« Monsieur Jenkins, j’ai fini mon service. Pedro va prendre la relève » annonçais-je à mon client tout en enlevant mon oreillette. Cela faisait un mois que j’assurais deux fois par semaine la sécurité de cet homme, un vieil homme d’affaires philanthrope que je connaissais de longue date pour avoir déjà travaillé pour lui en Australie, il y a quelques années. Nous nous respections suffisamment pour nous mettre d’accord entre liberté et sécurité. Très peu de mes clients sont conscients que si nous sommes là, c’est pour les protéger et non service de baby-sitter. Alors, quand vous avez un client de cette trempe, vous n’hésitez une seule seconde. « Bien ! Seras-tu disponible dans une semaine ? Je dois partir pour un congrès à Chicago et cela me rassurerait si tu étais présent à la tête de mon équipe de sécurité. » me demanda-t-il tout en se servant un scotch. Naturellement, je lui répondis que je verrais si c’était possible car j’avais d’autres clients mais que je le tiendrais au courant dans les plus brefs délais. Peu après, je prenais congé de lui et renonçais à l’idée de rentrer en taxi. Une marche ne me ferait que du bien surtout que ce soir, personne ne m’attendait à la maison. Ma fille se trouvait chez sa « cousine » Kennedy donc j’avais toute la soirée devant moi ainsi que la nuit. Au bout de vingt minutes de marche, je débouchais sur la 5ième avenue. Les mains dans les poches de mon pantalon noir, la chemise blanche dont les deux premiers boutons étaient défaits, j’affichais un air morose à souhait. D’un point de vue extérieur, je faisais relativement classe dans mon ensemble mais ce n’est pas comme si je cherchais à séduire les femmes, l’alliance à mon doigt montrant clairement : marié. Aussi, très peu de femmes m’abordaient quand elles la voyaient à moins qu’elles ne cherchent un plan sexe sans contrainte chose que je n’acceptais jamais. Cela faisait trois longues années que je n’avais pas serré contre moi une femme et j’étais un homme donc dire que cela ne me manquait pas, serait forcément mentir.

L’enseigne d’un bar attira mon attention. Le Mc Murphy's Pub. Pourquoi pas après tout ! J’y avais déjà mis quelques fois les pieds et je connaissais sa réputation. Au moins, je serais tranquille car loin de moi l’envie de voir des mecs bourrés en train de se foutre sur la gueule. Non, une bonne bière fraiche, de la tranquillité seraient parfaits. Je poussais donc la porte et pénétrait dans l’établissement, me rendant directement au bar où je commandais une bière. Ma commande arriva très rapidement entre mes mains et je pus en savourer une longue gorgée. Qu’est-ce que cela faisait du bien après une longue soirée de boulot. Dire que demain, j’enchainais avec un client dès dix heures. Il était vraiment temps que j’embauche des collaborateurs pour ne pas me taper tout, tout seul. Heureusement que je pouvais compter sur l’efficacité de mon assistante. Catherine était vraiment une perle et sans elle, je croulerai sous la paperasse. J’étais là dans mes réflexions quand par réflexe, je scannais la salle. Je faisais toujours cela quand je rentrais dans un endroit fermé. Déformation professionnelle, j’imagine. Mon regard fut attiré par une femme. Elle m’était familière même très familière. Ce n’est qu’au bout de cinq minutes que je remis un nom sur ce visage et m’en approchais. « Gemma Mackenzie ? » demandais-je en espérant ne pas me tromper mais j’avais peu de doutes là-dessus.

Gemma Mackenzie, je l’avais bel et bien reconnu après toutes ses années. En même temps, elle n’avait pas beaucoup changé mise à part la coiffure et l’air un peu plus détendu. La revoir me plongea des années en arrière quand je faisais encore partie de l’armée. La plus belle époque de ma vie sans aucun doute là-dessus. J’aimais vivre avec mes frères d’armes, voyager, affronter le danger à tout bout de champ, appartenir à une communauté où on se fichait pas mal de savoir d’où je venais tant que j’assurais comme il se doit les arrières de mes co-équipiers. Là-bas, il n’y avait jamais eu de moquerie, ni de manque de respect auquel cas, tout se réglait rapidement avec une bagarre et une bière au final. Tout était simple : tu obéissais, tu ne réfléchissais à rien. Certes, d’un point de vue extérieur, on pouvait passer pour des cons à aboyer à l’attente d’un ordre mais j’emmerdais les gens qui pensaient ainsi. Depuis que j’avais été naturalisé américain, j’avais toujours eu envie de porter fièrement les couleurs du drapeau américain. Les Etats-Unis étaient ma nouvelle patrie bien que je n’ai jamais renié mes origines mexicaines bien au contraire. Ma double nationalité était ma fierté mais ce pays m’avait apporté une chose que ma terre natale m’avait toujours refusé : le respect. Il n’avait jamais été évident d’être né de deux mères mais j’avais cherché et fouillé dans ma mémoire, je ne me rappelais pas qu’on se soit moqué de moi au cours de mes années chez les marines. Nous avions d’autres sujets de préoccupation à vrai dire. Que cette époque me manquait ! Revoir mon ancienne supérieure était donc une bonne rencontre. Je l’avais toujours admiré pour s’être imposé dans ce milieu d’hommes et puis elle savait y faire pour faire plier un homme. Nous ne pouvions ni douter de ses capacités, ni même de ses atouts. Et ils étaient nombreux. Pour ma part, j’avais surtout eu du respect pour celle qui commandait d’une main de fer dans un gant de velours. « Oui, cela fait un bail comme tu dis » en prenant place sur son invitation, ma bière à la main. Je la détaillais : toujours aussi séduisante avec cette touche qui la rendait sexy aux yeux des hommes. Pour cela, elle n’avait pas changé.

Combien de mes anciens camarades auraient aimé la mettre dans leur lit pour une nuit ou même une seule nuit. Moi-même avant de rencontrer ma femme, j’avais ressenti cette attirance somme toute naturelle mais je l’avais très vite oublié. Cette femme n’était ni pour moi que je ne l’étais pour elle. A vrai dire, me taper mon officier supérieur n’était pas à l’époque dans mes ambitions premières bien au contraire. J’étais trop pris par mon envie d’en démordre, par mon besoin de reconnaissance. Je me demande encore certains jours jusqu’où j’aurais pu aller si je n’avais pas tout quitté pour Grace. « Et bien non, j’ai quitté l’armée il y a cinq ans pour rejoindre l’entreprise de protection rapprochée d’un ancien frère d’armes. Et commence pas à me chercher sur mon apparence, tu es bien placée pour savoir ce que je vaux sans avoir besoin de paraitre macho ou homme des cavernes. Et toi ? Que deviens-tu ? » Lui demandais-je tout en souriant avant de boire une nouvelle gorgée de ma bière. Cette rencontre fortuite tombait à pic n’empêche. J’étais même curieux de savoir sur quoi cela pouvait déboucher.