LOLA&ARWEN - life is to be enjoyed, not ensured... ►

Ma vie est une suite constante et perpétuelle de faux départs et de recommencements. Déceptions, drames et déchirures ont toujours rythmé mon quotidien et les regrets s’accrochent à moi telles des sangsues avides et impatientes, littéralement prêts à sucer la moindre petit once d’espoir susceptible de m‘habiter. Malgré tout, j’essaie de voir la vie du bon côté. Je regarde autour de moi, me mêle parfois à une foule de gens tristes et accablés, et je relativise en me disant que comparé à ces gens-là ou à tous ceux qui souffrent de malnutrition ou d’autres fléaux de par-delà le monde, je ne suis pas à plaindre. Certes, j’ai connu mon lot de déceptions, traversé des épreuves auxquelles beaucoup osent à peine songer, mais ma vie n’en demeure pas moins confortable. Jurer que je suis heureuse et épanouie serait un mensonge éhonté, mais je suis contente d’être vivante, simplement soulagée de me réveiller chaque matin et d’entamer une nouvelle journée. Lorsqu’un cancer a menacé de vous emmener, lorsqu’on a frôlé la mort d’aussi prêt, on apprend à faire de chaque jour que le ciel nous donne une aventure extravagante, un plaisir éclatant, une chance innée. Autant qu’on se le dise, je n’ai jamais reçu aucune éducation religieuse. Ma famille, bien que respectable et respectée, n’a jamais caché son désintéressement complet pour la religion et jusqu’à il y a deux ans, je n’avais même jamais mis les pieds dans un lieu ‘sacré’. Seulement, la maladie a commencé à gagner du terrain et totalement dépassée par les évènements, j’ai voulu essayer. Me confesser, expié d’éventuels pêchés, simplement dire ce qui me pesait sur le cœur, tout déballer. La plupart des gens que je connais me riraient au nez s’ils m’entendaient tenir un tel discours, mais me tourner vers le ciel m’a réellement aidé à avancer. Grâce aux prières et au soutien de mon pasteur, j’ai retrouvé la foi, la volonté de me battre. Aujourd’hui? Sans être une croyante activiste et extrêmement pieuse, je m’efforce de prier assez régulièrement et de me rendre à l’Eglise minimum une fois par mois. J’en conviens, rien ne pourra jamais me permettre d’attester que c’est ma foi qui m’a sauvé et peut-être bien que le Tout-Puissant n’a jamais existé - toujours est-il que je suis en rémission depuis deux ans et que découvrir une religion m’a fait beaucoup de bien. Bien sûr, ce n’est pas l’unique chose qui a contribué à ma guérison. Le soutien de mes proches et la présence de certaines personnes m’ont énormément apporté. Lola, par exemple, qui a été présente dès le départ, m’a aussi aidé à tenir bon. Même quand j’étais au plus mal, déprimée et résignée, elle s’efforçait de me redonner le sourire en me changeant les idées. Sans elle, je ne serais probablement plus de ce monde aujourd’hui et jamais je ne pourrais la remercier pour tout ce qu’elle a fait pour moi. Bien sûr, je suis là pour elle et toujours prête à lui rendre service, mais ce n’est rien comparé au mal qu’elle s’est donné pour me ‘garder en vie’. Je me souviens que parfois, dans mes heures les plus sombres, lorsque je rentrais de chimio et que j’étais vidée de toute force vitale, elle était là pour m’empêcher de commettre l’irréparable. A moins d’avoir vécu ce genre de choses, on ne peut pas imaginer à quel point cela peut être douloureux et éprouvant -et de temps à autres, je le confesse, il m’arrivait de penser que la mort serait plus douce. Inquiétée par ces pensées négatives (que je lui confiais, comme tout ce qui se rapportait à ma vie), Lola redoublait d’efforts pour ne pas me laisser trop longtemps toute seule. Vous comprendrez pourquoi elle occupe une place aussi importante dans ma vie et pourquoi elle restera à jamais l’une des personnes les plus chères à mon cœur.

En parlant de la demoiselle, je suis censée la retrouver dans moins de vingt minutes au centre commercial, raison pour laquelle je m’empresse de rassembler mes petites affaires. « Elijah, j’y vais! » je lance à l’intention de mon patron et ami, qui est occupé à élaborer je ne sais quelle pâtisserie fantastique. « Demain c’est mon jour de congé, mais si jamais tu as besoin de moi, n’hésite pas à m’appeler » j’ajoute avant de quitter le magasin. Une fois sur le trottoir, je me dépêche d’attraper un taxi qui me conduit tout droit dans le Bronx, non loin de l’endroit où réside mon amie. Lorsque j’arrive sur les lieux de notre rendez-vous, la brunette est déjà là et je ne peux m’empêcher de laisser éclater ma surprise. « Pour une fois que tu n’es pas en retard! » je lâche dans l’unique but de la taquiner. « Comment ça va? Je ne t’ai pas trop fait attendre j’espère? » j’ajoute après l’avoir gratifiée d’une bise amicale.

LOLA&ARWEN - life is to be enjoyed, not ensured... ►

Cette fille est incroyable. Aussi loin que je m’en souvienne, je n’ai encore jamais rencontré quelqu’un comme elle. Lola est unique. Dévouée aux autres et généreuse, c’est un véritable petit rayon de soleil. Souvent et à juste titre, j’ai eu l’impression d’abuser de son amitié, mais elle n’a jamais eu le mauvais goût de me le faire remarquer. Selon elle, essuyer mes sautes d’humeur, m’engueuler ou me prêter une oreille attentive sont des choses liées à son rôle d’amie. Pourtant, je n’ai pas toujours été « facile à vivre ». Le cancer et ma rupture avec Noah me pesaient énormément sur le cœur et je ne savais plus comment faire face aux aléas du quotidien, j’avais perdu goût à la vie. Exécrable et désespérée, j’ai bien souvent passé mes nerfs sur cette pauvre Lola qui jouait pourtant les souffres douleurs sans se plaindre. Bien sûr, il lui arrivait de me remettre à ma place quand je dépassais les bornes, mais malgré la manière dont je me comportais avec elle, elle ne m’a jamais tourné le dos. Il s’est produit exactement la même chose lorsque j’ai commencé à perdre mes cheveux ou à régurgiter tout ce que j’avalais en raison de la chimiothérapie. Lola est restée à mes côtés et à défaut de détourner le regard devant mon corps fatigué, elle m’encourageait plutôt à sortir et à profiter de la vie. Cette facilité à gérer la situation était-elle liée au fait qu’elle travaille dans le milieu médical? Peut-être, mais ça ne fait pas tout. Lola a toujours été d’une extrême gentillesse et c’est son grand cœur qui fait d’elle une personne aussi formidable, pas le métier qu’elle a choisi ou les gens qu’elle a l’habitude de fréquenter. D’ailleurs, il faut la voir sur son lieu de travail, elle est incroyable. Bluffée par sa patience et sa gentillesse, je reste souvent attendrie lorsque je lui rends visite à l’hôpital pour déjeuner - ce arrive de plus en plus rarement étant donné que nous sommes très occupées. A chaque fois que je la vois avec des enfants, je ne peux m’empêcher de penser quelle mère formidable elle sera un jour. J’ai toujours un pincement au cœur quand je songe à ce genre de choses, étant donné que je ne connaîtrai jamais ce bonheur - mais le simple fait de savoir que mes amies auront cette chance suffit à apaiser ma peine. De toute manière, je ne suis pas faite pour ça. Ma vie est beaucoup trop compliquée et on ne peut pas élever un enfant seule. Par ailleurs, je peux très bien faire une rechute du jour au lendemain, alors à quoi bon courir le risque de se lancer dans ce type de projet en n’étant pas sûre d’être là pour le voir se concrétiser? Attristée par ces pensées, j’esquisse un sourire résigné et recentre mon attention sur mon amie qui s’est décidé à prendre la parole. Perdue dans mes pensées, je n’avais pas remarqué qu’elle avait enfilé deux chaussures différentes, raison pour laquelle j’éclate soudain de rire. « A moins que tu n’aies envie d’attirer l’attention, ça me semble même indispensable! » je m’exclame en la laissant m’entraîner dans une boutique. Une fois à l’intérieur, je souris à la vendeuse et la salue et commence à jeter un œil distrait aux articles qui se présentent de toute part, quand Lola me demande « Comment ça va? » Je roule des yeux et souris en coin. La situation m’amuse, car je n’ai pas besoin de la regarder pour lire l’inquiétude dans son regard. Même si je suis en rémission depuis un certain temps, mes proches se font toujours autant de soucis pour moi. « Je suis en pleine forme, merci de t’en inquiéter! J’ai vu mon médecin pas plus tard que la semaine dernière, pour une visite de routine et il m’a dit que tout allait pour le mieux! » je lâche sur un ton qui se veut rassurant. « Parle-moi plutôt de toi! A la manière dont tu es habillée, j’en déduis que tes nuits doivent être courtes et rudes… » je lâche dans un petit rire.

LOLA&ARWEN - life is to be enjoyed, not ensured... ►

« Oh, oui... je passe beaucoup de temps à l'hôpital, le Dr Danaé a des soucis pour opérer et je la remplace en plus de mes heures à Astoria, c'est... vraiment éprouvant. » Tout en écoutant sa réponse, je jette un œil distrait sur les chaussures qui l’intéressent, histoire de m’assurer qu’elle n’ira pas acheter n’importe quoi. Qu’on se le dise, j’adore Lola ! Son petit côté excentrique est un véritable délice et je pourrais passer des heures entières avec elle sans jamais m’en lasser tant sa personnalité est unique. Maintenant, elle a des goûts assez équivoques en matière de chaussures et dans la mesure du possible, j’aimerais autant lui épargner une humiliation inutile. La première paire qu’elle a sélectionnée a même failli me faire tomber à la renverse tant elles étaient immondes, c’est pour dire. « Enfin, ça reste un super boulot, j'adore vraiment mais... je t'avoue que je me suis un peu endormie avant de venir, d'où les chaussures. » Elle marque une courte pause et je ne peux m’empêcher d’esquisser un sourire amusé. Croiser une femme avec une paire de chaussures dépareillées n’est pas donné à tout le monde et pour être tout à fait franche, cet incident ne fait que s’ajouter à la longue liste d’étourderies à laquelle mon amie s’est prêtée depuis que je la connais. Mais il ne faut pas lui en vouloir, car elle a des circonstances atténuantes. D’ailleurs, je me demande bien comment elle fait pour tenir debout. Ça fait longtemps que je serais tombée d’épuisement si j’étais à sa place, mais il faut croire que la jolie brune est plus robuste que moi. « Franchement, je ne sais pas comment tu fais ! T’as toujours la pêche, c’est hallucinant ! Je dors probablement deux fois plus que toi, mais ça ne m’empêche pas de me fatiguer plus vite ! Parfois, j’en arrive même à me demander si tu ne prends pas de stupéfiants » je lâche sous le ton de la plaisanterie avant d’écouter le récit de sa mésaventure. « Oh, tu devineras jamais ce qui m'est arrivé ! La dernière fois, les petits du New York Presb m'ont demandé de leur ramener des mangas, alors je suis allée dans un magasin dont j'ai trouvé l'adresse sur internet, et... j'ai à peine eu le temps d'expliquer ce que je voulais à la vendeuse qu'elle m'a littéralement sauté dessus et embrassée. C'était trop bizarre ! » Ma réaction ne se fait pas attendre puisque j’éclate de rire, attirant ainsi le regard des autres clientes. « Et alors ? Comment c'était? Tu as apprécié ? Tu comptes réitérer l’expérience ? » je demande dans l’unique but de la taquiner. Je n’aurais probablement pas très bien réagi si je m’étais trouvé dans une situation aussi particulière, mais quelque chose me dit que Lola a pris les choses avec philosophie. « T’as dû être sacrément surprise ! »

Nous plaisantons encore quelques minutes sur le sujet pour mieux nous recentrer sur le choix de ses nouvelles chaussures. Après l’avoir observée durant plusieurs minutes, Lola finit par me désigner une paire de couleur noire striée d’or. « J’aime bien ! Un peu sobres pour toi, mais le changement a du bon » je réplique en souriant. « Elles sont parfaites ! »

LOLA&ARWEN - life is to be enjoyed, not ensured... ►

Je n’ai jamais été très à l’aise avec tout ce qui touche de près ou de loin à la sexualité et aux relations humaines. Les épreuves que j’ai vécues par le passé m’ont peut-être bien endurcie, mais elles ont surtout laissé des marques indélébiles. A titre d’exemple, j’ai énormément de mal à accorder ma confiance. Méfiante voire limite paranoïaque, il m’arrive de me montrer relativement froide et distante –ce qui me rend assez antipathique pour la plupart des gens. Le pire demeure sans doute avec les hommes, en présence desquels je me comporte comme un animal sauvage. Je ne supporte pas qu’ils me fixent ou qu’ils me fassent du charme. L’idée qu’ils puissent poser leurs mains sur ma peau me terrifie et je m’alarme dès que l’un d’entre eux à l’audace de me fixer un peu trop longuement. Le seul et unique homme qui ait eu le droit d’être intime avec moi reste Noah. Depuis, je n’ai fréquenté personne. Bien sûr, j’ai quelques amis masculins et ces derniers sont absolument adorables avec moi, mais ça s’arrête là. Si j’en souffre ? Si ça me manque ? Pas vraiment. Je n’ai jamais été très à l’aise avec les relations sexuelles de toute manière – et je pense avoir des circonstances atténuantes. Or, une histoire d’amour se traduit nécessairement par la communion de deux corps. Alors non, je ne ressens pas le besoin de faire l’amour, mais plutôt celui d’en recevoir, d’en distribuer à mon tour. Noah aussi me manque parfois. Il m’arrive de penser à lui, de me demander ce qu’il a bien pu faire de sa vie et s’il est heureux. Une part de moi souhaite sincèrement qu’il soit passé à autre chose et qu’il ait enfin trouvé la femme qu’il méritait, celle qui pourra le combler pleinement. L’autre part, plus égoïste, espère secrètement qu’il pense toujours à moi, à nous, au couple que nous formions et que nous reformerons peut-être un jour. Mais cela arrive très rarement, car je m’interdis d’avoir des pensées aussi négatives. Noah appartient à mon passé et je me suis promis d’aller de l’avant –raison pour laquelle je m’efforce de le chasser de mon esprit. Pour en revenir à notre amie Lola, elle a eu l’air légèrement mal à l’aise lorsque je l’ai accablé de questions –ce qui n’a pas manqué de me faire sourire. Je ne devrais pas me moquer d’elle, car je serais probablement rouge comme une tomate si les rôles avaient été inversés, mais il faut bien avouer que la situation est cocasse. Ayant remarqué son malaise, j’essaye tout de même de dévier la conversation en plaisantant sur le fait qu’elle soit probablement restée bête lorsque cette vendeuse s’est jetée sur elle. « Ah, ça ! Tellement que quand je l'ai repoussée, elle a basculé derrière un stand... » réplique-t-elle en ronchonnant. Bien que ce souvenir semble l’embarrasser plus qu’il ne l’amuse, je ne peux m’empêcher d’esquisser un petit rire. « Je regrette d’avoir manqué ça » je hoquette en tâchant de recouvrer mon sérieux. « Car cette scène m’avait tout l’air d’être digne des plus grands films comiques ! »

Une fois l’incident du baiser derrière nous, notre brunette nationale me présente une paire de chaussures qu’elle finit par acheter après m’avoir demandé mon approbation. Une fois la transaction finalisée, elle troque sa paire de chaussures dépareillées contre ces souliers flambants neufs. « Enfin, du coup... » reprend-t-elle tandis que nous quittons le magasin. « J'en ai parlé à ma coloc, qui est homo. Et elle m'a conseillé... De tester « la chose » avec un homme, puis avec une femme, enfin peu importe l'ordre hein, pour savoir ce qui me plaît le plus... Enfin, c'est pas vraiment mon genre mais... » Mais ?! « OH DES PELUCHES ! VIENS ON Y VA ! » La surprise m’arrache un petit cri, mais je la laisse tout de même m’entraîner vers la boutique en question. « Pour en revenir à ces histoires d’expérimentations » je lance bien qu’elle soit déjà en train de s’extasier sur un ours en peluche blanc « tu comptes tenter le coup ? » J’avoue que ça me surprendrait assez venant d’elle, mais si c’est ce dont elle a envie, qu’elle se lance. Après tout, la vie est courte. « Si tu penses en avoir besoin pour te « décider » fonce ! Enfin, j’ignorais que tu te cherchais encore, mais après tout, pourquoi pas ? Il n’y a rien de honteux à ça ! » D’un autre côté, j’avoue que cette découverte me laisse relativement perplexe. Le fait que mon amie puisse être tiraillée entre les hommes et les femmes ne m’a jamais traversé l’esprit pour la simple et bonne raison que nous n’avons encore jamais eu l’occasion d’aborder le sujet. Mais si c’est le cas, je n’ai strictement aucun problème avec ça.

LOLA&ARWEN - life is to be enjoyed, not ensured... ►

La vie est vraiment pleine de surprises. On croit se connaître, être certain de ses choix, on fait même des projets d’avenir –et puis du jour au lendemain : tout bascule. Il y a encore quelques années, j’étais persuadée de finir mes jours auprès de Noah. J’étais fiancée et prête à fonder une famille. Je m’imaginais vieillir dans les bras de mon mari, avec une ribambelle de petits-enfants qui seraient venus nous rendre visite tous les dimanches après-midi. Mais rien ne s’est passé comme je l’avais prévu. Aujourd’hui, la réalité a pris le pas sur mes rêves d’adolescente et je me retrouve seule. Pas foncièrement malheureuse, car j’ai une vie professionnelle bien remplie et des amis fabuleux –mais mes draps sont froids et mon cœur est triste. Célibataire endurcie, je ne recherche plus la compagnie des hommes –je ne l’ai même jamais véritablement recherchée. Même si cela en fait sourire certain, je me plais à répéter que je n’étais la femme que d’un seul homme. Un homme formidable que j’ai quitté dans l’unique but de le protéger, de lui assurer un avenir pleins de promesses, de bonheur et de surprises en tout genre. J’ose espérer qu’il aura su profiter pleinement de cette opportunité. Parfois, quand je suis déprimée, j’imagine que Noah s’est finalement marié. Dans mes songes les plus heureux, lui et sa femme attendent un bébé et ils viennent d’emménager dans une grande maison. Bizarrement, la bâtisse en question ressemble à celle qu’on avait achetée. Le salon est immense et les chambres, toutes pourvues de balcons, sont tout aussi lumineuses que chaleureuses. Mais une fois de plus, je m’égare. Je ne lui en ai pas parlé, parce que je ne veux pas qu’elle s’inquiète, mais j’ai de plus en plus d’absences. Comme momentanément enfermée dans mon petit monde, il m’arrive de me déconnecter totalement du monde qui m’entoure –pour refaire surface quelques secondes plus tard, comme si rien ne s’était passé. « Ah bah ça, moi non plus je savais pas... » réplique-t-elle en référence à la remarque que je me suis permise de lui faire. « Oh, je sais, c'est surtout... la méthode, qui est pas vraiment orthodoxe. » Je pousse un long soupir et lui souris à défaut de pouvoir dire quoi que ce soit de pertinent. Je n’ai jamais été très à l’aise avec les relations intimes, ce n’est un secret pour personne et c’est sans doute pour ça que j’ai choisi de garder le silence. Je l’ai relancée sur le sujet, je le sais, mais je dois bien avouer que pour le coup : je ne sais pas quoi lui répondre. « Tu me connais suffisamment bien pour savoir ce que je pense de ce type de méthode… » je lâche en grimaçant légèrement. « D’un autre côté, je ne vois pas d’autres solutions. C’est sans doute un peu brutal comme tactique, mais au moins, tu seras fixée ! Suffit de trouver des personnes avec qui tu te sentes bien et par lesquelles tu sois réellement attirée. » Je termine mon explication et me mord la lèvre inférieure : on ne peut pas dire que cela ait été ma meilleure plaidoirie. « Bon, je pense que je vais acheter cet ours » s’exclame-t-elle en s’appuyant contre la dite peluche, ce qui lui donne un air enfantin absolument adorable. « Ou trop gros ? » Considérant l’objet un court instant, je lui arrache subitement des mains, avant de décréter : « L’avantage, c’est qu’il te tiendra chaud en attendant que tu ne te décides à sauter le pas. » J’adore la taquiner. « Je te l’offres ! Je te dois bien ça, après tout ce que tu as fait pour moi » dis-je en me dirigeant vers la caisse.

LOLA&ARWEN - life is to be enjoyed, not ensured... ►

On dit souvent que c’est dans les moments les plus difficiles que l’on reconnaît ses vrais amis. Et bien l’hypothèse s’est vérifiée avec Lola. Alors que la plupart des gens qui se prétendaient mes amis ont subitement cessé de me rendre visite –trop effrayés par mon aspect ou bien exaspérés par mes sautes d’humeur, Lola est restée à mes côtés jusqu’au bout. Pourtant à l’époque, aucune de nous ne pouvait affirmer avec certitude que j’allais vaincre la maladie, mais la brunette était déterminée à prendre soin de moi. Je lui en serais à jamais reconnaissante et même si notre amitié ne repose pas uniquement sur ce détail, cette période nous a définitivement rapprochées. D’ailleurs, on se ressemble beaucoup elle et moi. Nos histoires différent peut-être totalement, mais en ce qui concerne les relations amoureuses, nous sommes aussi maladroites l’une que l’autre. « En tout cas, ça va pas être de tout repos ! Sans jeu de mots. » J’esquisse un sourire amusé. C’est vrai que si elle ne l’avait pas précisé, j’aurais pu me poser des questions. Quoi que ça ne lui ressemble pas de faire des blagues salaces. « Vraiment, je crois que je n'ai jamais su comment draguer quelqu'un alors bon... » grimace-t-elle en me suivant à la caisse. Lola a l’air un peu surprise que j’ai décidé de lui offrir cet ours en peluche, mais en ce qui me concerne, je trouve que c’est un bien maigre cadeau. J’ai conscience qu’à ses yeux, tout ce qu’elle a fait pour moi était naturel, mais elle n’a pas l’air de réaliser à quel point son soutien m’a été bénéfique. On en a souvent parlé, mais elle se débrouille toujours pour faire dévier la conversation quand j’essaye de la remercier. Un peu comme maintenant en fait. « Et toi, comment ça va ? Je veux dire, vraiment, pas seulement en termes médicaux ? » me demande-t-elle tandis que nous quittons la boutique. Je lâche un soupir de soulagement. L’espace de quelques secondes, j’ai bien cru qu’elle allait me questionner sur mon état de santé. Or, je ne raffole pas vraiment de ce sujet. « Ça va très bien. Je suis un peu débordée en ce moment entre mon job à la pâtisserie et les gens qui n’arrêtent pas de s’inscrire à mon cours –mais je m’en sors » je réplique en souriant. « Ce qui me perturbe ce sont plutôt ces absences à répétitions. Tu sais aussi bien que moi que j’ai tourné la page avec Noah, en tout cas je fais de mon mieux pour ne pas penser à lui, mais en ce moment, j’ai l’impression de le voir partout. C’est ridicule, parce que je sais pertinemment qu’il vit encore à San Francisco, mais j’en sais rien. Il m’obsède. Et de temps à autre, j’ai comme des flash-backs qui s’éternisent, ou des absences si tu préfères. J’imagine que c’est mon subconscient qui essaye de me faire passer un message, mais je n'aii pas encore réussi à le décrypter. Bref, il n’y a pas de quoi s’inquiéter ! » Tout ce que j’espère c’est que je ne suis pas en train de devenir folle.

LOLA&ARWEN - life is to be enjoyed, not ensured... ►

Je n’ai jamais aimé parler de Noah, encore moins avec la jolie brune. A l’époque, je l’ai forcée à choisir entre nous deux. C’était égoïste de ma part, j’en ai parfaitement conscience, mais c’était aussi la seule façon de continuer à la voir. Si Lola n’avait pas coupé les ponts avec Noah, elle aurait fini (même sans le vouloir) par lui dire où j’étais partie. Il se serait alors précipité à New-York pour me retrouver et aurait donc assisté à ma descente aux enfers – chose que je voulais à tout prix éviter. De fait, même si le quitter reste à ce jour la décision la plus difficile qu’il m’ait été donné de prendre, je sais que j’ai fait le bon choix. « C'est pas ridicule... il a été une grande partie de ta vie pendant un temps, c'est normal d'y penser toujours... » Déclare-t-elle, bien que ma confession l’ait gênée. Une grande partie de ma vie ? C’est peu dire. Il fut un temps où Noah était toute ma vie. Je pensais pour lui, me levais pour lui, respirais pour lui. Voilà pourquoi cela a été si difficile d’apprendre à vivre seule. « Et tu n'as jamais pensé que... peut-être, enfin... » Souffle-t-elle en m’entraînant dans la galerie marchande. Lola a l’air incroyablement mal à l’aise. J’ignore ce qu’elle s’apprête à me dire, mais de toute évidence, elle appréhende ma réaction. « Peut-être que vous pourriez vous revoir ? » Mon corps se fige et je la fixe quelques instants sans rien dire. « Non. Je doute que ce soit une bonne idée… » Pourtant, j’en meurs d’envie. Surtout en ce moment. Ça faisait longtemps que je n’avais pas pensé autant à lui, mais comme je l’ai dit, il m’obsède ces temps-ci. « A quoi ça servirait de toute manière ? » Je soupire et me laisse tomber sur un banc. « Je lui ai brisé le cœur, il doit sans doute me haïr. Et, même si j’avais de bonnes raisons, ça n’excuse rien. Je l’ai abandonnée Lola. Je l’ai laissé en plan alors que nous étions censés nous marier la semaine suivante. Jamais il ne l’oubliera… J’ose à peine imaginer ce qu’il a pu ressentir… Si seulement tu avais entendu les messages vocaux qu’il m’a laissé avant que je ne change de numéro…. Il avait l’air tellement malheureux… Jamais je ne pourrais me pardonner de l’avoir fait souffrir… » Dis-je en cachant ma tête dans mes mains. « C’est aussi pour ça que je ne veux pas reprendre contact avec lui. Je n’ai pas envie de le rendre malheureux, je ne veux pas qu’il culpabilise. Tout ce que je souhaite, c’est son bonheur. Quoi qu’il fasse, où qu’il soit, j’espère juste qu’il est heureux… »

LOLA&ARWEN - life is to be enjoyed, not ensured... ►

« Je comprends, mais c'est pas une raison pour culpabiliser. Tu dis que tu penses tout le temps à lui, c'est... enfin, tu peux pas rester sans rien faire si tu estimes que t'as besoin de lui, peu importe ce qui a été fait par le passé ! » Lola s’emporte, mais ce n’est pas d’agacement. Je sais qu’elle cherche avant tout à m’aider et qu’elle se fait du souci pour moi. Malheureusement, les choses sont loin d’être aussi simples. Si l’amour était la clef à tous nos problèmes, Noah et moi serions toujours ensemble à l’heure qu’il est. Nous serions probablement mariés et heureux parents d’un petit bout de chou que nous aurions finalement adoptés. Mais si la vie m’a appris une chose : c’est sans doute que l’amour ne pèse pas bien lourd dans la balance. On a beau aimer une personne de tout son cœur, on ne va pas à l’encontre du destin. « Désolée... C'est pas ma place de te dire ça. Je veux juste que tu sois heureuse... » Je lève la tête et lui adresse un sourire qui se veut rassurant. « Tu as parfaitement le droit de me dire ta façon de penser. Ce n’est pas parce qu’on ne partage pas la même opinion que je vais t’envoyer sur les roses… Je pense que tu me connais suffisamment bien maintenant pour savoir que ce n’est pas mon genre » dis-je en serrant sa main dans la mienne. « Mais en ce qui concerne Noah, je campe sur mes positions. Même s’il m’arrive de me demander à quoi ressemblerait ma vie si je ne l’avais pas quitté, je suis toujours convaincue d’avoir pris la bonne décision. Certes, j’en ai souffert et il m’arrive encore de pleurer en pensant à ce que j’ai perdu, mais… c’était la meilleure chose à faire pour lui. Après, je ne te le cache pas, je suis curieuse de savoir ce qu’il est devenu et… le recontacter est une idée qui me trotte dans la tête depuis un certain temps, mais j’ai peur de me faire du mal inutilement. Je veux dire, t’imagine s’il a refait sa vie ? Bien sûr c’est ce que je voulais, mais je ne suis pas certaine de supporter de le voir au bras d’une autre femme… » Et puis de toute manière, comment le retrouver ? Peut-être bien qu’il ne vit plus à San Francisco ? Et s’il était parti à l’étranger ? « Tu n’aurais pas eu de ses nouvelles, par hasard ? » je demande, par curiosité. Si l’homme que j’ai cru voir l’autre jour était bel et bien Noah, il aura peut-être essayé de reprendre contact avec elle. Quoi que je ne suis pas certaine qu’il sache qu’elle vive à New-York…

LOLA&ARWEN - life is to be enjoyed, not ensured... ►

Lola fait de son mieux pour me réconforter, elle s’efforce d’être une bonne amie et je lui en suis extrêmement reconnaissante. Même si mon discours pourrait laisser penser le contraire, discuter avec elle m’aide beaucoup. Depuis que nous avons abordé le sujet, j’ai l’impression d’avoir le cœur un peu plus léger –comme s’il avait été libéré d’un poids. A force de jouer les filles intouchables, j’ai presque fini par oublier ce que c’était que de se laisser aller. Pourtant, je réalise aujourd’hui que c’est quelque chose de primordial. Les émotions, même négatives, sont propres à l’espèce humaine et il est indispensable de les laisser s’exprimer si l’on veut prétendre à une vie normale. Lola n’en a peut-être pas conscience, mais c’est en partie grâce à elle que je réalise toutes ces choses qui me permettent d’avancer. Sa patience, sa gentillesse et sa compréhension m’ont toujours guidé et je suis vraiment ravie de l’avoir à mes côtés. Souvent, dans mes heures les plus sombres, j’essaye de penser à notre amitié et le souvenir des bons moments passés ensemble et de tous ceux qui restent à venir me permettent de relativiser les choses. Oui, j’ai perdu l’amour de ma vie, mais d’un autre côté, j’ai gagné une amie extraordinaire. Une femme généreuse et incroyable sur laquelle je pourrais toujours compter. C’est un lot de consolation formidable, peut-être même inespéré. « Non, désolée... Je ne lui ai pas parlé depuis... enfin, tu sais… » Pour toute réponse, je me contente d’abord de me pincer les lèvres. J’ai vraiment honte de moi. Même si c’est grâce à moi qu’ils se sont rencontrés, elle et Noah avait développé une belle complicité et après coup, je m’en veux de l’avoir privé d’une si belle amitié. « Oui… C’était une question stupide, excuse-moi. C’est juste que je suis persuadée de l’avoir croisé en ville l’autre jour alors, je me suis dit que si c’était vraiment lui, il serait venu te trouver, pour tant soit peu qu’il sache que tu vives ici… » j’explique en secouant la tête, mal à l’aise. « D’ailleurs, je sais bien que je te l’ai répété des centaines de fois, mais je suis sincèrement navrée de t’avoir obligé à choisir entre nous deux… » Mais elle ne m’en a jamais tenu rigueur, je le sais. « Arwen, je comprends tout ça, et... je voudrais que tout soit plus simple, mais... Tu dois penser à toi aussi... et être heureuse. » Même si le cœur n’y est pas vraiment, je tente un sourire. « Je sais bien, mais c’est plus facile à dire qu’à faire… Néanmoins, je te promets d’essayer. C’est juré ! Bon et si on allait manger une glace, une crêpe, boire un café ou n’importe quoi ?! Je meurs de faim ! » Mensonge éhonté, je plaide coupable, mais c’est tout ce que j’ai trouvé pour changer de sujet.