soir, ce n’est pas elle qui allait le juger. S’il n’avait pas envie de se lancer dans une relation stable avec une femme, il n’y avait pas de raison qu’il ne s’amuse pas en jouant au tombeur. De toute manière, elle ne se considérait pas comme l’une de ses conquêtes potentielles et sa vie sexuelle ne la regardait pas.

Le chaton qui était monté sur l’homme était redescendu avant que Kate n’arrive. Celle-ci comprit que le sourire de Logan était provoqué par les vêtements trop grands pour elle. Certes elle y flottait, néanmoins elle s’y sentait bien. S’il n’y avait aucun code vestimentaire, elle irait volontiers travailler avec du XXL. C’était tellement plus agréable à porter.

Elle eut un énième sourire quand son ami lui avoua qu’elle était ravissante dans cet accoutrement. Ce n’était pas l’impression qu’elle avait mais si lui le disait, ça devait sans doute avoir une part de vérité. Les chocolats furent près et Logan les attrapa d’une main, de l’autre il amena Kate jusqu’au canapé où ils s’assirent tous les deux. Quand elle eut son mug , la jeune femme en fit le tour avec ses mains pour les réchauffer au contact de la céramique chaude.

- Non merci, je n’ai pas faim.

Kate aimait les viennoiseries mais elle n’était pas gourmande. Alors généralement si elle n’avait pas faim, elle ne mangeait pas. Il fallait vraiment qu’on lui propose quelque chose qui lui fasse envie pour que le contraire se produise.

Le chaton qui la suivait depuis la salle de bains vint d’abord poser sa tête sur elle et voyant qu’il n’était pas repoussé, il vint carrément s’allonger sur ses jambes. Kate s’assit en tailleur et l’animal vint se rouler en boule dans le creux ainsi formé. Kate lui caressa le dos, ce qui provoqua chez la boule de poils une envie de jouer. Sans sortir ses griffes, il commença à jouer avec la main de la jeune femme. Effectivement, il avait l’air d’apprécier la nouvelle arrivante. Puisqu’elle portait les vêtements de son maître, elle avait aussi son odeur, ce qui devait forcément le mettre en confiance.

- C'est l'impression que j'ai aussi. Je ne savais pas que tu étais l'ami des bêtes

Sous les airs de grande brute qu'il avait parfois, on l'imaginait mal câliner un chaton.

Le chocolat était encore trop chaud pour Kate. Alors pour le moment, elle soufflait dessus pour le refroidir. Au moins, ses mains étaient réchauffées et c’était le principal.
Le chaton avec lequel elle jouait lui mordillait maintenant les doigts de la jeune femme. Malgré le fait qu'il prenne soin de ne pas mordre trop fort, il avait de petites dents aiguisées qui provoquaient une infime douleur. En fait plutôt que c'était une désagréable sensation. Il en fallait peu au petit félin pour trouver s’occuper, une chaussette ou une main suffisaient.

Logan expliqua comment il avait eu l’animal, ou plutôt les deux animaux. Intriguée, la brune tourna la tête vers lui. Pour le moment, elle n’avait vu qu’un seul chat. Après une précision à propos de leur agitation, Kate sentit quelque chose lui remonter le long de la jambe. Elle eut un léger sursaut et baissa les yeux vers le deuxième chaton qui vint provoquer son frère en lui mordant une oreille.

Un chat, c’était déjà trop pour elle alors deux... C’était encore pire. Elle voulait bien croire l’homme lorsqu’il les disait très fatigants. Ils devaient courir à toute heure, demander beaucoup de soins et uriner n’importe où sauf dans leur litière le temps de comprendre son utilité. Ca, c’était pendant qu’ils étaient encore jeunes. Après, ils allaient devenir deux félins paresseux qui ne penseraient qu’à dormir et manger. Du moins c’est comme cela que Kate voyait ces animaux. Les propriétaires de chats les aimaient pour leur indépendance et leur tranquillité et c’était justement pour ça que l’architecte les trouvait intéressants.
Les chiens quant à eux étaient fidèles, obéissants et, pour la plupart, actifs. Ils étaient donc plus attachants selon elle.

Les deux chatons lui arrachèrent tout de même un petit sourire. Ils se chamaillaient à coup de pattes et de dents mais n’étaient pas agressifs pour autant.
Kate but une gorgée de son chocolat et parcourut le salon du regard. Le piano de Logan n’était qu’à deux mètres d’elle. Cet instrument était la source de la rencontre des deux personnes. La jeune femme ne savait pas la raison du la venue du brun dans la boutique où il l’avait abordé mais c’est bien à propos de musique et plus particulièrement de piano qu’ils avaient discuté. Ils ne s’étaient encore jamais entendus jouer. Kate avait bien émis quelques notes dans le magasin mais c’était resté simple et discret. Si tous les clients devaient se lâcher sur les modèles en exposition, la cacophonie serait insupportable.

Elle se leva doucement pour que les deux chatons aient le temps de se décaler. Puis elle posa sa tasse sur la table basse et alla s’asseoir devant le piano. Par politesse, elle se retourna vers Logan et avec un sourire auquel il était difficile de dire non, elle lui demanda:

- Je peux?

La première fois qu'elle avait passé les portes du conservatoire où son père l'avait inscrite à Paris, Kate n'y aurait pas cru si une personne lui avait dit qu'elle finirait par aimer le piano et qu'elle serait même très douée pour cet instrument. Encore aujourd'hui, elle ne pouvait pas expliquer ce qui s'était passé dans sa petite tête lorsqu'elle avait entendu les premières notes que son professeur avait fait naître de cet imposant objet lors de son tout premier cours. C'était si jolie, si agréable à entendre que la petite fille avait été comme hypnotisée par la mélodie. Le coup de coeur était tel qu'elle avait supporté des années de solfège sans rechigner. Le solfège était loin d'être une partie de plaisir et Kate n'aimait pas ça mais elle s'y était pliée avec bonne volonté. Il était rare de voir une fillette de sept ans assez mature pour comprendre qu'il fallait passer par là pour ensuite accéder à ce qu'elle voulait réellement: jouer du piano.

Son année à Paris et ses trois autres à Berlin avaient été une période particulière de sa vie. Ces quatre années avaient été décisives dans la construction du caractère de la jeune Evans. Peu de gens pouvaient comprendre cela. Alors qu'elle n'était encore qu'une enfant, elle était arrivée dans la capitale française où elle ne connaissait personne, avec un père qui ne lui accordait que très peu de temps. En plus de cela, elle avait du améliorer très vite son français pour s'intégrer facilement à l'école. Lorsqu'elle était encore à Seattle, son père lui parlait souvent français mais si on pouvait considérer qu'elle le parlait couramment, on ne pouvait pas dire qu'elle était bilingue. Heureusement, à l'école elle avait réussi à s'imposer et s'était plutôt bien acclimatée. Elle avait quelques amis mais n'avait pu les garder qu'une seule année. En effet, à huit ans, elle quittait Paris pour Berlin. Là-bas, elle dut aussi faire des efforts pour parler la langue du pays. Avant de débarquer en Allemagne, elle avait de solides bases en allemand mais ce n'était pas suffisant pour communiquer avec une parfaite aisance. En quelques mois elle y était arrivée et même si elle avait été triste d'avoir été arrachée à Paris où elle commençait à peine à se sentir chez elle, elle avait apprécié ses trois années à Berlin.

Pour Paris comme pour Berlin, lorsque Gregory Evans avait du temps libre, ou du moins du temps libre à consacrer à sa fille, il lui faisait visiter la ville, les parcs, les rues piétonnes... Il l'emmenait dans les plus beaux théâtres, les restaurants les plus prestigieux et dans tout un tas de musées. Cela allait des galeries d'art aux musées d'histoire naturelle en passant par les expositions photos.
Kate avait tout de même une large préférence pour la France. Tout d'abord parce qu'avant d'y vivre, elle y allait en vacances presque tous les ans. Son père avait une superbe propriété dans le sud. Quant à ses grands parents maternels, ils étaient français, vivaient à New York mais avaient gardé la maison qu'ils avaient en France et qui se trouvait justement à quelques kilomètres de la propriété des Evans. Ils prenaient donc plaisir à s'occuper de leur unique petite fille.
De plus, Paris avait un charme que Berlin n'avait pas.

Kate ne parlait pas beaucoup de cette période. Non pas qu'elle en ait un mauvais souvenir, au contraire elle était consciente que c'était à ce moment là qu'avait germé son caractère volontaire. Elle s'était endurcie. Si elle n'évoquait que rarement cette période, c'est parce qu'elle avait été si heureuse de retourner à Seattle qu'elle avait très vite classé ces quatre années comme passées. Plus tard, elle n'était retournée qu'une fois dans chacune des deux villes mais elle n'avait pas ressenti une grande nostalgie. En fait, quand elle était encore en couple avec Mark, elle avait eu envie de partir quelques jours à Paris avec lui. Elle aurait aussi aimé aller en Corse avec Alyssa et lui. Ni elle ni la petite fille n'avait encore mis les pieds sur l'île de beauté et elles auraient toutes les deux aimé voir le village où avait grandi Mark.

A l'heure actuelle, l'homme de loi faisait lui aussi partie du passé de Kate. Il fallait qu'elle se concentre sur le présent. Il ne se passait pas une seule journée sans qu'elle pense à lui mais lorsqu'elle était avec Logan, ce dernier arrivait à lui faire passé un bon moment sans qu'elle pense à son ex.
Autorisée à jouer au piano, elle réfléchit à ce qu'elle allait jouer. Alors qu'elle s'apprêtait à jouer la première note, elle entendit la remarque de son ami. Il la trouvait très sexy. Ne s'attendant pas à cette réflexion mais néanmoins amusée, elle se tourna vers lui et lui sourit. Puis elle fit de nouveau face à piano et commença à jouer Space Dementia de Muse. Ce morceau était le premier qu'elle avait joué sur son piano. Elle l'avait acheté sur l'île quelques minutes seulement après être entrée dans la boutique. C'était le meilleur piano sur lequel elle ait eu l'occasion de jouer et son acquisition était une évidence.
Quant à Space Dementia, c'était de son avis un morceau parfait pour tester le son d'un piano. L'air était sublime et joué sur un instrument de bonne qualité, il donnait des frissons.

En jouant, Kate faisait abstraction de tout ce qui se passait autour d'elle. Pendant trois minutes, elle ne prêta aucune attention à Logan et aux deux chats qui s'approchaient timidement. Ce ne fut que lorsque les dernières notes s'éteignirent qu'ils osèrent grimper sur le piano.