« Vous avez un CV tout à fait remarquable, Madame Kaleko. ». L’intéressée accueillit le compliment avec un sourire qui se voulait modeste ; cela faisait des semaines qu’elle épluchait les petites annonces en quête d’un métier au salaire se rapprochant un tant soit peu de celui qu’elle avait exercé auparavant pour garder le même train de vie sans éveiller les soupçons, mais cette offre-ci était la bonne, elle le sentait ! « Malheureusement, vous ne correspondez pas au profil recherché… ». Un éclair de déception parfaitement perceptible passa dans les yeux verts de Lulani, tant et si bien que le directeur s’empressa d’ajouter : « Mais ceci ne remet pas en cause vos compétences ou la qualité de votre candidature ! ». Bah voyons... Estimant qu’elle avait perdu assez de temps pour ne rien en tirer, la philippine se leva et afficha un léger sourire. « Bien, je vous remercie tout de même d’avoir pris de votre temps pour me recevoir. » dit-elle, en toute sincérité. Ils échangèrent une poignée de main, puis Lulani rassembla ses affaires et quitta le bureau pour gagner rapidement la sortie du building. Elle s’apprêtait à s’engouffrer dans un ascenseur lorsqu’un homme l’interpella. « Attendez mademoiselle, vous avez fait tomber quelque chose ! ». La philippine fit volte-face et constata que l’étranger détenait son CV entre les mains. « Il a sûrement dû glisser de ma pochette, merci. ». Lulani avait tellement de mal à digérer son licenciement qu’elle s’empressa de lui arracher des mains pour le remettre dans la pochette en question. « Votre entretien n’a pas été concluant, on dirait ? ». Pour toute réponse, la jeune femme secoua la tête de gauche à droite, affichant un visage qui ne laissait aucun doute quant au fait qu’elle était peu encline à converser sur le sujet. « Pourquoi devenir maquettiste ? Vous avez peut-être de beaux diplômes, mais vous avez aussi un beau physique, ce serait dommage de ne pas en profiter surtout que c’est de l’argent facile… ». Comme à chaque fois qu’on la complimentait, Lulani sentait ses joues s’empourprer et chercha aussitôt à se dévaloriser. « Sourire à la demande, ce n’est pas dans mes cordes et puis, je ne suis pas photogénique de toute manière. » « Je suis sûr que c’est faux ! Suivez-moi, je vais vous montrer les coulisses d’un shooting… ». Curieuse de nature, la jeune femme finit par accepter de suivre le dénommé James Scott, mannequin de profession et assista notamment à l’un de ses shootings. Lulani avait tenté plusieurs fois de s’éclipser discrètement pour retourner à sa recherche de travail, mais James avait insisté pour qu’elle fasse une photo… Une seule photo qui se trouvait à présent placardée sur tous les bus de la ville et que la jeune femme avait remarqué en se rendant sur son tout nouveau lieu de travail : un café où elle avait accepté un job de serveuse à mi-temps ce qui lui permettait de poursuivre sa recherche d'emploi. Lorsque Lula avait vu sa photo, elle avait cru à un mirage ou à une mauvaise blague, mais c'était bien elle. La philippine fut aussitôt prise de panique : si jamais ses enfants voyaient le visage de leur mère sur tous les bus de la ville, qu'allaient-ils en penser ? Et Matthew ? Allait-il l'accabler d'avoir accepté un métier qui l'exposait à la notoriété et donc au danger ?



Dès qu’elle en avait eu l’occasion, Lulani avait pris le chemin du building où se trouvaient les bureaux de l’agence. Ses pieds martelant le sol énergiquement, son visage animé d’une colère sans nom, la jeune femme se dirigea droit vers la réceptionniste qui eut un léger mouvement de recul avant de commencer à lui réciter son speech. « Bonjour et bienvenue chez… ». Comme à chaque fois que la philippine était en colère, elle la fit taire d’un simple mouvement de la main et appuya ses deux mains sur le comptoir pour se pencher au-dessus de la réceptionniste, se donnant ainsi un air supérieur pendant que la pauvre était en train de se contorsionner sur sa chaise. « Faites venir James Scott, MAINTENANT ! » lança-t-elle, d’un ton qui l’étonna elle-même. Lulani ne s’était jamais montrée aussi autoritaire envers quelqu’un, pas même envers ses propres enfants. La réceptionniste eut à peine le temps de dégainer son téléphone : la philippine s’élançait déjà vers le mannequin qu’elle venait tout juste de voir passer et qu’elle interpella sans plus attendre. « VOUS ! » cracha-t-elle le souffle court en le désignant de son index accusateur et sans prendre garde aux têtes qui s’étaient tournées vers elle. « COMMENT AVEZ-VOUS OSE FAIRE UNE CHOSE PAREILLE !? ». Son cri venait tout juste d’alerter les agents de sécurité qui venaient dans leur direction, prêts à la flanquer dehors sans ménagement. « Vous vous êtes servi de cette photo sans mon accord ! C'était un appât, c'est ça ? Eh bien, vous avez réussi : je suis là ! ALORS EXPLIQUEZ-VOUS ! ». Lulani était tellement en colère qu'elle en avait les larmes aux yeux.