Installée à la table d’un café du Centre Commercial, Lula touillait son café sans grande envie. Pourtant, son regard était comme hypnotisée par le liquide qui tournoyait dans le gobelet en carton frappé du logo de la célèbre enseigne américaine. Depuis qu’elle vivait à New York et qu’un collègue du Musée de Greenwich Village le lui avait conseillé, Lula ne jurait que par le Chocolat Chip Frappucino de chez Starbucks Coffee, mais aujourd’hui, elle devait bien reconnaître qu’il avait un goût plus amer que d’habitude. Et quelque chose lui disait que le cacao ou sa grossesse n’y étaient pour rien du tout. Son regard glissa sur l’écran de téléviseur et son cœur se serra. Depuis quelques jours, les informations passaient et repassaient sans cesse les images de son pays natal après le passage du typhon : Tacloban et ses habitants avaient presque été rayés de la carte. Son île aussi avait subi bon nombre de dégâts ; lorsqu’oncle Kid l’avait contacté pour la rassurer, il lui avait aussi annoncé que la maison où elle vivait autrefois avec son mari et ses enfants avait été entièrement détruite. C’était douloureux. Très douloureux. La philippine avait presque l’impression de revivre l’éruption de Pinatubo encore une fois. Après avoir mené ses enfants à l’école et prétextant avoir besoin de nouveaux vêtements pour elle et pour les jumelles à venir – ce qui n’était pas entièrement faux – Lula n’était rentrée. Elle avait besoin de faire le vide. La philippine s’était laissé emporter par la fièvre acheteuse. Mais, elle ne put y échapper bien longtemps. Son pays natal était sur toutes les bouches aujourd’hui. Le pire dans cette histoire ? C’est qu’à quelques jours près, Lula se serait retrouvée au beau milieu de tout ça. Sans le savoir, Matthew lui avait probablement sauvé la vie. Une fois de plus…

Ses hormones aussi mettaient Lula à rude épreuve ! La jeune femme avait envie d’hurler et de leur ordonner d’éteindre ce fichue téléviseur, mais – au lieu de ça – elle se contentait de remuer son Frappucino distraitement et la tête posée en appuie sur sa main comme pour marquer un profond ennuie. Quelques minutes plus tard, elle consentit enfin à sortir de sa torpeur pour croquer dans un délicieux muffin à la myrtille en poussant un long soupir ; il lui faudrait regagner l’appartement de Matthew à présent et feindre ne pas être touchée par toute cette histoire, et ce, en sachant pertinemment qu’il ne serait pas dupe un seul instant. Ah, quelle plaie !

 Un café, voilà ce dont j’avais besoin afin de faire passer la pilule. Je devais vous le dire mais maintenant, je vais devoir coopérer avec le FBI sachant que je suis une personne qui fait des escroqueries aux gens tout cela pour éviter de me faire enfermer. Je prenais donc le temps pour moi de sortir dehors et j’allais au café qui me plaisait bien. J’allais donc au starbuck du coin pour me changer les idées. Je devais aussi ne pas oublier que les évènements qui s’étaient passés dans mon pays ne me plaisaient guère. J’avais appelé l’orphelinat et pas de réponse, j’avais alors eu mes soucis en pagaille et donc, je voulais qu’il se passe tout comme il le fallait. Je me demandais bien si je devais donc aussi ne pas me tromper mais pour le moment, je voulais juste en apprendre plus sur les dégâts sur l’orphelinat. J’avais patientais deux jours avant d’avoir des nouvelles. Et je ne m’attendais pas à les avoir ici au café.

Je décrochais donc mon téléphone tout en patientant dans la file. « Oo kumusta. » (Oui, allô)  J’avais vu le numéro s’affichait, et donc, j’avais parlé en tagalog directement. Tout en voyant la télévision, je disais ceci : « Nakikita ko na oo. Tama sa TV ngayon. » (Je vois ça oui. Cela passe à la télévision maintenant.)  Je jetais un œil en plus sur ce qu’il se passait, et tout en avançant dans la file, je regardais un peu plus le désastre qui se passait dans cet objet. Je soupirais un peu plus, et je disais tandis que je parlais pas trop fort pour ne pas gêner les autres. « Ay ba akong magpadala ka ng pera sa muling itayo ang lahat. Gusto ko subukan na gumastos ng bilang kung mayroon akong oras. » (Je vais vous envoyer de l'argent pour reconstruire le tout. J'essayerais de passer aussi si j'ai le temps.) Je ne pouvais pas dire que je me trouvais coincée en ville, mais bon, j’aurais toujours la possiblité de trouver une solution par la suite. J’avançais encore plus dans la file. J’avais mis un collier et un bracelet que j’avais eu lors de mon enfance là-bas. Je les mettais tout le temps, et je comptais bien les garder encore longtemps.

J’arrivais donc devant la vendeuse et je demandais : « Un thé vert s’il vous plait et un cookie. » J’entendais alors une question me demandant où je me trouvais, et je répondais : «Ako kape, iniwan ko ng kaunti upang baguhin ang aking isip. » (Je suis au café, je suis sortie un peu pour me changer les idées.) Je patientais, et je sortais donc les billets de ma poche pour aller payer ma boisson et mon cookie après. J’avais donc mon bracelet sur le poignet gauche et donc tout en téléphonant, je savais qu’il était vu de toutes et tous. Remontant ma manche, je voulais aussi le cacher pour qu’on ne me le vole pas. Je disais à mon interlocutrice.   « Ms Yuan, lahat ng bagay ay pinong, huwag mag-alala. Tatawag ako sa iyo kung mayroon akong anumang mga alalahanin. Magandang araw mama Yuan. » (Mme Yuan, tout va bien, ne vous inquiétez pas. Je vous appellerai si j'ai des soucis. Bonne journée Mama Yuan.) Oui Mme Yuan qui s’était occupée de moi à l’orphelinat avait été un peu comme une mère après mon non-adoption. Je l’appelais toutes les semaines et donc, je savais qu’elle aimait bien avoir de mes nouvelles. Je fermais mon téléphone et tout en prenant ma boisson, je ne faisais pas vraiment attention à la personne qui se trouvait assise à une table pas loin de moi. Sans doute qu’elle m’avait vu elle….

Lorsque le bulletin d’information qui faisait état du nombre de victimes s’acheva enfin, d’autres images le remplaça aussitôt – et bientôt – ce fut un appel aux dons qui fut lancé sur les ondes. Lula poussa un soupir, résignée. L’ampleur de la catastrophe naturelle était telle que toute tentative pour se changer les idées semblait être perdue d’avance. Malgré la distance entre les deux pays, on ne parlait plus que de ça dans les rues de New York ! Désormais, toutes les caméras étaient braquées sur la communauté philippine qui vivait aux Etats-Unis, un groupe dont Lula n’avait jamais soupçonné l’existence car – depuis son emménagement – la jeune femme n’avait pas encore rencontré ses concitoyens. Comment pouvait-elle seulement les distinguer de tous les asiatiques ? Il n’y avait que la langue pour les différencier et, ici, on ne pratiquait que l’anglais. Dans l’optique de ne plus se laisser accaparer par les informations, Lula pêcha un livre de poche qui ne quittait plus son sac depuis qu’elle avait préféré les transports en commun à la voiture par soucis d’ordre financier. Elle aimait lire. Pour elle, c’était quelque chose de salvateur. Plongée dans un livre, la philippine s’enfermait dans une bulle et ne captait même plus les bruits parasites qui l’entouraient. Comme aujourd’hui. Rapidement, Lula ne prêta plus attention à la télévision et aux conversations qui allaient bon train sur l’état déplorable du paysage philippin. Rien ne pouvait perturber sa lecture. Enfin, presque… Lorsqu’elle entendit les bribes d’une conversation téléphonique dans sa langue maternelle, Lula tendit l’oreille et se redressa aussitôt pour chercher l’origine de cette voix féminine qui semblait mentionner le fameux typhon. Son regard passa sur tous les visages avant d’être aimanté par celui d’une asiatique de son âge, grande et élancée. Son cœur rata un premier battement d’excitation, trop heureuse de rencontrer une concitoyenne durant ces heures sombres, mais elle ne sut pas vraiment comment l’aborder. Lula se contenta alors de l’observer du coin de l’œil, guettant le moment opportun pour venir à sa rencontre et engager la conversation, mais quelque chose attira son attention. Et son cœur loupa un nouveau battement. Ce collier. Lula l’avait déjà vu et pas n’importe où ; elle l’avait vu au cou de sa mère. C’était aussi le seul bijou que la philippine n’avait pas retrouvé. Ce devait être une coïncidence. Ou alors était-ce un signe ? Toujours est-il que cela ne fit que l’intriguer davantage : il lui était à présent impossible de quitter cette femme du regard et lorsqu’elle fut installée à une table, Lula se leva aussitôt pour venir à sa rencontre. Une fois à son niveau, la philippine attendit d’avoir son attention pour lui adresser un sourire mi-poli et mi-gênée pour son intrusion. « Bonjour… Pardonnez mon intrusion, mais je vous ai entendu parler au téléphone et je n’ai pas pu m’en empêcher. Je suis contente de rencontrer une philippine ici, surtout en ces temps difficiles. » commença-t-elle dans un tagalog parfait tout en désignant l'écran de télévision qui diffusait encore les flash-infos sur le typhon.