« Et dis moi tu as quelque chose de prévu ce soir ? Une petite soirée dans un petit truc branché avec un peu de musique ça te dit j’ai envie de me défouler… » J’étais censée répondre quoi ? Et comment on en était arrivées là déjà ? Norah voulait sortir se défouler dans un truc branché, vraiment ? C’était inattendu. Si j’étais allée la voir, c’était justement parce que je pensais qu’elle serait la dernière personne au monde à me proposer de sortir. Je restai sans rien dire pendant un moment. Ça m’avait vraiment surpris, à tel point que j’en étais à me demander si elle ne me faisait pas une blague. D’un certain côté, c’était difficile de refuser : pour une fois que Norah voulait sortir, Norah la jolie timide que j’avais rencontré à la séance dédicace d’un de mes auteurs préférés, Norah si douce et si introvertie si bien qu’elle en devenait presque sacrée, presque intouchable, et elle inspirait à tous ceux qui la connaissaient comme cette envie de la protéger contre l’horreur du monde dont elle avait déjà dû être la victime. De quoi j’aurais l’air si je disais non ? Si j’avais l’occasion de voir une facette de cette fille que je ne connaissais pas, c’était bien en acceptant sa proposition. D’un autre côté, pour être parfaitement honnête avec elle, j’aurais plus vite fait de refuser… Vu ma soirée d’hier…

J’avais ouvert les yeux difficilement, me promettant pour la millième fois de ne plus boire d’alcool au-delà de mes limites : je ne me souvenais de rien. A la base, j’étais censée retrouver Arthur dans un bar que je ne connaissais pas, et l’invitation n’annonçait pas une soirée arrosée dont on se rappellerait toute notre vie : je l’avais vu, et je ne me rappelai plus la suite. C’était blackout total entre le moment où je l’avais rejoint, et ce matin, où mes paupières encore lourdes et ma tête encore douloureuse m’avaient tirée de mon lit, dans un effort incommensurable. Je n’avais plus la notion du temps, je ne savais pas quelle heure il était. Les rayons du soleil qui transperçaient le verre de mes fenêtres m’aveuglaient et me tapait sur la crâne comme si on avait essayé de m’enfoncer une vis de la taille d’une bouteille d’eau dans la nuque. Je fus contrainte de mettre des lunettes de soleil. Je n’étais pas une très grosse fêtarde. Je n’avais pas l’habitude des soirées alcoolisées, et les rares fois où elles étaient le programme de ma soirée, c’était parce que Vladimir et Dante avait rejoint un groupe d’ami dans une boîte branchée et m’avaient appelée pour que je vienne avec eux. La soirée d’hier allait être laborieuse à reconstituer, et j’hésitai même à appeler Arthur, mais me rétractai à la dernière seconde : et s’il dormait ? et s’il était rentré avec une fille ? et si j’avais des trucs trop embarrassant dont même lui n’oserait pas me tenir au courant ? Je me déplaçai difficilement vers le salon, croisant Dante et Vlad qui ne manquèrent pas l’occasion trop belle de se moquer de mon allure de zombie. Sans relever, je me fis couler un café, un bain ensuite, puis je fis couler le temps. « Il est quelle heure ? » demandai-je aux gars. Ils me répondirent à l’unisson par un “tard” qui ne voulait rien dire. Rappelez-moi pourquoi on n’avait pas d’horloge dans cette foutue salle de séjour ? Si mon bain m’avait fait le plus grand bien, mon café était abject. Je dû attendre encore une heure avant de trouver la motivation suffisante pour m’arranger les cernes et le maquillage qui avait coulé, et sortir boire un café digne de ce nom. Norah travaillait au Starbucks. Avec un peu de chance – qui sait ? – elle m’avait croisé hier soir ? Même si j’en doutais fort, j’avais là un bon prétexte pour lui rendre visite, c’était une fille pour qui j’avais beaucoup de sympathie, ce qui était rare chez moi : elle me touchait, par son naturel et sa douceur, deux qualités que je retrouvais rarement chez filles aujourd’hui. « Hey Winnie ! Tu as de la chance que ça soit toi autrement tu aurais eu la tête de la serveuse qui a envie de fermer après une longue journée ! » Elle avait dit “longue journée” ? Bon, il était effectivement tard, donc. J’avais perdu la notion du jour et de la nuit également, je m’étais déplacée dehors comme une silhouette errante sans savoir si j’étais éclairée par le soleil ou par la lune. J’espérai quand même que je ne la dérangeais pas trop. Je m’approchai d’elle, pour lui faire la bise en lui demandant « Tu n’aurais pas l’heure par hasard ? ». J’aurais poliment pu lui proposer de repasser demain, mais ça ne me traversa même pas l’esprit. J’allai m’asseoir et lui fit signe de me rejoindre lorsqu’elle aurait fini de tout ranger. J’aurais également pu lui proposer mon aide. Je n’avais plus la notion de rien. « Je veux bien un café oui, et… » Politesse, Winnie. Gentillesse, solidarité, aide. Je n’avais jamais réussi à intégrer tout ça, mais si Norah avait passé la journée à bosser et moi à dormir, je lui devais au moins ça. « Va t’asseoir, c’est moi qui fait le café aujourd’hui. » Je me levai et passai derrière le bar pour exécuter la tâche. « Je suis venue te voir aussi » lui dis-je en tentant de sourire, ce qui demandait un effort considérable étant donné que mes muscles de la mâchoire étaient tout engourdi. Bon sang mais qu’est-ce que j’avais fait hier soir ?!

Et de fil en aiguille on en était arrivé à ça : est-ce, oui ou non, j’allais accepter de sortir avec Norah ce soir ? Rendez-vous compte la difficulté de la décision pour moi à cet instant précis. Mais si je devais refuser, il fallait au moins que je propose autre chose : « Tu… Tu y tiens vraiment ? Je pensais plutôt à une soirée posée au coin du feu ce soir, je t’avoue… Je crois que je n’ai pas la force de me déhancher ce soir… ! » Je croisai les doigts pour qu’elle ne soit pas déçue. D’un certain côté, une vraie soirée avec Norah aurait pu s’annoncer une soirée pleine de découvertes et d’apprentissages : c’était quand même une situation dans laquelle je ne l’aurai jamais imaginée…