Nalani avait cru dur comme fer que son cauchemar s’était arrêté le jour où son agresseur s’était retrouvé derrière les barreaux. Elle avait réussi à avancer et replonger immédiatement dans le grand bain new-yorkais, avait accepté de quitter son île où elle était tant en sécurité et où il ne pourrait rien lui arriver et avait tenu tête à son père qui refusait de laisser sa petite fille chérie seule après une telle épreuve. Mais ce n’était pas dans son tempérament d’être faible et de se laisser bouffer par la peur. Elle avait survécu, la vie lui offrait une seconde chance… Pourquoi ne pas en profiter alors ? Elle ne pouvait pas rester cachée dans sa chambre pour toujours, il fallait qu’elle avance et qu’elle croque la vie à pleines dents. Remonter en selle après une chute à cheval était le meilleur moyen d’effacer la peur de tomber à nouveau. Eh bien s’était exactement ce qu’elle avait fait. Puis franchement, le tueur sous les verrous, quelles étaient les chances pour qu’elle tombe aux mains d’un second psychopathe ? Très mince, tout comme l’étaient celles de se faire attaquer une première fois par un tueur en série. Elle se répétait qu’elle ne risquait plus rien. Elle n’avait plus peur et ne se retournait pas tous les deux minutes quand elle marchait seule dans la rue, ne prenait pas tout homme qui la suivait comme un potentiel agresseur… Non, elle ne se laissait pas dévorer par la paranoïa. Cette philosophie de vie lui avait très bien réussi jusqu’ici et sa force et son courage forçaient l’admiration de son entourage.

Seulement, quelques semaines auparavant, il y avait eu un petit… incident. Elle était sortie avec des Julia et des amies, les mêmes que lors de ce fameux soir… Elle avait craqué sur un garçon, enfin, un homme, il avait quand même l’air beaucoup plus âgé qu’elle mais cela ne lui avait pas posé de problème. Elle était donc allée le voir, bien décidée à prendre sa vie en main. Draguer n’était pas une des choses qu’elle aimait faire, elle ne l’avait même jamais fait… Elle avait donc été un peu maladroite mais cela ne lui avait pas gâché ses chances, au contraire. Elle avait réussi à attirer l’homme dans ses filets et tout s’est très vite accéléré. Trop vite pour elle. Il s’était montré beaucoup trop entreprenant à son gout, elle s’était sentie oppressée et avait échappé de peu à une crise de panique… L’homme lui, n’avait pas compris tout de suite ce qu’il lui arrivait et ne s’était pas arrêté, continuant à l’embrasser. Elle avait finalement réussi à se dégager puis s’était enfuie pour rentrer chez elle et s’enfermer à double tour. Des images de son agression lui étaient revenues en mémoire et elle avait eu l’impression de vivre son cauchemar une nouvelle fois. La jeune femme était donc allée porter plainte. Elle n’allait pas le laisser comme ça, qui sait s’il n’allait pas faire ça à une autre fille ? Personne ne méritait de vivre ce qu’elle avait vécu.

Aujourd’hui, Nalani avait fini les cours un peu plus tôt et avait décidé de profiter un peu du beau temps qui revenait pour sortir se balader. Elle était supposée retrouver Shanice et Zola un peu plus tard pour aller au zoo et en attendant, elle avait décidé d’aller se chercher un café. Arrivée devant le café, elle vit quelque chose qui la fit immédiatement faire demi-tour : l’homme qui avait essayé de l’agresser quelques semaines plus tôt. Elle avait croisé son regard et tous ses muscles s’étaient immédiatement tendus, son cœur avait manqué un battement. Il n’en avait pas fallu plus pour qu’elle s’enfuie.

Nalani avait vécu le pire moment de sa vie en ce soir de juin 2012. Elle n’en avait pas énormément de souvenirs, son cerveau voulait sans doute la protéger du traumatisme qu’une telle chose pouvait causer, mais il lui arrivait d’en avoir des bribes qui revenaient de temps en temps et qui la terrifiaient vraiment. Elle avait décidé de ne pas vivre dans la peur et la paranoïa et elle avait plutôt bien réussi jusqu’ici. Enfin jusqu’à un nouveau soir il y a quelques semaines où elle avait bien cru que son cauchemar allait recommencer. Heureusement, elle avait réussi à s’enfuir avant que les choses ne s’aggravent vraiment mais depuis ce soir-là, elle avait revu des images de son agression encore plus souvent qu’avant, et plus intensément aussi. Elle avait porté plainte et essayé d’aller de l’avant mais elle ne voulait vraiment pas retomber dans l’enfer qu’avaient été les jours qui avaient suivi l’agression. Elle croyait tout ça derrière elle mais non, à croire qu’elle avait vraiment la poisse ! Elle en fut d’ailleurs convaincue quand elle tomba sur son dernier agresseur complètement par hasard, en allant se chercher un café. Son cœur s’était emballé et elle avait décidé de fuir avant de commencer à vraiment paniquer. Elle voulait juste voir Shanice, elle saurait la calmer et la rassurer. Seulement elle n’eut pas le temps de la rejoindre que l’homme l’avait rattrapée. Il avait même attrapé son bras ce qui la força à se stopper. Il voulait terminer son « travail » ou quoi ? « Ne criez pas par pitié je ne vous veux pas de mal, la dernière fois c’était un moment de pur égarement je n’ai jamais fait de mal à une mouche ce n’est pas maintenant que ça va commencer… Je suis désolé de vous avoir fait peur mais je vous promets que je ne voulais pas vous forcer la main… » Elle essaya quand même de se débattre mais ne cria pas. Elle avait vraiment peur pour le coup même s’il lui disait qu’elle ne devrait pas. Elle ne sut pas pourquoi mais elle se calma petit à petit. Elle pouvait bien lui laisser une chance de s’expliquer. Par contre, peu importe ce qu’il dirait, elle lui en voudrait toujours autant de lui avoir fait peur de la sorte et de lui avoir fait revivre tout ça. « Allez y ! Courrez chez les flics pour leur raconter que je vous ai de nouveau agresser, je ne vous retiens pas ! Vous ne ferez qu’une orpheline de plus, une petite fille qui vient de perdre sa mère, sa mère ma meilleure amie qui m’a donné son poumon pour que je vive, et petite fille qui n’a plus que moi pour l’élever… J’ai abusé, je le sais, je n’avais jamais fait cela auparavant, je ne suis pas un dangereux bonhomme méchant à souhait… » Nalani le regarda un peu perdue tout en essayant de digérer tout ce qu’il lui disait. « Oui eh bien ça, il fallait y penser avant. Vous n’aviez aucun droit de faire ça et vous n’avez aucune excuse. Vous comptez m’attendrir avec cette histoire de petite fille ? Je n’ai même rien compris à vos explications et je m’en fiche, je sais juste que vous m’avez fait du mal et il n’y aucune raison pour que vous vous en sortiez comme ça ! » Il avait apparemment des problèmes dans sa vie mais ce n’était pas pour ça qu’elle devait payer ! Elle s’était sans doute trouvée au mauvais endroit au mauvais moment mais ça n’excusait en rien son comportement. Il n’avait aucune idée de ce qu’elle avait vécu et elle ne tenait pas à lui expliquer, elle voulait juste qu’il la laisse tranquille. « Laissez-moi tranquille ou je vais vraiment mettre à crier. » dit-elle en lui lançant un regard noir.

Nalani avait eu la seconde plus grande peur de sa vie en croisant tout à fait par hasard le regard de celui qui l’avait agressé peu de temps auparavant. Enfin, troisième, la deuxième était quand il l’avait agressé. Presque agressé, il ne s’était rien de passé concrètement, elle avait réussi à s’enfuir avant qu’il n’aille trop loin. Mais il l’avait quand même touché et elle avait vraiment senti qu’il avait eu l’intention de lui faire du mal… Après, peut-être qu’elle avait fait l’amalgame entre lui et l’homme qui avait tenté de la tuer en juin dernier, peut-être que la peine avait un peu faussé son ressenti mais bon elle se disait que si elle ressentait ça, ce n’était pas pour rien. La jeune femme s’était enfuie immédiatement. Tant pis pour son café, elle voulait juste retrouver Shanice et se sentir en sécurité. Seulement, l’homme lui avait couru après et il la retenait à présent. Elle fit tous les efforts du monde pour le laisser s’expliquer. S’il voulait s’excuser pourquoi pas, c’était toujours plus que ce que lui avait donné son premier agresseur. L’homme voulait qu’elle retire sa plainte. C’était délicat. Il fallait qu’elle prenne sa décision toute seule, elle devait réfléchir, ce n’était pas si simple… Mais elle ne voulait en aucun cas qu’il lui force la main. « Je suis un connard oui. Je n’ai pas d’excuse, je le sais. Je dois avoir honte, c’est déjà fait. Je ne sais pas quoi vous dire de plus alors je ne vais pas vous retenir longtemps ! Je n’ai jamais fait cela à personne et je ne comprends pas ce qu’il m’a pris à ce moment-là. Je ne vous demande pas de me pardonner, je ne me pardonne pas moi-même. Je vous demandais juste de faire un geste pour ma filleule, une petite fille qui vient tout juste de perdre sa maman après que son papa l’ait abandonné et qui n’a plus que moi ! Je sais que s’est trop vous demander mais j’avais un peu d’espoir… L’espoir aussi que vous compreniez que je m’en veux de vous avoir fait cela et de vous avoir fait peur ! » La jeune femme le regarda dans les yeux, ne quittant pas son air dur. « M’avoir fait peur est un euphémisme. Si vous saviez tout ce que j’ai vécu auparavant, vous comprendriez ma réaction. J’en ai juste marre que ça tombe encore sur moi ! Il y avait des tas d’autres filles ce soir-là mais non, il a fallu que ce soit moi ! Pourquoi hein ?! » Nalani sentit ses yeux se remplir de larmes. Elle ne lui posait même pas la question, c’était une question plus rhétorique qu’autre chose. Sa frustration, sa peur sortaient enfin. Elle commençait à peine à évacuer et il ne devait pas vraiment comprendre. Les larmes coulaient sur son visage à présent et elle essaya de s’essuyer les yeux avec sa manche du mieux qu’elle put. « Je ne vous retiens pas… bonne journée… » Elle se stoppa net. « Je connais les hommes comme vous, c’est facile de faire l’agneau comme ça devant et de se retransformer en loup la nuit venue. Je ne peux pas prendre le risque que vous vous en preniez à une autre fille. » Elle ne savait vraiment pas si elle devait lui faire confiance. « Admettons que je retire ma plainte hein, qu’est-ce qui me prouve que je ne vais pas le regretter ? Personne ne mérite de vivre ce que j’ai vécu. »

« Je me suis aussi souvent demandé pourquoi les choses peu plaisantes tombent sur moi… Je n’ai jamais trouvé la réponse, et je n’ai pas la réponse dans votre cas non plus. Si je vous ai approché ce soir-là c’est bien parce que vous êtes jolie et pour passer un agréable moment, pas pour vous faire passer une mauvaise soirée ou vous rappeler de mauvais souvenirs. Je ne sais que m’excuser mais rien n’efface ce que j’ai fait. Je ne sais plus quoi vous dire vraiment… » Nalani soupira. Elle se serait presque crue dans la compétition de celui ou celle qui avait la vie la plus merdique. Elle n’aimait pas utiliser ce qui lui était arrivé comme un excuse pour quoi que ce soit, elle n’aimait pas laisser ses malheurs la définir et elle ne le ferait jamais. Seulement, là, elle avait le sentiment que quelqu’un s’acharnait sur elle et elle n’avait pas mérité ça. Si elle avait pu s’empêcher de craquer devant cet homme, elle l’aurait vraiment fait, il n’avait pas à la voir encore plus vulnérable qu’elle semblait déjà et elle ne voulait pas inspirer sa pitié encore plus. Elle ne fit même pas attention aux compliments qu’il venait de lui faire, c’était selon elle juste un moyen de l’attendrir un peu. « Eh bien ne dites rien. » Elle n’avait plus envie de l’entendre parler, il ne faisait que l’embrouiller et l’apitoyer en lui racontant sa pauvre vie misérable. Mais elle ne voulait pas compatir pour lui, pas après ce qu’il lui avait fait subir. Elle avait beau être gentille, elle était également rancunière et n’oubliait pas facilement. « Personne ne mérite de vivre ce que vous avez vécu, personne ne mérite d’être la victime du moment d’égarement que j’ai eu … J’en suis conscient. Je sais aussi qu’une petite fille ne mérite pas d’être placée en orphelinat mais pour ça je ne peux m’en prendre qu’à moi-même… Quant au fait que je suis un loup, vous avez raison, je suis un homme qui aime les femmes, les femmes consentantes, les femmes qui se donnent à moi… Pas les femmes qui me résistent… » Voilà qu’il continuait… La jeune femme ne put s’empêcher de lever les yeux au ciel, puis les ferma histoire de se calmer un peu. Un peu mieux et elle l’aurait frappé… doucement. Elle voulait juste qu’il se taise et arrête d’essayer de lui embrouiller l’esprit. Elle ne savait plus quoi penser et était partagée entre l’envie de lui faire payer tout ça et l’envie de l’écouter par rapport à cette fameuse petite fille qui n’avait plus que lui et dont il n’arrêtait pas de parler. Il n’avait pas le droit d’utiliser cette carte-là ! Quelqu’un devait bien payer pour ce qu’il lui avait fait. « Ah oui parce qu’il est clair que je n’ai pas résisté hein. » répondit-elle ironiquement. « Je suis désolée pour cette petite fille, vraiment. Mais je ne vois pas pourquoi je vous laisserai vous en aller comme ça, chacun doit payer pour le mal qu’il cause. » Tant pis si elle passait pour une personne sans cœur et cette petite n’y était pour rien mais elle ne pouvait pas se résoudre à laisser passer ça, elle avait souffert. « Enfin… Votre combat est honorable, je me suis battu pendant dix ans pour servir mon pays pour une noble cause… C’est bien de défendre chaque cause que l’on croit bonne. » « Arrêtez de parler d’accord ? Je n’arrive pas à réfléchir. » Elle ne savait vraiment pas quoi faire.