Maureen n’était pas une fille stressée, n’est-ce pas ? En tout cas, elle paraissait aussi sereine qu’après une longue séance de yoga et avait revêtu sa plus belle robe, d’une jolie couleur blanche, afin d’être aussi tirée à quatre épingles que possible. Cela n’avait pas été évident pour l’irlandaise que de convaincre son père, en très bref séjour à New York, que de venir passer l’intégralité d’une soirée dans un restaurant chic de Manhattan afin qu’elle ne lui présente son nouveau boyfriend. En théorie, Rob considérait que sa fille était la spécialiste des histoires aussi brèves qu’intenses, et il n’avait jamais eu besoin jusqu’ici de se déplacer en personne pour en rencontrer une. Cela devait être important pour sa princesse blonde et c’est pourquoi il ne manqua pas de revêtir son plus beau costume et de réserver la table la plus luxueuse du tout New York afin d’impression celui qu’il n’imaginait pas encore comme son gendre. Il ne fallait pas mettre la charrue avant les bœufs, n’est-ce pas ? « Relax, tout va bien se passer » tenta-t-elle de rassurer Azariel alors qu’ils étaient déjà assit à la table réservée, peu avant que Rob ne se pointe et ne salue l’intégralité du personnel, l’irlandais ayant de très grandes habitudes ici à chacun de ses passages. Il salua premièrement le jeune homme d’un hochement de tête relativement froid, avant de ne complimenter longuement sa fille sur sa toilette, embrassant son front au passage avant de ne s’asseoir sans pour autant serrer la main de son interlocuteur masculin. Il voulait d’abord le jauger avant tout contact physique, telle était sa devise. « Alors jeune homme ! Pour que ma fille soit parvenue au miracle de me faire déplacer alors que je ne reste que deux jours sur New York, vous devez lui avoir tapé dans l’œil… dites m’en un peu plus sur vous. » Rob ne le quitta pas du regard excepté lorsqu’il commanda un scotch pour commencer. « Un jus de pêche s’il vous plaît » demanda-t-elle à la surprise générale. Enfin, surtout à la plus grande surprise de son père en vérité.

« Tu es malade Mau chérie ? » Oh dear. Entre mentir et dire la vérité, l’irlandaise fut longuement indécise. Peut-être qu’annoncer la chose de but en blanc n’était pas l’idée du siècle aussi esquissa-t-elle un sourire franc tout en hochant négativement la tête. Ni vu, ni connu je t’embrouille. La jolie blonde risquait d’être rapidement dans la merde si son père continuait avec ce genre de question, car même s’il lui arrivait souvent de lui mentir pour des raisons toutes plus évidentes les unes que les autres, elle aurait bien du mal à le faire sans risquer la désapprobation évidente d’Azariel. Cruelle vie… « Vous avez un accent Azariel mais je peine à déterminer lequel… » reprit Rob, imperturbable, ne laissant pas l’ombre d’une émotion transpercer son visage. Il avait l’habitude de jauger des jeunes, surtout ceux qu’il recrutait. Il avait l’œil pour découvrir le talent d’autrui et s’il n’était pas là pour ça, le canadien devrait s’attendre à être longuement passé en revue. « En somme, vous êtes profondément dévoué à autrui… mais la question qui pourrait se poser est la suivante : est-ce que « autrui » ne vous empêchera pas de veiller sur ma fille unique ? » Maureen le fusilla aussitôt du regard, bien qu’il ne l’ait pas vue puisqu’il regardait longuement la carte en vue de faire un choix. Si elle laissait courir et qu’il continuait crescendo, pas sûr qu’Azariel finisse le repas en leur compagnie. « Ton travail très prenant ne t’a pas empêché de te marier et d’avoir trois enfants, pas vrai ? » lança-t-elle, connaissant bien mieux son père que le jeune homme et sachant donc quel type de réflexion il tolèrerait… et celles qu’il valait mieux éviter. « Au moins il n’est pas dans la police comme Neil » reprit-il avec arrogance avant de ne pousser un soupir méprisant. D’après ce que Maureen pouvait constater, leur relationnel ne s’était guère arrangé ! « Il est présent en face de toi ! Ton neveu préféré est bien chez les pompiers… c’est un service pour autrui ! » Au moins, Maureen prenait sa défense sans faillir…

Rob émit le premier micro sourire de la soirée en constatant que justement, il ne laissait pas Maureen prendre seule sa défense face aux différentes « attaques » auxquelles il le soumettait. Il était hélas impossible de connaître son point de vue sur quelque chose, même sur ses enfants : tantôt il donnait l’impression de les adorer, comme son comportement envers sa fille le laissait clairement entendre, tantôt il donnait l’impression de les haïr, comme sa réflexion envers Neil le laissait supposer. Le parrain de la Mafia était un homme complexe et c’était une chose heureuse, sans quoi il aurait fini depuis longtemps dans un caniveau avec une balle entre les deux yeux. « Dix-huit heures, hum… dans ce cas c’est vous qui attendrez Maureen. Mais suis-je bête, vous n’êtes pas encore à vous trouver un appartement il n’était donc pas utile d’aborder le sujet » avait-il reprit, non sans jeter plusieurs œillades à sa fille pour voir quelle serait sa réaction. L’irlandaise avait un visage aussi impassible que celui de son père, ne lui laissant aucunement l’opportunité de lire entre les lignes de ses traits de porcelaine. Elle était bien la seule à pouvoir lui cacher des choses, et en ça, il l’avait très bien formée. « Shaun est un fier membre du clan qui prend sa patrie très à cœur, au même titre que ma fille. Le Canada a-t-il un quelconque intérêt à vos yeux ? » Aouch. Azariel avait intérêt à répondre de façon évasive s’il n’était pas sûr de lui, sinon Rob y verrait une première brèche et ne manquerait pas d’y revenir continuellement jusqu’à ce qu’il ne craque. « Je ne vous ai pas demandé non plus si vous seriez du genre à attendre bien sagement que Maureen ne rentre de son boulot ou à partir à sa recherche… » La jolie blonde manqua de s’étrangler en avalant une gorgée de son jus et cette fois-ci, ne put s’empêcher d’intervenir : « Arrête de lui faire subir un interrogatoire Papa s’il te plaît. Accepte qu’il y ait des gens sur cette planète qui ne soient pas irlandais, patriote ou comme toi… bourreau de travail. »

« Donc vous n’êtes pas patriote ? » « Oh pitié papa on croirait entre Shaun ou grand-père ! » Maureen avait l’Irlande dans la peau également, et sa terre natale lui manquait atrocement au fur et à mesure des mois qui passent, mais elle ne le criait pas sur tous les toits pour autant. C’était un détail qu’elle gardait jalousement pour elle seule, voilà tout. Et le fait qu’Azariel ne soit pas patriote ou un fan inconditionnel du Canada ne le ferait pas moins l’aimer ou le détester, bien au contraire, au moins il disait la vérité ! « Vos parents ne sont pas là pour faire subir des interrogatoires aux petits amis de votre sœur que vous vous en chargez ? » C’était une question sans être une pique cette fois-ci. Après tout, Rob ne connaissait pas le passif du canadien et s’intéressait à cette donnée lui paraissant étrange. Maureen émit une légère grimace, mal à l’aise, et son père la capta tout de suite car il partit sur tout à fait autre chose. « En tout cas j’ai été étonné qu’Anton en personne ne vienne me trouver pour me dire qu’il fallait que je te ménage, que tu étais plus fragile qu’à l’ordinaire… fragile, toi ! Tu es la plus impitoyable femme d’affaires que je connaisse chérie, je crois que tu me surpasses de très loin. Anton est bien trop sentimental et comme d’habitude, il s’en fait bien trop pour toi. Il n’a pas osé me parler de Neil et sans doute est-ce pour le mieux… je n’ai toujours pas digéré sa petite manœuvre qui a bien manqué de te coûter la vie. » L’irlandaise leva les yeux au ciel, contrariée que son père soit encore à ruminer ce fameux contrat foiré par l’arrivée de la police. Certes, Maureen avait manqué d’être compromise mais Neil n’aurait pas pu prévoir qu’elle serait le tueur à gages en charge de ce contrat… il s’était rattrapé par la suite, d’ailleurs. « Plutôt que de ruminer quelque chose qui a eut lieu il y a deux ans, Azariel donne-nous ta méthode pour faire fuir les petits-amis collants de ta petite sœur ! »

Par chance, Rob n’émit pas le moindre commentaire sur le décès des parents d’Azariel, alors que Maureen était en train de craindre le pire depuis cinq minutes, le scrutant aussi discrètement qu’elle le pouvait de peur qu’il ne lâche une vacherie – chose dont il était hélas tout à fait capable. Mais à la place, il écouta Azariel s’exprimer sans le lâcher du regard, hormis pour reprendre une gorgée de son scotch et en recommander un autre, un O’Connor ne commençant jamais un repas sans s’être correctement désaltéré le gosier en bonne et due forme. Shaun avait déjà dû sortir une connerie du genre à un moment donné face au canadien, il ne pouvait en être autrement. « Si votre sœur est possessive envers vous c’est qu’elle a le sens de la famille. En connaissant Shaun vous devez avoir un aperçu de la possessivité du clan O’Connor. » Dans sa tête, l’irlandaise poussa un « ouf » de soulagement car il ne s’était pas lancé sur un terrain glissant et n’avait donc pas mis Azariel plus mal à l’aise encore qu’il ne l’était. Bien qu’à croire son précédent rire, il semblait prendre de l’assurance et cela faisait plaisir à la jolie blonde. « Et la prochaine fois que tu vas voir ton neveu préféré, laisse-moi deviner : tu vas l’accuser de s’être fait coloniser par la France ! » « Tu as été la première à lui envoyer ça dans les gencives jeune fille ! » Et c’était vrai. Maureen s’était royalement foutu de sa gueule pour toutes les fois où il l’avait bassinée avec son sermon anti mariage, anti royauté, blablabla… l’arroseur arrosé, en d’autres termes. A ceci près que la légèreté de la conversation n’était malheureusement pas destinée à le rester. Rob reprit aussitôt un air sérieux, presque glacial, et aussitôt, la jeune femme sut que la conversation suivante allait lui déplaire. « En vérité, le dîner de ce soir m’arrange. Cela m’évite d’avoir à t’annoncer ça au téléphone. Il va falloir que tu me remplaces à mon poste à Dublin durant… six ou sept mois. Il n’y a qu’en toi en qui j’ai absolument confiance et je veux pouvoir me dire que je laisse les rennes à quelqu’un avec de la trempe, quelqu’un de suffisamment impitoyable pour me seconder. » Aouch.

Le sens du clan. Il ne pouvait pas être plus développé chez les O’Connor et Maureen n’aurait sûrement jamais pu tomber amoureuse de quelqu’un n’ayant pas un sens de la famille ultra développé. D’ailleurs, elle émit un bref sourire, bref mais présent, lorsqu’Azariel prouva par a+b l’importance de sa sœur dans son existence et combien la possessivité de Lexie était d’ailleurs évidente. « Il fut un temps où Anton terrorisait mes boyfriend ! » souffla Maureen sans hésiter une seule minute car elle savait que cela provoquerait un sourire amusé chez son père, chose qui ne manqua pas puisqu’il se souvenait sans peine de tous ces pauvres bougres ayant un jour eu à faire à son fils aîné. « Ils tremblaient tous et cherchaient à venir trouver un soutien masculin auprès de moi, mais c’était cent fois pire. » Par malheur, la discussion ne manqua pas de prendre une allure des plus désagréables et l’irlandaise se sentit terriblement seule alors qu’Azariel ne disait rien de son côté. Sans doute fut-ce ce qui la poussa subitement à retirer sa main, ne serait-ce que de manière temporaire, pour ne pas quitter son père des yeux. Hélas, si elle lui disait non de but en blanc, cela risquait de sonner la fin irrévocable de cette soirée. « Tu me caches quelque chose… je me trompe ? La Maureen que je connais aurait sauté sur l’occasion pour obtenir davantage de pouvoir, de responsabilités ! Qu’est devenu la Maureen que je connais ? » Par une chance incroyable, on appela justement son père pour lui signifier un appel privé dans une salle à l’écart et ce fut à ce moment là que l’irlandaise prit sa première inspiration, après avoir été en apnée pendant bien une minute et demie. « Je suis grave dans la merde ! Si je lui dis tout de suite il risque de m’arracher les yeux et de ne faire qu’une bouchée de toi parce qu’il y a un petit menu problème : nous ne sommes pas mariés ! Il faut que je trouve une excuse pour l’occuper alors si tu as une idée brillante ne te gêne surtout pas je suis toute ouïe ! » Ce n’était pas tant pour elle qu’elle craignait, mais surtout pour Azariel…

Les doigts de Maureen tapotaient la table avec nervosité tandis que son cerveau cherchait à cent à l’heure une idée lumineuse histoire de se sortir de la panade. Elle s’attendait à ce qu’Azariel cherche au moins à la rassurer mais non, la seule phrase qu’il lâcha lui fit froncer subitement les sourcils. « Quoi ?! » demanda-t-elle, espérant avoir mal entendu. « Shaun n’est pas la solution à tous mes problèmes et en l’occurrence ce sont NOS problèmes ! Tu es dans le même panier que moi à moins que tu ne préfères que j’aille faire le zouave à Dublin jusqu’à la fin de ma grossesse ! » Les hormones. Celles-ci n’avaient pas trop frappé durement jusqu’ici mais il ne fallait jamais vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué et autant dire que l’irlandaise n’était ni bien dans ses pompes, ni rassurée sur le fait que justement, le canadien allait la soutenir quoi qu’il advienne. Cherchait-il à fuir ses responsabilités ? Avait-il soudainement honte d’être futur papa alors qu’il voyait son beau-père pour la première fois ? D’un côté, il donnait l’impression à la jeune femme de la laisser se démerder toute seule et de l’autre, l’impression qu’il craignait des représailles. Certes, il n’était pas censé savoir que ces gens-là ne tuaient jamais gratuitement mais plutôt sous contrat avec énorme pactole à la clef. Il n’était pas question de travailler pour la gloire, le canadien n’avait donc rien à craindre à priori ! « Il faut que j’arrête de stresser comme une folle sinon je vais faire un malaise. Je vais trouver une solution et il n’y aura pas Shaun dedans ! » Maureen adorait son cousin et lui devait énormément mais là, en l’occurrence, il s’agissait d’elle, d’Azariel, de leur future famille. Bien qu’elle ait sa patrie jusque dans ses tripes là, tout de suite, l’envie de partir pour la rejoindre n’y était pas. « Faut que je m’invente un contrat… ou que je dise la vérité, peut-être que c’est ça la clef. »

« Je sais qu’il est très conservateur ! » s’exclama Maureen pour sa défense même si elle n’avait aucunement l’intention de lui forcer la main de quelque manière que ce soit. Depuis quand était-ce son genre ? D’accord, dans le cadre d’un contrat, l’irlandaise était capable du pire avant toute autre chose mais en l’occurrence, il s’agissait d’une affaire de famille et elle avait plutôt intérêt à jouer serré si elle ne voulait pas voir son père la renier purement et simplement. Combien de fois Neil avait-il pris ce risque ? Après tout, Rob O’Connor n’était guère connu pour sa patience ou même sa gentillesse et écartait autrui de sa personne aussi rapidement que l’on peut balayer un château de cartes d’une seule main. En un mot comme en cent, il valait mieux qu’elle ait une idée lumineuse en deux temps trois mouvements car ce fameux coup de fil n’allait hélas pas durer toute la soirée. « Je n’ai pas l’intention de te forcer à m’épouser si c’est ta question ! Je pense que je suis surtout paumée. Crois-moi je suis une matrice à plan b dès qu’il s’agit de faire du mal à autrui mais pour mon propre bien je suis une cata ambulante. Et crois-moi à nouveau, ça va me dézinguer si jamais mon père me renie. Il en est capable, tu sais… j’ai beau le connaître par cœur, là j’ai un mal fou à le cerner : on dirait qu’il se doute de quelque chose et qu’en même temps il sait, mais il est trop sadique pour abréger mes souffrances ! Je crois que pour la première fois de ma vie je ne sais juste pas quoi faire. Inutile de parler de ton passé, je pense que gagner du temps n’est pas une bonne idée du tout. » Maureen haussa les épaules avant de ne s’envoyer l’intégralité de son jus de pêche d’un coup. Pour un peu, elle avait presque hâte que son père ne rapplique pour qu’elle ait l’opportunité de crever définitivement l’abcès.

« Bienvenue chez les O’Connor… » nota Maureen avec une extraordinaire dose d’ironie. Elle préféra ne pas relever le fait qu’il tenait à ce maudit mariage alors que rien n’allait dans le bon sens et qu’il n’était même pas certain que son père n’en parle. D’ailleurs, celui-ci revenait justement à ce moment précis, alors que l’irlandaise parvenait à reprendre le contrôle d’elle-même et à ne rien laisser paraître sur son visage. Un brio dont elle faisait preuve depuis son plus jeune âge et qui lui avait très souvent servi jusqu’à lors. A ceci près qu’on ne mentait pas impunément à Rob O’Connor alors qu’il possédait lui-même ses sources et qu’il avait été présent pour chacune des deux grossesses de sa défunte épouse. Aussi ne s’était-il pas rassit depuis deux minutes et n’avait-il pas longuement observé les deux jeunes gens depuis quelques secondes qu’il fit tomber le couperet de la guillotine : « Vous allez laisser ma fille m’annoncer elle-même qu’elle est enceinte ou prendre vos responsabilités est-il dans vos cordes ? » Cette simple phrase arracha à Maureen une expression demeurant un mélange d’horreur, de surprise et… de soulagement, car il savait. Le tout restait de savoir comment il avait obtenu l’information. « Comment tu as su ? » se risqua-t-elle à demander tandis que son père ne la lâchait pas du regard, sans dévoiler de réaction particulière pour l’instant. « Chérie, c’est moi qui t’ai mise au monde car les pompiers sont arrivés bien trop tard, je t’ai vu grandir, t’épanouir, faire des erreurs et devenir la femme aussi formidable qu’impitoyable que tu es. Tu penses sincèrement que tu peux me cacher ce genre d’information sans que cela ne me paraisse louche ? Je me suis douté de quelque chose à partir du moment où mon frère ne t’a plus vu à son pub, où tu allais pourtant toutes les semaines avec Shaun. C’est plutôt révélateur, une irlandaise de ta trempe qui cesse subitement de boire ! Mais d’après Dante tu n’es toujours pas allée chez le gynécologue… » Maureen déglutit avec difficulté bien sûr, mais ce fut comme un cri du cœur : « J’vais crever les yeux à mon assistant ! »

Prendre Rob O’Connor à rebrousse poil de cette façon revenait à dire que l’on était suicidaire, ni plus ni moins. En effet, l’irlandais avait tué pour moins que cela et Azariel risquait d’être rapidement sur la sellette s’il ne maîtrisait pas ses ardeurs en face de lui. Une chance que Maureen ait très bien été formée et puisse pallier à la moindre réaction trop vive de son père mais elle n’oubliait pas un détail ayant tout de même son importance : son père était un homme, et sa carrure dépassait de très loin la sienne. Ceci étant, voir le visage de son père se décomposer progressivement ne lui disait rien qui vaille et pour ce qu’elle connaissait de lui, il valait mieux craindre le pire. « Ah oui, vous ne comptez pas vous mariez ? Je vous conseille de redescendre de votre précieux piédestal Monsieur Williams car je n’ai aucune leçon à recevoir de vous, d’autant plus que vous êtes le seul à avoir parlé de mariage pour l’heure. » Le ton de l’irlandais s’était fait glacial, presque cruel. Il ne supportait pas qu’un jeune couillon n’ayant jamais eu de famille à charge – autre que sa petite sœur, s’entend – ait le culot de vouloir lui apprendre la vie. « Mais puisque vous partez du principe que je ne la respecte pas – j’ai bien lu entre les lignes n’est-ce pas ? – je suis curieux de savoir ce que vous entendez par là. Allez-y, puisque vous avez des velléités de puissance, déballez donc ce que vous avez sur le cœur après tout nous sommes en démocratie. » Le problème, c’est qu’une fois Rob lancé, il n’y avait plus de limite jusqu’à ce qu’il n’ait l’impression que sa propre balance n’ait été rétablie. Ce fut sans doute ce qui poussa Maureen à intervenir. « Stop. Si vous voulez faire un concours de celui qui va faire pipi le plus loin, ce sera sans moi, je vous préviens ! Tu avais promis que tu ferais un effort pour ce premier repas et en fait, tu es pire qu’un gamin ! » « Il a commencé, je te signale ! » « Non, c’est toi ! Merde tu es le plus âgé, tu n’étais pas obligé de continuer en prime ! »

Maureen avait cru préférable d’intervenir car si les deux hommes avaient dû s’entretuer, elle ne donnait hélas pas cher de la peau d’Azariel face au tueur professionnel qu’était son père. Depuis le temps, son géniteur ne l’impressionnait plus autant qu’avant et lui rentrer dans le lard était devenu une seconde nature pour elle. Bien qu’elle soit étonnée que le colérique Rob O’Connor n’ait pas encore littéralement explosé de rage alors qu’un petit couillon s’était opposé à lui. Fallait-il qu’il ait fait des recherches approfondies – chose qui n’aurait pas étonné une seconde sa fille, d’ailleurs – et ait été impressionné par le parcours du canadien… « Mais vous n’avez aucune excuse pour ne pas l’avoir forcée à se rendre chez un gynécologue, en revanche. Ca ne vous a pas percuté l’esprit ou ma fille vous fait peur ? » Maureen poussa un grognement pour éviter qu’il n’aille crescendo dans la provocation, surtout qu’il n’en sortirait rien de bon et que l’irlandaise n’avait pas besoin d’une dose de stress supplémentaire. Elle avait au contraire besoin de calme, de compréhension, d’amour. Elle ne voulait pas se dire que le premier dîner entre son loulou de Poméranie et son père n’était rien d’autre qu’une gigantesque catastrophe. « Quoi ? Il n’empêche que c’est inconscient de ta part ! Et s’il y avait un problème et que tu n’étais pas au courant, hein ? C’est la première chose que tu aurais dû faire jeune fille et tu ne fais pas honneur à la maturité à laquelle tu m’as habituée. Serais-je que d’avoir ta propre famille te fais tellement peur que tu fais l’autruche comme lorsque tu étais gamine ? Tu ne peux plus te permettre une chose pareille, tu es responsable de quelqu’un, et je ne parle pas de tes frères là. » En somme, Rob O’Connor dévoilait très légèrement la vraie raison de sa hargne soudaine : il s’inquiétait. Et pour cause, il avait perdu sa femme, ce n’était pas pour perdre un autre membre de sa famille, qui plus est sa fille. « Je peux compter sur vous pour être l’homme de la situation là-dessus ou faut que je vous pousse ? Je ne suis pas sûr que vous apprécieriez si j’allais à votre place pour la pousser à se rendre à un foutu rendez-vous. » « Papa, merde ! »

« J’ai fais une prise de sang, me faites pas chier avec ça ! » maugréa Maureen, n’ayant pas eut la moindre intention d’aller immédiatement chez un gynécologue. Ce genre de médecin était chiant comme la pluie et si Azariel lui avait fait une scène parce qu’elle avait fait une première échographie sans lui ? L’irlandaise avait déjà suffisamment de drames dans sa famille pour s’en passer d’un dans son couple. A ceci près qu’en croisant le regard de son père, elle déchanta rapidement. La jolie blonde n’avait pas peur de lui bien évidemment, mais cela ne voulait pas dire qu’elle n’avait pas à craindre le pire quant à la chiantise dont il ne manquerait pas de faire preuve. « Ne jamais croire que Maureen est capable d’être raisonnable et de se soigner en temps et en heure ! » grogna son père tout en levant les yeux au ciel. « Ca va ! Je ne suis jamais malade, j’ai une patate d’enfer, je suis la première au boulot et la dernière partie… bordel mais de quoi tu te plains ?! » Rob la regarda subitement avec une sorte de désespoir dans le regard, comme s’il n’arriverait jamais à faire entendre raison à sa tête de mule de fille. Pour sûr, elle était le portrait craché de sa mère, il n’y avait pas le moindre doute. « Moi je dis que tu vas me faire le plaisir d’aller chez le doc demain à la première heure ou j’te jure que je t’y traîne pas la peau du cul ! Foi d’irlandais ! » Pendant un dixième de seconde, Maureen eut la détestable impression d’avoir un Shaun plus âgé en face d’elle, dans ses grandes passades où il n’avait qu’une idée en tête : l’emmerder. Vraiment, c’était à s’y tromper et l’irlandaise se demandait si Azariel avait aussi fait le rapprochement. « Dis-moi que tu ne vas pas m’emmerder avec ça toi aussi… » supplia-t-elle le canadien d’un air presque suppliant alors que de son côté, Rob insistait du regard pour ne surtout pas qu’il cède.

Maureen n’était pas en soi inquiète mais elle avait toujours trouvé beaucoup plus simple de faire l’autruche que d’affronter les médecins. Ce n’est pas parce qu’elle avait réussi des études de médecine qu’elle aimait particulièrement côtoyer les hôpitaux, surtout depuis qu’elle savait qu’elle ne serait sûrement jamais amenée à y travailler. Dur paradoxe, pour quelqu’un d’aussi doué que l’irlandaise. « Vous n’avez pas encore vécu suffisamment avec ma fille pour savoir qu’elle refuse de consulter pour le fait qu’elle soit insomniaque et qu’il lui arrive souvent de s’évanouir d’épuisement. » Et c’était reparti. Pour sûr, son père n’allait pas la lâcher d’une semelle et bientôt, cela deviendrait insupportable. « Je te rappelle que j’ai vingt-sept ans, pas cinq » coupa-t-elle froidement car elle n’avait aucune envie d’être conduite au pilori à vrai dire. « Agis comme une adulte, alors » reprit-il sur le même ton non sans capter l’habile manœuvre de son « gendre » pour apaiser l’atmosphère même si Maureen ne l’avait pas encore regardé dans les yeux. De toute évidence, elle ne serait jamais aussi expansive que d’ordinaire à moins que son père ne s’absente à nouveau. Maureen n’avait pas envie que quelqu’un d’autre qu’Azariel ait conscience de ses sentiments, et ce bien que ceux-ci ne cessent de croître de jour en jour. « Parce que ma mère a eut deux grossesses très difficiles il est persuadé que ça va faire pareil avec moi. Arrête de lui faire peur, bordel ! » « Je te prierais de mesurer ton vocabulaire, jusqu’à preuve du contraire je suis toujours ton père ! » Azariel avait bien essayé de la faire capituler mais un O’Connor ne capitule jamais, c’est bien connu. Sinon ce n’est pas drôle. Mais la vérité, c’est que la jolie blonde avait effectivement peur d’apprendre qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas ou de savoir qu’elle allait devoir rester allongée des mois. Ce discours lui déplairait fortement… voilà pourquoi elle ne parvenait pas à réagir autrement qu’en mode tête de mule.Azariel avait aussi fait le rapprochement.