Ces derniers temps, l’esprit de Pablo avait été accaparé par tout un tas de choses n’ayant absolument rien à voir avec ses préoccupations habituelles. Tout d’abord, il y avait eu son histoire avec Bonnie. Ou plutôt, sa seconde histoire avec Bonnie qui s’était une fois de plus terminée dans la douleur. Pire, le jeune homme avait apprit quelques semaines plus tard qu’elle était enceinte, et qu’il était bien évidemment le père biologique de l’enfant. Alors, Pablo avait du prendre sur lui, se faire violence pour faire face à ses responsabilités, et accepter de soutenir Bonnie dans le moindre de ses choix en ce qui concernait cet enfant. Leur enfant. Lorsqu’elle lui avait dit que la meilleure solution était de le faire adopter, le latino s’était plié sans trop rechigner à cette décision en pensant lui aussi qu’ils étaient incapables d’assumer l’arriver d’un enfant alors qu’ils n’étaient même plus ensemble. Mais à la naissance de la petite, toutes ses bonnes paroles avaient volé en éclat et la séparation, quelques heures à peine après l’accouchement, avait été un véritable déchirement. Bien sûr, Pablo n’avait rien montré à Bonnie, et s’était efforcé de faire bonne figure mais le mal était fait. Sombrant dans une sorte de dépression, les résultats du jeune pilote ne tardèrent pas à s’en ressentir, éveillant ainsi les soupçons de ses sponsors qui le menacèrent de lui tourner le dos. Puis, alors qu’il commençait tout juste à se remettre sur les rails, il y avait eu cette histoire d’enlèvement. Cette arrestation musclée, l’interrogatoire auquel il avait du faire face alors qu’il se savait totalement innocent. Et malgré l’aide précieuse de Zeppelin, à laquelle il n’avait tout d’abord pas voulu croire, cette histoire était loin d’être terminée. Des semaines plus tard, Pablo constituait toujours le seul et unique suspect et malgré l’absence de preuves concrètes contre lui, un procès menaçait toujours de lui tomber dessus. D’aussi loin qu’il se souvienne, Pablo ne s’était jamais senti aussi abattu et impuissant qu’en ce moment. Et même en pleine course, alors qu’une concentration maximale était requise, toutes ces choses venaient l’assaillir et l’empêcher d’être le petit prodige des circuits qu’il avait toujours été…

FLASH INFOS
« Madame Monsieur bonjour, et bienvenue pour cette page spéciale d’informations.
Tout d’abord, commençons par cet effroyable accident dont a été victime le jeune pilote de Formule 1, Pablo Fernandez. Au cours du Grand Prix que vous avez pu suivre en direct sur notre chaîne, il a été victime d’une violente sortie de route, après avoir visiblement perdu le contrôle de son véhicule. Transporté à l’hôpital dans un état grave, nous n’avons pas d’autres informations pour le moment. Rappelons que Pablo Fernandez avait connu un brillant début de carrière, avant de voir ses espoirs disparaître après une piètre saison l’an dernier. Espérons que cet accident, qui a été suivi par des millions de téléspectateurs, ne marquera pas la fin de sa prometteuse carrière.»

Allongé sur un lit d’hôpital, branché de toutes parts à des machines émettant des « bips » réguliers, Pablo était immobile, les yeux fermés, et ce depuis plusieurs jours. Il portait une minerve, un gros bandage autour du front, qui laissait encore apparaître quelques plaies sur son visage. Un de ses bras était immobilisé par un plâtre et une multitude d’hématomes recouvrait l’ensemble de son corps. Immédiatement après son accident, le latino avait été transporté au Lenox Hill Hospital pour y subir plusieurs interventions d’urgence. A présent, son état était stable mais il n’avait pas encore rouvert les yeux, ni même prit conscience de ce qu’il lui était arrivé au cours de la dernière course à laquelle il avait participé.

Installée à son poste de travail, Zeppelin tapotait nerveusement le bureau de ses doigts en relisant le compte-rendu d’enquête qu’elle était déjà censée avoir remis entre les mains de son supérieur hiérarchique. Ses yeux survolaient chaque ligne avec soin et, de temps en temps, butaient sur certains détails qu’elle s’empressait de modifier. Cette tâche était de loin la plus ingrate du métier qu’elle exerçait, mais elle était cruciale. Zeppelin n’était pas vraiment perfectionniste, cependant elle avait conscience que la délibération des juges dépendait en grande majorité de ce dossier et pour cela, il fallait que ce dernier soit le plus clair, le plus exact et le plus détaillé possible. En général, le QG du F.B.I ressemblait à une véritable fourmilière, mais aujourd’hui tout était très calme : c’était d’ailleurs à cette seule condition que Zeppelin se décidait à remplir les rapports de missions. La plupart des agents de son secteur se trouvaient déjà sur le terrain, mais une poignée d’entre eux était restée, certains pour la même raison que l’américaine et d’autres assurant le support technique pour leurs collègues déjà sur le terrain. Il régnait donc une ambiance calme. Un peu trop calme. Zeppelin n’y était pas habituée : si le bruit était épuisant, le silence l’était encore plus.

Au bout de quelques minutes, elle acheva enfin sa relecture, lança l’impression après avoir pris soin de le sauvegarder puis relia le tout en poussant un énorme soupire libérateur qui troubla le silence quasi-religieux et fit se tourner quelques têtes dans sa direction. Un sourire sur les lèvres, Zeppelin haussa les épaules en se donnant un air faussement désolé comme pour les narguer, attrapa son mug et quitta son bureau pour la salle de pause au moment précis où le générique annonçait le JT. Elle était en train de se préparer un café bien mérité lorsqu’un flash spécial attira toute son attention. L’américaine cessa donc toute activité et redressa la tête pour apercevoir l’écran suspendu au mur avec une angoisse palpable. « Tout d’abord, commençons par cet effroyable accident dont a été victime le jeune pilote de Formule 1, Pablo Fernandez. Au cours du Grand Prix que vous avez pu suivre en direct sur notre chaîne, il a été victime d’une violente sortie de route, après avoir visiblement perdu le contrôle de son véhicule. Transporté à l’hôpital dans un état grave, nous n’avons pas d’autres informations pour le moment. Rappelons que Pablo Fernandez avait connu un brillant début de carrière, avant de voir ses espoirs disparaître après une piètre saison l’an dernier. Espérons que cet accident, qui a été suivi par des millions de téléspectateurs, ne marquera pas la fin de sa prometteuse carrière. ». Zeppelin eut d’abord beaucoup de mal à y croire, mais lorsque la chaîne rediffusa les images de l’accident, son mug lui glissa des mains pour venir se briser en mille morceaux à ses pieds. Son sang battait vigoureusement dans ses tempes et son cœur cognait dans sa poitrine avec une telle violence qu’elle eut presque l’impression qu’il se voulait se déloger de la cavité qui le maintenait en place. Zeppelin avait aussitôt quitté son poste de travail pour l’hôpital sans donner d’explications, mais à son arrivée et même si elle usa de son badge comme d’un passe-droit, les infirmières lui refusèrent l’accès à la chambre de Pablo sous prétexte que le pilote n’était pas apte à recevoir une quelconque visite. Frustrée, elle demanda alors à être tenue informée de la moindre avancée le concernant. Chaque jour, elle contactait l’accueil de l’hôpital pour avoir des nouvelles de son état et lorsqu’on l’informa que les visites étaient de nouveau autorisées, la jeune femme avait sauté dans son véhicule pour se rendre au Lenox Hill.

Stoppée par la porte close, Zeppelin posa une main sur la poignée. Ce simple contact suffit alors à la faire sortir de ce comportement d’automate qu’elle avait adopté depuis l’annonce de l’accident. Elle hésitait. Lèvres pincées, regard lointain, l’esprit de la jeune femme semblait chercher autant de raison de rebrousser chemin que d’entrer à l’intérieur et finalement, après plusieurs minutes de lutte acharnée contre elle-même, l’américaine prit son courage à deux mains. En silence, Zeppelin poussa la porte. Elle passa d’abord timidement sa tête à l’entrebâillement et tendit l’oreille à l’affût d’un éventuel visiteur, puis – après inspection – pénétra complètement à l’intérieur de la pièce et avança avec lenteur jusqu’au lit où se trouvait Pablo. A la vue du corps inanimé et abîmé du pilote de F1, son cœur se serra douloureusement et ses yeux se mirent à piquer affreusement. Elle prit alors une profonde inspiration et chercha aussitôt à se recomposer un visage au cas où il se déciderait à ouvrir les yeux, cependant il restait marqué par l'inquiétude.

Pablo était en pleine course ; l’une des premières à laquelle il participait depuis un bon moment. En réalité, il n’avait jamais vraiment quitté les circuits mais avec tous les tracas qu’il avait connu dernièrement, le jeune pilote s’était contenté d’entrainements, histoire de ne pas perdre la main. Aujourd’hui, il reprenait du service et ce malgré ses démêlés avec la justice qui étaient bien loin d’être réglés. Ayant réalisé une séance d’essais des plus satisfaisantes, le latino se retrouvait en bonne place sur la grille de départ. Le stress était bel et bien au rendez-vous, mais c’était surtout la concentration et l’envie de retrouver la plus haute marche du podium qui occupaient l’esprit du jeune homme. Les premiers tours de piste se firent exactement comme il les avait imaginés. Il avait rapidement reprit ses marques et retrouvé cette fluidité qui était un peu sa marque de fabrique, et s’était laissé grisé par le fait de retrouver ces sensations qui lui plaisaient tant. Mais il avait suffit d’une seule seconde d’inattention, d’un seul flash venant lui rappelait la dure réalité et son implication dans cette sombre affaire d’enlèvement pour tout faire basculer. A aucun moment Pablo n’avait été capable de reprendre le contrôle de son véhicule tellement la scène avait été rapide. Après avoir percuté le bolide d’un de ses concurrents, sa voiture avait littéralement décollé, finissant sa course en s’encastrant dans les barrières de sécurité. De sa monoplace, il ne restait qu’une épave, qui ne tarda d’ailleurs pas à s’enflammer. Fort heureusement, les équipes de sécurité du circuit purent intervenir avant le pire, mais ne sortirent qu’un corps inanimé de la carcasse calcinée.

Brusquement, et sans vraiment comprendre pourquoi ni même ce qu’il venait de se passer, Pablo se sentit basculer dans un autre monde. Comme s’il s’était endormi, comme s’il se retrouvait projeté dans un de ses rêves, le latino avait l’impression d’être léger et de ne plus toucher le sol. Il se voyait dans un environnement totalement blanc, marchant seul au milieu de nulle part. Mais tout à coup, une ombre se dessina devant lui et devint de plus en plus distincte, de plus en plus claire, jusqu’à se transformer en une silhouette qu’il connaissait bien, et pour cause. Sa mère se tenait là et, ô surprise, fut rapidement rejointe par son père. Incapable de dire ou de faire quoi que ce soit, le latino les regardait se sourire l’un l’autre, comme s’ils étaient revenus des années en arrière, bien avant que son père ne quitte la maison. Puis, prenant leur place sans qu’il ne comprenne comment, la silhouette de Bonnie lui apparu, tenant dans ses bras un bébé qui s’avéra être leur fille. Cette dernière gazouillait avec enthousiasme alors que sa mère regardait Pablo en se fendant d’un large sourire. Il aurait voulu s’approcher, la toucher, prendre sa fille dans ses bras mais il était comme scotché au sol, incapable d’esquisser le moindre mouvement. Il essaya bien de crier mais là encore, aucun son ne sortit de sa bouche. Et malgré ses protestations silencieuses, Bonnie et sa fille s’éloignèrent, comme s’il n’avait pas été là, comme s’il n’avait jamais existé. Le cœur du jeune homme était serré, son esprit rempli d’incompréhension et plus le temps passait, plus ces visions lui étaient insupportables. Et alors qu’il aurait voulu s’en aller, et ne plus avoir à subir ça, une nouvelle ombre se matérialisa devant lui. Celle de Zeppelin. Aussitôt, toute la colère qu’il pouvait ressentir sembla s’évaporer et le simple fait qu’elle le regarde fut suffisant pour le rasséréner. Elle lui souriait, et Pablo avait l’impression de pouvoir rester des heures comme ça, juste à la regarder. Mais comme toutes les autres, cette apparition finit par se dissiper, le laissant désespérément seul, coincé dans ce monde immaculé dont il ne semblait plus pouvoir sortir.

Dans la petite chambre d’hôpital, le silence n’était rythmé que par le bruit des machines auxquelles le latino était relié. Le seul mouvement fut celui de la porte qui s’entrouvrit, avant de laisser apparaître Zeppelin. Mais dès l’instant où elle s’immobilisa tout près du lit, le silence et le calme se refirent bien trop pesants dans la pièce.

La présence de Zeppelin dans un hôpital relevait presque de l’exploit. Elle détestait les établissements de ce genre bien que cela n’avait pas toujours été le cas. Le malaise provenait sûrement de son enlèvement et de la maladie de sa sœur qui obligeait les McFersen à rester au chevet de Belle pendant que les médecins lui prodiguaient les soins nécessaires. Cela n’avait pas toujours été très facile à vivre. Depuis, Zeppelin avait développé un profond dégoût pour l’odeur prenantes des produits antiseptiques qui lui donnait la nausée et aussi pour les chambres impersonnelles qui ne donnaient pas vraiment envie de s’y attarder, mais ce qui la paralysait davantage restait l’appréhension des mauvaises nouvelles. Et elle s’y connaissait en mauvaise nouvelle. Être agent du F.B.I l’amenait parfois – pour ne pas dire souvent – a en donner et il lui était particulièrement difficile de rester de marbre. Pour avoir vécu une situation similaire étant jeune et sans en avoir eu véritablement conscience, chaque enlèvement touchait Zeppelin personnellement. Elle enviait parfois les médecins et le détachement qu’ils avaient su acquérir avec l’expérience, parce que pour l’américaine, c’était encore loin d’être le cas et ce même si elle avait appris à camoufler ses émotions.

Le silence n’était pas non plus son fort. Celui qui pesait dans cette chambre ne l’aidait pas vraiment à se sentir mieux et elle se désintéressa bientôt de Pablo pour se diriger vers le pan du mur d’en face où se trouvait divers clichés des radios qu’on lui avait fait subir. Curieuse, Zeppelin appuya sur l’interrupteur pour plus de visibilité et pencha la tête sur le côté pour mieux les analyser. La médecine n’était peut-être pas son domaine d’origine, mais pour avoir discuté à de nombreuses reprises avec un médecin légiste, elle avait acquis certaines connaissances en la matière. Constatant plusieurs fractures de part et d’autres, la jeune femme esquissa une grimace de compassion et croisa les bras sur sa poitrine en continuant sa petite visite de la modeste chambre. Lorsqu’elle eut terminée et que le silence devint insoutenable, elle revint au chevet de Pablo. « Tu l’as échappé belle, Fernandez. » lança-t-elle, consciente de parler toute seule. Cela ne lui ressemblait pas tellement, mais Zeppelin avait réellement besoin de meubler la ‘conversation’ même si son interlocuteur était loin d’être en état de lui répondre. On lui avait un jour assuré que parler à une personne dans le coma stimulait le cerveau et pouvait contribuer à l’en faire sortir. « Et tu me dois un mug. » ajouta-t-elle en adoptant un don qui se voulait presque réprobateur. Elle soupira et secoua la tête de gauche à droite. « Ca ne fait que quelques jours et on n’entend plus parler que de ça, les médias nous repassent les images en boucle et c’est limite s’ils ne préparent pas déjà ton éloge funèbre. T’as plutôt intérêt à te réveiller rapidement. » poursuivit-elle, comme si elle espérait que cela ne change quoi que ce soit. Son regard se posa de nouveau sur visage de Pablo, mais celui-ci avait toujours les paupières closes alors elle se laissa tomber sur le fauteuil d’à-côté et sortit son iPhone pour faire une partie d’Angry Bird, espérant sans doute que cela suffise à lui faire un peu oublier l’endroit. Le silence de la pièce était maintenant rompu par le bruit des machines, l’agitation du personnel dans le couloir et la sonnerie du jeu de Zeppelin.

Tandis que Pablo était toujours plongé dans le coma, Zeppelin était plongée dans un foutu jeu vidéo qui l’aidait ainsi à fuir la réalité. Elle pesta à plusieurs reprises contre sa piètre performance et, au bout d’un moment, son regard glissa sur Pablo avant qu’un long soupir lourd de sens ne lui échappe. « Désolée, je ne suis pas de très bonne compagnie, mais on ne peut pas dire que tu sois très bavard. Don’t judge me ! » dit-elle, cherchant à se déculpabiliser de son comportement inadapté à la situation auprès d’une personne qui, de toute manière, était toujours endormie et n’avait sûrement pas la moindre idée de ce qui se passait aux alentours. Finalement, discuter avec Pablo ne semblait pas être une mauvaise idée. « Tu sais, ce jeu est complètement ridicule, mais j’en suis devenue accro. Un peu comme ces jeux sur Facebook. Bon d’accord, je plaide coupable, il m’arrive d’y jouer au bureau. » dit-elle en pouffant de rire sans pour autant quitter l’écran du regard. « Et puis cette musique me poursuit constamment, il m’est arrivée de la siffler en réunion : très discret, je sais. En même temps, on ne peut pas vraiment dire que je sois une personne normalement constituée pour certains domaines. C’est vrai quoi : qui aurait l’idée de jouer à un stupide jeu vidéo à côté d’une personne dans le coma ? Eh bien oui, moi. Je n’ai jamais aimé les hôpitaux, ça me rappelle trop ma petite sœur… ». Oui, parler à Pablo n’était pas si bête, mais elle commençait à se livrer un peu trop et en venait même à espérer que la théorie selon laquelle les personnes dans le coma peuvent nous entendre soit fausse. D’ailleurs, Zeppelin commençait même à imaginer les situations cocasses que cela avait pu engendrer. Elle fut tirée de ses songes par le bip du monitoring qui s’affolait. « Oui, je sais je parle trop, mais il faut bien que je meuble la conversation. » commenta-t-elle avant de se rendre compte que quelque chose clochait. Zeppelin se leva alors du fauteuil et s’approcha des machines dont elle ne comprenait pas grand-chose, puis se tourna vers le blessé. « Pablo ? C’est normal que ça sonne comme ça ou tu cherches à communiquer avec moi en morse ? » lança-t-elle, consciente de la tournure inappropriée que sa phrase pouvait avoir en ces circonstances. Elle était totalement paniquée. En fait, Zeppelin avait toujours eu un gros problème pour ce qui était d’exprimer ses émotions et il fallait toujours qu’elle ajoute de l’humour ou du sarcasme là où il n’en fallait pas forcément. Sa main attrapa alors celle du jeune homme. « Pablo ? Si tu m’entends sers ma main. » demanda-t-elle, se penchant légèrement au-dessus de son visage attendant bêtement qu’il ouvre enfin les yeux.

Tous ses membres étaient endoloris et semblaient peser une bonne centaine de kilos chacun. Même ses paupières lui paraissaient bien trop lourdes pour pouvoir se rouvrir un jour. Pablo voulut grimacer, mais même ce geste aussi anodin soit-il s’avéra tout bonnement insurmontable. Il ne comprenait absolument rien, et la seule chose qui le raccrochait un tant soit peu à la réalité était la voix de Zeppelin près de lui. Il ne lui avait d’ailleurs pas fallu bien longtemps pour la reconnaitre, et même si c’était totalement stupide, cette présence familière le rassurait. Le latino ne captait pas forcément le sens des paroles de la jeune femme, mais le simple son de sa voix suffisait l’apaiser. Et puis il y avait cette musique, rythmé par le bip des machines auxquelles il était relié… Cette musique qu’il connaissait et sur laquelle il ne pouvait pourtant pas mettre un nom. Pablo mettait tout en œuvre pour enfin se réveiller pouvoir comprendre ce qui était en train de lui arriver, mais malgré tous ses efforts, il restait lamentablement immobile et incapable de faire quoi que ce soit.

« Pablo ? C’est normal que ça sonne comme ça ou tu cherches à communiquer avec moi en morse ? » Pour la première fois, le jeune pilote put saisir chacun des mots qu’avait prononcés Zeppelin. Même s’il ne faisait pas encore le lien entre lui et ce bip qui résonnait de plus en plus rapidement dans la pièce, Pablo sentait qu’il revenait peu à peu à la réalité. Et l’élément qui termina de le persuader fut cette main qu’il sentit glisser dans la sienne. « Pablo ? Si tu m’entends serre ma main. » Bien sûr qu’il l’entendait ! Et bien sûr qu’il essayait de serrer sa main de toutes ses forces, tout en constatant avec désolation que ses doigts ne bougeaient pas d’un millimètre. Alors, il fronça les sourcils et pour la première fois, ses paupières se mirent à bouger. Le peu de lumière qui parvint jusqu’à son œil fit se réveiller un horrible mal de tête qui eut pour effet de faire gémir le jeune homme. Là encore, une douleur indéfinissable s’empara de sa gorge, probablement due au fait qu’il n’avait ni parlé ni mangé depuis des jours entiers. Mais malgré tout, Pablo ne perdait pas de vue son objectif : Zeppelin était là près de lui, et il n’avait désormais pas d’autre choix que de faire son possible pour ouvrir les yeux. Il voulait la voir, savoir où ils étaient et surtout comprendre pourquoi ils étaient là tous les deux. Alors il tenta d’être plus fort que la douleur et lentement, il ouvrit les yeux, tombant immédiatement nez-à-nez avec une Zeppelin dont l’expression traduisait une panique qu’il ne lui avait jamais connue auparavant. Le regard de Pablo s’accrocha à celui de son amie, et après quelques instants de flottements, il murmura d’une voix rauque : « Qu’est-ce que… Zeppelin… On est où ? » Puis, comme pour lui donner une réponse à retardement, Pablo serra faiblement la main de la jeune femme dans la sienne tout en parcourant le plafond blanc des yeux, réalisant peu à peu dans quel endroit il se trouvait.

Penchée au-dessus de Pablo, Zeppelin retenait son souffle. Elle ne s’y connaissait peut-être pas en médecine contrairement à sa petite sœur qui avait baigné dans cet univers depuis sa plus tendre enfance, mais elle n’était pas idiote pour autant et se doutait que tous ces bips traduisaient une reprise de son activité cérébrale. Pendant tout ce temps, le regard de la jeune femme était braqué sur lui et un sourire étira ses lèvres lorsqu’elle remarqua que les yeux de Pablo remuaient sous ses paupières tandis qu’il luttait pour les ouvrir. Une partie d’elle pensait à se ruer dans le couloir pour interpeler un médecin ou une infirmière, mais une autre se disait que Pablo n’avait certainement pas besoin d’un réveil brutal et sans réponses aux questions qu’il poserait sûrement. Zeppelin se doutait qu’il serait un peu désorienté. Quoi de plus normal après un tel accident ? Elle en avait encore la chair de poule rien que d’y penser. Lorsqu’elle croisa enfin les prunelles bleues du pilote, le sourire de Zeppelin s’élargit et elle poussa un long soupir de soulagement avant d’écarter ses longs cheveux blonds qui tombaient en cascade au-dessus de lui. « Qu’est-ce que… Zeppelin… On est où ? ». La jeune femme arbora alors son expression la plus rassurante possible et serra à son tour la main de Pablo comme pour le soutenir moralement pour ce qu’elle s’apprêtait à lui dire. « Tu ne te souviens pas ? » commença-t-elle dans un murmure, comme si elle craignait de lui flanquer une migraine horrible en parlant un peu trop fort. Pablo venait tout juste de sortir d’un coma de plusieurs jours, c’était normal qu’il ne se souvienne pas des évènements qui l’avaient conduit ici et le fait qu’il se souvienne du prénom de Zeppelin semblait déjà être un bon point : il n’était pas frappé d’amnésie, c’était déjà ça. « Nous sommes au Lenox Hill. Tu as eu un accident pendant ton championnat de F1 et tu es resté dans le coma pendant plusieurs jours, mais tu es réveillé maintenant c’est tout ce qui compte. Prends le temps d’émerger, je ferais venir le médecin quand tu te sentiras prêt. » dit-elle, sentant que ses yeux étaient maintenant voilés par l’émotion. Zeppelin s’installa de nouveau auprès de lui, sa main tenant toujours celle de Pablo. « Tu m'as vraiment foutue la trouille. » répliqua-t-elle sur un ton faussement réprobateur.

Pablo ne comprenait pas vraiment ce qui était en train de lui arriver. Il ne savait pas où il était, ni même pourquoi et pourtant, il ne semblait pas céder à la panique pour autant. Et ça, c’était en grande partie grâce à la présence de Zeppelin à ses cotés. Quoi qu’il arrive, il savait qu’il n’était pas seul et la jeune femme était certainement l’un des mieux placées pour le réconforter. Le fait qu’il ait eu l’impression de la voir alors qu’il était dans le coma était d’ailleurs une preuve de taille, démontrant tout l’attachement et l’affection qu’il éprouvait pour elle. Mais pour l’heure, le jeun pilote faisait de son mieux pour comprendre ce qu’il s’était passé, même si cela lui valait une atroce douleur lancinante qui semblait appuyer sur ses tempes. « Tu ne te souviens pas ? » murmura alors la jeune femme d’une voix si douce qu’elle aurait littéralement envouté Pablo dans d’autres circonstances. Dans le même temps, elle serra un peu plus la main du latino qui, en voulant secouer la tête en signe de négation se mit à grimacer. Il découvrit à ses dépends qu’il portait actuellement une minerve, et que des pansements tiraient sur ses cheveux dès qu’il essayait de bouger. De plus, son épaule et son bras semblaient eux aussi emprisonnés dans un carcan qu’il devina être un plâtre. Quant à ses jambes, Pablo était incapable de dire si elles lui faisaient extrêmement mal ou s’il ne les sentait tout simplement plus. Il était encore un peu sonné et certainement endormi par les substances qui coulaient dans sa perfusion mais même s’il devait lutter, il voulait à tout prix connaître la vérité.

« Nous sommes au Lenox Hill. Tu as eu un accident pendant ton championnat de F1 et tu es resté dans le coma pendant plusieurs jours, mais tu es réveillé maintenant c’est tout ce qui compte. Prends le temps d’émerger, je ferais venir le médecin quand tu te sentiras prêt. » Le visage du latino se figea pendant quelques instants, le temps que les s’associent entre eux dans son esprit. En saisissant peu à peu le sens du discours de Zeppelin, Pablo déglutit douloureusement et releva un regard perdu en direction de la jeune femme, mais cette dernière détournait déjà le visage. L’espace d’un instant, il crut voir une sorte de voile faire briller ses yeux, mais il n’eut pas le temps d’en savoir plus que déjà, elle s’asseyait à côté de lui. Emprisonné dans sa minerve, Pablo fut incapable de suivre son mouvement, et se contenta du contact de leurs deux mains qu’elle n’avait pas encore rompu. Le latino cherchait des indices de cet accident dans ma mémoire, mais cette dernière semblait lui faire cruellement défaut. Soudain, il fut coupé par Zeppelin qui lui reprocha de lui avoir fait peur et bizarrement, le jeune homme sentit son cœur se gonfler dans sa poitrine. Elle s’était inquiété pour lui, elle était là avec lui, et tout cela le flattait malgré les circonstances. « Désolé… » murmura-t-il d’une voix faible, avant de froncer les sourcils en reprenant ses réflexions. Une vague d’inquiétude le saisit subitement, faisant accélérer une fois de plus le bip des machines à côté de lui. « Ma voiture ! Dans quel état est ma voiture ? » lâcha-t-il d’un ton à la fois paniqué et désespéré. Du coin de l’œil, il essaya d’apercevoir Zeppelin mais ses nombreuses fractures l’en dissuadèrent, lui arrachant une énième grimace de douleur.

Elle était prise entre deux feux. C’était un mélange de sentiment contradictoire qui l’envahissait à présent ; Zeppelin était persuadée de ne pas avoir sa place ici, mais refusait de se trouver autre part. C’était comme vouloir bouger, mais rester cloué au sol. Il fallait dire que les rares visites qu’avaient reçues Pablo ne l’avait pas vraiment aidé à fuir l’endroit : elle avait voulu rester là jusqu’à ce qu’il daigne enfin ouvrir les yeux. Zeppelin s’était aperçue que, finalement, elle ne le connaissait pas plus que cela et ça l’attristait. Ils avaient beaucoup discuté de leurs goûts, de leur travail respectif, mais n’avait jamais fait mention de leur passé. Où étaient ses proches ? Étaient-ils au courant de l’accident dont Pablo avait été victime ? Elle se voulait agent fédérale, mais prenait conscience que certaines informations basiques lui échappaient totalement et se jura d’y remédier lorsque Pablo sortirait enfin de l’hôpital. Tout. Elle lui raconterait absolument tout. Pourquoi ? Parce qu’il y avait certains jours où Zeppelin regrettait de n’avoir personne à qui se confier et avec tout ce qu’elle avait ‘vécu’ avec Pablo ces derniers-mois, il était devenu l’oreille attentive qu’elle cherchait depuis longtemps. Elle espérait aussi percer le secret qui l’entourait. « Désolé… » murmura-t-il faiblement, lui arrachant un sourire au passage. Zeppelin se doutait que son intention première était de finir premier de la course et non dans le décor. Il avait dû avoir un moment d’absence, sans doute à cause de tous les problèmes auxquels il avait dû faire face. Il tenta de se redresser brusquement, forçant Zeppelin à s’écarter. « Ma voiture ! Dans quel état est ma voiture ? » haleta-t-il avec difficulté sur un ton qui laissait deviner son sentiment de panique et de désespoir. Pour toute réponse, Zeppelin poussa un soupir lourd de sens et arbora un air profondément réprobateur. « Seriously ? Pablo ! C’est plutôt de toi dont tu devrais t’inquiéter. Une voiture est remplaçable contrairement à une vie. ». Si elle était paniquée ? Totalement. Elle avait bien cru le perdre et lui s’inquiétait d’une foutue voiture ! Ah, les hommes. « Dire que j’ai toujours cru que les stéréotypes sur les relations homme-voiture étaient infondés… » s’amusa-t-elle finalement pour détendre l’atmosphère. La jeune femme se leva du fauteuil sur lequel elle s’était laissée tomber quelques minutes plus tôt : Zeppelin venait tout juste de remarquer qu’à cause de sa minerve, il lui était impossible d’établir un contact visuel avec le blessé. « Dis-moi, comment tu te sens ? » s’enquit-elle aussitôt, tout en pressant le bouton destiné à rameuter le personnel soignant.

c'est tout petit, pardon T___T

Tout à coup, le principal souci de Pablo semblait être sa voiture, alors qu’il avait visiblement bien d’autres raisons de s’inquiéter. Cette réaction surprenante ne tarda d’ailleurs pas à éveiller l’inquiétude et la colère de Zeppelin, qui s’empressa de le réprimander. Au fond, elle n’avait pas tort et il valait mieux qu’il soit toujours en vie, quitte à se payer une nouvelle voiture et un nouveau sponsor dès qu’il serait de nouveau sur pieds. « Dire que j’ai toujours cru que les stéréotypes sur les relations homme-voiture étaient infondés… » plaisanta alors la jeune femme devant un Pablo un peu indécis, par certain de pouvoir rire à ce genre de blagues, et encore moins dans la situation actuelle. Mais finalement, il lui adressa un petit sourire en coin, en constatant qu’elle se levait enfin pour rétablir un contact visuel avec lui. « Dis-moi, comment tu te sens ? » questionna-t-elle alors tout en se penchant pour atteindre ce que Pablo devina être le bouton d’appel des médecins. Effaçant rapidement son petit sourire, le latino se concentra finalement sur son propre état, en oubliant le sort de sa pauvre voiture et les considérations de Zeppelin. Il fronça les sourcils, avant de grimacer et de répondre en murmurant : « Je… je sais pas trop… J’ai mal un peu partout… et puis j’ai l’impression de ne plus s… » Pablo n’eut pas le temps de terminer sa phrase, que la porte de sa chambre s’ouvrit précipitamment, le forçant à détacher son regard de Zeppelin, pour apercevoir un médecin en blouse banche armé d’un dossier pour le moins fourni.

L’homme paraissait plutôt vieux, et son visage totalement fermé ne laissait transparaitre aucune émotion. Il s’approcha du blessé, et procéda aux quelques vérifications d’usage qui consistaient à lui faire suivre une lumière des yeux. Le médecin parlait, mais le jeune pilote ne semblait pas en mesure de l’écouter. Au lieu de ça, il se concentrait sur le lien qui l’unissait toujours à Zeppelin, en resserrant un peu sa main. Mais lorsque le vieil homme prit un air plus grave, Pablo sentit que quelque chose allait mal tourner. Il jeta un rapide coup d’œil en direction de la jeune femme toujours près de lui, et au moment où le médecin semblait lui demander de quitter la pièce, le latino maintint une nouvelle fois la pression sur sa main. Pas question de la laisser partir. Quoi qu’on lui annonce, il la voulait à ses côtés sans bien comprendre pourquoi. Abandonnant finalement l’idée de s’entretenir seul avec Pablo, le médecin se racla la gorge et commença : « Monsieur Fernandez… Sachez tout d’abord que vous êtes un miraculé… en quelque sorte. Disons qu’après un tel accident, peu de personnes en seraient sorties vivantes. Malheureusement, votre colonne vertébrale a été très durement touchée et… je crains qu’il ne faille mettre un terme à votre carrière de pilote. Les lésions sur votre moelle épinière sont très importantes et… vous souffrez d’une paralysie des membres inférieurs. » Comme pour rendre l’annonce encore plus fracassante, le médecin marqua une longue pause avant de reprendre : « Vous pourrez suivre des séances de soins appropriées mais… il est fort probable que vous ne retrouviez jamais l’usage de vos jambes. Je suis désolé. » Lentement, l’homme déposa le dossier de Pablo sur un meuble et s’éclipsa, comme pour laisser le temps à Pablo de digérer la nouvelle. A aucun moment, le latino n’avait lâché la main de Zeppelin et pourtant, il semblait être complètement ailleurs. Le regard rivé droit devant lui, il ressemblait à un corps sans âme. Il était totalement sonné, abasourdi et avait bien du mal à réaliser ce qui venait de lui tomber brutalement dessus.

Zeppelin avait beau être soulagée de le voir réveillé, elle ne réussissait pas pour autant à faire taire son angoisse. Elle avait l’intuition bien aiguisée et quelque chose lui disait qu’une mauvaise nouvelle n’allait pas tarder à leur tomber dessus. Soulagée, mais pas totalement sereine donc. L’américaine s’empressa de lui demander si tout allait bien afin d’établir un premier constat de toutes les blessures qu’il avait subi. « Je… je sais pas trop… J’ai mal un peu partout… et puis, j’ai l’impression de ne plus s… ». Il fut interrompu par l’arrivée d’un médecin obligeant Zeppelin à tourner la tête en direction de la porte. Grand, cheveux poivre et sel, vêtu d’une blouse blanche et dossier sous le bras, il scruta la jeune femme avant de s’intéresser à son patient. L’agent du F.B.I se sentait de trop et pourtant, elle était incapable de bouger : non seulement Pablo lui tenait fermement la main, mais en plus, la jeune femme craignait qu’il affronte seul une mauvaise nouvelle, s’il mauvaise nouvelle il pouvait y avoir. Le médecin procéda aux examens dans le silence le plus complet et pendant tout ce temps, Zeppelin ne quitta pas le pilote des yeux comme si elle cherchait à le rassurer de sa présence autrement qu’en lui tenant la main qu’il semblait ne plus vouloir lâcher. En jetant un regard vers le médecin, la jeune femme sembla comprendre qu’elle était de trop et esquissa un mouvement pour sortir de la chambre, mais fut retenue par Pablo qui resserra un peu plus la pression autour de sa main. Pour toute réponse, Zeppelin afficha un petit sourire gêné et désigna leurs deux mains liées pour lui faire comprendre que Pablo semblait la vouloir auprès de lui, alors le médecin renonça à la faire quitter la chambre et reprit son air grave qui rappelait à lui seul l’une des raisons pour lesquelles Zeppelin avait horreur des hôpitaux. « Monsieur Fernandez… Sachez tout d’abord que vous êtes un miraculé… en quelque sorte. Disons qu’après un tel accident, peu de personnes en seraient sorties vivantes. Malheureusement, votre colonne vertébrale a été très durement touchée et… je crains qu’il ne faille mettre un terme à votre carrière de pilote. Les lésions sur votre moelle épinière sont très importantes et… vous souffrez d’une paralysie des membres inférieurs. Vous pourrez suivre des séances de soins appropriées mais… il est fort probable que vous ne retrouviez jamais l’usage de vos jambes. Je suis désolé. » dit-il, avant de disparaître calmement de la chambre comme un terroriste qui largue une bombe quelque part avant de prendre la tangente. Tout comme Pablo, Zeppelin était choquée et incapable de dire ou faire quoi que ce soit tandis que l’atmosphère devenait de plus en plus insoutenable. Elle n’osait à peine imaginer ce que Pablo devait ressentir en cet instant précis ; en plus de devoir abandonner sa carrière dans un domaine qui lui plaisait vraiment, il risquait de ne plus jamais remarcher. Zeppelin était tellement désolée, tellement blessée pour lui qu’elle n’osait à peine respirer, mais consentit enfin à rompre le silence. « Pablo ? » commença-t-elle avant de marquer une nouvelle pause, incapable de dire quoi que ce soit. « Je… Je suis sincèrement désolée. Tu… Tu veux que je m’en aille ? ».

L’annonce avait fait l’effet d’une bombe dans l’esprit de Pablo, et il y avait de quoi. A vrai dire, le jeune homme comprenait qu’il se passait quelque chose d’extrêmement grave, sans vraiment pouvoir en saisir tous les détails. Comme si l’histoire le dépassait, comme si le choc était trop grand pour qu’il puisse y croire… Tout s’écroulait autour de lui et pourtant, le latino semblait rester de marbre. Les yeux rivés sur le mur d’en face, la bouche entrouverte, il s’était figé dans un silence presque effrayant. Tout à coup, il ne prêtait même plus attention à la présence de Zeppelin à ses côtés. Seul au monde, seul face aux mots que le médecin avait prononcé quelques instants plus tôt et qui résonnaient encore dans sa tête sans qu’il ne puisse en comprendre le sens. Bêtement, le jeune homme posa ensuite sons regard sur ses jambes, comme s’il cherchait à se persuader que ce médecin avait tort. Il s’était forcément trompé d’ailleurs. Ce genre de choses ne pouvait pas lui arriver à lui, pas à Pablo Fernandez ! Il avait une carrière à mener, des courses à gagner, et ne pouvait clairement pas se permettre de rester cloué au lit pendant des mois. Alors, rassemblant tout son courage et serrant les dents, le jeune homme tenta de se redresser. Mais très vite, une vive douleur le força à renoncer, en lui arrachant un gémissement et une grimace qui en disaient long sur son état. Ses jambes quant à elles, n’avaient pas bougé d’un pouce. Pire, l’impression que Pablo avait de ne plus rien sentir se confirmait, et allait donc dans le sens du diagnostic qu’on lui avait annoncé.

Prenant peu à peu conscience de la situation, Pablo se mit à déglutir douloureusement, alors que sa main relâchait doucement celle de Zeppelin. Alors c’était bel et bien fini… Juste au moment où ses résultats sur les circuits commençaient à redevenir corrects, juste au moment où il parvenait enfin à accepter le fait d’avoir fait adopté la fille qu’il avait eue avec Bonnie. Comme un brusque rappel à l’ordre, son destin avait visiblement décidé de le rattraper… et de lui donner une bonne leçon. « Pablo ? Je… Je suis sincèrement désolée. Tu… Tu veux que je m’en aille ? » Soudain, la voix de Zeppelin le sortit brusquement de ses pensées, sans pour autant réussir à lui faire lever les yeux vers elle. Relâchant complètement l’emprise qu’il exerçait toujours sur sa main, Pablo soupira longuement. « Oui… non… enfin, non… » balbutia-t-il, toujours aussi sonné par la nouvelle et incapable de remettre ses pensées en ordre. S’ensuivit un long moment de silence durant lequel Pablo tenta de se recentrer sur la situation présente en fermant les yeux. Mais il avait beau y mettre la meilleure volonté du monde, le jeune homme avait bien du mal à se convaincre que tout cela était bien réel. Alors, il se décida enfin à relever les yeux vers Zeppelin pour se rassurer, et demanda d’une voix remplie de doutes : « Zeppelin… ce qu’il disait c’était… c’était pas sûr hein ? Je ne vais pas vraiment être paralysé… je ne peux pas… enfin, tu sais, il y a les courses, et puis tout le reste ! Je… c’est pas possible… » Cherchant désespérément une réponse dans le regard de la jeune femme, Pablo fut néanmoins obligé de cligner des yeux à plusieurs reprises, et finalement de détourner le visage pour cacher ses yeux qui commençaient dangereusement à s’embuer.

Accablé par la nouvelle qui venait de lui tomber dessus, Pablo ne savait même plus comment répondre à Zeppelin. Il ne savait plus s’il voulait être seul, avec elle, ou avec qui que ce soit d’autre. Trop d’informations et de peurs se bousculaient dans son esprit, et ce qu’il vivait en ce moment ressemblait en tous points à un véritable cauchemar. Le latino aurait tant voulu pouvoir se réveiller, et s’apercevoir que rien de tout cela n’était arrivé… Mais la douleur qui parcourait une grande partie de son corps était bel et bien là pour lui confirmer qu’il ne s’agissait pas d’une blague. Cet accident venait peut-être de lui couter sa carrière, et il était désormais trop tard pour faire machine arrière, et pour y changer quoi que ce soit. Qu’avait-il pu lui passer par la tête durant cette course ? Qu’est-ce qui avait fait qu’un pilote aussi expérimenté que lui s’était retrouvé dans le décor ? Pablo n’en avait malheureusement aucune idée, ni même aucun souvenir. La seule chose qu’il lui restait était le triste résultat de ce dérapage, et les conséquences qui allaient rapidement en découler. Et même au moment où il essaya de se rassurer en espérant que Zeppelin n’avait pas compris la même chose que lui quand le médecin avait parlé, cette dernière ne put que lui confirmer ce qu’il craignait.

« Ceci dit, le médecin a dit qu’il était « fort probable » que tu ne puisses plus remarcher, ça ne veut pas dire que c’est impossible et là, je pense que tout ça ne dépendra que de toi. Tu auras de la rééducation et même si ce sera difficile, tu devras y mettre tout ton cœur et toute ton énergie, c’est ça la vraie recette de la réussite, mais tu le sais déjà, n’est-ce pas ? » déclara-t-elle après un moment de silence, non sans adresser au latino un petit clin d’œil qui aurait pu le faire sourire s’il en avait eu la force. Puis, Zeppelin lui assura qu’elle était bel et bien derrière lui, et que ses fans devaient l’être aussi. Selon elle, il ne devait pas baisser les bras mais cela s’avérait bien plus facile à dire qu’à faire. Depuis son plus jeune âge, Pablo avait su faire preuve d’un mental d’acier, et d’une détermination inébranlable qui lui avait permis d’atteindre son but. Mais cette fois, le coup qui lui était porté semblait bien trop violent pour qu’il parvienne à s’en remettre. Le jeune homme appréciait l’aide de Zeppelin, mais force était de constater que pour une fois, il ne se sentait pas du tout à la hauteur. Sans forcément s’en rendre compte, Pablo s’était mis à caresser la main de la jeune femme qu’il tenait toujours dans la sienne, comme pour lui faire comprendre autrement qu’avec des mots que sa présence comptait énormément. Mais malgré tout, il ne pouvait s’empêcher de rester centré sur sa petite personne, et sur l’avenir gâché de cette carrière qu’il avait mis tant d’énergie à bâtir. « Même si… même si j’y arrives un jour, je ne pourrai jamais reprendre ma carrière… Personne n’a jamais fais ça, je veux dire… ça demande beaucoup trop de temps. Et… je ne sais faire que ça… Qu’est-ce que je vais faire si je ne peux plus courir ? Un DJ en fauteuil roulant, j’imagine que ça n’attire pas les foules non plus… » soupira-t-il avec un humour noir qui traduisait tout son désespoir. « Ca aurait été plus simple si… » Pablo déglutit, en pesant bien le poids des mots qu’il s’apprêtait à dire. « Si je ne m’étais pas du tout sorti de cet accident. »

Zeppelin était au prise avec des sentiments contradictoires ; elle était à la fois soulagée d’être en compagnie de Pablo, mais ne pouvait s’empêcher d’être mal à l’aise vis-à-vis de sa nouvelle situation. Un handicap n’était pas une chose anodine, il vous transforme. La jeune femme s’inquiétait réellement de ce qu’il adviendrait de sa relation avec le latino car, à la base, elle ne savait plus vraiment où ils en étaient tous les deux, mais s’il y avait une chose dont l’agent fédéral était certaine, c’était bien de ses sentiments pour le blessé. Elle ne savait pas vraiment comment ils en étaient arrivés là, mais ça s’était fait : Zeppelin était tombée sous le charme d’un homme au caractère totalement opposé du sien et, par les gestes et regards qu’il avait envers elle, la jeune femme était convaincue qu’il se passait aussi quelque chose. Pour l’heure, l’état de Pablo était tout ce qui l’importait. L’américano-irlandaise avait même coupé la sonnerie de son téléphone portable afin d’être sûre que personne ne briserait cet instant fragile. Zeppelin avait la sensation que l’avenir de Pablo reposait en partie sur ses épaules et sur sa capacité à le motiver. La jeune femme sentait d’ailleurs qu’elle aurait bientôt droit à un classique du genre. Ce qui fut le cas après quelques minutes de flottement. « Même si… même si j’y arrives un jour, je ne pourrai jamais reprendre ma carrière… Personne n’a jamais fais ça, je veux dire… ça demande beaucoup trop de temps. Et… je ne sais faire que ça… Qu’est-ce que je vais faire si je ne peux plus courir ? Un DJ en fauteuil roulant, j’imagine que ça n’attire pas les foules non plus… Ca aurait été plus simple si… Si je ne m’étais pas du tout sorti de cet accident. ». Zeppelin serra les dents et fit de son mieux pour ne pas montrer toute la peine que ses mots pouvaient lui faire. Elle leva sa main, hésitante, puis finalement les glissa lentement dans la chevelure de Pablo comme le faisait sa mère pour la rassurer lorsqu’elle avait l’impression de ne pas être à sa place. « Ne dis pas des choses pareilles. » souffla-t-elle d’une voix percée par l’émotion. « Ce n’est que le début de la course la plus importante de toute ta vie, tu ne vas tout de même pas déclaré forfait avant d’avoir essayé ? » reprit-elle, essayant d’être la plus encourageante possible. « C’est un changement radical et inattendu que tu dois accepter, c’est sûr que ça te prendra du temps, mais ça peut-être un moyen de découvrir d’autres choses que des voitures et des platines. Tu dois bien avoir d’autres talents cachés... » lui sourit-elle avant que le bruit de la porte s’ouvrant à la volée n’oblige Zeppelin à faire volte-face une seconde fois. C’était une infirmière qui passa la tête à l’entrebâillement de la porte avant d’entrer à l’intérieur en poussant un chariot avec toutes les perfusions nécessaires aux soins de Pablo. « Bonsoir. » commença-t-elle en affichant déjà un air désolé. Zeppelin, quant à elle, jeta un coup d’œil par la fenêtre et constata avec surprise que le ciel commençait à s’assombrir. « Je suis désolée, mais les heures de visites sont bientôt terminées et nous devons nous de Mr Fernandez. ». Zeppelin papillonna des yeux, acquiesça d’un signe de tête prête à s’exécuter et esquissa un petit sourire à l’attention de Pablo, mais au moment de partir, elle sentit que ce dernier émettait une certaine résistance en refusant de lui lâcher la main. « Ca va aller, je reviens demain. C’est promis… » dit-elle avant de se pencher au-dessus de lui pour rajouter sous l’air de la confidence. « J’amènerais des provisions. ».

Plus Pablo songeait à ce que son avenir allait être sans sa passion de toujours, et plus il perdait l’envie de se battre. A quoi bon mettre une tonne d’efforts en œuvre alors qu’il savait pertinemment qu’il ne pourrait plus jamais retrouver sa place au plus haut niveau ? Le fait d’en arriver là lui avait déjà prit plusieurs années et beaucoup de sacrifices, et Pablo doutait d’avoir assez de temps et de courage pour réitérer son exploit. Il avait atteint on rêve une fois et ce dernier s’était terminé bien trop vite et trop brusquement. Mais que pouvait-il bien y faire maintenant qu’on allait le clouer dans une chaise roulante ? Alors, si même cette réaction pouvait paraitre un peu démesurée et déplacée, l’idée de ne pas avoir survécu à son accident apparaissait comme étant une issue bien plus simple aux yeux du latino. Mais Zeppelin ne le laissa pas s’épancher outre mesure sur la question, et s’empressa de le couper en lui interdisant de raisonner de cette façon. Mais ce qui interpella la plus Pablo fut la main, d’abord hésitante, que la jeune femme glissa dans ses cheveux. Le regard hébété du latino croisa celui de Zeppelin auquel il resta accroché pendant un petit moment de flottement. Et contre toute attente ce geste, aussi banal soit-il, réussit à apaiser le latino qui poussa un interminable soupir en fermant les yeux. « Ce n’est que le début de la course la plus importante de toute ta vie, tu ne vas tout de même pas déclarer forfait avant d’avoir essayé ? » dit-elle d’un ton des plus encourageants. Et force était de constater qu’elle avait raison. A vrai dire, Pablo n’avait pas encore vu les choses sous cet angle là, mais s’il s’agissait d’un défi de plus, d’une course de plus alors il devait au moins essayer.

Mais alors que Zeppelin commençait à lui parler d’éventuels autres talents cachés, la porte de la chambre s’ouvrit, laissant apparaitre une infirmière équipée de tout un tas de matériel qui fit grimacer le latino. « Je suis désolée, mais les heures de visites sont bientôt terminées et nous devons nous occuper de Mr Fernandez. » déclara alors la jeune femme devant un Pablo totalement médusé. Obéissant à l’infirmière, Zeppelin commença à s’éloigner de lui mais il la retint en fronçant les sourcils. Pour lui, il n’était pas question qu’on la mette dehors sous prétexte qu’il fallait qu’on s’occupe de lui. « Ca va aller, je reviens demain. C’est promis… J’amènerais des provisions. » expliqua-t-elle, sans que cela ne suffise à rasséréner Pablo. Au contraire, il posa un regard noir sur l’infirmière qui, pour le coup, n’y était pas pour grand-chose mais était la seule personne à qui il pouvait s’en prendre. « Il n’est pas question qu’elle s’en aille, elle vient à peine d’arriver ! Et puis c’est à moi qu’elle rend visite ! C’est à moi de décider si elle doit partir ou non. » cracha-t-il, plein de mauvaise foi. « Je suis désolée Mr Fernandez, c’est le règlement. Mademoiselle… ? » renchérit l’infirmière en incitant clairement Zeppelin à quitter la pièce avant que son patient ne s’emporte. La main de la jeune femme quitta alors celle de Pablo qui voulut immédiatement se redresser pour protester. Mais il fut vite rappelé à l’ordre par ses nombreuses blessures, et fut contraint de rester immobile en grimaçant. Serrant les dents en accordant un dernier regard à Zeppelin, le latino attendit qu’elle soit sortie de la chambre pour faire comprendre à l’infirmière qu’elle ne venait pas de se faire un ami, et qu’il mettrait un point d’honneur à lui donner du fil à retordre pour se venger d’avoir écourté son moment avec Zeppelin.