La gare était réellement bondée. Même si l’accident commençait à être maitrisé, voir autant de secours, de blessés, de corps sans vie retrouvés me donnait un haut le cœur. C’était vraiment horrible. J’avais essayé d’aider et si je n’avais pas de formation de premiers secours et ne pouvais donc pas aider médicalement parlant, j’avais passé la journée de la veille à cuisiner, cuisiner et cuisiner encore, pour que lorsque des personnes seraient retrouvées, elles puissent se désaltérer et manger. Après tout, cela faisait plus de deux jours maintenant que l’incident avait eu lieu, et les personnes seraient probablement affamées. J’avais également distribué un peu de mes plats aux secouristes qui m’avaient alors bien remerciée. Je savais que c’était bien peu, mais lorsque j’avais vu les informations, j’avais eu envie d’aider, même avec mes petits moyens. Et généralement, quand je voulais aider, je cuisinais, tout simplement. Mais je me retrouvais maintenant aux toilettes, à régurgiter mon propre déjeuner, à cause de la vision d’horreur à laquelle je venais d’assister. Alors que je me désaltérais au lavabo, tentant de nettoyer les tâches que j’avais pu me faire et me mouillais le visage, une jeune femme pénétra dans les toilettes en courant, avant de rentrer directement dans une des toilettes. Peut-être que comme pour moi, la vision des corps inertes l’avait dégoutée ? Je continuais ma petite affaire, sans m’en préoccuper plus que cela. Pourtant, au bout de quelques minutes, ne la voyant pas bouger et n’entendant plus rien, je décidais de tapoter sur la porte. « Ça va là-dedans ? Vous avez besoin d’aide ? » lui demandais-je d’une petite voix, commençant à être inquiète.

J’étais réellement une personne optimiste et qui voyais le bien chez les autres. D’ailleurs, je ne voyais que très rarement leurs défauts, préférant largement me concentrer sur leurs qualités. Après tout, nous avions tous des défauts, non ? Alors pourquoi ne pas tenter de vivre avec ? Et pourtant, malgré mon côté à voir le bien partout, en ne voyant pas la jeune femme sortir du cabinet de toilettes, je m’étais inquiétée. Je m’étais demandé si elle n’avait pas été une des victimes de l’accident de train et si elle n’avait pas été blessée. Et donc peut-être avait-elle fait un malaise dans les toilettes ? Après tout, après les horreurs que je venais tout juste de voir, il était un peu normal de rentrer dans le pessimisme et de s’imaginer le pire, non ? En entendant sa réponse, je sentais la boule qui s’était formée dans mon ventre se relâcher. Elle allait bien. Son ex petit ami se trouvait dans la gare. Apparemment, c’était un harceleur qui n’acceptait pas non comme réponse. « Je ne comprends pas pourquoi certains hommes ne veulent pas lâcher l’affaire. C’est bon, c’est terminé, ils passent à autres choses. Plutôt que de ressasser le passé encore et encore. » répondais-je dans un petit rire, tout en haussant les épaules – chose qu’elle ne verrait pas puisqu’elle était toujours enfermée dans le cabinet. Cela m’était déjà arrivé, une fois. Un homme m’avait proposé de sortir avec lui, et j’avais poliment refusé. Apparemment, il n’acceptait pas non comme réponse, et m’avait harcelée pendant plusieurs semaines. J’avais carrément été obligée d’en parler aux autorités pour qu’il arrête. Donc je comprenais parfaitement la situation dans laquelle se trouvait la jeune femme.

Voir la jeune femme sangloter me fit un pincement au cœur. Je détestais réellement voir les gens pleurer, et encore plus lorsqu’ils pleuraient à cause de personnes malveillantes. Bon, peut-être que son harceleur d’ex petit ami n’était pas malveillant et avait juste du mal à mettre leur histoire derrière lui. Après tout, j’avais mis du temps avec d’accepter que ma relation avec Joseph – mon premier amour – soit terminée. Même si le déménagement à New York et ma fausse couche m’avait permis de le mettre derrière moi plus facilement, il m’arrivait toujours de penser à lui et à ce qu’il pouvait bien devenir. Mais je ne le harcelais pas – c’était même l’inverse puisque nous ne nous étions pas adressé la paroles depuis nos seize ans – et encore moins le faisais pleurer. Ce qui était bien le cas de la jeune femme. « Peut-être pourriez-vous appeler la police ? Et déposer plainte contre lui ? » proposais-je naïvement, avant de reprendre. « C’est ce que j’ai fais lorsqu’un homme a commencé à m’harceler. Et le juge lui a interdit de se trouver à moins de 500 mètres de moi et depuis, je n’ai plus de nouvelle de lui. » rajoutais-je, en haussant les épaules. J’essayais de trouver une solution qui pourrait la faire sortir de sa situation. Ne trouvant rien de conséquent pour le moment, je décidais de lui tendre un mouchoir pour qu’elle puisse s’essuyer les joues.

« Protégé par la police ? » répétais-je, un peu confuse. Si ça se trouve, c’était un politique … Je savais que les politiques étaient quasiment intouchables. Et ils en profitaient bien d’ailleurs, et se croyaient tout permis. C’était d’ailleurs probablement pour cette raison que je n’en faisais plus. Pourtant, cela avait été une de mes passions pendant des années. Après tout, quoi de mieux pour pouvoir aider les autres ? Mais j’avais été grandement déçue de la politique en général, en particulier des politiciens. Il était très rare que les politiciens fassent de la politique pour aider les autres. Généralement, c’était plutôt leurs propres intérêts qu’ils servaient, et le reste n’était qu’une simple excuse pour se faire élire. Mais ils étaient tous pareil, c’était un fait, et me rendre compte de cela m’avait totalement déllusionnée, et dégoûtée à vie de la politique. « Oui, c’est vraiment utile ! Je n’ai plus jamais revu mon harceleur après avoir déposé plainte. » m’exclamais-je en hochant la tête. « Mais s’il est protégé par la police, ça risque d’être plus compliqué que pour moi … » reprenais-je d’une petite voix. Et s’il était lui-même un policier ? Ce serait pire qu’un politicien pour la protection. Après tout, personne ne croirait à ce qu’une femme disait sur un policier. J’aidais justement une ancienne femme de policier, grâce à mon association. Son mari la battait, et personne au commissariat n’avait voulu prendre sa plainte, ne la croyant pas, malgré les mots des médecins. Heureusement qu’elle n’avait pas d’enfants, elle avait donc pu partir toute seule, mais si tout le monde lui tournait à présent le dos et l’empêchait de trouver du travail. « Oh ne vous excusez pas pour cela voyons ! Et je vous en prie, c’est normal … »

La jeune femme ne voulait apparemment pas en dire plus sur son ex petit ami, ni sur le comment il était protégé par la police. Je la comprenais en même temps. Cela devait être difficile de parler d’une personne qu’on avait un jour aimé, et réaliser qu’il n’était pas tel que l’on avait imaginé. Et que pire, il n’y avait aucune solution de possible, puisque la police le protégeait. Bon, j’étais tout de même d’un naturel curieuse, c’était vrai, et j’aurais aimé en savoir plus. Mais je ne pouvais pas vraiment lui forcer la main non plus. Je ne la connaissais même pas après tout. Et même si j’aurais aimé savoir comment il était protégé par la police, quel était son rôle, son métier qui lui permettait d’être protégé ainsi, ce n’était de toute façon pas mes affaires. Du tout. « Vraiment, c’est rien. Je n’ai pas fait grand chose en plus. » répondais-je dans un petit rire, tout en balayant de ma main, comme pour insister que vraiment, ce n’était pas grand chose. « Oh non, pas du tout, j’ai pas de train. En fait je suis venue aider les secours. Il y a eu un grave accident, et donc je me suis dit qu’un peu d’aide ne serait pas de trop ! » expliquais-je à la jeune femme dans un sourire. Et je disais la vérité. A la seconde où j’avais appris ce qui s’était passé à la gare, je m’étais mise aux fourneaux pour préparer de bon petits plats à tout le monde.