Aujourd'hui ça va. Aujourd'hui, je ne peux qu'aller bien. Je n'ai pas de raison d'être triste, je n'en ai même pas le temps. J'ai du travail, tout plein de travail. Je n'arrête pas depuis hier soir. J'ai d'abord fait du baby-sitting chez Win et on s'est couché à pas d'heure, j'ai à peine dormi. Ensuite, à mon réveil, j'ai dû aller travailler à Broadway parce que le patron du bar dans lequel je bosse m'avait booké pour l'anniversaire d'un gosse de huit ans qui voulait absolument des tours de magie. Et enfin j'avais dû rejoindre Xander pour préparer l'émission. J'en sortais tout juste, et j'étais au top. Parce que j'adore avoir du boulot, j'adore l'idée d'avoir toujours quelque chose à faire pour m'occuper l'esprit. Non seulement ça fait du bien, de se sentir utile, mais en plus ça m'évite de penser aux mauvaises choses. Comme mon père, à qui je ne parle plus, puisqu'il a choisi ma belle-mère plutôt que moi ; comme ma mère, qui a disparu d'une minute à l'autre il y a neuf ans de ça, et à laquelle je n'avais eu cesse de penser chaque jour depuis. Là, non, là, je n'y pensais pas. Je n'y avais pas pensé de toute la journée. J'avais passé une bonne journée. Je me réjouissais de commencer mon stage bientôt (et pas des moindres, puisqu'il se passerait dans l'agence de Vitaly !) ; je me réjouissais d'être aussi bien entourée, entre Nam-Sun, Win, Holly, Ashley, etc, tous mes amis qui m'étaient précieux et que je comptais sur le doigts d'une main. Et parmi eux, Sam. Sam, celle que je suis actuellement en train de rejoindre. Samuel. Si j'avais eu une sœur, ça aurait été elle. Elle aurait eu son visage, et son caractère aussi. Son sourire, sa force et son vécu. Puisqu'après tout, une sœur, c'est quelqu'un qu'on admire. C'est le cas, pour Sam. De tout mon être, je l'admire. Chez elle, il y a quelque chose d'extraordinaire, quelque chose que je n'explique pas. J'ai l'impression qu'elle est incassable. Qu'elle sait résister à tous les coups qui, moi, me briseraient en mille morceaux. Des morts, des chagrin d'amour. Sam n'est pas vieille, mais elle a vécu. C'est le moins qu'on puisse dire. Elle a vécu des choses que je n'ai jamais vécu, que j'espère ne jamais vivre, parce que je sais d'avance que je ne m'en tirerais pas aussi bien qu'elle s'en est sortie. Sam c'est une des meilleures personnes au monde. C'est quelqu'un qu'on ne devrait pas avoir envie de blesser. Et pendant que je pense à elle, le sourire aux lèvres, j'atteins le bar où nous avions rendez-vous. Je ne la vois pas, mais je crois être un peu en avance. L'hiver est tout blanc à New-York et la température nous oblige à porter trois pulls et des collants sous nos jeans. Mais les radiateurs en terrasse sont allumés, et la vue est trop jolie pour que j'aille m'enfermer à l'intérieur. Je pose mon sac, et je l'attends. L'après-midi et belle, beaucoup trop belle. J'ai peur que cette image soit gâchée par une mauvaise nouvelle. Je suis beaucoup trop parano, et je m'inquiète pour rien, mais je ne peux m'empêcher d'espérer qu'elle va bien. Parce que, quand Sam va mal, c'est le monde entier qui s'effondre.