Sans qu’il ne puisse réellement donner son avis, Tyron s’était vu embrigader dans une réception qui avait lieu chez les Clapper, et qui avait apparemment pour but de « fêter » la réussite de la mission qu’il venait d’accomplir en compagnie d’Isis. D’abord réticent, le jeune homme s’était vite rendu compte que cette invitation forcée n’était qu’une preuve de plus de l’extrême confiance que tout le monde avait en lui. Mais aussi et surtout : une nouvelle occasion de se rapprocher de son but ultime. Alors il avait décidé de s’apprêter pour faire honneur à James Clapper, et s’était rendu le plus ponctuellement possible dans la maison tout bonnement impressionnante qui lui avait été indiquée. Là, il avait bien évidemment retrouvé Isis mais n’avait malheureusement pas pu passer énormément de temps avec elle. L’agitation autour d’eux, les éloges et les questions qui fusaient de toutes parts les avaient bien vite séparés et après quelques minutes seulement, le jeune homme finit par perdre de vue sa coéquipière. Au moins, le ton de la soirée était donné !

Tyron se retrouvait donc dans un environnement qui lui était totalement étranger, entouré de gens qui n’avaient absolument rien à voir avec lui que ce soit par leurs origines, leurs habitudes ou encore leur rang. Et pourtant, le jeune homme n’avait d’autre choix que de se montrer à l’aise. En prenant l’identité de Tyron Gallagher, il avait aussi hérité de son histoire, de son passé et de la sphère sociale qui allait avec. Mais fort heureusement pour lui, le russe disposait d’incroyables capacités d’adaptation, doublées d’un talent certain pour la comédie. Entouré de tous les grands noms du gouvernement américain, Tyron paraissait donc évoluer comme un poisson dans l’eau, narrant quelques anecdotes relative à la mission dont il rentrait à peine tout en tenant au secret les éléments les plus importants. Mais après avoir fait le tour des principaux invités, il décida de « s’isoler » quelques instants, profitant d’une table libre pour s’y installer non sans avoir profité du buffet pour y récupérer une coupe de champagne. Finalement, ce genre de soirées avait bien plus de bons côtés que de mauvais : il aurait définitivement eu tort de s’en priver ! « Hey... » entendit-il subitement derrière lui, d’une voix qu’il connaissait désormais par cœur. Immédiatement, un petit sourire prit place sur le visage de Tyron qui observa sa coéquipière s’installer à ses côtés en déclarant :  « Bored yet ? Sûrement pas la meilleure façon de fêter un retour à la civilisation. » Amusé, le jeune homme se mit à rire quelques instants avant de reprendre une gorgée de champagne et de désigner sa coupe en la levant légèrement sous son nez. « Ca va, je pense qu’il y a pire comme situation… » Même s’il s’était attendu à tout sauf à ça, Tyron se prenait à apprécier cette « petite » réception. En vérité, il n’avait clairement rien à faire ici mais ça, il était le seul à le savoir. D’ailleurs, cette situation ironique ne rendait que plus jouissif le moment qu’il passait dans ce monde qui n’était pas le sien. « On ne fait pas les choses à moitié chez toi ! C’est toujours comme ça ? » demanda-t-il sur le ton de la conversation, masquant à merveille  l’amusement que tout ce remue-ménage éveillait chez lui.

Même si Tyron n’avait pas pour habitude de trainer dans ce genre de réceptions huppées, il s’en accommodait parfaitement bien. Certes, l’ambiance était beaucoup plus « coincée » que dans les soirées qu’il fréquentait d’habitude, mais le buffet et le champagne qui coulait à flot rattrapait totalement ce manque-là. Alors, même s’il se retrouvait seul à une table, le jeune homme appréciait particulièrement le moment. Et lorsqu’il remarqua Isis qui revenait enfin et qui s’approchait de lui, il ne put s’empêcher de sourire. Quoi qu’il en dise, l’expérience qu’ils avaient vécue tous les deux en Chine les avait rapprochés, et sans qu’il ne la considère vraiment comme une amie à proprement parler, Tyron ne pouvait définitivement plus la traiter comme une inconnue. « Je savais bien qu'il me manquait quelque chose... » lança-t-elle en attrapant à son tour une coupe de champagne histoire d’accompagner Tyron. Ravi d’avoir enfin un peu de compagnie, le jeune homme enchaina en la questionnant sur les habitudes que sa famille pouvait avoir concernant ces petites soirées. Mais visiblement, Isis n’avait pas vraiment eu d’autres occasions d’en profiter. Evidemment. Il aurait aisément pu le deviner puisqu’elle était rentré aux Etats-Unis il y a peu. Aussi, Tyron se contenta d’acquiescer sans rien ajouter. La jeune femme, elle, le remercia d’avoir joué le jeu, ce qui eu pour effet de le faire sourire une nouvelle fois. S’il pouvait rendre service en profitant au passage d’une telle soirée, il n’y avait pas photo, Tyron jouait volontiers le jeu !

« Et je voulais te remercier aussi... parce que le dire sur le moment, à chaud, ça a pas vraiment de valeur. Tu m'as sauvé la vie, là-bas, et sans toi... enfin, merci, je t'en dois une. » reprit finalement Isis après un bref moment de silence. Reprenant tout à coup son sérieux, Tyron accrocha son regard à celui de sa voisine avant de répondre : « C’est normal… » commença-t-il, avant de marquer une pause puis de continuer en haussant les épaules. « Je n’allai quand même pas revenir sans toi ! » conclut alors Tyron en esquissant finalement un petit sourire. James Clapper avait mis une telle confiance en lui… si par malheur il était rentré sans sa fille, le jeune homme aurait clairement pu faire une croix sur ses ambitions, et donc sur sa mission qu’il menait pourtant si bien jusqu’à aujourd’hui. Et en songeant à M. Clapper, une question traversa l’esprit aiguisé de Tyron. En tentant de se montrer le plus pudique possible, car il savait que le sujet était encore délicat, il demanda à voix basse : « Est-ce que… est-ce que ton père sait ? Tu lui as parlé de ce qui est arrivé là-bas ? Je veux dire… de ce soir-là, en particulier ? »

Tyron savait qu’il était passé tout près de la catastrophe. S’il était arrivé ne serait-ce qu’une fraction de seconde trop tard ce soir-là, Isis n’aurait certainement rien pu faire, et lui non plus. Son agresseur aurait alors tiré, et elle n’aurait clairement eu aucune chance de s’en sortir. Bien sûr, l’évènement aurait été des plus tristes et aurait certainement affecté Tyron. Mais ce qui l’aurait le plus préoccupé si les choses s’étaient déroulées autrement, c’était son poste et la confiance que James Clapper avait mise en lui sans même le connaître. Si Isis n’était pas rentrée entière de cette mission en Chine, Tyron aurait pu tirer un trait sur son job, sur sa relation avec Clapper et par conséquent, sur la mission ultime qui lui avait été confiée lorsqu’on l’avait envoyé aux Etats-Unis. Autant dire que le jeune homme était doublement heureux de pouvoir encore compter Isis parmi ses contacts. « Oui mais, tout de même ; à toi, merci, vraiment. » lâcha-t-elle finalement tout en trinquant avec son voisin de table, entrechoquant doucement leurs deux coupes de champagne.

Malgré la relative bonne humeur qui flottait dans la pièce, le fait de reparler de ce qui était arrivé en Chine perturbait quelque peu Tyron. Tout un tas de souvenirs lui revenaient en tête, et notamment des images de cet instant où il avait appuyé sur la gâchette. Ce battement de cil qui aurait pu tout faire basculer et pendant lequel il avait eu un réflexe qui avait sauvé la vie de sa coéquipière. Et en se repassant cette scène, le jeune homme se demanda soudain de quelle façon l’aborder lorsqu’il serait en face de James Clapper. Mais bien vite, Isis régla le problème en lui annonçant qu’elle ‘n’avait encore rien dit à son père, et qu’il ne serait au courant que si Tyron venait à lui en parler. « S'il savait que j'étais passé aussi près de la mort... il ne me laisserait certainement pas continuer. Si ce n'est par son aval, je ne serais pas là aujourd'hui, alors... Si on pouvait garder ça entre nous... » expliqua-t-elle en priant clairement le jeune homme de ne faire aucune allusion à leur petit incident en présence de James. En réalité, Tyron était encore un peu indécis sur ce fait-là… En expliquant à Clapper qu’il avait sauvé sa fille du pire, il s’offrirait une crédibilité bien plus rapidement et efficacement qu’en enchainant les missions afin de prouver de quoi il était capable. Mais comme si elle lisait dans ses pensées, Isis crut bon d’ajouter : « Mais il sait que tu es... compétent, efficace, et de confiance. » D’abord surpris, Tyron regarda la jeune femme s’éloigner de lui en silence, puis se contenta d’acquiescer d’un signe de la tête. Si c’était ce qu’elle voulait, il ne dirait rien. Rien pour le moment, car il savait qu’il n’aurait aucun scrupule à utiliser cet argument s’il en avait besoin un jour. Certes, il appréciait Isis depuis la mission qu’ils avaient partagée, mais elle restait tout de même son meilleur outil pour se rapprocher de Clapper. Par conséquent, le jeune espion n’avait absolument aucune intention de se laisser aveugler par de quelconques sentiments amicaux. Soucieux de reprendre une conversation à peu près normale, Tyron reprit une gorgée de champagne avant de lancer : « Si ton père pense qu’on a fait une bonne équipe, tu crois qu’il nous renverra sur d’autres missions tous les deux ? Genre, on deviendrait une vraie équipe comme dans les séries télé ? » Il avait adopté le ton de la plaisanterie mais au fond, si elle pouvait lui livrer une quelconque information sur leur avenir, Tyron était plus que preneur.

Rebondissant sur les dires de James Clapper, Tyron ne tarda pas à mettre la question de leur futur sur le tapis, non sans une pointe d’humour et de dérision. Les séries télé, ce n’était pas spécialement son truc non plus mais l’image lui était venue sans qu’il ne comprenne bien pourquoi. Et à vrai dire, le jeune homme se projetait assez bien en tant que partenaire d’Isis sur une durée plus importante que celle d’une simple mission. Ils pourraient aisément former un duo de choc, et leur réussite en Chine attestait de leurs capacités respectives à mener à bien n’importe quelle mission qu’on pouvait bien leur donner. Tyron fut donc ravi d‘apprendre que la jeune femme partageait son opinion, et ne s’opposerait pas à une « union » professionnelle si celle-ci venait à se présenter un jour. Outre le fait qu’un tel évènement irait bien évidemment dans son sens et le rapprocherait une nouvelle fois de l’objectif qu’il s’était fixé dès le début, le jeune russe voyait également en Isis la coéquipière parfaite. Car en plus d’être la fille de ce Clapper qu’il cherchait à se mettre dans la poche, le feeling qu’il avait eu avec elle lors de leur toute première mission avait été plutôt bon. Bien sûr, du côté du jeune homme tout était faux et sur-joué mais au fond, il sentait bien qu’il pouvait s’entendre à merveille avec cette fille. Et lorsqu’elle lui assura qu’il était fait pour un travail plus important que celui qu’il exerçait aujourd’hui, Tyron ne put retenir son sourire plus longtemps. Baissant un peu les yeux en faisant mine d’être gêné, il finit par retrouver le regard d’Isis et affirma : « Je suis persuadé qu’on pourrait faire une super équipe tous les deux… si l’occasion venait à se présenter, je ne dirai pas non moi non plus… » ajouta-t-il presque sur le ton de la confidence.

Attrapant une dernière fois sa coupe de champagne pour en engloutir le contenu, Tyron laissa son regard glisser tout autour de lui pour constater que les convives étaient à présents toutes absorbées dans leurs discussions plus ou moins intéressantes. Un petit sourire étira alors ses lèvres, avant qu’il ne se rapproche d’Isis pour lui souffler : « Je ne sais pas ce que tu en penses mais… j’avais prévu de sortir un peu après la réception de ton père. Si ça peut t’éviter de passer le reste de la soirée au milieu de ces gens… je t’invite ! On peut aller où tu veux, un bar, une boîte, n’importe où ! Mais je t’avoue que… je ne me sens pas trop dans mon élément ici ! » Tyron ponctua sa dernière phrase d’une petite grimace histoire d’être plus crédible. Mais quoi qu’il en dise, même s’il jouait la comédie, le jeune russe se sentirait effectivement plus à sa place à l’extérieur de cette grande bâtisse. Et puis une petite sortie serait également l’occasion de découvrir Isis « autrement », dans un autre contexte beaucoup moins tendu ou protocolaire que ce qu’ils avaient connu jusqu’à aujourd’hui.

Tyron voulait bien jouer la comédie quelques temps histoire de se faire bien voir par Clapper et son entourage, mais il ne comptait pas non plus gâcher sa soirée ici. Tous ses gens coincés et pleins aux as ne lui inspiraient rien de vraiment récréatif et pour se détendre, le jeune russe préférait aller voir ailleurs. Et puisque la compagnie d’Isis était loin de lui être désagréable, il n’hésita pas une seule seconde avant de lui proposer de l’accompagner. Certes, il l’arrachait un peu à ses obligations protocolaires mais après tout, l’ambiance de la réception commençait lentement à retomber et « l’animation » principale était déjà passée. Tout les invités avaient pu voir les deux coéquipiers, les féliciter, leur demander leurs impressions sur cette première mission à deux et à présent, ils se retrouvaient seuls l’un à côté de l’autre ? Tyron doutait même que quiconque s’aperçoive de leur absence, à part peut-être James Clapper qui finirait bien par chercher sa fille chérie. Mais visiblement, la proposition du jeune fut accueillie avec enthousiasme par Isis, qui le rassura même sans le savoir sur l’attitude de son père une fois qu’ils se seraient éclipsés. « Je suis même pas sûre qu'on ai besoin d'attendre la fin de la réception... Dans quelques minutes, James va commencer à raconter le Vietnam, et là... Les plus courageux seulement réussiront passer au travers, l'ambiance va vraiment être refroidie. » Tyron ne put s’empêcher de rire discrètement en imaginant Clapper conter les récits de ses aventures devant une assemblée somnolente. Visiblement, sa fille savait de quoi elle parlait et l’expression qu’elle arbora ne donna aucune envie au jeune russe de rester pour écouter ces histoires. Ravi de savoir qu’elle acceptait de le suivre, il confia à voix basse : « Bien ! Alors disons que je te kidnappe… maintenant ! »

« Je suis pas trop boîte, mais... je sais pas, un endroit moins... formel ? » proposa la jeune femme alors que Tyron commençait déjà à quitter sa chaise. L’invitant à en faire de même, il fit mine de réfléchir à un endroit qui pourrait convenir à ses attentes, avant d’opter pour une solution plutôt inattendue qui, il l’espérait, conviendrait à Isis. « Je crois que je connais l’endroit qu’il te faut ! » murmura-t-il, se refusant à lui donner le moindre indice avant d’arriver sur place. En un clin d’œil, les jeunes gens s’éclipsèrent donc le plus discrètement possible. Tyron ne tenait pas spécialement à saluer tous les convives une nouvelle fois, et tout le monde était de toute façon bien trop occupé pour remarquer leur départ. En arrivant dans la cour, le jeune homme désigna sa voiture à Isis en déclarant : « Installe-toi, on va d’abord aller faire quelques courses ! » affirma le russe en affichant un sourire des plus mystérieux, avant de se placer derrière le volant et de quitter la demeure Clapper.

Quelques minutes plus tard, Tyron immobilisait son véhicule devant une petite épicerie, une des seules encore ouvertes à cette heure relativement tardive. « Attends-moi là, j’en ai pour deux minutes. » Sans lui laisser le choix ni l’occasion de protester, le jeune homme quitta l’habitable et s‘engouffra dans le magasin en lançant un regard amusé en direction d’Isis. Comme il l’avait promis, il ne lui fallut pas plus de deux ou trois minutes pour faire ses quelques achats, et ressortir de l’épicerie avec un sac en papier qui dissimulait tout ce qu’il contenait. Tyron prit soin de le placer dans le coffre, avant de redémarrer la voiture pour l’emmener quelques rues plus loin, à l’entrée d’un petit parc dont le portail était fermé pour la nuit. Sans se soucier des questions qu’Isis était certainement en train de se poser, il lui fit signe de le suivre en quittant la voiture sans oublier de récupérer son sac à l’arrière. Le jeune homme s’approcha alors d’une des barrières du petit parc et ce ne fut qu’à ce moment-là qu’il réalisa que la prochaine étape de son plan s’annonçait quelque peu complexe. Aux vues de la tenue qu’elle portait, le passage de cette simple barrière promettait d’être périlleux pour Isis et même s’il avait confiance en ses capacités physiques, il se montra galant et lui tendit la main pour l’aider à grimper sur le muret devant eux et à la faire passer de l’autre côté. Bravant à son tour l’interdiction d’entrer dans le parc dans lequel il avait pourtant ses petites habitudes, Tyron passa habilement la barrière et se retrouva  bien vite à l’intérieur aux côtés d’Isis. Avançant de quelques pas sur la pelouse, il désigna l’endroit avec un large sourire avant de se tourner vers la jeune femme : « Alors ? C’est assez informel pour toi ? »

Tyron ne savait pas exactement d’où lui venait cette idée saugrenue mais à vrai dire, il était plutôt fier de lui. La lueur de curiosité qu’il distinguait dans le regard d’Isis à chaque fois qu’il l’observait le confortait d’ailleurs dans sa décision, et le poussa à aller au bout de son idée. Certes, le jeune russe avait déjà commis ce genre « d’infraction » lorsqu’il était seul et qu’il avait une soirée à tuer, ou envie de passer la nuit à la belle étoile. Mais de là à emmener quelqu’un dans son repaire… c’était une autre histoire. Pourtant, avec Isis il n’avait pas hésité une seule seconde et se trouvait même étonnamment pressé de lui faire découvrir cet endroit un peu à part. Il ne s’agissait que d’un parc, des plus banals d’ailleurs, mais toute la différence venait de l’obscurité et du calme qui y régnait. Qui plus est, l’interdiction formelle d’être ici à une telle heure ne faisait qu’ajouter un peu de piment à l’histoire. Visiblement, le programme de Tyron fut donc accueilli avec beaucoup de surprise mais aussi avec joie. La jeune femme paraissait ravie de cette initiative et de l’originalité de ce lieu de rendez-vous. En effet, le russe avait suivi ses directives, et ils se retrouvaient à présent bien loin des boîtes de nuit et autres bars qu’il lui avait tout d’abord proposés. S’approchant de lui avec la même curiosité dans le regard, Isis questionna : « So, what's in the bag ? »

Tyron s’empressa de dissimuler ledit sac derrière son dos en faisant claquer sa langue contre son palais. Car non, ils n’étaient pas encore arrivés à destination… du moins, pas tout à fait. Levant alors les yeux au ciel, le jeune homme grogna : « Ne sois pas si pressée ! » avant de faire signe à Isis de le suivre encore un peu. Il s’enfonça donc dans l’obscurité, marchant à travers ce parc qu’il connaissait presque par cœur. Quelques instants plus tard, il bifurqua sur la droite et dépassa quelques arbres, ce qui leur permit de retrouver la lueur du clair de lune. Là, juste devant eux se trouvait une petite étendue d’eau dont les berges enherbées ne semblait plus attendre qu’eux. Cette fois c’était le clou du spectacle, et sans prononcer le moindre mot Tyron guetta la réaction de sa coéquipière du coin de l’œil. Filant ensuite s’installer sur une des berges, il s’étala de tout son long dans l’herbe en posant le sac de papier près de lui. « Cette fois on y est ! » annonça-t-il tout en s’étirant. Puis, en se redressant légèrement il récupéra le sac et l’ouvrit pour en sortir deux bières et un paquet de chips. Tyron haussa les épaules alors en souriant. « Bon… sorry, ça fait un peu… mauvaise soirée entre mecs mais, ils avaient plus que ça à l’épicerie ! Ca ira quand même ? » questionna-t-il tout en ouvrant une des bouteilles de bière pour la lui tendre.

La fin de soirée que Tyron était en train de proposer à sa coéquipière contrastait totalement avec cette réception qu’ils venaient de quitter. A l’inverse, le jeune russe n’avait rien d’autre à lui proposer qu’un parc vide, un paquet de chips et une bière… Mais au fond, il espérait que cela suffise à satisfaire Isis. Même si elle devait être habituée aux frasques et aux grands évènements organisés par son père, un peu de simplicité n’avait jamais fait de mal à personne. En tous cas, l’endroit était parfait aux yeux de Tyron et il espérait sincèrement que la jeune femme finisse par partager son opinion. Après tout ce qu’ils avaient vécu tous les deux alors qu’ils ne se connaissaient même pas, Tyron estimait qu’ils avaient besoin de se poser, de discuter tout simplement, dans des circonstances bien moins sérieuses que ce qu’ils avaient connu jusque là. Bien sûr, en tout premier lieu, l’espion voyait cela comme une énième manière de se rapprocher de la famille Clapper et de tout ce qu’elle représentait pour lui. Mais au fond, le fait de passer du temps en compagnie d’Isis semblait être une récompense bien plus grande, chose qu’il se refusait bien évidemment à admettre. Au lieu de ça, il prit le parti de cesser de réfléchir, et de se consacrer simplement à ce moment qu’il avait voulu lui offrir. D’ailleurs, en voyant le sourire et même le rire de sa coéquipière, il ne fut pas bien difficile pour Tyron de se reconcentrer sur elle. Apparemment, il avait vu juste en l’emmenant jusqu’ici et Isis avait tout simplement l’air ravie. Peut-être même un peu trop… La méfiance continuelle du jeune homme le poussa à se poser quelques questions, qui disparurent cependant bien vite lorsque sa voisine lui tendit sa bière pour trinquer.

Tyron s’exécuta, avant d’engloutir quelques gorgées de bières puis de reposer son regard sur Isis qui paraissait définitivement émerveillée par cet endroit, pourtant si banale lorsqu’on le visitait en pleine journée. « C'est comme ça qu'on reconnaît quelqu'un de Washington, j'imagine... Il n'y a qu'un natif pour trouver un tel parc dans une telle métropole bétonnée. » Une fois de plus, Tyron jubila intérieurement de voir que tous ses plans fonctionnaient à merveille et qu’Isis ne se doutait de rien. Absolument rien. Et il valait mieux pour lui. Au contraire, la jeune femme semblait lui faire de plus en plus confiance et à coup sûr, le russe saurait faire bon usage de cette faiblesse. Affichant un énième sourire pour cacher tout ce qu’il ressentait et ce qu’il pensait, il hocha la tête et expliqua : « Oh tu sais… ça aurait eu beaucoup moins de charme si on était venus à une heure normale… Les joggers, les gamins qui hurlent…. En vrai, c’est un parc comme tous les autres ! Il faut juste savoir choisir le moment opportun… » conclut-il en lui adressant un clin d’œil et en buvant une nouvelle gorgée de bière. Tyron posa ensuite sa bouteille dans l’herbe et s’empara du paquet de chips pour l’ouvrir et le tendre à sa voisine. « Tiens, tant qu’on est dans le cliché… » plaisanta-t-il, avant de se servir à son tour. Puis comme pour apprécier un peu plus le pseudo-silence environnant, Tyron se tut et contempla le paysage alentour qui, il fallait bien l’avouer, sortait de l’ordinaire. « T’avais déjà fait ça ? J’veux dire, fuir l’agitation de la ville pour te retrouver seule avec toi-même… enfin… avec moi aussi du coup… » se reprit-il en souriant. « Ca fait un bien fou de se croire seul au monde de temps en temps, tu trouves pas ? »

Rien de tout ce qui arrivait ce soir n’avait été prévu, et c’était certainement tout ce qui faisait le charme de la situation. Car même s’il ne perdait jamais de vue le fait que se rapprocher d’Isis n’était qu’un acte intéressé, Tyron se prenait à apprécier ces moments passés en sa compagnie. Quelque part, ça lui faisait même un peu mal d’avoir à la mener en bateau comme il le faisait. Mais avait-il vraiment le choix ? Sans parler de profiter de leur relation pour arriver à ses fins, était-il seulement possible de fréquenter Isis comme une amie « normale » ? Certainement pas. Pas en sachant que son père était James Clapper, et que Tyron s’évertuait depuis des mois à le trahir et à abuser de sa confiance en se faisant passer pour un employé modèle. Le jeune russe savait bien que tout ce petit jeu comportait bien plus de risque qu’autre chose, mais il était prêt à tenter le coup. Rien ni personne ne pourrait jamais le faire dévier de sa mission initiale, et tous les moyens étaient bons pour parvenir à ce qu’il voulait, y compris les options les plus « cruelles ». Certes, e jeune homme n’avait pas prévu de s’attacher aussi vite à Isis, car quoi qu’il veuille bien en dire… c’était bel et bien le cas. Mais à l’heure actuelle, il se pensait encore capable de tirer un trait sur ses ressentis pour faire passer sa mission au premier plan quoi qu’il arrive.

Bien loin de se douter de tout ce qui se tramait dans l’esprit de Tyron, Isis parut soudain un peu absente, comme absorbée par ses pensées et une certaine mélancolie. « Well, j'ai eu beaucoup de temps pour me retrouver toute seule l'an dernier...  Mais pas comme ça, non. Enfin, là, c'est plaisant, c'est... une bonne occasion de parler, le cadre est magnifique... »déclara-t-elle doucement, sous le regard attentif de Tyron. Mais bien vite, elle sembla se reprendre et plaisanta : « Et la nourriture & la boisson clairement les meilleures que j'ai jamais ingurgité. » Dans un premier temps, le jeune homme adopta une mine faussement outrée, avant de rire à son tour. Evidemment, tout ce qu’il pouvait bien lui apporter n’était pas à la hauteur de ce qu’elle avait chez les Clapper et il en était conscient. Mais il faisait au mieux avec ses moyens, et se trouvait tout de même ravi de voir que ses initiatives plaisaient à Isis.

L’ambiance ne se détendit finalement que quelques instants et bien vite, la jeune femme détourna de nouveau les yeux en soupirant. Visiblement, elle avait bien du mal à se détacher de son quotidien et de tout ce que cela induisait. Isis donna d’ailleurs l’impression au jeune russe de ne jamais se sentir libre, de porter constamment un poids sur ses épaules alors qu’elle n’avait clairement rien demandé à personne. Sans qu’elle ne le sache, Tyron se retrouvait un peu dans ce qu’elle disait et ressentit même une sorte de pincement au cœur. Tout en affichant une petite grimace, il se rapprocha d’Isis pour poser une main réconfortante sur son épaule. « Il ne faut pas y penser… t’as quand même le droit de t’accorder des moments comme ça… » Alors qu’il tentait de la réconforter un peu, un bruit suspect se fit entendre tout autour d’eux, faisant froncer les sourcils de Tyron qui se retourna pour chercher du regard ce qu’il se passait. Et soudain un, puis deux, puis trois jets d’eau s’élevèrent au-dessus de la pelouse, signalant aux deux intrus qu’ils étaient que l’arrosage automatique se mettait en route dans le parc.

Rien de tout ce que Tyron faisait depuis qu’il avait proposé à Isis de le suivre n’était prévu. Et l’évènement qui se tramait derrière eux l’était encore moins. Le jeune russe ne réalisa pas de suite ce qui était en train d’arriver, et ce n’est qu’en sentant les première gouttes s’abattre sur lui qu’il comprit que le système d’arrosage automatique avait décidé de gâcher leur soirée. Ou du moins ce qu’il en restait. Car entre la réception chez les Clapper et le trajet pour arriver jusqu’ici, la nuit était déjà plus qu’entamée.

Saisissant la main de sa partenaire qui venait de se lever d’un bond, Tyron se mit à rire. Il n’avait suffit que de quelques secondes pour que l’arrosage se déclenche à pleine puissance et déjà, le jeune homme pouvait sentir sa chemise lui coller à la peau. Il se redressa à son tour et suivit Isis en reprenant le chemin qui les mènerait jusqu’à la voiture. Et c’est après avoir été copieusement arrosés que les deux coéquipiers parvinrent à hauteur de la barrière qui les séparait encore de la rue. Tyron s’efforça alors de ne pas laisser trainer son regard de façon indécente lorsqu’il aida Isis à passer de l’autre côté. Lorsqu’il atterrit lui-même sur le trottoir, le jeune homme ne put s’empêcher de rire de nouveau, tout en secouant vigoureusement la tête pour débarrasser ses cheveux du trop plein d’eau qu’ils avaient accumulé. « En tout cas, ça a le mérite d'être vraiment différent de ce qu'on aurait eu chez les Clapper ! » lança la jeune femme en riant, visiblement très amusée par la situation pourtant peu agréable à cause du froid environnant. « Tu voulais pas un truc formel hein ? Je n’ai fait qu’exaucer ton vœu ! » prétexta le jeune russe en souriant, avant de grimacer en constatant qu’Isis se dirigeait déjà vers la voiture, probablement poussée par le froid et le fait d’être complètement trempé. « Bon j’avoue, j’avais pas prévu ça… On en a même oublié nos bières là-bas ! » constata-t-il finalement en laissant retomber ses bras le long de son corps. Puis, soucieux de ne pas être responsable du futur rhume d’Isis, il déverrouilla la voiture et s’y installa avec elle, avant de chercher quelque chose à tâtons sur la banquette arrière. Rapatriant finalement une de ses vestes à l’avant de la voiture, il la tendit à la jeune femme avec un sourire. « Tiens, prend ça avant de tomber malade » proposa Tyron avant de démarrer la voiture et de reprendre la route, non sans avoir monté le chauffage à fond dans l’habitacle.