” SALLY ET LARS;
the dreamers.”

▬ Le regard perdu dans l'étendue bleue qui se trouvait derrière la fenêtre de son modeste appartement, Lars ne portait aucune attention au livre qu'il tenait entre ses mains, se contentant de le feuilleter aléatoirement sans en lire un mot. Ses heures oisives se déroulaient toujours de la même façon, il commençait tout d'abord par se préparer une tasse de thé bouillante, à la violette de préférence, toujours à la violette. Ensuite, l'homme s'installait sur un coussin et s'asseyait sur le rebord de sa fenêtre, se laissant aller à une contemplation éternelle du paysage auquel il se refusait, cloîtré dans sa chambre. La température était étrangement agréable pour un après-midi d'octobre et quelques rayons de soleils parvenaient à se frayer un chemin à travers les nuages épais qui couvraient la ville. Loin de là étaient les soirs d'été où il s'amusait dans les collines de Steinkjer, sa tendre ville natale. Loin de là étaient les pâquerettes au milieu desquelles il s'allongeait gaiement, le pétard à la bouche et les problèmes écartés de son esprit. Ces joies qui l'égayaient auparavant s'était volatilisées, comme ces oiseaux qui s'enfuyaient probablement vers de plus chaudes contrées, passant juste au-dessus. Une douce nostalgie commençait à s'emparer de son corps et le plongeait dans d'incessantes rêveries, soudainement brisées par un groupe de garçons qui passaient en-dessous. Comme elle lui manquait, sa campagne... Puis, Lars se mit à rire. La source de cette hilarité lui échappait, mais il ne pouvait s'en empêcher. Peut-être la réalisation de sa bien minable condition en était-elle la raison ? Qu'importe. Vivre dans le passé n'était pas une bonne chose, c'était véridique. Mais parfois, les souvenirs viennent à nous sans que nous ne puissions faire quoique ce soit pour les en empêcher. Il but une nouvelle gorgée de thé et pensa que rien ne l'obligeait à rester assis de cette façon, en proie à de douloureux souvenirs qu'il souhaitait réprimer. Bien au contraire, quitter ce milieu austère lui serait probablement bénéfique et rien ne valait une courte promenade pour faire revenir le moral.
Par conséquent, Myklebust se dirigea vers son armoire en sifflotant, marchant d'un pas léger, animé par une joie sans égale à l'idée d'aller marcher. Quelle futile occupation cela pouvait sembler être, lorsque s'agitaient, dehors, divers hommes d'affaires et journalistes en constante activité ! Peu importe, respirer la liberté et se ressourcer était une bien meilleure labeur. Il remit rapidement de l'ordre dans ses cheveux bruns avant d'enfiler un manteau beige auquel il ajouta une écharpe noire, puis passa joyeusement la porte de son logement. Il prit quelques secondes pour poser son casque sur ses oreilles et le brancha à son téléphone : la règle d'or était de ne jamais sortir sans musique. Le pas dansant, il se dirigea à travers les rues de Manhattan, riant en voyant ces âmes pressées qui ne trouvaient jamais le repos. Lars fit une pause dans un parc, observant deux jeunes garçons qui jouaient au frisbee. Quelle lui manquait aussi, son insouciance d'antan, il aurait voulu les rejoindre, mais il préféra repartir.
Puis soudain, il pensa à Sally. Peut-être étais-ce cet homme, une cigarette dans la bouche, qui lui fit penser à elle, ou peut-être cette demoiselle, tremblante, qui marchait devant lui. L'homme afficha un léger rictus, presque une grimace, en repensant à leur première entrevue. Quelle tristesse ! Il s'était longuement penché sur son cas, essayant de comprendre ce qui la poussait à agir de la sorte, puis il se souvenait de ce qu'il avait été, à l'époque. Il se souvenait de cette constante vulnérabilité qu'il ressentait, cette extrême sensibilité à laquelle il était assujetti et ce bonheur qui le prenait tout entier lorsqu'il sentait la salvatrice fumée traverser ses poumons. Il s'était arrêté sur le trottoir sans s'en rendre compte, aspiré par ses douloureuses pensées. Le Norvégien prit une longue inspiration et se remit en route, hanté par le visage de la brune. Il devait la voir.
Il se mit alors à arpenter les rues du Bronx, tentant de se remémorer l'endroit où habitait Sally pour aller l'y retrouver. Peut-être ne la trouverait-il même pas ? C'était probable. Peu importe. Lars accéléra, comme poussé par une force singulière qu'il ne parvenait pas à identifier. Il ne la connaissait qu'à peine, sa visite paraîtrait certainement étrange ! Mais il se rapprochait, il en était certain et lorsqu'il fut juste devant la porte de son habitation, il ne parvint pas immédiatement à frapper. Il ferma les yeux et s'y résout finalement, s'interrogeant sur les raisons qui le poussaient à se mettre dans un tel état.

« Sally, ouvre ! C'est Lars ! »

Puis, il chuchota, comme pour se parler à lui-même :

« Si bien sûr tu te souviens de moi... »

Jour assez calme à vrai dire, pas très mouvementé et c'était beaucoup trop ennuyant pour l'Américaine. Elle n'était pas habituée à rester chez elle, car habituellement elle avait toujours quelque chose à faire, mais pas aujourd'hui en dirait. Son téléphone n'avait sonné qu'une seule fois ce matin et elle n'avait presque rien fait de très utile ni de très intéressant. Elle se releva puis elle attrapa son portable pour la énième fois, si le boulot ne venait pas à elle, elle viendrait à lui. « Allo, Edwin ? » Edwin était un de ces clients, qui avait d'assez lourds secrets qui malheureusement pour lui était connus par Sally. Elle utilisait ses secrets pour l'exploiter, il ne la portait donc pas dans son cœur, mais bon selon Sally après tout ce qu'il avait fait, il méritait qu'on le fasse chanter. « Vous êtes bien sur la messagerie d'Edwin-» Elle raccrocha avec un soupir. L'inactivité, était quelque chose qu'elle ne supportaitpas, car ça l'a forçé à réfléchir à sa situation assez précaire.

Il lui fallait donc trouvait une occupation et ce coute que coûte, comme ça au moins elle ferait quelque chose. Elle se releva dans son canapé puis elle remarqua que son apparemment avait vraiment besoin d'être nettoyé. Il y avait pleins de vêtements qui s'entassaient un peu partout autour d'elle puis sur le sol on pouvait voir des traces pas très jolies. Elle entreprit donc de retrousser ses manches et de remettre son habitat en état. Après une heure, elle avait déjà remit la pièce principale en ordre, elle attaqua donc les autres pièces. À vrai dire, elle passait tellement de temps hors de chez qu'elle ne n'entretenait même plus son chez-soi et c'est vrai que le remettre en ordre de temps en temps ça ne pouvait pas lui faire du mal.

Finalement après avoir fini, elle décida d'aller respirer de l'air frais et de faire un tour au parc le plus proche. Elle regretta de ne pas avoir pris un manteau et d'être sortit seulement avec un gilet, il faisait vraiment très froid. La jeune Américaine prit place sur un banc du parc puis elle observa les gens passer, les couples roucouler, les enfants jouer et à vrai dire c'était assez déprimant à regarder et ça lui rappela qu'elle n'avait plus personne. Oh non! Voilà pourquoi elle aimait être toujours occupée ! Penser à tout ça c'était trop douloureux, mieux valait oublier. Elle enfouit la tête dans ses bras pour ensuite se laisser dormir.

Elle fût réveillée par des pleurs d'enfants. Un petit garçon n'était pas content parce qu'il avait fait tomber sa glace, elle se releva puis elle entreprit de rentrer. Si elle restait trop longtemps dans cette tenue elle allait surement tomber malade et c'était la dernière chose dont elle avait besoin. « Tiens, tu t'achètera une autre glace et arrête de pleurer pour des bêtises. »

« Sally, ouvre ! C'est Lars ! »

Tout en haut de l'escalier elle entendit une voix assez familière, c'était l'homme qui l'avait aidé à échapper à un malfrat qui ne lui voulait pas que du bien. Elle fût un peu surprise à vrai dire, ce n'était pas tous les jours qu'on venait lui rendre visite et puis elle ne s'attendait pas à le revoir. « Euh...Je suis en bas. » Elle monta les escaliers pour aller le voir et vérifier que c'était bien lui. « J'étais au Bronx Park. » Sortant ses clés de sa poche elle ouvrit la porte et le fît entrer. Heureusement qu'elle avait rangé l'appartement tout à l'heure. « Je m'attendais pas à te voir à vrai dire ... » C'est vrai que ce n'était pas un de ces clients, il n'attendait rien d'elle n'est-pas ? « Qu'est-ce qui t'amène par là ?» Mieux valait aller droit au but.

▬ Il lui sembla qu'il venait finalement de reprendre son souffle lorsqu'il aperçut la demoiselle dans l'escalier, derrière lui. Lars ne parvenait à définir les raisons d'un tel attachement pour Sally, mais il voulait et devait veiller à ce qu'elle aille bien. Malgré son manque d'enthousiasme apparent, elle semblait en bonne santé et c'était déjà une victoire. Des images de son passé lui revinrent à l'esprit et dieu sait qu'il n'avait pas aussi bonne mine après un an de consommation. Il lui sourit tout en passant le pas de la porte et scruta l'appartement de la jeune femme, étonnamment ordonné. On lui avait souvent dis que le lieu de vie d'une personne la représentait, et cette propreté apparente ne reflétait en aucun cas son « amie », du moins pas qu'il le sache. Perdu dans sa contemplation, il n'entendit pas les premières paroles de la brune, lui avouant qu'elle ne s'attendait pas à une telle visite. Myklebust lui aurait probablement répondu que lui non plus, ne s'attendait pas à venir à sa rencontre ce jour-là, mais il était certainement préférable qu'il n'ait rien entendu, au risque qu'elle le prenne pour un déséquilibré. Il entendit néanmoins sa seconde question et se retourna pour lui faire face, un large sourire collé aux lèvres. Peut-être passerait-il pour un fou, finalement, s'il lui répondait sincèrement. Peu importe.

« Je n'en suis pas sûr moi-même, figure-toi. Je pensais à toi et je me suis dis qu'une petite visite pourrait s'avérer être sympathique... Comment tu vas ? »

S'en suivit un silence des plus gênants, un de ces silences qu'il redoutait. L'homme se mordit la lèvre inférieure pour masquer son malaise et serra les poings. Devait-il lui cacher la vérité de cette façon ? Étais-ce réellement une attitude à adopter dans un contexte amical où la sincérité était sensée primer ? Lars prit une longue inspiration et corrigea ses précédentes paroles.

« Je dois t'avouer que je m'inquiète pour toi, Sally. Et tu connais les raisons de mon inquiétude. Et ne me mens pas, lorsque je te demande si tu vas bien, s'il-te-plaît. »

Il ferma longuement les yeux, n'étant pas capable d'affronter le regard de sa comparse qu'il avait probablement mis dans une situation délicate. Quel imbécile il faisait ! Il se retrouvait à présent en plein milieu du Bronx, à venir baby-sitter une fille de vingt-et-un ans qui allait très certainement refuser son aide, poussé par une pulsion incontrôlable et inexplicable. N'était-il pas celui qui avait besoin d'aide, à en juger par son attitude ? À cet instant même, il aurait voulu disparaître, traverser une porte invisible et tout simplement rentrer chez lui, oublier sa conscience et laisser Sally agir comme elle l'entendait sans sentir le besoin de venir se mêler de ses affaires. Mais comment pouvait-il consciemment laisser une personne qu'il appréciait dans des problèmes qui la dépassait probablement ? Était-il juste d'aider une personne, malgré le fait qu'elle refuse ce dit aide ? Tant de questions qui le submergeait de façon incontrôlable. Il ouvrit les yeux et affronta la brune, attendant de voir à quelle sauce elle allait le manger. De toute façon, Lars méritait bien d'être remis en place une bonne fois pour toute, ce qui lui apprendrait à ne plus venir s’immiscer dans la vie des autres.

S'il y avait bien quelque chose qu'elle se demandait, c'était la raison de la présence du jeune homme ici. On peut dire qu'elle était assez surprise, c'était bien la dernière personne qu'elle pensait revoir aujourd'hui et puis comment savait-il qu'elle habitait ici ? Ou plutôt comment avait-il fait pour s'en souvenir ? Elle habitait dans un endroit assez particulier et plutôt difficile d'accès à vrai dire. De plus elle ne le connaissait pas très bien, il l'avait peut-être aidé mais, elle ne savait pas qui il était. C'était peut-être un homme mal attentionné, voir instable. Mais bon elle le fît tout de même entrer dans son appartement, qui avait été rangé quelques heures plus tôt. Elle enleva son gilet pour un mettre un pull, beaucoup plus chaud puis elle lui fît face en s'asseyant sur son fauteuil.

« Comment ça t'en est pas sûr ? »

C'était étrange vraiment étrange, s'il ne savait même pas pourquoi il était là, il devait bien y avoir une raison tout de même ? C'était évident ! On ne pouvait pas venir chez quelqu'un sans savoir pourquoi, c'était trop ... Bizarre ! Décidémment cet homme avait un problème de stabilité. Elle fronça un sourcil puis elle lui dit :

« Je vais très bien.»

C'était un mensonge, elle ne pouvait jamais aller bien, surtout après tout ce qui venait de lui arriver très récemment. Mais elle n'avait surtout pas envie de dire à un homme qu'elle connaissait à peine qu'elle allait mal. Il allait surement lui poser des questions, voir essayer de l'aider, mais, l'Américaine n'avait pas besoin d'elle. Non. Elle n'avait pas envie qu'on l'aide, elle s'était toujours débrouillée toute seule jusqu'à présent et elle ne voyait pas pourquoi ça changerait.

« Mais toi tu es sûr que ça va ? Tu as l'air ... euh je ne sais pas ... Inquiet ? » Elle n'en était pas très sûre, mais Lars n'avait pas l'air d'être dans son assiette, comme s'il redoutait quelque chose. Avait-il une mauvaise nouvelle à lui annoncer ? Même si c'était ça, elle ne voyait pas en quoi ça pouvait l'a concerné. Elle n'avait rien à traiter avec lui et à ce qu'elle savait ce n'était même pas un des clients.

Bref, elle entreprit d'aller préparer du chocolat chaud dans la cuisine et bien sûr elle ne fît rien pour faire la conversation. Ce n'était tout simplement pas son truc, elle n'était pas asociale pour rien et de toute façon les silences dit gênants ça ne l'a dérangé pas plus que ça. De plus elle n'aimait pas trop s'exprimer, vu qu'elle était du genre renfermée. Après un petit moment alors qu'elle apportait deux tasses de chocolat chaud, le jeune homme prit une nouvelle fois la parole :

« Je dois t'avouer que je m'inquiète pour toi, Sally. Et tu connais les raisons de mon inquiétude. Et ne me mens pas, lorsque je te demande si tu vas bien, s'il-te-plaît. »

Elle posa délicatement le plateau sur la table puis elle observa longuement Lars sans rien dire. Maintenant, elle comprenait la raison de sa venue ici, il s'inquiétait pour elle, quelque chose qu'elle détestait. Elle n'appréciait pas du tout qu'on se fasse du souci pour selle, il n'y avait pas de quoi ! D'accord elle était dealeuse et oui elle avait perdu son frère il y a peine quelques mois mais elle allait très bien ! Enfin ça c'est ce qu'elle voulait faire croire car, sous ses airs de femme dure et impitoyable, il se cachait une personne fragile, mais ça elle ne l'avouerait jamais.

« Franchement je ne vois pas de quoi tu parles. » Répliqua-t-elle sèchement.

Nier les faits, c'était quelque chose que Sally savait très bien faire. Elle n'allait surement pas lui avouer qu'ne faite il avait raison et qu'elle ne pouvait pas continuer à vivre comme ça. C'est vrai que ce n'était pas une vie de vendre de la drogue et elle n'allait quand même pas faire ça toute sa vie. De plus ça lui faisait plus de mal que de bien de faire ça car elle savait qu'à chaque sachet qu'elle vendait elle détruisait un peu plus la vie de ses clients.

« De toute façon je n'ai pas besoin de l'aide de quiconque et je sais très bien me débrouiller toute seule. » Puis elle rajouta avec un ton assez sarcastique : « Je suis une grande fille si t'avais pas remarqué, il faut peut-être que je me déshabille pour que tu constates la chose ? » C'est vrai qu'elle manque cruellement de délicatesse, c'est un fait.