La matinée avait été des plus productives. Relativement calme pour un samedi matin, Soraya s'était comportée tel un véritable petit ange, me permettant dans le même temps de réviser mes partiels et d'avancer un peu la pratique. Il fallait dire qu'entre son arrivée, notre relation naissante et mes nouvelles responsabilités je n'étais pas en avance. Et bien que je fusse plutôt à l'aise financièrement, je n'avais pas les moyens de me payer une nourrice à plein temps pour autant. De même, j'avais pris goût à la compagnie de ce petit ange. Certes ce n'était pas tous les jours facile et mademoiselle s'autorisait parfois quelques caprices, mais elle avait désormais compris que j'étais l'adulte ici et qu'elle devait de fait limiter ses crises. Dans l'ensemble, je m'en sortais parfaitement. Mon père était reparti pour l'Espagne et Soraya et moi apprenions peu à peu à vivre ensemble. Cela faisait deux mois qu'elle était arrivée à New-York et j'assumais peu à peu mes nouvelles fonctions de parent. Fonctions que j'avais bien trop longtemps négligées. Négligences qui l'avaient privé de sa mère, pendant plus de trois ans. J'étais inexcusable, indéfendable; mais elle ne semblait pas m'en vouloir plus que ça pour autant, sans doute était-elle encore trop jeune et innocente... Depuis quelques jours même, elle m'appelait maman. Drôle de sensation que de se l'entendre dire; particulièrement quand on connaissait ma situation. Quoi qu'il en soit j'apprenais peu à peu à être une mère et je me donnais un mal fou pour que tout soit parfait. Je savais que pour elle aussi cela avait été un grand changement, c'est pourquoi j'essayais tant bien que mal de lui faciliter la vie; elle était si jeune. Si fragile... Comme tout enfant, Soraya avait besoin de repères, d'un environnement stable et équilibré, d'une vie normale tout simplement; raisons pour lesquelles j'avais moi-même modifié mon existence. Je ne sortais plus aussi souvent. Je ne ramenais plus personne à la maison. Je ne me déchirais plus la tête jusqu'au bout de la nuit et je rentrais directement après le boulot. Je m'étais remise à cuisiner correctement - et j'étais loin d'être mauvaise-, Disney n'avait plus de secret pour moi et j'étais un as des jeux à la mode pour enfants. Au fond j'avais appris à aimer cette vie. J'aimais ma nouvelle vie. Elle occupait la majorité de mon temps et nécessairement j'en avais quelques peu oubliés les composantes essentielles de ce qu'on pourrait désormais appeler "mon ancienne vie », mais je m'y étais faite et je l'aimais. D'un autre côté et c'est là que je voulais en venir, j'avais pour ainsi dire délaissé mes plus proches amis et je m'en voulais énormément. Je pensais surtout à Bianca, ma meilleure amie, que je n'avais que trop délaissé ces derniers temps. Maintes fois pourtant je lui avais promis de passer la voir, maintes fois je l'avais invité à la maison, pour la désinvité immédiatement, plus par manque de temps que par envie pour autant. Les premières semaines, m'avait complètement tué. D'autant plus que ma collaboration avec Juliette m'avait incité à l'aider fortement et l'ouverture d'une boutique ne se fait malheureusement pas en deux temps trois mouvements ! Deux mois que je prenais donc soin de mon petit ange sans l'avoir présenté à ma meilleure amie pour autant. Sans l'avoir présenté à celle-là même qui m'avait soutenu des jours durant, m'assurant que je m'en sortirai à merveille, celle-là même qui m'avait redonné confiance. BON SANG ! C'était honteux ! Indigne comme comportement. J'osais espérer cependant que ma Bee ne m'en tiendrait pas rigueur, tout en ayant conscience des déceptions causées par mes manquements. Aussi décidais-je de remédier à cette situation sans plus attendre. C'est pourquoi, portable à la main, je saisissais son nom et l'invitais à me rejoindre dans l'instant. Enjouée, elle s'empressait alors de répondre qu'il ne lui faudrait pas plus d'une heure pour se présenter à l'appartement. Satisfaite, j'invitais alors Soraya à sortir de table et je retournais à mes occupations - tâches ménagères, oblige...-.

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Une heure s'étant écoulée, je me laissais subitement tomber dans le canapé, exténuée d'avoir tant astiqué, briqué, essuyé et cuisiné - j'avais tant à me faire pardonner que j'avais même fait des cookies maison ? OUI ! et je n'en avais pas honte ! -. Tout ça pour dire que j'avais présentement l'air d'un gros pacha, pacha qui n'avait absolument pas le courage d'aller ouvrir et qui ne trouvait rien de mieux que d'envoyer sa fille. En petite fille serviable et gentille qu'elle était, Soraya obéit. Et quelle rencontre, mon dieu quelle rencontre...

« Manue, c'est moi... je suis trop stressée ; c'est comme si j'allais rencontré tes parents... enfin, tu vois, je veux faire bonne impression... je me suis même pris un verre de vin avant de venir tellement j'étais excitée et... » sont les mots que j'entendis s'échapper de derrière la porte, tandis que je levais d'un geste rapide bel et bien décidée à devancer la petite finalement. Malheureusement, c'était trop tard. La porte venait de s'ouvrir. « Ok, donc pour la bonne impression, je repasserai... ! » à qui le dis-tu ma belle ? à qui le dis-tu... Amusée, je laissais alors échapper un petit rire et rejoignais à mon tour l'entrée, frottant d'un geste tendre la chevelure frisée de ma petite.

« Effectivement, c'était pas ça ! D'un autre côté, tu ne pouvais pas savoir que Soraya viendrait t'accueillir ! Au moins les présentations sont faites, plus ou moins faites. Bianca je te présente Soraya, ma fille. Et Soraya voici Bianca, ma meilleure amie ». Relevant les yeux vers moi, Soraya me demandait alors « la meilleure de toute ? ». J'acquiesçais d'un signe de tête en souriant. « Alors...» reprenait-elle à l'intention de Bianca, d'un air rieur « je suis contente de te voir, madame. Tu as l'air drôle et je n'ai pas tout compris ce que tu as dit derrière la porte, mais je t'aime bien, la couleur de tes cheveux aussi me plaît. Ils sont drôles, comme les miens et ceux de maman ». Elle n'était pas croyable ! « Dis donc miss, ce ne sont pas des façons de parler aux gens, que l'on ne connaît pas. Tu as de la chance que Bee soit une chic fille ! D'ailleurs, comment vas-tu ma belle ? Avec tout ça je n'ai même pas pris la peine de te saluer » comme de coutume je lui faisais donc la bise « mais entres, je t'en prie ».