D'accord, d'accord ... Je finis de me préparer, tâchant de garder mes idées claires parce que je pense que je vais véritablement en avoir besoin pour la suite. Vraiment. Ce soir, je me rends chez Enzo pour une petite soirée film. On a du mal à se voir en ce moment, entre sa promo et mon boulot qui mine de rien, est prenant, ça doit faire deux semaines. On s'est à peine parlés et on a dû laisser tomber nos soirées pour le moment. Faut dire qu'en ce moment à l'hôtel, c'est le bordel. Kira est en congé maladie, il nous manque donc une personne et si ça n'a l'air de rien comme ça, croyez-moi, une personne c'est déjà trop. Nous sommes tous obligés de faire des heures supplémentaires et pas question de râler si on ne veut pas être renvoyées. La meilleure solution est de se serrer les coudes, comme on l'a toujours fait. Du coup, je suis heureuse que ce soir, enfin je puisse avoir ma soirée de libre. Heureuse ... Vu la boule que j'ai au ventre alors que je pars prendre le métro. Non je n'ai pas ignoré Enzo ces derniers temps, c'est même le contraire. On a retrouvé notre complicité d'avant, ça a mis du temps mais on s'est accrochés et nous l'avons fait. C'est comme si ... Non je ne peux pas dire que c'est comme si rien ne s'était passé parce que ça serait mentir. Quelque chose a changé, c'est sûr mais tout va mieux. C'est juste que j'y pense toujours, c'est étrange. Mais ce n'est pas le propos. J'ai tellement travaillé ces derniers temps que j'ai eu un peu de retard ces derniers temps, pas le temps de passer mon temps sur l'ordinateur, ou de trop allumer la télévision ... Quand j'ai fini par le faire, c'était en plein dîner avec Jamie, le premier qu'on a réussi à partager depuis des semaines et là ... le clip et sa chanson son passé. Autant dire que j'en ai lâché ma fourchette à la fin. J'ai dû prétendre aller aux toilettes pour éviter que ma colocataire ne me pose trop de questions. La photo à la fin m'a littéralement achevée, parce que oui, j'ai passé toute la chanson à me dire "Il parle de moi ... Non il parle pas de moi ... Il parle de moi ... Non c'est pas possible", et là, la photo de nous deux à la fin, c'était juste ...

Bref. Ca date de trois jours et je n'ai pas osé lui en parler depuis. J'imagine que ce n'est pas le genre de chose dont on parle au téléphone de toute façon ... En même temps, alors que je marche vers chez Enzo, mon ventre n'est pas d'accord avec moi et pense même qu'en parler au téléphone est en fait une très bonne idée. Je soupire. Il a dû se demander pourquoi je ne lui en parlais pas ... Les trois quarts du temps, c'était parce que je n'avais pas vu le clip, et le reste, ces trois derniers jours c'est parce que je savais qu'on allait se voir donc tant qu'à faire ... Oh merde ... Pourquoi ça m'affole tout d'un coup ? Peu importe Imen, vous avez récupéré une bonne relation, c'est tout ce qui compte. Donc ... on va voir comment ça se passe et ... on avisera. Oui Imen, faisons ça. En bas de son immeuble, je m'annonce à l'interphone et Enzo m'ouvre la porte. J'appréhende à cause de l'histoire du clip. Et je me rassure de la pire des façons, en me disant que j'ai déjà eu une arme chargée braquée sur moi, du coup plus rien ne devrait me faire peur ... Au début ça marchait, mais plus maintenant en fait, je me suis ramollie. Arrivée à l'étage d'Enzo, la porte ouverte et je la pousse doucement. « J'arrive ! Fais comme chez toi ! » lance une voix provenant de la chambre. Je souris et en profite pour enlever mon blouson noir pour le mettre sur le canapé. Je suis venue tellement de fois ici que c'est vrai je m'y sens vraiment bien, comme chez moi, malgré les remous que ma relation avec Enzo a connu ces derniers temps. Je l'attends donc quelques minutes, patiemment dans le salon. « It's Halloween so, we have a lot of horror movies on the table, but pick something else if you want ! » continue de dire Enzo de sa chambre. Je m'approche de la table en question. Les films d'horreur ne me font pas peur, j'ai plutôt le coeur bien accroché, après il y a toujours des moments où j'ai envie de disparaître  sous un coussin mais dans l'ensemble ça va. « A horror movie is perfect, don't worry. » ai-je lancé tout en inspectant les films proposés sur la table. Mmmm maintenant que j'y pense un film d'horreur n'est peut-être pas le genre de film idéal pour parler ... Tant pis. Je perds courage soudainement. Si remettre ça sur le tapi veut dire qu'il y ait à nouveau cette gêne entre nous, je ne suis pas sure de le vouloir. Puis Enzo débarque dans la pièce, les cheveux mouillés. Pourquoi je retiens ce genre de détail moi ? Je lui lance un large sourire en le voyant, ignorant totalement le reste de mon corps qui travaille contre moi. « Hey. Ça va ? » demande-t-il quand nos regards se croisent enfin. Si on oublie toutes les récentes histoires, le voir me donne toujours autant envie de sourire, même si mon ventre n'est pas d'accord à l'idée de devoir parler du clip. « Hey ! Ca va, toujours fatiguée à cause du boulot mais ça va. Et toi ? » Vraiment, ça me soulage que tout soit arrangé entre nous et que tout soit redevenu normal. Presque. Je pourrais commencer là, à lui dire que tiens, j'ai vu son clip et que c'est étrange, la photo de la fin ... Mais ma gorge se bloque, elle refuse de mettre à nouveau en danger ce qu'on a pu récupérer. « T'avais une préférence pour le film ? Tu sais que je suis pas très difficile, même dans les films d'horreur.  »

Malgré cette histoire de chanson et de clip,  je suis vraiment très heureuse qu'on ait trouvé le temps de savoir après ces dernières semaines plutôt chargées. J'ai beaucoup de choses à lui raconter, à commencer par la lettre que mes frères ont pu me faire parvenir via leur ami journaliste. Ce que j'attendais depuis tellement longtemps est enfin arrivé et même si ces derniers temps, au travail, ça n'a pas été facile, au moins j'ai eu cette lettre à laquelle me raccrocher. Quand Enzo arrive dans la pièce, un sourire fleurit automatiquement sur mes lèvres. Je suis tellement soulagée que tout soit rentré dans l'ordre entre nous ... enfin j'ignore si c'est le terme exact, parce que ... parce que c'est ... des choses ont changé, je suppose. Le fait qu'on devrait lui interdire les cheveux mouillées parce que ça le rend plus ... Wait, what ? « Well, relax, sit down, I got you tonight. » dit-il quand je lui parle de mon boulot et lui demande comment il va. Il me faut une minute pour être absolument sure d'avoir bien compris ce qu'il a dit. Après tout, l'anglais n'est pas ma langue maternelle alors ... alors rien du tout, j'ai bien compris ce qu'il a dit, ainsi que le double-sens involontaire de sa phrase, qui sur le coup, me laisse sans voix tandis qu'il finit d'apporter ce qu'il a préparé. Est-ce que tout est vraiment rentré dans l'ordre hein ? Je finis tout de même par me reprendre et souris pour effacer l'air confus qu'il y avait sur mon visage il y a une fraction de seconde. Je sais qu'il ne l'a pas fait exprès, mais c'est le genre de moment où je me dis que ... bah je suis une salope de première. Autant le dire franchement pas vrai. Du coup la chanson et son clip me reviennent en tête, et avec le fait que je voulais lui en parler ce soir. Seulement, tout va bien pour le moment alors je me demande si je veux prendre le risque de remettre ça sur le tapis. Je sais que ça ne sert à rien de jouer à l'autruche mais je ne suis pas sur de ... Well, je tiens à lui, beaucoup. Le perde n'est pas une option. Et quand je le regarde là, faire comme tout était vraiment rentré dans l'ordre, comme si tout était comme avant, je me demande combien de temps il va lui falloir pour se rendre compte qu'il n'a pas à endurer tout ça et qu'il peut m'envoyer me faire voir. Pas sure que je puisse le supporter. J'imagine qu'il fallait y penser avant de jouer les hystériques.

Je vais donc m'asseoir sur le canapé, effaçant de ma tête le mal-entendu et tout le reste. Peut-être que je m'accorde trop d'importance ? Rien ne prouve qu'il n'est pas passé à autre chose. Rien à part une chanson et son clip. Hum. Je pique quelques pop corn dans le saladier qu'il vient de déposer sur la table. « Mhm, well I heard Mamá was pretty great... » dit-il en examinant les DVD qu'il a posé sur la table. Je hoche la tête, je lui fais confiance. Et puis faut que je lui dise pour la lettre. « Or we HAVE... The Last Exorcism. I know it's probably gonna be hell scary but it's Halloween, please let's watch that one. » poursuit-il en brandissant le DVD sous mon nez pour mieux me persuader. J'éclate de rire. « D'accord, d'accord, allons-y pour celui-là, je te fais confiance. Je suis là pour avoir peur après tout. » ai-je souri. Mes frères avaient l'habitude de regarder des films d'horreur, surtout Kassim et Hassan. Nouria trouvait ça vulgaire. Tout ça pour dire que grandir avec quatre frères, ça vous endurcit. Ca ne veut pas dire que je n'ai pas peur en regardant ce genre de film ... mais je pense m'en sortir pas mal. Normalement donc, je n'irai pas pas me coller à Enzo pour me sentir protégée et je ne nicherai pas ma tête dans son cou pour ne pas voir l'écran. Hum. Tandis qu'Enzo va mettre le film, je prends la parole. « Oh et puis je t'ai pas dit du coup, comme je savais qu'on se voyait ce soir je voulais pas te l'annoncer par téléphone. Un homme est venu chez moi l'autre soir, un journaliste qui était en Syrie y a encore pas très longtemps. Et il m'a ramené une lettre de mes frères. » ai-je raconté. Toujours un peu de mal à contrôler mes émotions quand j'en parle. « Donc j'ai enfin des nouvelles d'eux, après tout ce temps. » ai-je poursuivi tout en prenant une nouvelle poignée de pop corn.

Il agite le DVD sous mon nez et pendant un instant, c'est le vide. Un silence de quelques secondes à peine mais  qui me donne la sensation de ... Je sais pas, et ça m'énerve, ça me perturbe, ça m'embrouille. Après ce qui s'est passé, ne toujours pas savoir mettre des mots sur ce que je peux ressentir dans ce genre de moment ... Je veux dire, je me suis mise à chialer quand il m'a dit  ce qu'il ressentait pour moi ! Je lui ai fait comprendre que non, non ce n'était pas possible parce que ... Pendant un instant j'oublie pourquoi. J'arrête de respirer en me disant que non, j'ai pas le droit après la scène de l'hôtel. Enzo réagit avant moi en réussissant à ouvrir la bouche après ce qui m'a semblé être une éternité. « Parfait ! Tu ne le regretteras pas... Ou peut-être ! » lance-t-il en ajoutant un petit air effrayant d'Halloween. Je souris, amusé par l'idée. Pendant un instant, je me vois agripper le bras d'Enzo durant une scène vraiment effrayante en me disant tout de suite après que ... Qu'est-ce que je dis déjà ? Sur ce, le temps que je reprenne mon souffle et que je remette mes idées en place, il est parti mettre le film. Et tout d'un coup, je me retrouve à lui parler, non pas du clip parce que j'ai mangé de courage, mais plutôt de la lettre de mes frères, parce que j'y pense aussi depuis tout à l'heure. Et qu'encore une fois, je ne me voyais pas lui annoncer ça au téléphone. Il revient s'affaler à côté de moi et je prends le temps de tout lui raconter en essayant de maîtriser ma voix. « Oh... » Je dois avouer que pendant une fraction de seconde, sa réaction me déçoit, avant que je ne me souvienne qu'il n'y a tout de façon pas grand chose à ajouter à ce que je viens de dire. En plus j'ai parlé hyper vite. Du coup j'enchaîne en précisant pourquoi c'est tellement bien. Un sourire étire ses lèvres. « C'est génial, Imen ; j'espère que c'était de bonnes nouvelles ? » Oh ... Je comprends maintenant le sens de sa première réaction. Je me traite d'idiote pour avoir oublié de commencer directement par lui dire que oui, dans l'ensemble ce sont des bonnes nouvelles. Je me suis laissée emporter par le débit important de mes paroles. Je hoche la tête vigoureusement.

« Oui, oui, de bonnes nouvelles, j'aurais dû directement commencer par te dire ça ... Je veux dire, pour moi tant qu'ils sont en bonne santé ... » Autrement dit, tant qu'ils ne sont pas blessés ou morts, tout me va. Je considère ça comme des bonnes nouvelles. Enzo est sûrement la personne avec qui parler de tout ça me fait le plus de ... choses ? Yasmine est hors-concours bien sûr, mais en parler avec Enzo ... J'ai juste l'impression qu'il peut me comprendre, qu'il sait de quoi je parle. Je sais pas comment décrire le fait que, le fait de parler de tout ça avec lui paraît juste. Mais comme ça a tendance à casser l'ambiance, comme par exemple c'est le cas maintenant. Souvent, aborder ce sujet me fait perdre le fil de mes mots. « Mais donc oui, ils vont bien. C'est toujours compliqué la situation là-bas, mais ils vont bien. » ai-je fait en souriant. Dans la lettre, ils n'ont pas voulu m'alerter mais ont été obligés de parler de la situation quand même. J'ai trouvé le mot "compliqué" approprié à la situation sur le coup. Compliqué comme dans mon pays d'origine est en guerre depuis presque trois ans, des milliers de morts et deux frères sur une famille de onze personne que je n'ai pas vu depuis ... Quel est le point de se redire tout ça de toute façon ? Ennis a écrit que des groupes de rebelles islamistes risquent de rejoindre la rébellion , des groupes proches des frères musulmans. C'a été confirmé. J'y pense souvent. Pourquoi je devrais être surprise, hein ? Toute est bienvenue dans ce genre de moment. C'est juste vu comment les choses se sont passées dans les autres pays, j'ai un peu peur que les frères musulmans en profitent pour prendre notre pays en main après la chute du gouvernement actuel. Quelle solution serait la pire, je vous le demande. Peu importe, je secoue la tête et balaie tout ça d'un revers de main. J'ai eu des nouvelles de mes frères, c'est tout ce qui compte. Je n'ai aucune envie de plomber la soirée avec mes histoires, pas une de plus. Le DVD démarre à l'écran. « Et toi, qu'est-ce que t'as à me raconter ? » ai-je repris. Pas sûr du sens de la question. Peut-être que mon subconscient me joue des tours en pensant à quelque chose en particulier ou simplement pour continuer sur quelque chose de plus léger. Bien sûr que je pense à sa chanson en posant cette question, c'est juste que je veux pas amener ça d'un coup ... Laissez-tomber.

« C'est pas grave, t'en fais pas, je suis soulagé pour toi. » me répond Enzo, visiblement soulagé après que j'ai pris le temps de préciser la situation. Je souris, doucement, un ensemble de sentiments contradictoires accrochés à la gorge. Je me dis parfois que ses sentiments disparaissent, j'arrive presque à y croire et ce, de mieux en mieux avec le temps. Sauf que je finis toujours par m'apercevoir que c'est faux. Ils sont toujours là, accrocher à ma gorge et au creux de mon ventre. C'est juste que je finis par moment à réussir à penser à autre chose. Là forcément avec la lettre de mes frères, j'ai un peu plus de mal à penser à autre chose. La douleur dans ma poitrine est revenue, ou en tout cas je la sens à nouveau. Peut-être qu'un jour, quelque chose la fera disparaître, mais pour le moment j'en doute. Pour le moment je ne fais que sourire et hocher la tête avant de continuer en disant que même si les choses sont toujours compliquées, le fait qu'ils aillent bien est tout ce qui compte. « Oui, j'imagine bien... J'espère que les choses s'arrangeront, vraiment. » dit-il sincèrement. Le coin de mes lèvres s'étirent un peu plus en un sourire, disons touché. Je sais pas pourquoi d'ailleurs, parce que c'est Enzo après tout, c'est la personne qui peut le mieux comprendre toute ma situation. Peut-être qu'avec ces derniers temps, je me rends encore mieux compte du fait que ... Enfin il est toujours là pour moi, même après que je l'ai éconduit et ... parce que c'est Enzo et ... Okay on se calme. « Je sais, merci. » ai-je murmuré. Il a connu notre famille à l'époque où elle comptait neuf frères et soeurs et ... Nous ne sommes plus que trois. Ca en fait du changement.

Le film commence et je préfère changer de sujet. « Oh, tu sais, same old same... » lance Enzo en haussant les épaules. Il se met à regarder l'écran et ... Je me surprends à regarder encore une fois les lignes de son profil pendant environ cinq secondes avant de me mettre à regarder le film aussi. « Enfin, presque. Cette histoire d'album solo a pris de grosses proportions, donc... c'est devenu difficile de chanter dans la rue comme je le faisais avant... ou juste déambuler, en fait. Mais je compense, je choisis mes endroits, et je joue dans quelques petites salles... Sincèrement, si j'avais pensé à l'argent que ça rapporterait plus tôt, j'aurais fait ça depuis longtemps ! » Je souris plus franchement en le regardant à nouveau. J'aime vraiment quand il me parle de musique,  son enthousiasme est vraiment communicatif et ça me rappelle ... des soirées en famille. « Donc... ça, ça avance bien, mais en soi, il y a encore beaucoup de travail à faire ici, au moins... deux autres titres à sortir & clips à tourner avant de partir en tournée, je crois ? Quelque chose comme ça... Oh ! » Nous réagissons au même moment devant une scène du film ... très particulière. Je serre les dents et me cale tout au fond du canapé avant de me relâcher une seconde plus tard, parce que ce n'est qu'un film. On parlait de quoi déjà ? Ah oui, la musique et les clips et une tournée ... La scène d'après est un peu plus calme que la précédente alors j'en profite pour ouvrir la bouche. « C'est la rançon de la gloire. Et puis tu le mérites, tu mérites tout ça. » ai-je souri en donnant un léger coup d'épaule contre la sienne. J'essaie de  garder la tête vide concernant ce petit geste que je viens de faire et remets une mèche de cheveux derrière mon oreille, puis, grignote un peu. Nouvelle scène qui commence à ... Je me recale au fond du canapé, attendant, le visage à moitié caché derrière ma main ... et voilà. « Tu sais quand tu repartirais en tournée ? » Forcément, je ne peux pas m'empêcher de penser à la dernière fois qu'il est parti en tournée. Et puis j'ai envie de lui parler du clip, mais là encore tout reste bloqué. J'ai peur de remettre ça sur le tapis parce que tout va bien pour le moment, alors pourquoi ...