Ce n’était pas tout d’avoir un jour de congé lui permettant de s’entraîner à une nouvelle recette yeux bandés, encore fallait-il avoir la possibilité de ne pas être dérangée toutes les deux minutes ! C’était bien simple, depuis que Denytsa avait appris sa filiation avec le milliardaire Wolf, sa vie avait diamétralement changé : elle vivait dans un loft de l’uns des hôtels appartenant à son père, ne voyait jamais ni son géniteur ni son frère et était pour ainsi dire balancée dans une fosse aux lions sans préparation. Il ne manquerait plus qu’on lui reproche d’avoir fait quelques photos de charme juste avant de connaître l’existence de son père et ce serait le pompon. A croire que sa nouvelle « famille » oubliait qu’elle venait de perdre sa mère et que l’argent ne pousse hélas pas sur les arbres. « J’aimerais bien être l’inventrice du pognognier moi, en attendant » se lamenta-t-elle alors qu’on lui avait passé quinze coups de fil depuis sept heures du matin et qu’en prime, un pauvre fou venait de sonner à la porte de son loft. Qu’importe qu’elle se trimballe en simple t-shirt et short mini, mini car elle se trouvait chez elle et qu’en prime, elle emmerdait le premier qui ne serait pas d’accord !« Bonjour… c’est pour une interview ou vous êtes envoyé par le big boss ? » lança-t-elle d’un ton las, sans énervement ni agressivité alors qu’elle l’autorisait à entrer. Bon, techniquement parlant, Denytsa avait tout de même un couteau très bien aiguisé à la main, qu’elle tenait avec la souplesse d’une lanceuse de couteau de cirque puisqu’elle jonglait presque avec entre ses doigts. Aussi, une fois la porte refermée sur le parfait inconnu en costard cravate, elle haussa les épaules, un sourire mutin sur les lèvres : « Paniquez pas, je suis en école hôtelière et en théorie, j’essaye de faire un émincé royal depuis sept plombes du mat’ ! »

« Bien ce que je pensais ! Vous n’avez ni microphone ni micro tout court sur vous… sauf que vous n’allez pas me donner du « Mademoiselle Wolf » tout le temps, si ? Appelez-moi Denytsa, je n’aime pas les trucs aussi formels » lui expliqua-t-elle car autant la jolie bulgare appréciait la hiérarchie au sein d’une cuisine, chose qu’elle trouvait absolument primordiale, ce n’était pas du tout la même chose au sein d’une « famille ». Diable, vu comment elle était traitée et qu’elle ne voyait jamais ladite famille elle avait beaucoup de mal avec ce mot. A ses yeux, elle avait perdu son véritable cocon à la mort de sa mère et toute cette vaste fumisterie allait rapidement lui taper sur le système. « Faites donc comme chez vous… je peux vous offrir quelque chose ? Ceci dit je n’ai pas besoin de mentor hein, je suis une grande fille et à priori je lasse mes chaussures toute seule vous savez ! » lui répondit-elle aussi poliment qu’elle le put, peu décidée à remplir encore des papiers, répondre à des questions, se sentant colonisée dans cette vie privée qui ne lui appartenait même plus puisqu’elle n’avait pas du tout l’impression d’être « chez elle ». Ce loft était tellement impersonnel qu’elle avait presque envie de se mettre d’entrée un bandeau sur les yeux dès qu’elle y revenait le soir après ses cours ou ses stages. « Techniquement parlant, si ça ne vous choque pas que je continue ce que je suis en train de faire vu que je ne suis pas en avance, on peut le faire aujourd’hui votre machin… mais puisque vous êtes avocat et que vous avez dû moult vous renseigner sur moi, on va aller plus vite : qu’est-ce que vous ne savez pas au juste sur ma personne ? » Il n’y avait encore une fois ni agressivité, ni moquerie, juste de la lassitude car Denytsa était toujours en deuil et que personne ne semblait en prendre conscience.

« Ce n’est pas ma famille » lâcha-t-elle nettement plus froidement non sans le regarder droit dans les yeux, sans aucun détour, puisqu’elle le pouvait encore. Finalement, elle planta le couteau dans sa planche à découper tout en soupirant pour mieux s’asseoir ou plutôt s’affaler contre son fauteuil, juste en face de lui. Denytsa ne serait pas capable de se concentrer comme d’habitude sur son ouvrage si jamais il continuait de lui servir un discours aussi… maîtrisé. C’était son travail et ce n’était pas après lui qu’elle en avait mais bien après toute cette histoire. « Vous avez fait une courte enquête donc… ne vous méprenez pas ce n’est pas après vous que j’en ai parce que je suppose que vous êtes l’une des très nombreuses personnes bossant pour mon géniteur ! Mais moi, je veux juste qu’on me fiche la paix. Je n’ai pas beaucoup de temps à moi et c’est à peine si George Wolf m’a gratifiée de trois mots… limite, qu’il garde son argent, je n’en veux pas. Je préfèrerais presque dormir sous les ponts, vendre mon corps, que sais-je mais qu’on me rende ma vie ! Parce que vous pouvez me dire ce que j’y gagne à part des emmerdes ? Ah si, je suis médisante, j’ai quand même gagné une petite tape sur l’épaule genre « c’est bien mon gars… ah non toi t’es une nénette c’est vrai ! ». J’vous demande pas de comprendre mais putain… qu’est-ce qu’il faut que je fasse pour éviter ce genre de connerie ? » Denytsa se releva bientôt pour faire les cent pas, sentant une colère sourde s’emparer de ses membres avant qu’elle ne prenne une grande inspiration et ne se tourne à nouveau vers l’avocat dont elle ne connaissait que le nom. « J’ai pas envie d’être un pantin. Alors non, les Wolf, ils sont peut-être riches et tout ce qu’on veut bien mais ils ne sont rien pour moi. »

Le problème de Denytsa c’est qu’elle savait très bien être sans pitié quand on lui déplaisait ou que l’on ne la regardait pas dans les yeux. Au départ, en apprenant qu’elle avait un père et un frère par la même occasion, la brunette s’était enflammée. Elle pensait que la fin du tunnel allait lui être accessible mais quelle déception lorsqu’elle avait constaté le manque cruel de naturel dont l’un comme l’autre avait fait preuve. Qu’il s’agisse de leurs obligations respectives ou d’une autre raison, la jolie bulgare n’avait pas cherché à savoir. A vrai dire, elle ne voulait toujours pas savoir. « Me sortir du marasme pour mieux m’ignorer après, excusez-moi mais ça ne me fait pas rêver » coupa-t-elle au bout de quelques secondes, bien qu’elle ait écouté chaque argument de l’avocat sans l’interrompre ou cesser de le regarder dans les yeux comme si elle cherchait un peu de vérité au milieu de ce discours toujours si maîtrisé. « Logique que vous cherchiez à me les faire voir autrement, ils sont vos boss… j’irais même jusqu’à imaginer que cela ne date pas d’hier et je suppose qu’un lien de confiance s’est glissé dans votre relation professionnelle de base… vous les voyez en prime autrement parce que vous n’êtes pas à ma place. »Denytsa se passa ses mains contre son visage de poupée de porcelaine avant de soupirer à nouveau. « J’étais super enthousiaste au départ. Franchement, pendant quelques jours, mon petit cœur s’était réchauffé. Je me disais chouette, je ne vais pas finir en mode harpie au cœur desséché à force de ne plus servir. Mais ce n’est pas qu’une question d’efforts… je n’ai pas l’impression qu’il y ait de la place pour moi là dedans. Je me trompe peut-être, c’est possible, je n’ai pas la science infuse et je ne prétends surtout pas connaître ce monde dans lequel ils baignent et qui perso me terrifie plus qu’autre chose… mais je regarde les choses en face Monsieur Flores : j’suis un boulet. Et je ne dis pas ça pour que vous sortiez les violons ou que vous pleuriez dans les chaumières. Ce qu’ils ne savent pas c’est que personnellement, je perds la vue un peu plus chaque jour. J’ai déjà à peine le temps de réapprendre mon boulot de futur cuistot en cherchant à ne pas me servir de mes yeux alors peut-être que si vous quittez trente secondes votre masque d’avocat, vous comprendrez que oui, je vais remplir ce foutu papelard… mais que moi, du temps, je voudrais bien leur en donner à fond : sauf que je ne peux pas. »

Mouais… difficile de ne pas se considérer comme un boulet dans cette famille de milliardaires à qui tout semblait réussir ! Tout du moins il apparaissait à Denytsa que tout ce qu’ils touchaient se transformait en or. Elle n’avait pas envie non plus qu’on la prenne comme une pauvre petite chose fragile incapable de faire quoi que ce soit de ses dix doigts car ce n’était nullement le cas : la jolie bulgare possédait énormément de volonté, elle était pour ainsi dire débrouillarde mais comme par miracle, l’avocat pardon à la faire éclater de rire. « Grosso modo, la femme de mon frère porte la culotte quoi… » s’amusa-t-elle à imaginer sans pouvoir cesser de rire tant cela la détendait de penser à autre chose qu’à ses cours, l’exigence des cuisiniers lui apprenant le métier sans oublier cette fameuse épée de Damoclès demeurant sans arrêt au dessus de sa tête. « Disons que vu qu’il n’y a personne pour me plaindre, et qu’il n’y aura jamais personne, il vaut mieux que je continue à garder la tête haute sinon je n’ai plus qu’à sauter du haut d’un pont. De toute façon, j’ai fais la promesse à ma mère que je deviendrai un grand chef même avec mon handicap naissant et c’est ce que je compte faire, je ne peux pas échouer et tant pis pour le reste. Mais vous… » Au départ, Denytsa n’avait pas exactement compris où il voulait en venir et la surprise marqua un instant son visage alors qu’il lui avouait avoir perdu l’ouïe. S’il ne lui avait pas dit, clairement, jamais la jolie bulgare ne l’aurait remarqué. « Boudiiii… vous êtes impressionnants parce que ça se voit carrément pas en plus vous parlez genre normal avec une voix suave et tout et tout… » Venant de la brunette, c’était un beau compliment mais comme elle savait très bien être nature peinture, elle n’hésita pas à le serrer doucement dans ses bras, sans attendre quoi que ce soit en retour, prouvant par la même occasion qu’hélas, elle avait énormément d’amour à donner et personne pour le recevoir. « Je vais remplir votre papelard. Vous me posez les questions ? On finit rapido comme si on m’arrachait un pansement de la taille de l’état de l’Ohio et après, si vous avez cinq minutes, vous serez mon cobaye culinaire ! » fit-elle en s’asseyant docilement à la table, tout naturellement, prête à se faire « interviewer » pour ainsi dire.

« Vous avez peut-être raison mais à ma décharge, rencontrer quelqu’un… vous savez, la sincérité passe par le regard. Il ne faut pas croire, les mots peuvent mentir, le ton d’une voix aussi mais un regard, pour peu que l’on sache vraiment regarder, ça ne ment jamais. Par exemple, je peux dire que vous êtes gêné avec mon câlin grâce à votre gestuelle certes, aux battements de votre cœur aussi mais votre regard est encore plus éloquent ! Ne prenez pas mal mes paroles je me force à être observatrice tant que je le peux. Mais c’est ce qui me fait dire aussi que j’aurais beaucoup de mal à faire confiance. Je suis quelqu’un qui ne s’attache pas facilement. » Ou dans un autre ordre d’idée, elle s’attachait pour mieux se détacher par la suite vu qu’il n’était pas rare que ses nuits soient passées en galante compagnie.« Je me fais confiance en fait. Mais je n’aime pas l’échec pour autant et me concentrer sur mon travail, c’est moins douloureux. Je ne sais pas comment l’expliquer… comme j’ai un peu l’impression d’être rejetée dans cette famille qui a des codes que moi je n’ai jamais eus, bah forcément je me recroqueville et si j’ai fais des efforts avant je vais avoir du mal à en faire après. Je ne dis pas que je ne vais pas au moins essayer de rencontrer Morgana mais il n’empêche… je me complique la vie hein ? Enfin tout ça pour dire que je n’aime pas trébucher. La faiblesse, tout ça… non merci, au même titre que pour rencontrer quelqu’un, la canne d’aveugle et les lunettes noires, c’est pas franchement glamour ! » Puis vint le moment de l’interrogatoire en règle. Denytsa se moquait bien des « excuses » de Gideon pour la simple et bonne raison qu’elle voulait en finir au plus tôt… quitte à devoir se pencher sur des choses dont elle était tout sauf fière. « Il y a trois semaines j’ai dû faire des photos de nu artistique pour un photographe nommé Brandon Denoël. Pas de films parce que oula me faire… nan, nan vraiment pas mon genre mais ça payait bien les photos et j’avais une grosse facture d’hôpital et de pompes funèbres à régler alors… c’était ça ou me prostituer pour parler crûment alors j’ai préféré juste les photos. » Et autant dire que rien qu’avouer ça, elle tapotait la table, sentait sa jambe gigoter et regardait soigneusement ailleurs, la nervosité s’emparant totalement d’elle. C’était honteux d’avouer un truc pareil à un inconnu !

A vrai dire, la personne avec laquelle Denytsa était la plus exigeante, c’était elle-même. Elle ne supportait pas ses propres échecs et si elle s’adoucissait dès qu’il s’agissait d’autrui, la jolie bulgare n’avait aucune pitié envers ses propres erreurs. La preuve, elle était en train de s’insulter elle-même juste après avoir avoué la vérité sur ces fameuses photographies. Oh elle n’en n’était pas fière, et quelles qu’aient été les raisons l’ayant poussée à agir de la sorte, elle risquait fort d’en payer le prix. « Je ne dirais pas non pour faire comme si elles n’avaient jamais existées… j’suis pas forcément fière de moi sur ce coup là » lâcha-t-elle avec lassitude non sans hausser les épaules pour mieux éclater de rire face à sa plaisanterie. Taquine, elle n’hésita pas à regarder sous la table avant de hocher la tête non sans laisser une expression purement mutine se glisser contre ses traits. « Vous avez des belles chevilles ! » plaisanta-t-elle avant d’éclater volontiers de rire, à l’image de cette pression qu’elle s’était mise sur les épaules depuis la mort de sa mère. Elle se voyait déjà toute seule contre le reste du monde et au bout du compte… c’était affligeant et épuisant. « Vous savez que vous vendez bien mon frère ? Vous devriez faire avocat, vous feriez malheur dans cette profession, croyez-moi ! Enfin pour reprendre un discours plus sérieux donc rasoir non, je n’ai rien à ajouter. Je ne suis pas trop une vilaine fille, ça va ? » reprit-elle aussitôt car Denytsa n’aimait pas s’appesantir sur des choses gênantes, elle balayait les problèmes pour ne s’y replonger qu’à tête reposée et éviter ainsi toute réaction épidermique inutile. D’ailleurs, pour achever de relâcher la pression, elle partit chercher une tarte citron meringuée faite ce matin, à laquelle elle trouvait quinze milliards de défauts mais pour laquelle elle voulait l’avis d’un novice. « Je suppose que vous n’avez pas dû manger alors vous allez me commenter ça, Monsieur Gideon ! Je trouve personnellement que la pâte sablée n’est pas assez fondante, la crème de citron trop ferme et la meringue trop friable. Mais je ne suis jamais satisfaite alors je veux votre avis ! » Le plus étonnant, c’était sans doute l’appellation qu’elle venait de lui donner. Mais cela prouvait avant toute chose qu’elle se sentait en confiance, chose encourageante.

« Bah si on vous le dit souvent, lancez-vous, les cours du soir ça existe ! » continua Denytsa d’un ton amusé pour laisser là les obligations, les termes sérieux et autres choseries de ce genre pour lui faire découvrir un autre pan de sa personnalité, dont il ne devait certes pas avoir eu vent lors de son enquête. En vérité, la jolie bulgare était non seulement une petite poupée pleine de vie, mais qui savait fêter tout et n’importe quoi avec tout et n’importe quoi… en buvant un verre d’eau, elle était capable d’en complimenter longuement la robe comme si elle parlait d’un grand cru d’une rareté à couper le souffle, en le nommant par la suite « Château La Pompe » histoire de s’y croire plus encore… et en l’occurrence, même si elle était diablement exigeante avec cette fameuse tarte tout juste servie àGideon et il ne semblait pas s’y tromper. « Je ne vous donne pas beaucoup de travail mais vous non plus, vous avez l’air facile à contenter même si moi j’y trouve au moins quinze défauts, au bas mot ! Mais vous me charriez, vous êtes copropriétaire du Blue Lagoon ?! Tout le monde a envie de bosser avec le chef de cet établissement, moi-même j’espère réussir mes examens et être prise au recrutement qu’il fait pour certaines soirées ! Bigre j’en reviens pas… la classe internationale ! »Denytsa avait l’air d’avoir des pétales de rose dans les yeux rien qu’en parlant de cuisine et du prestige d’un restaurant, tandis qu’elle rêvait elle-même d’avoir un établissement à elle… un jour peut-être ! « Je vous remercie Monsieur Gideon ! Mais vous savez, je ne dirai rien si vous en reprenez une deuxième part, motus et bouche cousue ! J’ai d’autres choses à vous faire goûter sinon, c’est quoi votre dessert préféré ? »

« Une audition ?Je signe de suite ! Ceci dit vous faites peur, j’espère que vous n’allez pas m’accepter pour me virer après ! » ironisa Denytsa, même si elle était bien loin de respirer l’assurance jusqu’au bout des ongles. Oh elle connaissait son talent, sinon ses professeurs et les chefs qu’elle avait eu l’honneur de rencontrer dans sa vie ne feraient pas de telles louanges à son sujet mais là, c’était différent. Le Blue Lagoon, c’était LE restaurant en vogue actuellement, dirigé par le chef cuistot le plus respecté de toute la profession. Sans aller jusqu’à dire que la jolie bulgare en faisait une idole, il lui avait inspiré quelques-uns des meilleurs plats qu’elle avait bien pu faire. « Laissez-moi vous surprendre au niveau du choix du thé alors, car il ne faut pas croire, un bon thé, de même qu’un bon café, réclame un choix aussi exigeant qu’un vin pour accompagner un plat. » La brunette disparut quelques minutes derrière le bar de son loft pour prendre le meilleur thé qu’elle ait jamais bu de toute son existence, et qui lui venait d’un magasin londonien dont elle connaissait le responsable pour y avoir fait un stage trois ans plus tôt. Sa mère s’était saigné les veines pour réussir à lui payer le voyage et résultat, Denytsa était presque devenu une spécialiste… « Un Earl Grey à bonne température, agrémenté d’un zeste de citron frais… l’alliage idéal pour le dessert que vous êtes en train de manger mais je vous laisse me donner votre avis. » S’il était expert en thé ou disons au moins l’amateur qu’il prétendait être, il ne manquerait pas d’apprécier la chose.« Que diriez-vous que je vous accompagne au Blue Lagoon pour faire réellement un service de trois plats avec choix de vin et de digestif pour montrer justement ce que je sais faire à votre associé ? En théorie, un chef ne se laissera pas berner juste par un dessert… surtout pas Benedict Larsson ! »

Effectivement, il n’y avait aucune raison que Gideon la licencie pour peu qu’elle fasse réellement ses preuves mais on ne prête qu’aux riches comme dit l’autre.« Un don je ne sais pas mais j’aime beaucoup allier des thés à des plats précis » expliqua-t-elle avec énormément de sérieux car Denytsa ne plaisantait jamais avec la cuisine et tout ce qui pouvait l’accompagner, comme le choix d’un pain, d’un vin ou même d’un thé si c’était plus la boisson favorite du client. Mais elle reprit rapidement son sourire en allant chercher un plat spécial pour y mettre le reste de la tarte, l’entourant généreusement d’aluminium avant de ne le lui tendre.« Ravie qu’elle vous plaise… et n’ayez crainte Monsieur Gideon je suis toujours ponctuelle. » La jolie bulgare ne manqua pas de le raccompagner avant de ne foncer aussitôt sous la douche pour être parfaitement présentable devant le fameux chef qu’elle n’aurait jamais cru avoir un jour la chance de rencontrer en chair et en os. Comme elle l’avait précisé, elle fut largement à l’heure, vêtue d’un tailleur dans un premier temps avant de n’aller se changer pour revêtir un vêtement de cuisiner, d’un blanc entièrement immaculé. Elle avait opté pour un chignon serré comme coiffure, afin d’éviter tout risque de ne faire tomber ne serait-ce qu’un cheveu dans ses préparations et, après avoir fait installer deux plaques chauffantes et mis autour de sa taille son habituel « tablier à outils » où elle avait notamment des couteaux aiguisés, quelques épices spécifiquement apportées, elle prépara pour les deux associés un repas des plus délectables, digne des plus grands chefs. Le sérieux que l’on pouvait lire dans ses yeux si sombres contrastait avec son visage de poupée et ses traits si délicats mais le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’y avait aucune hésitation dans ses gestes… et qu’elle servit en dessert LE fondant au chocolat, le meilleur qu’elle ait fait depuis le début de sa « carrière ». Aussi, c’est avec appréhension qu’elle partit se changer tandis qu’ils délibéraient tous les deux et c’est avec une insupportable peur au ventre qu’elle revint dans la salle de restaurant, vêtue à nouveau de son tailleur.Denytsa n’osa même pas s’asseoir puisqu’elle n’y avait pas été invitée, tandis qu’elle priait de ne pas être sanctionnée pour avoir choisi un Armagnac en guise de digestif alors que le sommelier était contre son idée première… « Puis-je m’asseoir ? »

Denytsa demeura silencieuse pendant tout l’échange des deux associés, tentant de retenir son rire car ce n’était certes pas le moment de gâcher toutes ses chances alors que Gideon lui avait fait une fleur en lui proposant un entretien. Ce n’est qu’une fois qu’elle fut invitée à s’asseoir à la table des deux boss ET que l’avocat lui eut énoncé à voix haute qu’elle avait le poste qu’elle se permit de hocher la tête. « Je vous remercie du fond du cœur et espère être sincèrement à la hauteur de vos attentes » commença-t-elle avec respect et humilité. Mais la seconde d’après, alors que le sommelier passait pour lui offrit un verre de digestif, qu’elle accepta bien volontiers, elle n’hésita pas à dire, en langage des signes : «Je vous remercie Monsieur Larsson pour ce compliment sur mon physique mais je suis encore plus satisfaite que votre estomac ait apprécié avant tout ma cuisine. Ceci dit, d’un point de vue tout à fait objectif, vous n’êtes pas mal non plus. » C’était peut-être un brin culotté de sa part mais elle leva aussitôt son verre pour mieux éclater d’un rire sincère. Cela lui permettait de relâcher la pression qu’elle s’était mise sur les épaules à la simple idée de passer un tel entretien qui ne manquerait pas d’influencer son avenir comme il se devait. « J’espère, au fait, que le fondant au chocolat a été à votre goût, Monsieur Flores » l’interrogea-t-il en n’usant pas de l’appellation un peu trop familière dont elle avait usé ce matin. Denytsa finirait par y revenir mais uniquement lorsqu’ils seront tous les deux et qu’il ne pourrait donc y avoir aucun équivoque quant à leur relationnel. Oh elle ne disait pas que Gideon n’était pas diablement attirant et que d’être rassurée entre ses bras ne lui plairait pas, mais en l’occurrence… il était sûrement le genre d’hommes qui ne se mouillerait jamais à ce point de peur de perdre sa place si rêvée d’avocat de la famille Wolf. « Avez-vous d’autres questions que vous souhaiteriez me poser, d’autres détails à me donner ou puis-je me permettre de partir ? Je pars en moto et comme la nuit tombe vite… »

A ceci près que si Denytsa éprouvait le plus grand respect et la plus grande admiration pour le chef Larsson, qui venait tout de même de l’engager il fallait être honnête, c’était à Gideon qu’elle devait cette rencontre et butée comme elle était, le laisser filer n’était pas dans ses cordes. Elle salua donc respectueusement son nouveau patron avant de ne prendre congé en tentant de ne surtout pas paraître empressée sinon, cela ferait genre femme affamée, chose qu’elle n’était pas ou du moins pas aujourd’hui. Denytsa lui courut après, son casque en main, pour mieux lui tapoter l’épaule. Cela lui faisait mal au cœur de le voir marcher dans l’air si frais, seul, alors qu’il lui avait sentit fatigué. « Prenez ça pour un côté maman poule mais je n’ai pas envie de vous laisser rentrer seul. Vous savez que les rues de New York ne sont pas sûres pour quelqu’un séduisant comme vous l’êtes ? Tututu, ce n’est pas raisonnable Monsieur Gideon allons ! » s’amusa-t-elle avant de ne lui offrir un sourire des plus éclatants. « Je vous dois beaucoup vous savez. Et je suis du genre à avoir la reconnaissance du ventre. Au choix, je peux vous faire une nouvelle tarte citron meringuée, un fondant au chocolat ou… vous déposer directement chez vous si vous êtes à pied ? Ma moto est juste là et ça tombe bien, j’ai deux casques. » Denytsa n’avait pas vraiment envie de juste lui dire au revoir tout en sachant que même s’il était l’avocat de son père, ils ne seraient sûrement pas amenés à se revoir de sitôt. « Heum bon ça fait un peu midinette et je m’en excuse par avance, mais je vais vous revoir si vous n’acceptez pas mon offre ? »