Pablo avait attend ce jour depuis plusieurs semaines et pourtant, il ne parvenait pas à se réjouir du fait qu’il soit enfin autorisé à quitter l’hôpital. Son moral étant au plus bas depuis l’accident qui avait paralysé ses jambes, rien ne semblait pouvoir lui rendre le sourire. Pourtant il avait reçu beaucoup de visites, beaucoup de témoignages de soutien et de sympathie, mais rien ne l’atteignait. Comme s’il se contentait de regarder tout cela de loin, il s’était totalement enfermé dans son monde, et passait le plus clair de son temps à se morfondre et à se remémorer les meilleurs moments de sa carrière désormais terminée. Car les médecins avaient été très clairs à ce sujet. Les chances que le latino puisse remarcher un jour étaient infimes, et celles qu’il puisse retrouver le plus haut niveau du sport automobile était tout bonnement nulles. Et outre le fait de ne plus pouvoir se déplacer seul et de devenir complètement dépendant des autres, c’est bel et bien l’optique de ne plus jamais conduire qui accablait le plus Pablo. Depuis longtemps, la Formule 1 avait été toute sa vie et avait occupé le plus clair de son temps. Et aujourd’hui, il se retrouvait sans rien, incapable de dire s’il était doué pour quoi que ce soit d’autre. D’ailleurs, il n’avait absolument pas envie de s’essayer à un autre passe temps puisqu’aucune activité ne pourrait jamais remplacer cette passion qu’il avait toujours eue pour les voitures. Alors le latino broyait du noir à longueur de journée, malgré tous les efforts de son entourage.

Parmi son entourage justement, une personne s’était largement démarquée tout au long de son séjour à l’hôpital. Et cette personne n’était autre que Zeppelin. Alors qu’ils ne se connaissaient même pas quelques mois auparavant, elle avait été l’aide la plus présente et certainement la plus précieuse aux yeux de Pablo. Même s’il ne s’y prenait pas forcément de la meilleure manière qui soit pour le lui prouver, le latino avait énormément compté sur elle ces derniers temps. La simple présence de la jeune femme à ses côtés suffisait à l’apaiser et à se changer les idées, au moins pour un temps. Alors lorsqu’elle lui avait proposé de l’accompagner le jour de sa sortie, le jeune homme n’avait pas hésité bien longtemps avant d’accepter son offre. Après tout, elle était la personne la mieux placée pour cela. Avec l’aide des infirmières, Pablo s’était donc préparé à quitter sa chambre. Il avait troqué sa blouse immonde contre une vraie tenue, et une des infirmières avait rassemblé le peu d’affaires qu’il avait avec lui dans son sac. Le jeune homme avait ensuite été placé dans un fauteuil roulant flambant neuf, et tous les médecins qui s’étaient occupés de lui à un moment ou à un autre étaient venus le saluer. Bien sûr, il serait amené à revenir assez souvent au Lenox mais après plusieurs semaines passées dans le même service, son départ était un petit évènement. Néanmoins, le visage de Pablo restait grave et fermé. Tout cette agitation autour de lui ne lui faisait ni chaud ni froid, et son regard restait rivé sur le fauteuil roulant qui allait désormais devenir son meilleur ami. Son bras libéré du plâtre qui l’emprisonnait encore quelques jours auparavant devait lui permettre de se déplacer tout seul, mais il n’avait pas encore osé s’y essayer. Au lieu de ça, le jeune homme restait prostré dans un coin de sa chambre, en attendant l’arrivée de Zeppelin qui sonnerait la fin de son séjour dans cette maudite chambre.

Même si la mine qu’il arborait ne laissait rien entrevoir de ce qu’il ressentait, Pablo attendait l’arrivée de Zeppelin avec une certaine impatience. Comme à chaque fois qu’il savait qu’elle viendrait lui rendre visite d’ailleurs… En effet, la jeune femme avait été de loin la personne la plus présente pendant son séjour à l’hôpital. Zeppelin était même allée jusqu’à profiter de ses pauses déjeuner pour rejoindre le jeune pilote, et lui apporter par la même occasion de quoi manger à peu près normalement. Bien sûr, Pablo était un peu trop fier pour témoigner de toute la reconnaissance qu’il avait pour elle, mais il espérait qu’au fond elle sache tout ce qu’il éprouvait, d’une quelconque manière que ce soit. A vrai dire, la latino lui-même avait un peu de mal à mettre un nom sur ce qu’il ressentait pour la jeune femme. Tout ce qu’il savait aujourd’hui, c’était que sa présence à ses côtés était devenue essentielle, et quasiment vitale. Zeppelin lui manquait à chaque fois qu’elle quittait sa chambre d’hôpital, et il n’avait de cesse de penser à elle sans pour autant chercher à comprendre ce que cela pouvait bien vouloir dire. Peut-être était-il trop préoccupé par son propre état pour ouvrir les yeux ? Peut-être ne voulait-il tout simplement pas le faire ? Dans tous les cas, les faits étaient là et Pablo les moments passés loin de Zeppelin de plus en plus interminables.

Lorsque la porte de la chambre s’ouvrit sur la personne tant attendue, le regard du latino s’illumina pendant quelques instants. Elle était enfin là, et son arrivée était presque plus importante que le fait qu’elle marque aussi les derniers instants que Pablo passait dans cette chambre. « Salut ! » Comme à son habitude la jeune femme était plus qu’enthousiaste, ce qui réchauffa instantanément le cœur de Pablo, dont le visage se rasséréna un peu. « Alors, c’est le grand jour ? Tu vas enfin pouvoir regagner le confort de ton chez-toi et surtout la bonne cuisine ! » Cette fois, un micro-sourire étira les lèvres du jeune homme qui ne put clairement pas faire autrement. En songeant à ses talents un peu douteux de cuisinier, il se mit finalement à grimacer avant de répondre : « De la bonne cuisine… tu me surestimes… » lâcha-t-il avec une pointe d’ironie qu’il ne s’était plus connue depuis des lustres. Puis, prit d’un empressement soudain de quitter les lieux, Pablo avança tant bien que mal vers le lit où était posé son sac, qu’il fit glisser jusqu’à le poser sur ses jambes. Il poussa ensuite un long soupir comme pour se donner du courage, puis tourna la tête vers Zeppelin en se saisissant des roues de son fauteuil. « Ils m’ont déjà fait signer tous les papiers je crois alors… on ne va pas trop trainer ici. J’ai assez vu cette chambre ! » Puis Pablo se mit en route vers la porte, non sans quelques difficultés qu’il tenta de cacher au mieux en serrant les dents, la faute à cette maudite fierté qui semblait décider de tout, et encore plus en présence de Zeppelin.

Tout ce que Pablo souhaitait depuis des jours et des semaines, c’était de quitter cette chambre d’hôpital dans laquelle sa vie avait basculée. Tout dans cette pièce lui rappelait le jour om ils ‘était réveillé après plusieurs jours de coma, et où on lui avait appris qu’il ne marcherait plus jamais. Ce jour-là, toute son existence avait basculé, tous ses rêves s’étaient évaporés en un instant, et cette annonce brutale avait fait de lui l’espèce de loque incapable de se réjouir de quoi que ce soit qu’il était aujourd’hui. Quoi qu’il se passe, Pablo était amer et empreint de regrets, alors qu’il ne savait même pas s’il aurait pu éviter cet accident d’une manière ou d’une autre. A vrai dire, il ne savait même pas exactement comment tout cela était arrivé mais à ses yeux, seul le résultat comptait. Fort heureusement pour lui, le latino pouvait compter sur un soutien sans faille, un soutien sur lequel il n’aurait certainement pas misé au premier abord mais qui était pourtant devenu la seule lumière qui éclairait ses journées à l’hôpital. Et une fois de plus, elle était là avec lui. Zeppelin. Cette fille avec qui tout avait pourtant si mal commencé, celle qu’il avait soupçonnée de l’avoir manipulé pour le rendre coupable d’une sombre affaire de disparition… Lorsque Pablo repensait à tout cela aujourd’hui, il ne pouvait que se sentir ridicule et presque honteux d’avoir pu l’accuser d’une chose pareille. Désormais, il ne pouvait plus se passer de ses petites visites journalières et espérait de tout cœur qu’elles ne cesseraient pas après qu’il soit rentré chez lui.

Après avoir quitté la chambre en question sans même y jeter un dernier regard, Pablo avança comme il le put en direction de l’ascenseur dans lequel il s’engouffra avec le fauteuil qu’il avait encore un peu de mal à maitriser. « Je me suis garée dans le parking du personnel, à couvert… Apparemment il y aurait eu une fuite et tout le monde sait que ta sortie de l’hôpital est prévue pour aujourd’hui. » Oh… Alors elle avait vraiment pensé à tout, même aux choses qui n’avaient absolument pas effleuré l’esprit du jeune homme. Une fois de plus, Pablo lui en était extrêmement reconnaissant et pour en témoigner, il lui offrit un petit sourire. En s’imaginant sur son fauteuil roulant au beau milieu des photographes dont les flashes crépitaient pour lui, le latino réprima un frisson, et ajouta rapidement un : « Merci. » à l’attention de Zeppelin.

Alors qu’ils traversaient le parking souterrain pour rallier la voiture de la jeune femme, cette dernière reprit bien vite la parole en proposant : « Tu veux rentrer directement chez toi ou tu veux que l’on fasse un crochet ailleurs ? »  A vrai dire, Pablo n’avait même pas réellement pensé à ce qui allait se passer « après ». Tout ce qui avait occupé son esprit ces derniers était sa sortie d’hôpital, et rien d’autre. Mais lorsque la jeune femme mit le sujet sur le tapis, il se retrouva hébété, sans savoir quoi lui répondre. Lui qui avait tant langui de quitter les lieux se prenait à ne pas être spécialement pressé de retrouver son chez lui. En effet, il savait que rien n’allait être simple et que le fait de se retrouver tout seul dans son appartement serait une nouvelle épreuve à surmonter. Alors, il décida de retarder un peu l’échéance en annonçant : « Euh… on pourrait aller… je sais pas, prendre l’air ? Je connais un petit parc pas très loin de chez moi, en général il n’y a pas grand monde là-bas… » lâcha-t-il en contournant la voiture pour balancer son sac dans le coffre que Zeppelin avait ouvert. « Enfin, on peut aller n’importe où mais… pas chez moi, pas tout de suite… » ajouta le jeune homme d’un air un peu absent en se dirigeant vers la portière du côté passager. Il l’ouvrit, puis se retrouva comme face à un mur, devant se véhicule qu’il n’avait jamais imaginé être aussi grand. Soudain, Pablo se trouva une énième fois totalement ridicule, incapable de grimper dans la voiture comme une personne normale. Alors, tant bien que mal, il approcha son fauteuil au maximum, lança un regard vers Zeppelin puis s’appuya sur la portière pour tenter de se hisser sur le siège.

Délivrance. C’était le mot qui collait le plus avec ce que les deux jeunes gens étaient en train de vivre en ce moment. Il n’y avait pas que cette histoire d’hôpital qui était en cause, mais aussi le fait que Pablo ait été disculpé de cette sombre affaire d’enlèvement. Ca leur ôtait une sacrée épine du pied. Suite à cela, Zeppelin avait choisi de démissionné et autant dire que sa mère n’avait pas vraiment apprécié cette décision. Seul son père s’était montré compréhensif. Il voyait bien que depuis quelques temps le métier de sa fille ne l’intéressait plus comme avant. Cependant, sa mère était davantage préoccupée par les soucis que leur causait la benjamine de la fratrie et décida de ne pas trop contester son choix. Indirectement et sûrement sans le savoir, Belle l’avait toujours sauvé des grands discours moralisateurs de leur mère. Ses « bêtises » passaient toujours pour moins grave que celles de sa petite sœur qui, en plus d’être trop couvée, se rebellait à sa manière.

Cette journée était tellement salvatrice que Zeppelin n’avait pas envie qu’elle s’arrête. La trentenaire voulait la passer en compagnie de Pablo, la seule personne – à part peut-être Gabriel, son père – qui avait pleinement confiance en elle, assez pour ne pas contesté ses choix. Il lui avait fait confiance lorsqu’elle s’était engagée à le relaxer et Zeppelin avait tenu sa promesse : il était maintenant hors de cause et la jeune femme s’apprêtait justement à le lui dire. « Euh… on pourrait aller… je sais pas, prendre l’air ? Je connais un petit parc pas très loin de chez moi, en général il n’y a pas grand monde là-bas… Enfin, on peut aller n’importe où mais… pas chez moi, pas tout de suite… ». Zeppelin esquissa un sourire franc. De toute évidence, elle n’était pas la seule à avoir besoin de compagnie et de se poser dans un endroit calme. « Ca me semble parfait. On y va ! » s’exclama-t-elle gaiement. Elle s’apprêtait à contourner son SUV pour s’installer au volant, mais nota que Pablo n’arrivait pas à monter et son sourire s’effaça un peu en songeant aux difficultés qu’il risquait de rencontrer. Zeppelin le savait aussi indépendant et fier, mais se rapprocha pour l’aider et replia son fauteuil avant de le mettre dans le coffre.

Le trajet fut particulièrement silencieux. De temps en temps, quelques indications fusèrent, mais la plupart du temps chacun respecta le silence de l’autre et lorsqu’ils furent enfin à destination, Zeppelin se pressa pour sortir le fauteuil du coffre. « Il est plutôt sympa ce parc ! » dit-elle pendant que Pablo s’installer de nouveau dans son fauteuil. Elle verrouilla les portes et tous deux pénétrèrent à l’intérieur. La jeune femme jeta un coup d’œil circulaire à l’endroit, émerveillée. N’allait pas croire qu’elle n’avait jamais vu un parc de sa vie, mais elle n’avait jamais eu connaissance de celui-là. Son regard fut aussitôt attiré par un vendeur de glaces. « Attends-moi ici, je reviens tout de suite. ». Elle l’abandonna aux abords d’une rangée de banc pour acheter deux glaces Ben & Jerry’s et revint quelques minutes plus tard, tout sourire. « Je n’ai pas fait de gâteau pour l’occasion parce que je ne suis pas douée en cuisine mais je te propose une bonne glace. Tu l’apprécieras mieux par une chaleur pareille. J’ai pris la même chose que tu avais commandée la première fois qu’on en a mangé une à deux. Tu te souviens ? » lança-t-elle, sans se dépeindre de son sourire au souvenir de leur premier « rencard » si l’on pouvait appeler ça ainsi. Zeppelin ne perdit pas un instant pour savourer une bouchée de la sienne et laissa fondre celle-ci dans sa bouche. « Hm… J’espère que tu t’es remis de ta sortie de l’hôpital parce que tu risques de subir un autre choc psychologique avec ce que j’ai à t’annoncer… » reprit-elle, se donnant un air mystérieux.

Suivant visiblement les moindres désirs du latino, Zeppelin accepta de l’emmener dans le petit parc qu’il lui avait décrit. Mais avant tout, le jeune homme dut se hisser dans l’énorme véhicule qui lui servait de taxi d’un jour. Bien évidemment, la difficulté ne lui était jamais apparue aussi insurmontable auparavant mais privé de l’usage de ses jambes, il n’eut d’autre choix que de compter sur l’aide de son amie. Cependant, il apprécia qu’elle s’exécute sans rien dire, sans remuer le couteau dans la plaie et lui rappeler une fois de plus qu’il était désormais bon à rien. En route, le silence domina dans l’habitacle. Un peu vexé et gêné de devoir compter sur elle comme ça, Pablo ne parvenait pas à se détendre et à se dire que son horrible séjour à l’hôpital était bel et bien terminé. Zeppelin venait tout simplement de le libérer et pourtant il ne trouvait pas les mots pour la remercier.

Une fois arrivés sur place, Zeppelin s’empressa de préparer le fauteuil dans lequel Pablo se laissa glisser, avant d’entamer son chemin vers le parc en question. Et à peine eurent-ils pénétré sur l’allée principale que déjà, Zeppelin lui demanda de l’attendre quelques instants. Intrigué, le jeune homme la suivit du regard en fronçant les sourcils, jusqu’à apercevoir le petit stand d’un marchand de glace. Immédiatement, un petit sourire prit place sur son visage, et ce jusqu’à ce que la jeune femme revienne à sa hauteur. « Je n’ai pas fait de gâteau pour l’occasion parce que je ne suis pas douée en cuisine mais je te propose une bonne glace. Tu l’apprécieras mieux par une chaleur pareille. J’ai pris la même chose que tu avais commandée la première fois qu’on en a mangé une à deux. Tu te souviens ? » déclara-t-elle, réveillant ainsi un certain nombre de souvenirs enfouis dans la mémoire de Pablo. Il se mordit la lèvre en attrapant la glace que Zeppelin lui tendait, et hocha la tête. « Bien sûr que je m’en souviens ! » affirma-t-il même si ce n’était pas si évident que ça après les pertes de mémoire qu’il avait subies suite à son accident. « Tu as bien choisi… merci. » Sans plus tarder, Pablo entama sa glace avec un plaisir non dissimulé, laissant de temps en temps glisser son regard vers Zeppelin en souriant. Certes, le sourire qu’il affichait n’était pas encore celui auquel la jeune femme avait été habituée, mais c’était déjà un énorme progrès pour lui aux vues des circonstances.

Mais bien vite, ce sourire s’effaça face au mystère contenu dans le discours de Zeppelin. « Hm… J’espère que tu t’es remis de ta sortie de l’hôpital parce que tu risques de subir un autre choc psychologique avec ce que j’ai à t’annoncer… » Que voulait-elle dire par là ? Devait-il s’attendre à une nouvelle encore plus mauvaise que toutes celles qu’il avait reçu jusqu’à maintenant ? Etait-ce seulement possible ? Pablo avait beau sonder la jeune femme du regard, il lui était impossible d’avoir le moindre indice. Un air inquiet se dessina donc sur son visage, teinté d’une certaine crainte qui fit presque flancher sa voix. « Q… quoi ? Qu’est-ce que tu as à m’annoncer ? Je ne suis pas certain de vouloir savoir tu sais… au point où j’en suis, je préfère encore en rester là… »