Tel un métronome, la queue de cheval de Sunshine battait la cadence. C’était son jogging du matin, sa dernière chance de se vider la tête avant de commencer le travail. Les premiers mois qu’elle avait passé à New York avaient été très dur pour elle. Il ne se passait pas une nuit sans qu’elle ne fasse de cauchemars, revivant inlassablement les différentes scènes qui lui avaient ôté ce qu’elle avait de plus précieux. Avec l’aide de ses amis, elle avait réussi à redémarrer une vie « normale ». Elle dormait mieux, recommençait à manger n’importe quoi et s’était investie dans son boulot de manière si extrême qu’il ne lui restait que très peu de temps pour penser à autre chose. Le plus facile avait été d’établir cette façade qu’elle ne quittait plus. Sunshine, un vrai petit rayon de soleil. Il était impossible d’imaginer en la voyant au quotidien ce qu’elle avait pu vivre. Certains pensaient même qu’elle était comblée. Un bel appartement, des amis, des prétendants et une certaine renommée dans son travail. Voilà à quoi ressemble le rêve américain d’un américain standard, enfin du moins celui que partagent les jeunes loups qui rentrent sur le marché du travail après leurs écoles. Son rêve, Sunshine l’avait déjà vécu et elle avait tout perdu. Aujourd’hui, elle se contentait de vivre au mieux sans pour autant pouvoir prétendre au juste titre de femme heureuse. Rien ne clochait dans sa vie, mais il lui paraissait impossible de combler le manque de ces deux êtres aimés perdus. Elle les revoyait de moins en moins souvent en rêve, mais ils restaient dans son cœur. Cela faisait pourtant quelques jours que ses cauchemars avaient recommencés. Sunshine n’avait pas eu à chercher très loin la raison de ce bouleversement. Il avait un nom, Logan. Quand elle l’avait revu quelques jours plus tôt dans une boulangerie, elle n’y avait d’abord pas cru. Le voir dans ce contexte paraissait tellement irréel. Elle lui avait souri naturellement, un vieux réflexe qu’elle croyait avoir perdu depuis plus d’un an. Quand elle s’était enfin aperçue de la réalité de la situation, elle avait préféré fuir. Elle se rendait compte à présent qu’elle n’avait pas choisi la bonne solution. Son passé lui était revenu en pleine face et elle ne pouvait y échapper. La meilleure solution aurait été de lui parler, de mettre les choses au clair une bonne fois pour toute. Affronter son passé pour pouvoir passer à autre chose. Etait-ce vraiment ce qu’elle désirait ? Elle n’en savait trop rien. C’était étrange de…

« Oh ! Je suis vraiment désolée ! »

Soudain elle se figea. Trop perdue dans ses pensées, elle n’avait pas remarqué l’homme qui se trouvait devant elle et lui avait foncé dedans sans ménagement. Si elle avait cru au destin, elle se serait dit qu’il avait sacrément bien fait son coup. Il se trouvait juste devant elle et il n’avait pas changé. La dernière fois qu’elle l’avait vu, il était en tenue militaire et s’excusait de ne pas avoir pu sauver son fils. A présent, il était habillé en citadin New Yorkais et la regardait avec cette expression énigmatique qu’il arborait si souvent. Encore une fois, elle fut tentée de fuir, mais elle résista et le regarda avec ce regard insondable qu’elle pouvait avoir par moment. Il était inutile qu’elle fasse étalage de ses sentiments. De tout manière, il aurait d’abord fallut qu’elle puisse en faire le tri. Partagée entre le bonheur de le retrouver et la colère froide qu’elle avait entretenu à son égard, elle ne savait que dire. Au bout d’un court moment qui lui sembla durer des heures, elle se décida à parler.

« Bonjour Logan, ça faisait longtemps. »

"Sacré p'tit bonhomme. Il est magnifique." Tout était flou autour de moi. Je tenais un enfant dans le creux de mes bras, sous le regard protecteur d'une femme heureuse. "Oui, tu as raison." Je fronçais les sourcils. Etait-je en train de rêver? "Dommage, il va mourir." Mon nez se plissa. "Quoi?" Je baissais les yeux vers l'enfant. Il n'était plus dans mes bras. Il se trouvait là, gisant sur le sol, en sang, comme si je l'avais moi-même fait tomber de plusieurs étages. Ma respiration se coupa. "Pourquoi tu n'as pas agit avant?" Je relevais les yeux vers cette jeune mère en larmes. "Je ne sais pas... je suis désolé." Je l'a suppliais de me croire. "Logan, pourquoi tu l'as tué?" Mon regard se posa rapidement sur une personne qui venait d'apparaître... ma défunte épouse. "Sarah?" Puis elle reprenait : "Tu viens de détruire une famille Logan. Pourquoi tu as fait ça?" Derechef, je balbutais difficilement : "Je suis désolé" Puis on continuait de me torturer. "Non, tu n'es pas désolé. Tu as laissé mourir un enfant." "Non... !" "Regarde le."

Logan : "Non !"

Je sortais de mes songes en un bond, lâchant ce "non" en criant de désespoir. Mes poings agrippaient le drap blanc avec force, si bien que je me faisais mal. Les yeux grands ouverts, je fixais le mur en face de moi, mon corps tremblant comme jamais. J'avais peur de refermer mes paupières et de continuer ce cauchemar. Les dents serrés, les sourcils froncés, je tentais de me calmer, de reprendre mes esprits. Je comprenais tellement bien pourquoi on disait que ceux qui ont fait la guerre doivent être les esprits les plus tourmentés, les plus torturés. Pris de nausées, je me levais rapidement et titubais jusqu'aux toilettes où je me laissais tomber à genoux sur le sol froid. J'ai vomi deux fois de suite cette nuit là, tirai la chasse d'eau et m'allongeai sur le carrelage glacé, fixant le plafond.

Marcher, prendre l'air était la meilleure solution pour réfléchir, pour prendre un certain recul, du moins jusqu'à ce que je fus bousculé, physiquement et émotionnellement.

Sunshine : "Oh ! Je suis vraiment désolée !"

Cette voix, je ne la connaissais que trop bien. Des vagues de frissons parcoururent mon corps de façon désagréable. Je me raidis d'un coup, sourcils froncés, néanmoins sans une ombre d'agressivité.

Sunshine. Pourquoi avait-elle refait son apparition dans ma vie? Cela m'aurait fait tellement plaisir si je n'avais pas gâché son existence. Je me sentais coupable de sa tristesse. L'idée d'avoir ruiné une personne aussi chère à mon coeur me dégoûtait. J'aurais volontiers perdu la vie pour lui rendre son enfant ainsi que son mari. Qu'attendais-je de l'avenir? Absolument rien, plu rien du tout. Un sacrifice aurait été parfait pour une âme perdue comme la mienne.

Je baissais les yeux vers elle, avec beaucoup de difficultés, comme si je n'avais pas envie d'avoir confirmation à mon idée. Lorsque mon regard se déposa sur elle, j'eus envie de pleurer, pleurer de tristesse, de joie, de désespoir, de culpabilité. Mon visage parut totalement neutre, un simple masque que je n'avais pas envie de retirer maintenant. Sauf que j'en fus contraint lorsqu'elle reprit la parole.

Sunshine : "Bonjour Logan, ça faisait longtemps."

Désormais, mon visage semblait envahi par une culpabilité qui me torturait intérieurement. Avec nervosité, je réajustais ma veste en cuir par-dessus un simple T-shirt blanc.

Logan : "Salut Sun..."

Lui lançais-je de ma voix grave ainsi que de mon accent irlandais. Je l'observais dans les yeux, comme si elle pouvait lire mon pardon. J'aurais aimé lui présenter mes excuses encore une fois, mais j'espérais qu'elle ne penserait pas à cet accident à cet instant précis, même si les probabilités que cela se produissent étaient bien trop faibles.

Logan : "Je... mh... comment tu vas?"

Visiblement, je manquais d'adresse...

Sunshine avait remarqué le malaise qu’avait provoqué sa phrase chez Logan. Cela faisait un an qu’ils ne s’étaient pas parlé et leur dernière conversation avait été des plus chaotiques. Elle lui avait reproché la mort de son fils et de son mari et il avait pris tout le poids de sa peine sur ses épaules avant de partir sans un mot. La jeune avocate aurait pu lui dire qu’il lui avait manqué, mais la colère qu’elle avait emmagasinée contre lui était bien trop présente pour qu’elle le fasse. Elle se contentait donc de le regarder avec ce même regard neutre, essayant tant bien que mal de ne pas remarquer les gestes qui trahissaient sa gêne. S’ils s’étaient rencontrés dans ces conditions quelques années plus tôt, ils se seraient aussitôt enlacés, heureux de se revoir. Sunshine aurait alors regardé ses vêtements avec plus d’attention et l’aurait traité de vieux baroudeur avec sa veste en cuir. Il se serait moqué de sa petite queue de cheval et de sa tenue de joggeuse et ils auraient parlé et ri des heures, oubliant tout ce qui existait autour d’eux. A l’époque, elle était plus proche de lui que de son mari. Ils se comprenaient d’un regard, s’aimaient à leur manière et elle n’aurait jamais imaginé ressentir cette colère qui la bouffait de l’intérieur à son égard. A présent, elle le regardait sans vraiment réussir à le voir, refusant d’affronter son regard qui montrait à quel point il s’en voulait. Si elle le faisait, ça ne ferait que souligner la réalité de la situation. Ils étaient morts et elle lui faisait porter un fardeau qui n’était pas le sien. Logan n’était pas fautif, elle le savait au fond d’elle. C’est sa peine qui avait alimenté cette colère qui n’avait pas lieu d’être. Quand elle était seule, elle le savait, mais en face de lui, elle perdait ses moyens et se laissait dominer par cette colère froide. Une lueur de tendresse mêlée de surprise jaillit dans ses yeux quand il l’appela Sun. Cela faisait si longtemps qu’elle n’avait pas entendu son accent Irlandais, qu’il ne l’avait pas appelé par son surnom. Très vite, son regard redevint neutre, mais une déferlante d’émotions aussi diverses que contradictoires lui donnait envie de vomir. Il lui demanda alors comment elle allait. Il n’avait jamais été très doué avec les mots dans les situations critiques qui mettaient en cause ses proches. Sunshine ne pouvait l’en blâmer, elle était pareil. Elle ne savait que répondre. La jeune veuve aurait très bien pu revenir sur le drame qui les avait séparés, lui avouant que non elle n’allait pas bien. Lui dire qu’elle préférait ne jamais le revoir pour ne plus jamais avoir à penser à son passé, mais elle prit une autre option.

« Je vais très bien. En ce moment je donne des cours et des conférences à la fac de droit et je dois avouer que ça me plait beaucoup. J’ai aussi créé une ONG pour aider les congolais. J’ai une vie très remplie comme tu peux le voir, et toi que fais tu par ici ? »

Une vie très remplie par le travail. Sunshine avait beau avoir des amis qu’elle voyait souvent, elle restait tout de même assez seule. Il était bien trop dur de s’ouvrir aux autres pour le moment, elle ne voulait pas vivre une autre histoire, la dernière l’avait bien trop dévastée. Elle avait prononcée sa phrase assez vite d’un ton qui se voulait neutre, comme si elle avait parlé du beau temps à sa voisine de bus. C’était sa manière à elle de lui répondre sans trop s’engager non plus, de repousser le moment où ils auraient à parler du passé. Elle tenta même un sourire, mais il était désespérément plat. Sun attendait la réponse de Logan avec impatience. Vivait-il à New York à présent ? Si c’était le cas, ils leur arriveraient peut être de se recroiser. Peut-être serait-il plus simple s’il lui disait qu’il n’était qu’en voyage ici. Elle pourrait l’oublier. Pourtant, elle espérait vaguement qu’il lui dirait qu’il s’était installé ici. Sa colère avait beau lui rester en travers de la gorge, au fond d’elle elle ressentait toujours cette tendresse qui ne l’avait jamais quittée pour cet homme avec qui elle avait tant partagé.

Je comprenais aisément la haine qu'elle nourrissait envers moi. Oui, j'étais apte à m'identifier à cette situation. Lorsque ma femme est décédée de cette tumeur, je ne m'en suis jamais remis. Son destin tragique était déjà tracé depuis un an, nous savions tous qu'elle allait mourir. Le fait est que lorsque le moment est arrivé, le tout petit espoir que je gardais en moins venait de disparaître, j'ai frappé de toutes mes forces ce médecin qui m'a lancé sur un ton désolé : "Je suis navré, nous avons fait tous ce que nous avons pu.". Même si j'étais purement conscient que c'était la vérité, je ne pouvais m'empêcher de rejeter la faute sur ces médecins que je disais incompétents. Si l'on ne m'avait pas séparé de cet homme, Dieu seul sait ce que j'aurais pu lui faire tant la haine et la souffrance m'avaient envahis. Lorsque je l'avais vu sur ce lit d'hôpital, allongée, sans vie, j'avais tenté un massage cardiaque avec désespoir, comme si par miracle, son coeur allait redémarrer. On me laissa faire quelques minutes, tous conscients que tenter de me dégager relèverait du suicide, jusqu'à ce que l'on me répête qu'il était malheureusement trop tard. Donc oui, je connaissais parfaitement bien ce que pouvait ressentir Sunshine. Dans ce genre de moments, nous sommes tous obligés de rejeter la faute sur une personne, et j'acceptais d'être cet homme si quelque part cela pouvait la soulager. La seule différence était que je croyais réellement que c'était de ma faute. Dans le fond, je savais que si j'avais été plus rapide, j'aurais peut-être eu la chance de retrouver cet enfant sain et sauf et ainsi épargner toute une famille du malheur. Durant une année, j'examinais chaque hypothèse, chaque possibilités qui font que j'aurais peut-être pu le sauver. Si j'avais prit une autre route? Si j'avais abandonné la discrétion pour me jeter sur le tas? Si j'étais simplement rentré deux jours plus tôt pour les protéger...? Je n'en voulais pas à Sunshine. J'acceptais sa haine et sa colère.

Sunshine : "Je vais très bien. En ce moment je donne des cours et des conférences à la fac de droit et je dois avouer que ça me plait beaucoup. J’ai aussi créé une ONG pour aider les congolais. J’ai une vie très remplie comme tu peux le voir, et toi que fais tu par ici?"

C'était étrange d'entendre de nouveau sa voix. Quelque part ça me faisait le plus grand bien. J'avais envie de la serrer dans mes bras puissants, de lui faire comprendre à quel point j'étais heureux de la voir. D'un autre côté, cette froideur, la distance qu'elle avait mit entre nous témoignait de ce qu'il s'était passé, il y a de cela un an. Même si nous ne voulions aucunement y penser, c'était inévitable. Pour que le souvenir disparaisse en nous voyant, il aurait fallu qu'on cesse entièrement de nous rencontrer, que nous sortions tout deux de la vie de l'autre. Ou alors au contraire, il fallait que l'on se fréquente de nouveau comme avant, que l'on passe beaucoup de temps ensemble afin que l'amitié reprenne le dessus.

Je prenais une grande inspiration. Je n'avais jamais ressenti ce sentiment de gêne mêlé à un bonheur intense. C'était inexplicable. Les mains légèrement tremblantes, je décidais de les enfouir dans les poches de mon jean. Elle m'avait manqué. Encore aujourd'hui elle me manquait. Finalement, j'arrivais à balbutier quelques mots.

Logan : "Je... je suis devenu professeur de théâtre..."

Elle savait qu'en France, j'étais un comédien reconnu qui avait quitté les planches lors du décès de ma femme. Et comme si j'avais eu une révélation, je mettais engagé dans l'armée. Elle connaissait mon rêve et mes craintes de remonter sur scène, que mon épouse avait enseigné le Théâtre et que probablement, si un jour je venais à quitter l'armée, je deviendrais professeur à mon tour.

Logan : "Je suis arrivé à New York il y a trois semaines..."

Et c'était bien la première fois que je mettais les pieds aux Etats-Unis. Je trouvais New York trop grand, les gens ici trop superficiels, trop pressés, trop agressifs. J'avais le mal du pays. Je préférais de loin les vieux quartiers irlandais, la Haute-Normandie et Montmartre en France.

Sunshine ne remarqua pas les mains tremblantes qu’essayait de cacher Logan, ses yeux le fixaient sans réellement le regarder. Elle avait souvent imaginé ce que pourrait être leur rencontre s’ils venaient à se revoir, mais jamais elle n’aurait pu prévoir cette déferlante d’émotions qui l’envahissait. Très vite, elle avait mis l’éventualité de le revoir de côté et c’était concentré sur son présent, à défaut de pouvoir s’imaginer un avenir. Sa réponse la fit sortir de sa torpeur, pour la première fois elle le regardait vraiment. Il était devenu professeur de théâtre, comme l’avait été sa femme. C’est à ce moment-là qu’elle se rappela. Leurs discussions, les confessions qu’il lui avait faite sur son passé. Lui aussi avait tout perdu quand sa femme était morte, lui aussi avait ressenti cette haine qui refuse de s’en aller, lui aussi avait perdu une partie de son cœur déchiré à tout jamais. Sans comprendre réellement pourquoi, cette pensée l’apaisa un peu. Son regard s’était radoucit, mais on ne pouvait pas encore y retrouver la tendresse qu’elle lui accordait avant le drame. Quand il lui avait avoué avoir été comédien, elle se rappelait s’être moquée de lui. Elle était sûre qu’il la faisait marcher et il lui avait alors joué un monologue de Macbeth rien que pour elle, une preuve de confiance et d’amour qui paraissait bien loin à présent. Au fond d’elle, elle était heureuse qu’il ait réussi à affronter ses vieux démons et qu’il ait enfin pu renouer avec son art, mais cela incluait son retour à New York et c’était un coup dur à encaisser pour la jeune femme. Il leur faudrait du temps avant de réussir à retrouver une relation normale, s’ils y arrivaient un jour. Sunshine n’était pas sûre de réussir à faire disparaitre cette colère qui ne la quittait pas quand elle était en sa présence, mais il le faudrait bien. Quand elle se sentirait prête elle le lui dirait, elle lui dirait qu’il n’aurait rien pu faire et qu’elle ne lui en voulait plus. Pour le moment, c’était chose impossible mais d’ici quelques semaines, mois ou années elle réussirait. A peine Logan avait-il fini de parler que Sun enchaîna direct, il était inutile d’ajouter des silences pensants à la l’ambiance tendue qui régnait déjà entre eux.

« Je suis heureuse pour toi, vraiment. Enseigner est quelque chose de magique. Il m’arrive souvent de raconter mes procès au cours de mes amphis, j’explique alors le contexte de l’époque, ce qui était en jeu pour ces personnes, le combat qu’il a fallu mener et quand je termine mon histoire je lève les yeux. C’est à ce moment que je vois la magie opérer. C’est comme s’ils se réveillaient et comprenaient toute la portée du travail d’un avocat, de la multitude de choix qu’ils auraient à faire plus tard et du pouvoir qui se trouverait dans leurs mains. A la fin de l’amphi, je reste discuter avec mes étudiants et je m’aperçois de tout ce qu’il leur reste à vivre. C’est à ce moment là que je me dis que, contrairement à eux, ma vie est derrière moi. »

Sunshine détourna le regard et se concentra sur une femme qui discutait avec sa petite fille. Elle n’avait pas vraiment réfléchi avant de parler. Les mots étaient sortis tous seuls de sa bouche et, sans même s’en rendre compte, elle lui avait parlé comme à l’époque. Ils avaient l’habitude de discuter des heures de leurs sentiments, leurs envies, leur passé ou même de leurs valeurs. C’est peut être ce qui avait le plus manqué à Sunshine lorsque Logan était parti. Elle avait perdu l’un de ses plus proches amis, pour ne pas dire celui qui l’avait le mieux comprise. Cela faisait des mois qu’elle n’avait pas fait une telle constatation. Elle assurait à ses amis que tout allait pour le mieux, mais dans sa tête était encré le fait que sa vie était derrière elle. Le rêve de toutes les femmes, elle l’avait vécu et on lui avait enlevé. A présent, elle faisait en sorte de transmettre tout ce qu’elle pouvait aux générations futures pour qu’elles puissent elles aussi connaître le même bonheur qu’elle. Cette humanité qui la caractérisait avait fait d’elle une très grande avocate et lui avait permis de trouver l’amour. Un jour, l’une de ses élèves avait levé la main et lui avait demandé pourquoi elle avait laissé mourir son fils pour gagner un procès. Sunshine lui avait souri, elle était trop jeune pour comprendre. En continuant de combattre, elle avait sauvé des centaines de personnes. Il y a des moments où il faut savoir se dépasser, même si c’est au prix de ce que l’on a de plus chère. Oui, cela faisait un an que la peine de Sunshine s’était transformée en un sentiment de dégoût. Le vrai fautif dans cette histoire n’était pas Logan, mais bien elle. Elle était bien trop choquée pour le réaliser à l’époque, mais maintenant elle s’en rendait compte. Pourtant, l’avoir devant lui la faisait douter. Il n’est jamais facile de porter sur soi la dure responsabilité de sa peine.