A curieuse après-midi, curieuse visite. Mais après tout, l’éminent Wayne Swarovski était le premier pour surprendre son monde et ne pas hésiter une seconde à rendre des visites incongrues… en l’occurrence, s’il venait voir la tornade Lyanna Benedict, c’était avant tout pour obtenir des conseils féminins. Oui, aussi incroyable que cela puisse paraître, l’américain d’origine russe, responsable de nombreuses recherches en neurochirurgie, publié dans de grands magazines médicaux, dirigeant de grandes conférences à travers le monde entier, se rendait néanmoins à la morgue de l’hôpital où il officiait pour obtenir des conseils en matière de relation sentimentale. Il savait par expérience que Lyanna lui mettrait les points sur les virgules sans prendre de gant et serait nettement plus claire que n’importe qui d’autre dans la même position. Et puis… il avait ouïe dire qu’elle s’était également mise dans une relation, n’est-ce pas ? « Docteur Benedict ? » lança-t-il à la volée en pénétrant à peine au sein de la morgue, évitant toute marque de familiarité au cas où ses assistants seraient présents. Mais au lieu de trouver sa comparse et amie, ce fut une véritable furie qui se confronta à ses yeux écarquillés d’étonnement. Il peinait à comprendre ce qu’elle marmonnait tellement elle y mettait de décibels… « HELLO ! » beugla-t-il plus fort que cette jeune femme qu’il n’avait encore jamais rencontrée, afin qu’elle arrête sa crise de façon nette et qu’elle ne le remarque. « Est-ce que vous avez besoin d’aide ? Je n’ai pas compris un traître mot de ce que vous avez baragouiné mais puisque je cherche le docteur Benedict et qu’elle n’est pas là… un coup de main supplémentaire ? »

Wayne, le grand sauveur des damoiselles en détresse… enfin, en théorie car il voyait d’ici la réaction de sa sicilienne préférée si jamais il se vantait d’avoir aidé qui que ce soit portant jupons. Elle allait le castrer direct et détruire la face de la jeune femme ayant osé rester plus de dix secondes à partager le même air de son américain préféré. Marley n’était pas la douceur incarnée mais à la longue… on s’y faisait. « Changer un ADN ? Je ne sais si c’est une plaisanterie… » Sauf que le neurochirurgien avait beau trouver l’idée ridicule et bien évidemment infaisable, la suite du discours lui arracha un froncement de sourcils le poussant à pénétrer davantage dans la pièce. Qu’importe qu’il soit titulaire et elle manifestement assistante, ce n’était plus une question de position au sein de l’hôpital mais d’un résultat épineux qui lui avait fait un effet bœuf. « Il faudrait sans doute que vous soyez plus claire afin que je sache si je peux vous apporter mon aide. A moins que vous ne préféreriez que le docteur Benedict vous tende la main à son retour ? En attendant, en tous les cas, vous n’avez strictement rien à perdre à me dire ce qui se passe exactement. » Wayne ne prit pas la peine de s’asseoir, il se retint à un bureau tout en serrant ses bras contre son torse puissant. De son côté, il n’avait pas d’opération prévue avant trois bonnes heures et comme qui dirait… il avait tout son temps. « Précision, surtout. »

Lyanna Benedict, zigouiller quelqu’un ? Wayne n’en croyait pas un mot. D’accord, ses méthodes étaient très personnelles et il fallait s’accommoder de son tempérament mais une fois qu’on la connaissait mieux, la brunette s’avérait être une amie particulièrement fiable, l’américain en avait fait l’expérience. Pourquoi viendrait-il lui demander des conseils personnels dans ce cas ? « Une petite seconde : vos hormones altèreraient-ils votre jugement pour que vous fassiez des raccourcis dans le genre ? Le docteur Benedict a beaucoup de défauts mais vous ne la connaissez pas pour penser qu’elle va vous ôter la vie pour une nouvelle pareille ! Et puis vous virer pour ça… » Le neurochirurgien approcha en levant les mains en signe de paix, prêt à brandir le premier kleenex lui tombant sous la main s’il fallait hisser le drapeau blanc. Il voulait juste jeter un coup d’œil aux résultats. Ce n’était pas tant qu’il n’ait pas confiance en cette demoiselle, dont le talent lui avait déjà été vanté pas nulle autre que Lyanna justement, mais il restait comme Saint Thomas : il ne croyait pas les choses avant que les résultats n’aient été pointés sous son nez, tout simplement. « Qu’est-ce qui vous fait croire qu’elle va lancer une vendetta contre vous ? Si cela se trouve, elle sera ravie et risque même de vous surprendre. Je ne vois cependant pas le rapport avec le fait que vous soyez enceinte mais soit ! Il s’agit de votre vie… en quoi est-ce une mauvaise nouvelle, au juste ? Vous auriez pu tomber sur pire, croyez-moi sur parole. Au moins, le docteur Benedict ne vous mettra pas de coup de poignard dans le dos et vous saurez immédiatement ce qu’elle pense de la chose. Vu sa franchise… »

Wayne haussa un sourcil de surprise face à l’agressivité de son interlocutrice mais ne s’en offusqua en aucune manière : d’une parce qu’il était bien trop habitué aux sautes d’humeur de Marley pour trouver ce genre de choses inhabituel et de deux parce qu’il n’avait pas été sans remarquer, au fil des paroles de cette demoiselle, qu’elle était sujette aux poussées d’hormones de façon plutôt vive et évidente. Il secoua donc simplement la tête lorsqu’elle s’excusa, bien loin d’être offusqué ou même choqué : il restait un chirurgien, après tout ! Qu’est-ce qui pouvait bien le choquer ? Pas grand-chose à vrai dire… « J’opterais pour la carte de la franchise mais c’est un point de vue qui me regarde. Cacher ce genre d’information n’est jamais la solution et puis tournez la chose dans l’autre sens : si vous étiez le docteur Benedict, voudriez-vous savoir ou être tenue à l’écart de ce genre de révélation ? » Cette jeune femme – dont il ignorait totalement le nom, du reste – lui semblait se faire une montagne d’un grain de riz. Certes, c’était une nouvelle bouleversante mais il y avait bien pire dans la vie et même une « subordonnée » comme elle devrait être capable de s’en rendre compte. « Vous ne connaissez pas Lyanna, cela se voit » répliqua-t-il malicieusement et mystérieusement d’un même temps. « Personnellement, j’étais là pour lui demander conseil. Je sais qu’elle est d’une franchise parfaite lorsqu’il faut se faire mettre des points sur les virgules et il se trouve que j’en avais besoin… mais pour revenir à vous, vous ne devriez pas la craindre. Elle ne vous retirera pas votre job et si elle le fait, j’ai toujours besoin d’internes en neurochirurgie. » Wayne savait que Lyanna ne ferait pas une chose pareille… mais il voulait que cette jeune étudiante ait un plan b, au cas où, afin de ne pas voir tout en noir.

Curieuse façon de se présenter mais Wayne avait aussitôt remarqué qu’il ne se trouvait pas devant n’importe quelle étudiante en médecine. Elle ne lui avait pas serré la main et le fit sourire malicieusement en lui présentant plutôt sa bouteille d’Oasis de deux litres. « Ma foi je ne dis pas non ! Et Wayne Swarovski pour vous répondre, enchanté » fit-il en inclinant légèrement la tête avec respect et sincérité. S’il y avait bien quelqu’un qui ne se paierait pas sa tête et qui en prime n’avait aucun besoin de la séduire, c’était bien l’américain. La voilà protégée au moins de cela à défaut d’être protégée d’autre chose, à commencer par cette nouvelle des plus choquantes ! « Hum… si je puis me permettre, Miss Benedict a énormément de réactions somme toute masculines, et particulièrement virulentes quand elle s’y met… ce n’est pas la même chose mais c’est un début, n’est-ce pas ? » s’amusa-t-il à souligner car Lyanna était la première à choquer son prochain dès qu’elle ouvrait la bouche et faisait entendre sa douce mélodie diablement grossière. « J’étais ici pour demander des conseils au docteur Benedict mais c’est assez… personnel dirais-je. C’est à propos d’une femme » soupira Wayne sans même savoir par où commencer. Pour décrire ce qui se passait entre l’américain et la sicilienne, c’est toute une vie qu’il faudrait et pas sûr que Blodwyn ne se lasse pas avant !

Autant dire que Wayne éclata volontiers de dire à l’appellation « sexy doc » qui l’avait toujours amusé bien qu’il en ait, hélas, déjà tiré parti. Oh les infirmières ne s’étaient jamais plaintes et savaient par avance que cela ne dépasserait pas une nuit, mais l’américain éprouvait quelques remords à prendre des femmes comme des objets quand bien même elles ne s’en plaignaient pas derrière. « Je vois que les surnoms vont très vite dans cet hôpital ! » s’amusa-t-il subitement sans crier gare. « Vous en avez un de votre côté docteur Harper ? » Qu’elle soit interne ou pas, elle restait un collègue à part entière et Wayne ne serait jamais homme à faire de différence. Même si actuellement, il acceptait un verre conséquent d’Oasis tout en sachant que le sucre le rendait plus guilleret et qu’ils partageaient une conversation disons… personnelle. « N’ayez aucune crainte : j’ai une sœur jumelle qui est nettement pire que vous question crise d’angoisse, alors autant dire que je suis rodé » lui confia-t-il sans hésiter avant de ne faire tchin avec elle, ayant lui aussi cette manie pour égayer le quotidien d’Anna. « A vrai dire je ne suis pas un grand habitué devant l’éternel des relations suivies mais il se trouve que j’ai récemment trouvé chaussure à mon pied. Nous avons commencé par nous détester pour finalement nous apprécier. Elle a dix ans de moins que moi, ce qui explique peut-être beaucoup de choses mais autant son extraordinaire possessivité ne me dérange guère, autant je peine à comprendre pourquoi je ne peux ni rencontrer sa famille, ni chercher à avoir une conversation sincère avec elle à propos de son hésitation à s’engager sexuellement avec moi… vous savez, je suis chirurgien avec tout. Je sais qu’elle est vierge même si elle prétend le contraire et je lui ai dis que le temps n’était pas un problème, chose absolument vraie. Mais il n’empêche qu’elle se braque, essaye et recule… et que je ne suis pas un sextoy. De votre côté, vous ne parvenez pas à l’appeler par son prénom, n’est-ce pas ? »

« La dangereuse ? Quelle drôle d’idée… bien que je comprenne fondamentalement la raison. Vous n’avez pas l’intention de me casser le nez, j’espère ? Mes intentions sont pures et de plus, si jamais il me venait à l’idée de fauter, le simple fait que Marley sache être d’une violence sans pareille me calme tout de suite. » Appelons un chat un chat : Wayne avait des besoins, d’autant plus en se sachant désiré et désirable. Il ne voulait pas vivre comme un moine, il n’avait jamais signé pour ça et ne se voyait pas vivre éternellement dans cette situation où la sicilienne prenait et jetait quiconque lui refusait son jouet. « Sûrement. Ce n’est pas nécessairement pour me rassurer ce que vous me dites mais je suppose que vous avez raison… le problème, c’est qu’elle ne parle pas d’elle. C’est pour ainsi dire un sujet tabou… ce qui me fait d’autant plus penser que votre version peut être la bonne, d’ailleurs. Je ne la force pas, cependant, ce n’est pas du tout le propos… je suis prêt à me montrer patient mais ce que je n’accepte pas, c’est qu’elle joue. Je sais qu’elle vient d’une famille aisée et que son père lui cède tous ses caprices mais je ne suis pas fanatique des caprices ou des femmes qui tapent du pied dès qu’elles n’ont pas ce qu’elles veulent. Nous ne sommes plus en cour de maternelle… vous me suivez ? Ceci étant le fait que Lyanna soit votre sœur est en soi quelque chose de familier, non ? » Peut-être un brin froid et insensible mais Wayne voulait que Blodwyn ait toutes les cartes en main sans y mêler de sentiment dans l’équation. Il valait mieux éviter.

« Dangereuse n’est pas le terme qui me viendrait en premier à l’esprit mais disons qu’elle sait l’être ! Et pour information, loin de moi l’idée de vous faire penser que vos idées sont stupides, ce n’était pas le but de la manœuvre ! » se défendit-il tout en levant aussitôt les mains en signe de défense ultime pour mieux boire une longue gorgée du verre qu’elle lui avait précédemment offert. « Je lui ai fait part à plusieurs reprises de mon agacement mais elle se braque très facilement hélas. Il est difficile d’avoir une discussion sérieuse avec elle… chose qui n’est pas vraie pour votre sœur justement. Vous ne devriez pas craindre sa réaction. Dites-vous que c’est surtout un mauvais moment à passer… dans le pire des cas elle pourrait ne pas y croire, et dans le meilleur des cas vous gagnerez quelqu’un de formidable à vos côtés. On a jamais trop d’alliés pour savez… » continua-t-il, imperturbable, avant que son biper ne se mette malheureusement à sonner joyeusement, preuve ultime qu’il était réclamé ailleurs. « Je suis navré Docteur Harper mais ainsi se termine notre discussion… ce fut un plaisir que de faire votre connaissance en tout cas, et n’hésitez pas à passer au service chirurgie si vous le souhaitez un jour, ne serait-ce que si vous avez besoin de conseils. Vous m’en avez donné, c’est bien normal que je vous rende la pareille. Prenez soin de vous. » Wayne hocha légèrement la tête avant de ne disparaître comme il était venu. Le propre du neurochirurgien, il faut croire…

TOPIC FINITO **