Joshua m’avait giflée. J’avais beau essayer de penser à autre chose, je voyais la scène se dérouler, encore et encore devant mes yeux. Pourquoi ma mémoire avait évoluée ? Ma mémoire photographique me suffisait amplement, je n’avais pas besoin de revoir dans les moindres détails tous les instants de ma vie, dès que quelque chose m’y faisait penser. Ce qui était le cas à présent. Une femme, visiblement battue, était arrivée aux urgences. Je ne m’étais pas occupée de son cas, mais cela m’avait suffit pour revoir entièrement la scène où il avait lever la main sur moi. Je soufflais lentement. Je n’étais pas comme cette femme. Je n’avais même pas de bleus, rien. Je n’avais même pas eu une marque. Et puis il s’était excusé. Et la situation s’était calmée depuis. Il avait réalisé la portée de son geste, ce qu’il avait fait, et s’était directement calmé, avant de se mettre à pleurer dans mes bras. C’était terminé, cela n’avait été qu’un moment d’égarement, et cela ne se passerait plus jamais. Oui, voilà, plus jamais. Je n’étais pas comme cette femme, je n’avais pas plusieurs côtes de cassées, et des hémorragies internes. Non, même pas une marque. Je n’en avais même pas parlé à mon psy, c’était dire à quel point cela comptait peu, non ? J’arrivais devant les portes de l’ascenseur. Avant de faire immédiatement demi tour et de prendre les escaliers. L’ascenseur ? Je ne le prendrais probablement plus jamais de toute façon, pas depuis … Bref, n’y pensons plus ! Je m’occupais des suivis de chirurgies aujourd’hui, et c’était tant mieux. Même si j’aurais aimé être en salle d’opération et apprendre de nouvelles choses, je n’étais pas certaine d’arriver à me concentrer. Donc les suivis, c’était parfait pour la journée. Je fis rapidement le tour de toutes les chambres, et quelle ne fût pas ma surprise lorsque je tombais sur Rafaello, qui attendait dans le couloir. Et moi qui ne voulait plus penser à ce qui s’était passé dans l’ascenseur, j’étais mal partie ! J’allais vers lui pour le saluer, c’était la moindre des politesses. « Rafeallo ? » vérifiais-je, même si je savais pertinement que ma mémoire ne me trompait jamais. « Comment allez-vous depuis la dernière fois ? Qu’est-ce que vous faites ici ? »

Il n’y avait qu’une seule personne qui était au courant de ce qui s’était passé entre Joshua et moi, et c’était Elisa. Elisa avait fait un stage à l’hôpital il y a quelques temps, mais son addiction aux drogues ne l’avait jamais quittée, et elle avait été prise à voler des médicaments. Le docteur Hamilton n’avait pas vraiment eu d’autres choix que de la renvoyer. Je savais qu’il avait tenté d’enjoliver son renvoi, pour qu’elle n’ait pas non plus trop de problèmes, mais elle restait toujours sans emploi. Et c’était pour ça que je l’avais engagée pour sortir Nemo, mon doberman. Après tout, je n’avais plus vraiment le temps pour le faire, et Joshua n’était pas vraiment en mesure de le faire non plus, au vu des circonstances. L’engager m’avait semblé être une bonne idée, et l’aide serait ainsi mutuelle. Bien sûr, je ne la payais pas en argent. Elle irait le dépenser directement en différentes drogues, et ce n’était pas le but. L’objectif était qu’elle se sente indispensable, en quelque sorte, et qu’elle améliore la perception qu’elle avait d’elle-même. Donc je la payais surtout en nourriture, et elle prenait ses douches chez moi. Alors qu’elle rentrait après avoir promené Nemo, elle avait assisté à la scène. Toute la scène. Et cela m’embarrassait quelque peu. Après tout, Joshua n’était pas comme ça habituellement, et qu’une personne l’ait vu dans son pire moment de faiblesse et bien … Cela me faisait mal au cœur pour lui. Il avait réellement besoin d’aide. Le fait était que je ne savais pas si je pourrais la lui apporter. Je n’étais pas une femme battue, je l’avais bien vu ce matin, mais peut-être étions-nous trop proches pour que je puisse réellement l’aider. Je pourrais en parler à mon psychiatre, mais elle m’aidait surtout avec les difficultés que me donnait ma mémoire. Ce n’était donc pas vraiment son rôle, j’imagine. Je sortis de mes pensées alors que Rafaello me répondait. « Oh, votre petite amie est là ? » lui demandais-je dans un petit sourire que je voulais compatissant. « De mon côté, tout va bien. » répondais-je en haussant les épaules.

Il fallait réellement que j’arrête de penser à cet après-midi. C’était du passé maintenant. Joshua s’était excusé et culpabilisait encore, et ça ne recommencerait plus. Il avait fait une erreur et il le savait. Et puis, ce n’était pas entièrement de sa faute non plus. Je lui avais clairement mal répondu aussi. Je n’utilisais jamais l’ironie dans mes réponses, préférant être honnête plutôt que d’insinuer des choses. Et pourtant ce jour-là, j’en avais utilisée, tellement j’étais agacée. Donc bon, les tords étaient partagés non ? Et il avait réellement besoin de mon aide. Il vivait la pire période de sa vie, je ne pouvais donc pas vraiment le laisser tomber. J’appellerais tout de même mon père pour savoir comment se passaient les choses au boulot. J’osais espérer qu’il ne buvait que lorsqu’il rentrait du travail. Et je pourrais m’en rassurer en parlant à mon père, qui l’avait embauché après ses études de droit. De ce que je savais, Joshua était un bon avocat, et puis comme j’avais décidé de ne pas reprendre le cabinet familial – le droit ne m’intéressant absolument pas, étrangement – il avait décidé d’embaucher la personne la plus proche de notre famille, à savoir Joshua. Et je le remerciais toujours pour ça. Mais en même temps, cela semblait logique. Joshua faisait partie de nos vies depuis près de huit ans maintenant, il faisait presque partie de la famille depuis tout ce temps, non ? Et raison de plus pour ne pas le quitter. Qu’en penserait mon père ? Bon, je l’imaginais mal renvoyer Joshua, ce n’était pas son style. Et puis il n’avait pas à savoir que Joshua m’avait giflée non plus. Je soufflais un bon coup, tentant de chasser tout ça. Je pardonnerais à Joshua, et je tâcherais de l’aider. Après tout, quelle personne serais-je si je ne restais pas avec lui simplement parce qu’il traversait une mauvaise passe ? Je me reconcentrais sur Rafaello, et lui demandais si sa petite amie était à l’hôpital. Sa sœur l’était apparemment, ce qui n’était pas mieux. « Oh, qu’est-ce qui s’est passé ? » lui demandais-je, avant qu’il reprenne en disant qu’elle était ici par sa faute. « Mais non, je suis sûre que ce n’est pas de votre faute. » répondais-je dans un petit sourire.

Combien de temps j’allais encore y penser ? Il fallait réellement que je tourne la page à propos de cette histoire. Il s’était énervé, m’avait giflé, ce n’était pas non plus la fin du monde. Il était malade. Il était alcoolique. Ce n’était pas de sa faute. S’il y avait bien une personne qui pouvait comprendre qu’il n’était pas vraiment responsable de ses actes, c’était bien moi, de part mon métier. Et il fallait bien que mon métier apporte quelque chose de positif dans notre couple, après tous les aspects négatifs qui nous avaient tant impactés. Donc oui, lui poser un ultimatum était peut-être une bonne idée. Moi, ou l’alcool. S’il me choisissait, il irait en centre de désintoxication et se ferait soigner, et ainsi, il ne lèverait plus jamais la main sur moi. Et s’il choisissait son addiction … et bien, il ne lèverait plus jamais la main sur moi non plus, puisque je romprais avec lui, et ne garderais plus de contact. Voilà, c’était réglé, je pouvais maintenant me concentrer sur mon travail. Et des fois, dans mon travail, il fallait également rassurer la famille des victimes. Et c’était bien ce que j’allais faire à cet instant. Surtout que je connaissais la famille de la victime – enfin son frère, plus particulièrement – puisque j’avais vécu quelque chose d’assez …  « intime » avec lui. Parce que oui, rester enfermée deux jours dans un ascenseur avec un inconnu, c’était plutôt intime quand même. Enfin en tout cas, ça ne pouvait que rapprocher deux personnes. Il m’avait vu en panique, et étant donné mon contrôle habituel, il avait pu voir une de mes faiblesses. Comme je l’avais dit, c’était assez intime. « Et pourquoi vous n’arrêtez pas de trainer avec ces mauvaises personnes, tout simplement ? » lui demandais-je en me passant la main dans les cheveux. Je savais bien que c’était plus facile à dire qu’à faire, mais bon, je n’avais pas vraiment meilleur conseil en réserve.

Une des raisons pour lesquelles on étudiait aussi la psychologie lors de nos études de médecine, c’était parce qu’il était également de notre rôle de parler et de rassurer les familles de nos patients. Et cela, dans toutes les spécialités. Je ne savais pas encore quelle spécialité je choisirais. J’avais encore un peu de temps devant moi, même si cela passait vite. J’avais encore un peu plus de deux ans avant de devoir mon choix. Et j’hésitais entre trois spécialités. La neurochirurgie, premièrement. Qui n’hésiterait pas avec cette spécialité, sérieusement ? Le cerveau était réellement passionnant. Et surtout, on apprendrait tout au long de notre vie, puisqu’il y avait tant à découvrir encore. Après, la cardio m’intéressait aussi. En même temps, dans cette spécialité, on avait littéralement un cœur entre nos mains. Donc forcément, l’adrénaline était tout autant présente. Et puis il y avait la pédiatrie. Là, peu s’y intéressaient. Surtout que c’était probablement la spécialité qui était la plus difficile émotionnellement parlant. En effet, comment annoncer à des parents que leur enfant était mort ? Ou pire, qu’il n’avait que peu de temps à vivre et qu’il fallait qu’ils commencent à se préparer ? Et nous, comment réagir après avoir perdu la vie d’un enfant ? Surtout que pour les enfants atteints de maladies de longue durée, on s’y attachait énormément. Je savais que l’attachement était d’ailleurs mon plus gros problème. Je m’attachais un peu trop à mes patients, et c’était pire pour les enfants. Donc perdre un enfant auquel on s’était attaché, c’est réellement très difficile. Sans parler du fait que l’on se doit d’être l’avocat de cet enfant et de défendre ses intérêts auprès de ses parents, souvent extrêmement effrayés. Bref, la psychologie était importante, dans chaque spécialité. Et même là, alors que je devais rassurer le frère d’une patiente, qui était persuadé que sa sœur était ici à cause de lui. Et si je n’avais pas été présente lors de son accident, j’étais sûre que ce n’était pas de sa faute pour autant. « C’est sûr que c’est toujours difficile d’arrêter quelque chose, peu importe quelle est cette chose. Mais après, il faut peut-être penser au bien de nos proches, et de voir si le jeu en vaut la chandelle ? »

Forcément, je ne connaissais pas les raisons qui le poussaient à croire qu’il était responsable de l’accident de sa sœur. Et il valait mieux d’ailleurs. Parce que, de ce qu’il en disait, cela ne semblait pas bien légal. Et si j’étais tenue au secret médical et que mes patients pouvaient me dire toutes sortes de choses que je serais tenu de garder pour moi, Rafaello n’était pas mon patient. Et de plus, le secret médical s’arrêtait lorsque l’on pensait que le patient présentait un danger pour lui-même ou pour autrui. Et je ne savais pas dans quoi le jeune homme trempait, mais de ses dires, même s’il était mon patient, il ne correspondait pas au secret médical. « Non, c’est probable que je ne comprenne pas, en effet. » lui répondais-je doucement, dans un petit sourire que je voulais rassurant. J’espérais tout de même qu’il se faisait bien des films, et que sa situation n’était pas telle qu’il la décrivait. « Je vois. » acquiesçais-je, avant de reprendre. « Mais je ne pense pas que je suis celle à qui vous devriez dire cela. Je pense que vous devriez plutôt l’expliquer aux personnes concernées. En commençant par votre sœur, par exemple. » proposais-je timidement. Et surtout, il ne fallait pas qu’il m’en dise plus, parce que je n’aurais pas le droit de le garder pour moi et serais obligée d’en avertir les autorités. Et aussi étrange que cela puisse paraître – mes parents étaient avocats après tout – je n’en avais pas envie. Probablement parce que nous nous étions retrouvés coincés dans un ascenseur pendant plus de quarante-huit heures. « Je pense que couper les ponts serait plutôt la solution de facilité. Parce que ces personnes vous aiment, et les abandonner plutôt que de tenter de régler les problèmes ? C’est plutôt ça, être égoïste, je pense. » annonçais-je avant de hausser les épaules. Mon biper sonna alors, me faisant sursauter. « Je dois y aller. Ravie de vous avoir revue en tout cas. » le saluais-je dans un sourire, avant de courir vers les urgences. La journée était loin d’être finie, c’était certain.