Flashback
Tous les journaux et toutes les chaines de télévision semblaient s’accorder sur un point aujourd’hui: c’était le début du printemps. En réalité, il aurait du arriver depuis un bon moment déjà, mais les New-yorkais n’en avaient pas encore vu la moindre trace. Mais cette fois, ils y étaient. Le beau temps daignait enfin revenir, emmenant la chaleur, les fleurs et les oiseaux avec lui. Et à vrai dire, il n’en fallait pas plus pour mettre Lisa en joie. Quand d’autre s’en fichaient éperdument et ne la remarquait même pas, l’arrivée du printemps était toujours pour la jeune serveuse un moment privilégié. Oui, elle était du genre à s’attacher à ce genre de choses, les petits trucs simples qui ne coutaient rien et qui lui permettaient de garder le sourire en toute circonstance. Bon nombre de gens la trouvaient un peu légère, voire même simplette à cause de ça. Mais leurs considérations passaient à des milliers de kilomètres au-dessus d’elle. Elle vivait sa vie, dans son petit monde à elle, et elle n’avait absolument rien à faire de tous ces gens aigris qui peuplaient les rues de la ville. Attachant la ceinture de son manteau et attrapant son sac à main, c’est avec un grand sourire que Lisa quitta donc son appartement pour aller profiter du soleil en se baladant un peu.

Se laissant guider par ses envies et par les choses intéressantes qu’elle rencontrait en chemin, la jeune femme marcha pendant de longues minutes sous le soleil encore timide qui réchauffait néanmoins sa peau blanche. La fin d’après-midi approchant, Lisa se laissa tenter par un petit café qu’elle aperçut de l’autre côté de la rue. En y entrant, elle fut ravie de constater qu’un mini-concert semblait s’y tenir, et elle s’installa donc en bonne place pour en profiter. Voilà qui clôturerait parfaitement sa journée. Et plus elle écoutait, plus son attention se focalisait sur cette violoniste en face d’elle. Cette fille aux yeux clairs qui semblait mettre tout son cœur même plus dans ce qu’elle jouait. La tête appuyée sur une de ses mains, Lisa ne la lâcha plus des yeux, et ce jusqu’à la fin du concert. Elle était tout simplement bouche bée, ébahie devant la musicienne qui avait réussi à la transporter loin très loin d’ici simplement en jouant du violon. Désireuse de la remercier, mais aussi de la voir de plus près, Lisa se leva et traversa les quelques mètres qui les séparaient alors que la jeune femme rangeait son instrument. En arrivant à sa hauteur, elle se racla la gorge pour attirer son attention, et lui adressa un large sourire. Ses yeux brillaient encore d’émerveillement, et c’est d’un ton plus qu’enthousiaste qu’elle déclara : « Wouaw ! C’était… magique ! Vous êtes vraiment douée ! C’est la première fois que je vous entends, vous jouez souvent dans ce genre de cafés ? »

Flashback.

La journée était beaucoup trop belle pour travailler, mais Tali n'était pas le type de personne à ronchonner pour si peu, bien au contraire. De plus, ce beau temps concordait parfaitement avec les morceaux qu'elle devait jouer aujourd'hu: des balades celtiques vives et entraînantes, pour la plupart. Ce folklore n'était pas du tout de son registre mais il n'a jamais été simple d'être musicien à New York, aussi la jeune femme ne chipota pas. Quelques jours plus tôt, Tali répondit donc à la petite annonce qu'une troupe de musiciens irlandais avaient laissé sur le net: "recherche violoniste confirmé(e) pour cinq représentations en café-concert, ville de New York. Poste rémunéré et bonne connaissance de la musique celtique exigée". La jeune femme avait besoin d'argent et si elle pouvait en gagner tout en jouant de son instrument, cela semblait parfait. Ainsi prit-elle contact avec la drôle de troupe et s'inventa un oncle irlandais l'ayant initiée à la culture celtique dès son plus jeune âge. En vérité, Tali apprit quelques airs populaires. Ses employeurs n'y virent que du feu. Il fallait dire que la jeune anglaise savait s'adapter à la situation et ainsi fut-elle engagée pour cinq concerts à l'ambiance farfadets et trèfles à quatre feuilles.

Bien que peu réceptive aux sonorités festives des morceaux qu'on lui faisait jouer au départ, les mélodies étaient si vivantes et concordaient si bien avec le retour des beaux jours que la jeune blonde se laissa guider par ces sonorités et se mit à les apprécier. Cette fois-ci, c'était dans un petit café de Brighton à Staten Island que la troupe et elle interprétaient leurs morceaux. Ce quartier portait le même nom que sa ville natale, Brighton, ce qui lui donna d'autant plus le sourire. Les notes s'enchaînèrent et aux quelques habitués de l'endroit s'ajoutèrent des curieux, attirés par les vives sonorités des instruments. L'ambiance était bonne enfant et les sourires omniprésents: certains clients se mirent même à remuer le pied ou taper dans leurs mains en rythme avec la musique. C'était ce que Tali aimait. Voir les gens réceptifs aux mélodies, illuminés par quelques accords joyeux comme mélancoliques.
Les morceaux se succédèrent, le concert se termina. Tali venait de le clôturer par une ballade douce et nostalgique pour enfin reprendre des mélodies plus festives. Un final sur une note vivace. La troupe salua brièvement la vingtaine (peut-être trentaine ?) de personnes présentes puis se mirent à ranger leurs instruments afin de laisser la place libre aux prochains intermittents. « Wouaw ! C’était… magique ! Vous êtes vraiment douée ! C’est la première fois que je vous entends, vous jouez souvent dans ce genre de cafés ? » Les yeux bleus de la jeune anglaise firent volte-face et toisèrent avec curiosité sa nouvelle interlocutrice. Une charmante jeune femme à l'aspect aussi pétillant que sa voix. « Je... merci, merci beaucoup ! Je joue plus pour des orchestres que pour ce genre de concerts, mais ça m'arrive de temps en temps, oui ! » lui répondit-elle tout en rangeant avec précaution son violon dans son étui. Le sourire de Tali tentait d'être aussi radieux que celui de son interlocutrice, bien qu'il parût plus modeste. « En fait je suis une infiltrée... la troupe m'a prise en pensant que j'avais du sang irlandais dans les veines, alors que je suis anglaise de pure souche. Et les irlandais n'aiment pas vraiment les anglais, alors j'ai du... leur montrer que je savais aussi bien danser et boire des bières qu'eux. Drôles de farfadets, mais plutôt sympas » continua-t-elle en montrant du regard les autres membres de la troupe et tout en prenant garde à ne pas parler trop fort. Naturellement, les dires de la blondes étaient ponctués d'une bonne dose d'humour, ce qui décupla son sourire après coup. « Vous jouez aussi, peut-être ? Ou juste spectatrice ? Les deux rôles sont agréables, en tous cas » dit Tali tout en prenant son instrument d'une main et sa veste de l'autre.

Flashback
Lisa n’était visiblement pas la seule à avoir apprécié le concert puisque la quasi-totalité des clients du café s’étaient levés et avaient offert une ovation au groupe qui venait de se produire. Mais comme souvent, la jeune femme fut la seule à oser aller plus loin, et à faire ce dont elle avait envie sans se soucier des codes ou d’une quelconque distance due au fait qu’elle en connaissait absolument personne ici. N’écoutant que ses envies elle fila vers la scène, et s’adressa à la violoniste comme elle aurait pu le faire avec une de ses amies. Lisa fut d’ailleurs ravie d’observer un large sourire sur le visage de la musicienne qui lui répondit de bon cœur, tout aussi enthousiaste qu’elle. Mieux que ça, elle enchaina même en lui racontant le stratagème dont elle avait fait usage pour faire partie du groupe, ce qui arracha un petit rire qu’elle s’efforça de rendre discret à la jeune serveuse. « Vous jouez aussi, peut-être ? Ou juste spectatrice ? Les deux rôles sont agréables, en tous cas » Surprise mais absolument ravie qu’on lui pose une telle question, Lisa élargit encore un peu son sourire avant de répondre modestement : « Oui ! Enfin… si on peut dire.. Je joue du piano depuis… longtemps ! Mais je n’ai jamais vraiment joué en public en fait, je préfère être seule pour ça. » Elle haussa innocemment les épaules. Après tout, chacun son truc... Lisa se sentait tout simplement plus à l’aise lorsque personne n’était là pour l’écouter. « Au fait, je m’appelle Lisa ! » déclara-t-elle en tendant sa main vers la musicienne. Sa curiosité lui soufflant qu’elle voulait en savoir plus, et qu’elle mourrait d’envie de discuter plus longtemps avec cette fille, Lisa proposa gentiment : « Oh, si vous voulez on peut peut-être commander quelque chose à boire… J’ai tellement de questions à vous poser ! » avoua-t-elle en baissant un peu les yeux.
Fin du flashback

En ce samedi soir où tous les jeunes New-yorkais sortaient pour faire la fête et profiter de leur week-end, Lisa avait décidé de faire partie du lot. En réalité, elle adorait faire la fête et rencontrer de nouvelles têtes. C’est d’ailleurs pour cette raison que la plupart du temps, elle sortait seule. Et puis c’était beaucoup plus pratique de ramener une conquête chez elle si elle n’était pas accompagnée dès le début. C’est donc en chantonnant que la jeune serveuse se prépara. En sortant de la salle de bain enroulée dans une serviette, elle se dirigea vers sa chambre et y enfila une petite robe sans prétention mais qui, pensait-elle, lui permettrait quand même d’attirer quelques regards. Après avoir attrapé son sac et un gilet, elle quitta l’appartement et se rendit dans un bar de nuit non loin de chez elle. Lorsqu’elle y entra, l’atmosphère était déjà étouffante, et l’endroit plein à craquer. Il faut dire qu’elle ne s’y était pas prise très tôt et que la plupart des clients devaient déjà être là depuis deux bonnes heures. Jouant des coudes, Lisa tenta de se frayer un passage dans la foule afin d’atteindre le comptoir mais à mi-chemin, elle s’arrêta. Ses yeux c’étaient posés sur une silhouette qu’elle semblait reconnaître, même si elle ne pouvait en être sûre puisque la jeune femme en question était de dos. Les sourcils légèrement froncés, la jeune serveuse préféra tout d’abord observer la scène de loin, histoire de ne pas faire sa première boulette alors qu’elle venait à peine d’arriver.

Plus elle observait la scène et plus Lisa était persuadé que cette silhouette en face d’elle lui disait quelque chose. Elle l’avait déjà vue quelque part, déjà croisée, peut-être même plus. Sans cesser de froncer les sourcils, la jeune femme décida donc de s’approcher un peu plu. Et c’est en arrivant quasiment à la hauteur du petit groupe que Lisa percuta. Evidemment qu’elle connaissait cette fille ! Elle était la violoniste qui l’avait tellement impressionné il y a quelques temps dans un petit café du même quartier. D’ailleurs, les deux femmes avaient continué l’après-midi ensemble, jusqu’à ce qu’un coup de téléphone urgent ne les sépare. Dans la précipitation, aucune des deux filles n’avait pensé à prendre les coordonnées de l’autre, et après coup, la jeune serveuse devait bien avouer qu’elle l’avait regretté. En effet, elle avait l’impression que ce qui l’avait attirée à elle allait bien plus loin que leur seule passion commune pour la musique. Mais Lisa l’avait laissée fuir sans rien dire : tant pis pour elle.

A ce moment précis, toutes ces considérations étaient bien loin dans l’esprit de la brune. Les deux hommes peu attirant qui entouraient Tali ne lui inspiraient rien de bon, et l’état de la jeune femme non plus. A plusieurs reprises, elle l’entendit rire comme si elle avait vidé la totalité des bouteilles qui constituaient le bar, et la présence de la main d’un des hommes sur sa cuisse l’interpella. Le regard de l’homme en question vers son collègue, et l’attitude de Tali qui paraissait totalement à côté de la plaque décidèrent Lisa qui, sans attendre une seconde de plus, fonça vers eux. « Laissez-là tranquille ! » protesta-t-elle en retirant violemment la main du pervers de la cuisse de Tali. Face à eux, Lisa semblait être minuscule mais ça ne lui faisait pas peur. Lorsque les deux hommes se mirent à s’intéresser à elle comme si elle pouvait représenter une nouvelle proie, elle répliqua : « Elle est avec moi ! » Sans se douter une seule seconde que ses dires collaient parfaitement avec ce qu’avait dit Tali un peu plus tôt. Décontenancés, les deux hommes se regardèrent et l’un d’eux secoua la tête. « Merde ! Cette fois c’était vrai… » Et sans plus d’explications, ils tournèrent les talons et partirent à la recherche d’une nouvelle proie à travers la foule.

Pas certaine d’avoir tout suivi, Lisa resta immobile quelques instants puis haussa les épaules et se retourna finalement vers Tali avec un petit sourire. « Qu’est-ce qu’ils peuvent être lourds parfois… » constata-t-elle en levant les yeux au ciel. C’est en les reportant sur ceux de la jeune femme en face d’elle que les doutes de Lisa refirent surface. Etait-elle alcoolisée à ce point ? La brune tira un tabouret jusqu’à elle pour s’installer à côté de Tali, puis reprit : « Ca va ? Qu’est-ce que tu fais là, t’es toute seule ? »

« Laissez-là tranquille ! Elle est avec moi ! » Tali se tourna vivement vers la source de cette nouvelle voix qui s'élevait. La jeune anglaise cligna des yeux plusieurs fois et sourit largement à la vue de Lisa. Elle tira même la langue aux inopportuns poivrots alors que sa sauveuse s’asseyait sur un tabouret, à ses côtés. Ses yeux pétillaient et son sourire s'illuminait. « Qu'elle belle soirée ! Les gens sont gentils, et beaux, et... ahhh qu'elle belle soirée » ne put s'empêcher de penser la blonde pétillante, tanguant de droite à gauche tout en papillonnant des paupières.
Lisa parlait mais Tali n'écoutait que d'une oreille. L'ecstasy la rendait euphorique à toute chose, révolutionnait chaque particule de la réalité en paillette argenté. « Ca va ? Qu’est-ce que tu fais là, t’es toute seule ? » Quelques secondes passèrent avant que l'anglaise ne trouve les mots justes, bien qu'en vérité, ils ne le furent pas de toutes manières. « Oui oui, je vais très bien, vraiment très très bien ! Regarde, tout est bien ici ! Et même seule on y est très bien; mais maintenant que tu es là, tu vas pouvoir profiter de cette belle soirée avec moi ! Je te paye un verre, commande ce qu'il te fait plaisir. » Tali portait une nouvelle fois son cocktail à ses lèvres avant de le reposer sur le comptoir pour sourire de plus belle. Cette Billy (qui lui avait vendu la MDMA) n'avait pas menti sur la qualité du produit. Il semblait que Tali ait trouvé sa dealeuse attitrée durant son séjour (ou son existence peut-être, allez savoir) à New-York. « Et toi alors, tu es seule ?! Désolée si je te prive de tes amis ! »

Les petites lumières scintillantes qui étaient accrochées au dessus du comptoir dansaient, ou tout du moins pour Tali. Bien que piégée dans cette prison de fausses sensations, elle se sentait bien. Pour quelques heures, elle s'était envolée pour un monde parallèle où rien ni personne ne semblait pouvoir l'atteindre. Oui, elle ne stressait plus. Son perfectionnisme semblait s'être envolé, ses craintes paraissaient dissoutes. En vérité, ils n'étaient que cachés grâce aux malices de la drogue, dans ses veines. Les bruits se faisaient chants, les mouvements se faisaient danses. Tout était bonté et beauté pour elle. « J'ai un peu forcé sur la dose » ne put-elle s'empêcher de dire à haute voix pour elle-même.

C’est avec un large sourire que Tali accueillit l’arrivée de Lisa. Cette dernière se surprit d’ailleurs elle-même quant à l’efficacité avec laquelle elle avait fait déguerpir les deux hommes. Mais sans s’attarder sur la question, la jeune serveuse s’installa sur n tabouret à côté de Tali. Très vite, elle remarqua que la jeune femme avait l’air contente, peut-être même un peu trop… Mais Lisa se contenta de hausser les épaules et de lui adresser un nouveau sourire. Après tout, elle n’en était peut-être pas à son premier cocktail, ce qui expliquerait qu’elle soit aussi joyeuse. Mais c’est lorsque Tali se mit à parler que Lisa se posa un peu plus de questions.

Tout d’abord, la brune refusa poliment l’offre de Tali d’un simple geste de la main. Elle avait déjà payé les consommations lors de leur première rencontre, et Lisa ne voulait pas passer pour une profiteuse. En temps normal, elle aurait proposé à sa voisine de commander ce qu’elle voulait en retour, mais quelque chose lui disait qu’elle en avait déjà bien assez du cocktail qu’elle était en train de terminer. Au lieu de ça, Lisa se contenta de répondre avec un petit rire. « Oh t’en fais pas, tu ne me prives de rien du tout ! Moi aussi je sui seule ce soir… et c’est très bien comme ça ! » ajouta-t-elle comme pour se justifier et confirmer à Tali qu’elle ne la dérangeait pas, bien au contraire. En voyant un serveur s’approcher, Lisa s’avança pour l’haranguer et ainsi passer sa commande. Mais quelque chose la stoppa net dans son geste, et elle laissa échapper le serveur qui ne l’avait même pas remarqué. Intriguée, elle se tourna vers Tali, les sourcils froncés. « Quoi ? » Avait-elle bien compris ce qu’elle devait comprendre ? « J’ai un peu forcé sur la dose », ça voulait tout dire ! Mais Lisa n’aurait jamais cru sa voisine capable d’une chose pareille. Bien sûr, elle ne la connaissait pas vraiment, mais durant les quelques heures où elles avaient pu parler, la jeune serveuse avait cru déceler quelqu’un de bien en la personne de Tali. Pas une droguée. Mais visiblement, elle s’était trompée sur toute la ligne… En y pensant, tout devenait pourtant très clair. Cette expression qu’elle affichait, cet enthousiasme sans raison apparente… Il ne pouvait y avoir d’autre explication. Braquant un regard un peu plus dur sur son interlocutrice, Lisa reprit : « T’es sûre que ça va ? Tu as prit quoi exactement avant de venir, hm ? »