SAUT DANS LE TEMPS, AUJOURD'HUI, EN 2013.

Les couloirs d'une longueur infinie et d'un blanc immaculé perçaient les yeux fatigués de Zoé. Elle touchait à la fin de sa garde de quarante huit heures, une garde pas comme les autres puisqu'elle n'avait pas le statut de grande chirurgienne ... Non, juste d'une étudiante en cinquième année, qui enchaîne les heures de cours et les heures à l'hôpital. Cela n'était pas à la portée de tout le monde : il fallait absolument être dotée d'une passion sans failles, à l'instar de la jumelle Hanwell. La fatigue était immense, elle marchait telle un zombie mais jamais elle n'aurait pu espérer une meilleure voie professionnelle. Son but ultime serait de devenir chirurgienne pédiatrique, et pour se faire, il n'y avait pas de secret : c'était du travail, et rien que du travail. Toujours est-il que Zoé errait comme une âme en peine dans les couloirs vides. Il n'y avait rien à faire, tous les jeunes patients allaient bien.. C'était une excellente nouvelle qui ravissait n'importe quel personnel du corps médical mais qui avait le désavantage d'apporter un certain ennui. Regardant pour la énième fois l'horloge bancale qui ornait assez peu fièrement le mur de la salle des infirmières affichait huit heures du matin. ENFIN ! Après avoir souhaité bon courage à ceux qui restaient à l'hôpital, elle se retourna et fut stoppée net. Son grand et brillant sourire qui arborait son visage fatigué disparut aussitôt. Ellyot. Lui ? Ici ? C'était assez embêtant. Elle ne savait pas grand chose de lui, si ce n'est qu'il s'appelait comme cela -Zoé avait énormément de mémoire pour retenir les prénoms que portaient les personnes qu'elle rencontrait-, qu'ils avaient passé une soirée ensemble, qu'il était en passe de se retrouver en couple avec sa soeur Sarabi, et ... que lui et Zoé avait couché ensemble une fois durant le temps pendant lequel le couple s'était séparé. C'était une situation bien plus qu'embarrassante vis à vis de Sarabi, qui n'était visiblement pas au courant de ce faux pas mais qui réagirait sans nul doute très mal. Et cela se comprenait parfaitement : Zoé elle-même s'était imaginé à sa place et cela aurait fait des étincelles. Et c'était peu dire. Ce que l'anglaise avait oublié, en revanche, c'est que ce jeune homme à l'allure sûr de lui était lui aussi étudiant en médecine. En deuxième année, c'était un petit jeunot par rapport à elle, mais cela ne s'était pas ressenti du tout le soir de leur.. enfin bref. Il était vraiment canon, mais Zoé s'interdisait toute pensée qui y faisait référence, tant ça la mettait mal à l'aise. Le voir dans son espace vital, dans son monde, dans son hôpital était tout bonnement un cauchemar. Elle qui avait espéré ne plus jamais le croiser dans la grande ville qu'est New York était désormais face à lui, sans arme. Elle leva les sourcils en guise de surprise, inspira profondément et continua la marche qu'elle avait entamé, jusqu'à arriver à son niveau. « ça fait longtemps.. » dit-elle presque en chuchotant et en regardant aux alentours, que personne ne les voit. C'était ridicule, puisque personne n'était au courant, mais elle ne prévoyait aucune de ses réactions. Effectivement, cela faisait longtemps, très longtemps : un an au total. En Janvier dernier. Mais s'ils avaient eu la chance de ne pas se revoir depuis, c'était la roue de l'infortune qui venait aujourd'hui de tourner. Zoé peinait même à le regarder en face, tellement elle s'en voulait.. Surtout qu'il lui plaisait toujours autant, physiquement. Et elle tentait de réfuter l'idée selon laquelle, s'ils n'étaient pas dans cette situation avec Sarabi, elle lui aurait sûrement sauté dessus en souvenir du bon vieux temps. Inspirant profondément, elle essayait de réfreiner son envie de lui sortir des tas de reproches, comme le fait de ne pas avoir eu la présence d'esprit de se rendre compte de la ressemblance entre les soeurs Hanwell. Mais cela aurait été une fois de plus ridicule puisque 1. elles ne se ressemblaient pas tant que ça et 2. ils avaient un petit (ou gros) coup dans le nez, et elle-même aurait été incapable de le reconnaître si elle avait su qui il était auparavant.

RETOUR DANS LE PASSÉ, EN JANVIER 2012 (temps du RP)

La soirée de la veille avait été vraiment.. satisfaisante. Disons que l'ambiance avait été au rendez-vous, l'alcool coulait sous les flots, la pièce était remplie de personnes dont la moitié était inconnue (parfait pour les rencontres). C'est d'ailleurs par des amis d'amis d'un ami -pfou- que Zoé rencontra ce jeune homme avec qui elle passa une nuit de folie. Il faisait sans doute partie de ses meilleurs coups ! La soirée avait été parfaite, si le lendemain matin n'était pas si vite arrivé. Mal de tête, fatigue.. tous les symptômes d'un bon lendemain de cuite étaient là. C'est donc rapidement qu'elle enfila ses vêtements et avança sur la pointe des pieds en direction de la porte. S'enfuir était le meilleur moyen. Mais le bel homme allongé nu dans son lit en avait décidé autrement. Il lui demanda ce qu'elle faisait, et qu'il comptait bien l'accompagner boire un café. Zoé n'avait pas imaginé partager son petit moment tranquille devant sa tasse de thé avec un parfait inconnu, mais soit, pourquoi pas ? Elle lui répondit simplement : « Allez, suis-moi ! Et pas trop de bruit, les autres dorment encore.. » Ils marchèrent quelques temps dans les rues de l'upper west side avant de trouver un chaleureux café dans lequel ils prirent place. « Au fait, je ne me souviens plus t'avoir demandé ton prénom.. » dit-elle, un soupçon gêné de se retrouver face à cet homme avec qui elle venait de passer la nuit.

Pendant une longue période, Zoé avait vécu des soirées aussi alcoolisées que mémorables. Si l'alcool est un grand déshinibant, il en est de même pour la musique et le charme sombre de la nuit. Et depuis son adolescence difficile dans le sens où les relations avec son frère jumeau étaient tendues, Zoé s'était enfermée dans une routine festive mauvaise pour sa santé physique et sociale. Car si elle rencontrait de plus en plus de monde, aucun lien n'était réellement tissé, il ne s'agissait là que connaissances de soirée. A l'image d'ailleurs d'un grand brun, terriblement sexy et qui avait eu raison de sa libido. Après avoir passé la nuit dans le même lit et avoir fait quelques petites choses peu catholiques, le matin avait pointé sa clarté. Les idées, au contraire, subissaient encore le voile floué par les vapeurs d'alcool qui se dégageaient des verres à moitié plein qui parsemaient la maison de l'hôte. Heureusement, ce n'était pas celle de Zoé, et elle n'aurait pas à ranger tout ce désastre ! Et histoire de se faufiler à l'extérieur en toute discrétion, elle jugea sympathique de boire un café avec celui qui fut la veille l'objet de tous ses fantasmes. Mais cela avait été terriblement mal accueilli par le jeune homme, qui prit aussitôt la fuite. Chose qui aurait pu laisser indifférente la demoiselle, et c'est ce qui se passa jusqu'à aujourd'hui. Au sein de SON hôpital, elle revit ce visage qu'elle n'avait pas vu depuis plus d'un an. Le voir sur son terrain n'était pas la meilleure nouvelle qui soit, et elle comptait bien savoir s'il se préparait à y rester. « Je connais parfaitement cette technique. » dit-elle d'un air dédaigneux, avec un faux sourire agaçant avant de rajouter : « C'était une de ses soirées où l'alcool coulait à flots, à Staten Island. On a couché ensemble. Plusieurs fois dans la même nuit. Je te passe les détails dont je ne me souviens pas, si ce n'est que tu t'es enfuit comme un lâche le lendemain matin. » lui rétorqua-t-elle d'un air aussi angélique que condescendant. C'était quelque chose qu'elle s'était promis de lui balancer quand elle pourrait enfin lui faire face, à ce fugitif. « Je ne t'aurais pas mangé tu sais ! Je suis plutôt fraises qu'autre chose. Ah et puis, je ... » elle venait tout juste de découvrir le prénom sur les listes des visiteurs de l'hôpital, qu'elle tenait entre ces mains dans le but de le déposer avant de quitter les lieux. « Ellyot c'est bien ça ?! Drôle de rencontre que d'apprendre ton prénom sur cette liste. Parce que non, je ne suis pas malade, je suis chirurgienne. » Bon, d'accord, Zoé en avait un peu rajouté en disant qu'elle était déjà à ce poste. Elle n'était encore qu'interne et devenir chirurgienne à proprement parler, être titulaire serait la récompense de ses années de dure labeur - et cela n'aboutirait que prochainement. Toujours est-il qu'elle regarda ailleurs, comme si elle n'attendait qu'une chose, partir. Mais pour une fois, il semblait pouvoir prendre la parole et affronter la tornade que pouvait être la britannique.

J'y suis allée un peu fort mais comme ça c'est drôle

Marquantes par leur jeu de jambes ? Il était vraiment sérieux là ? Il se foutait de Zoé devant son nez. C'était quelque chose qui la mettait hors d'elle. Une fois même, elle avait eu le culot d'aller voir un jeune homme ivre, qui l'avait traité de tous les noms pour aller le gifler sans état d'âme. Heureusement, elle était entourée de ses amies qui l'empêchèrent de faire cette bêtise, qui n'aurait qu'empirer le fait qu'après l'homme en question, visiblement dealer, l'ait confondu avec quelqu'un qui avait envoyé son ami en prison. C'était sans nul doute un des moments les plus difficiles de sa vie, puisqu'elle avait vraiment été terrifiée. Mais en cette journée au Lenox, revoir Ellyot avait déjà été désagréable.. mais alors le fait qu'il lui ait répondu de cette façon la dépassait. Heureusement, il venait de se rattraper en jouant le beau parleur : 1 point pour lui. Il ne voulait soi-disant pas donner aux femmes avec lesquelles il couchait un statut réducteur. But tout à fait louable, mais qui n'était qu'une façon de se détourner de sa lâcheté. Mais passons, cela ne valait pas la peine d'en rajouter. « Chirurgienne? Déjà? Et moi je suis le pape non? Je me souviens de ton âge, le prénom on ne se l’est pas dit, l’âge il me semble que si ! Même si je suis en retard dans mes années de médecine et donc que je ne peux pas te comparer à moi, tu as quand même mon âge si je me souviens bien donc tu n’es pas encore chirurgienne ! Redescend un peu vois tu Z… Zoé …» Et voilà, Zoé avait eu le malheur de se vanter un tout petit peu, et il avait saisi l'occasion. En même temps, c'est comme si elle lui avait donné un bâton pour la frapper. Pathétique. « Toi, le pape ? Je ne crois pas, la condition première est d'avoir de bonnes moeurs, et surtout un grand altruisme, chose que tu n'auras évidemment jamais, narcissique que tu es. Ah, et puis, je ne te permets pas de me demander de redescendre de quoi que ce soit, étant donné ton niveau d'études comparé au mien. Tu n'es pas en retard qu'en médecine.. » Elle secoua légèrement ses cheveux, avec un petit sourire en coin. « .. Parce que non, je ne me suis pas trompée de blouse. Et oui, je suis bien une Hanwell. Tu connais Sarabi n'est-ce pas ? » dit-elle avec un sourire à la hauteur de la victoire qu'elle venait de remporter car oui, elle avait appris qu'il avait eu une histoire avec sa soeur.