Jordan avait passé une nuit des plus maussades. La veille au soir, après avoir réussit l’une des plus grosses ventes de sa semaine, elle était rentrée et, bien contente d’elle-même, avait consommé une dose excessive de cocaïne.
Aussi, la nuit qui suivit avait été mouvementée. Jordan s’était tournée et retournée dans son lit, la tête lourde & les idées brumeuses, sans jamais parvenir à trouver le sommeil. & pourtant, elle avait l’habitude de ce genre de soirée qui finit mal, toute seule dans son appartement à peine meublé. Elle avait l’habitude d’aligner ses cinq raies sur la table basse de son salon et de les sniffer l’une après l’autre. C’était un peu un jeu, elle trouvait ca très amusant.
Alors, lorsqu’elle se leva ce matin-là, la première chose qu’elle fit après avoir passé plus d’une heure sous une douche brûlante, ce fût de vérifier ses textos afin de savoir si, aujourd’hui encore, une transaction devait avoir lieu. Et bingo… c’était le cas. Il s’agissait d’une grosse vente qui devait se passé quelque part dans Greenwich Village, à deux pas du Washington Square Park, entre deux immeubles délabrés.
Dans un soupir de contentement, elle se prépara en vitesse & eut à peine mis un pied sur le parvis de son immeuble, héla un des nombreux taxis jaunes qui embouteillaient la rue.

Bien assise à l’arrière du véhicule, observant le paysage urbain d’un œil vague, Jordan se mit à repenser à ce qu’aurait pût être sa vie, ici à New York, si elle avait arrêté le trafic et le deal… Elle ne serait sûrement pas restée plus d’un an, tellement la vie lui paraissait soporifique. Mais voilà, son petit commerce illicite marchait bien, voire même très bien, elle gagnait bien mieux sa vie que si elle avait été vendeuse ou quelque chose d’autre. Alors elle était restée.
Le taxi ralentit, et finit par arrêter sa course à côté de l’immense arc de triomphe, à l’entrée du parc. Jordan paya le chauffeur, et claqua doucement la portière en descendant de la voiture.
La jeune femme ne prit pas le temps d’humer l’air frais du printemps, ni de marcher tranquillement dans le parc, observer les gens… Ce n’était pas son truc. Elle était bien consciente de ne pas vivre au pays des bisounours, alors les élans d’affection, ce n’étaient vraiment pas son genre.

Lorsqu’elle trouva enfin la petite rue adjacente au parc, coupant la route aux automobilistes qui klaxonnèrent en freinant violemment, elle remarqua que les trois jeunes hommes l’attendaient déjà. Ils avaient plus ou moins une trentaine d’années, on aurait dit qu’ils sortaient tout juste de prison.
Jordan aimait être une femme désirée, aussi, elle s’avança vers eux d’un pas félin et dominateur, sexy même. La rue était déserte et peu accueillante, mais cela ne gênait en rien la brune, qui finit par arriver à la hauteur du petit groupe, qui resta aussi muet qu’une tombe.
Pas de bonjour, pas de sourire, pas d’échanges, verbaux ou physiques, juste une petite phrase qu’elle leur lança sur un ton de défi « Cinq cent dollars, pour le tout ». Et les trois hommes, d’abord hésitants, finirent par sortir les billets verts, que Jordan prit dans un sourire enchanté.

Un bruit de moteur précéda alors un claquement de portière. Jordan se retourna, arquant un sourcil interrogateur. Pablo ? Que pouvait-il bien faire à une heure aussi matinale, et surtout dans un endroit pareil ? Ce n’était pourtant pas le genre du pilote… « Jordan ? Qu’est-ce-que tu fais ici ?, lui lança son ami, avançant d’un pas rapide vers eux. »
Les trois hommes, effrayés, prirent leurs queues entre leurs jambes, et avant de disparaître au premier angle.
Jordan rejoint le jeune homme et le prit dans ses bras le plus sincèrement du monde. S’il apprenait qu’elle n’était pas juste la fille qui donnait des cours par correspondance, Pablo risquait de ne pas apprécier.
« La question, ce n’est pas ce que moi je fais là. Mais toi, pourquoi es-tu ici ? » Ce fût la seule chose que Jordan réussit à sortir avant que son ami ne puisse ouvrir la bouche.

Jordan se savait imprenable comme un roc, mais elle connaissait également Pablo comme sa poche, et quand le pilote s’était mit une idée en tête, il n’y avait plus rien à faire pour tenter de l’en dissuader, c’était peine perdue.
Mais elle était aussi certaine d’une chose, si Pablo arrivait à la faire parler, de gré ou de force, la réponse ne lui plairait pas, et la situation risquait de tourner au vinaigre à la vitesse de la lumière, alors Jordan savait qu’elle devait garder ses petits secrets pour elle. Ou essayer, tout du moins.
Et la jeune savait que la question de Pablo transpirait de sous-entendus. Rien que par l’intonation de sa voix, elle avait compris que le jeune homme tentait, très habilement, de la faire parler. Il avait l’habitude d’utiliser ce genre de petits subterfuges avec elle. Dès qu’il se passait quelque chose d’étrange, ou qu’ils entretenaient une conversation ambigüe à laquelle Jordan refusait de répondre, Pablo montait sur ses grands chevaux et usait de son habileté avec la parole.
Il gagnait d’ailleurs toujours à ce petit jeu. Il connaissait Jordan mieux que n’importe qui, alors, forcément… il savait comment s’y prendre avec elle.

« Oui je les connaissais, très peu, mais oui. Ils habitent dans le coin…, avait-elle répondu sans réfléchir avant de se gifler intérieurement, tellement sa réponse était puérile. » Un enfant de cinq ans aurait fait mieux. Elle se maudit une fois de plus, mordant sa joue. Son ami avait tourné ses yeux bleus interrogateurs vers elle. Visiblement, elle avait été encore moins convaincante que ce qu’elle avait espéré…
Pourtant Pablo ne releva pas, il se contenta d’émettre un grognement bizarre, qui ne surprit même pas Jordan. Elle avait l’habitude de ce genre de comportement venant de son ami.

Ils avaient finis par atteindre un banc dans l’une des allées adjacentes, face à une petite fontaine en bronze. D’un commun accord, sans même avoir eu besoin de prononcer le moindre mot, ils s’y assirent.
Le parc était bondé, et bruyant. Ce mois de mas rendait l’air new yorkais étouffant, irrespirable, alors les rares endroits où il était encore agréable de s’installer, c’était l’un des nombreux parcs de la grosse pomme.

Haïssant le silence comme la peste, et trouvant la situation trop étrange pour elle, Jordan replia ses jambes contre son corps et tourna son visage ovale et bronzé vers Pablo. Elle l’observa d’abord discrètement, le voyant regarder tout autour d’eux, les gens qui se baladaient, les enfants qui couraient ça et là.
En y repensant, Jordan avait vu en Pablo la première personne honnête, souriante, naturelle, qu’elle avait rencontrée en arrivant à New York. Il avait été une sorte de repère avec la vraie vie pour elle, et en cela elle lui était vraiment reconnaissante. Ils n’étaient pourtant meilleurs amis, ou quoi que ce soit d’autre, ils s’étaient juste retrouver autour d’un verre par le plus beau des hasards, et s’étaient entendus comme larrons en foire, comme des frères et sœurs. C’était simple entre eux, avec juste ce qu’il faut de prises de têtes pour ne pas tomber dans l’ennui commun.
Honnête… elle ne pouvait pas en dire autant d’elle-même. Elle, qui lui cachait toute une part de sa vie. Peut-être pour son bien, connaissant également le système nerveux prépondérant du jeune, ou peut-être pas.
Prise de remords, et son ami ayant à son tour plongé son regard azur dans le sien, Jordan ne sût que laisser s’échapper de ses lèvres les premiers mots qui lui venaient à l’esprit.

« N’empêche que moi, je trouve que tu t’es levé très tôt, toi. Ce n’est pas ton genre. Mauvaise nuit ? Lâcha-t-elle du tac au tac. »