Nouveau gala, nouveau calvaire. Inutile de mentir, chaque seconde à supporter tous ces rires absolument faussés, ces salamalecs insupportables conduisait Elvia à vouloir se pendre haut et court pour ne surtout pas avoir à continuer à feindre d’être dans son élément. Au final, le seul élément qu’elle pouvait aimer plus que n’importe quel autre, c’était la glace. Celle-ci lui manquait diablement, de même que ses patins, alors qu’elle faisait tournoyer le whisky se trouvant dans le fond de son verre. Son père la surveillait non pas d’un seul œil mais des deux, de peur qu’elle ne se fasse la malle comme lors de son précédent gala. Pourtant, s’il savait à quel point elle se moquait de ce qu’il pouvait bien faire pour redonner un peu de nouveauté à ce maudit quartier dont elle avait déjà oublié le nom… Elvia détestait New York. Elle n’y voyait que la ville l’ayant emprisonnée dans un mensonge qu’elle ne supportait plus depuis un lustre, et qui l’éloignait sans arrêt un peu plus de sa chère ville natale en Suisse. Parfois, elle avait le plaisir de s’exprimer en français juste pour s’amuser de la réaction de ses interlocuteurs, ne comprenant jamais rien à ce langage barbare qu’elle utilisait… mais comme à chaque fois qu’elle faisait preuve de ce genre de fantaisie, son père la rappelait à l’ordre et une fois qu’ils étaient seuls dans l’immense maison possédée par la famille Sprüngli-Schwarz, Elvia se prenait la gifle de sa vie. Ce soir ne ferait sûrement pas exception étant donné qu’elle enchaînait les verres comme les soupirs afin de s’anesthésier elle-même contre cette redoutable soirée. Plusieurs speechs avaient été faits, mais elle aurait été bien incapable de dire ce qui avait été dits puisqu’elle n’en n’avait pas écouté un seul mot. Sa soirée était destinée à être mortelle… du moins jusqu’à ce que son beau regard noisette ne se pose sur lui. Cet homme avait une classe telle que même elle, dans son costume hors de prix, ne pouvait rivaliser. Une sorte de silence avait d’ailleurs comblé l’atmosphère et coupé la chique de cet énième abruti en train de parler au micro pour assommer son auditoire. Lui, c’était Leroy Windsor, prince de Galles, se montrant régulièrement aux galas du même genre, mais jamais en compagnie de son épouse. Sans savoir pourquoi, Elvia se sentait diablement attirée par cette image même de la classe à l’état pur. A ceci près que ce soit, disparaître dans un trou de souris aurait été préférable étant donné la quantité d’alcool qu’elle avait déjà ingéré.

La jolie championne s’apprêtait d’ailleurs à prendre la poudre d’escampette au moment où il s’était dirigé vers le bar, après avoir expédié non sans une maîtrise absolue les quelques salutations obligatoires. Manifestement, il semblait être aussi ravi d’être là qu’elle ne l’était. Pour la peine, Elvia appuya légèrement sur ce sempiternel chapeau qu’elle mettait en cas de soirée pour dissimuler sa longue chevelure blonde, et ce en vue de libérer ses magnifiques yeux. L’avait-il reconnue ? Difficile à dire, il devait voir tellement de monde lors de ses apparitions… « Je ne saurais trop vous conseiller le whisky écossais, votre altesse. L’irlandais risque de vous paraître trop fumé. » C’est ça, et dit lui que sa petite gorge va être irritée pendant que tu y es ! Elvia n’était pas timide ni maladroite d’ordinaire. Mais face à tant de prestance, elle finissait par l’être… surtout qu’il ne ménageait pas sa froideur en sa présence d’habitude. Ce soir serait-il différent ?

Face à la première réponse du prince, aussi froide qu’une avalanche dans les Alpes Suisses, Elvia eut un léger mouvement de recul avant d’ingurgiter une nouvelle gorgée de son propre verre non sans en recommander un. « C’était une pure suggestion » se défendit-elle avec un brin plus de froideur dans sa propre voix, alors qu’elle observait la collection impressionnante de bouteilles exposées pour passer son propre trouble. Elle n’imaginait strictement rien avec ce prince imprenable, déjà marié, et souvent aussi froid qu’un glaçon en sa présence. Le pire, c’est qu’elle ne l’avait jamais vu être ainsi en compagnie de son père… il usait de courbettes et de sourires, souvent faux, mais ne lui faisait aucunement l’honneur du plus petit sourire. Au contraire, il semblait le défier à chaque regard, et le rembarrer avec une politesse diablement énervante dès qu’il en avait l’occasion. Elvia était-elle devenue son punching ball sans même le savoir ? Quoi qu’il en soit, les doigts crispés sur son verre, elle tâchait de dominer sa respiration devenue anarchique. Par chance, les battements irréguliers de son cœur ne pouvaient pas s’entendre à cause de l’orchestre présent… quelle chance ! « Il semble que votre propre joie soit à son comble, je me trompe ? » Finalement, elle était devenue experte de l’art très noble consistant à répondre à une question par une autre. Puisqu’il lui faisait l’honneur de la regarder, elle n’échappa pas à cette toute petite « corvée », bien que ses yeux d’une magnifique couleur noisette se soient faits légèrement plus durs et brillants. « Je n’ai pas souvenir que vous m’ayez fait l’honneur de votre sourire le plus faux de la soirée. Il faut croire que j’ai l’insigne chance d’avoir un véritable glaçon royal en face de moi, quelle aubaine ! » Elvia n’avait pas pu se maîtriser et se mordilla aussitôt la lèvre pour avoir parlé de façon si impulsive. D’ordinaire, elle était maîtresse d’elle-même… mais tout premier un angle, une couleur et un goût différent lorsque Leroy était dans les parages. Une raison parfaitement inexplicable se jouait derrière tout ceci…

« Tout le monde n’est pas marié ou accompagné de quelqu’un, bien que je doive admettre que je cherche encore votre charmante bourgeoise. Peut-être qu’une chute de reins serait plus aimable que vous, c’est évident. Santé, au fait. » Elvia leva son verre sans grande envie, non sans déglutir avec difficulté au final. Ne pas craquer, surtout ne pas craquer, c’était une chose dangereuse pour son cœur déjà fragilisé médicalement parlant.

Pour un peu, Elvia se surprit à devoir contrôler un large sourire satisfait face à l’aveu de Leroy : ainsi, il n’était pas amoureux de sa femme et s’en fichait ? A la bonne heure, comme dit l’autre ! La jolie suisse n’aurait pas pu ressentir davantage de satisfaction et somme toute, cela illuminait sa soirée. Elle s’attendait à devoir supporter une véritable horreur, mais fatalement, même être un défouloir pour le prince restait une alternative bien meilleure. Alternative qui changea brusquement lorsqu’il se fendit d’un sourire sonnant absolument vrai, arrachant à Elvia une légère expression surprise avant qu’elle ne se décide à le lui rendre. Il faut dire qu’un sourire véritable de la part de la jeune femme était un vrai bonheur. Ses traits de poupée de porcelaine s’étiraient pour laisser s’échapper une impression de béatitude, qu’elle était pourtant très loin de ressentir, mais qu’elle cherchait toutefois à transmettre à l’homme si imposant lui faisant face sans crainte. Hélas pour elle, son obligation restait la même ; aux yeux du prince, elle n’était autre qu’Evan, un héritier de plus sans aucune valeur et avec qui il feignait sûrement d’être aimable. Pour un peu, l’avoir mouché ne servait pas à grand-chose… « Disons que pour une fois, je me laisse le choix » répliqua-t-elle avant d’engloutir l’intégralité de son nouveau verre d’une seule traite. Le liquide lui brûlait certes la gorge, mais c’était une divine impression par rapport à l’horreur que lui faisait vivre son père. Leroy n’avait simplement pas idée, du haut de son rang mondialement connu… « Nous sommes tous le pantin de quelqu’un. Vous êtes celui de votre rang et de votre mariage d’après ce que vous laissez sous-entendre, je suis celui de mon père quand il veut exposer une belle gueule bien en avant histoire de se faire valoir. Pour un peu, tiendrais-je une pancarte avec « je suis le fils de » que ce ne serait pas moins efficace… pantin silencieux, évidemment. Le droit à la parole, c’est un luxe qu’il est difficile d’avoir, votre altesse en conviendra. »

Elvia secoua légèrement la tête vis-à-vis de l’air désabusé qu’elle venait de prendre. Bien piètre façon de lui prouver qu’en fait, elle possédait une valeur ! Après tout, qu’en avait-il donc à faire ? Il devait ne penser qu’au fait de retourner voir son fils afin de se faire pardonner son absence… « Puisque vous êtes au bar à discuter avec quelqu’un n’ayant rien à voir avec votre venue ici, pourquoi ne pas vous éclipser pour retrouver votre fils ? Ces ventripotents dégarnis seront bientôt tellement saouls qu’ils ne remarqueront probablement pas votre présence. C’est un pari à tenter. »

« Je crois que la réponse est aussi évidente pour moi que pour vous… on veut tous pouvoir parler par nous-mêmes. De même que l’on veut être aimé et… du chocolat. » Elvia esquissa un bref sourire amusé non sans manquer de s’étrangler avec la gorgée qu’elle était en train de boire alors que Leroy reprenait la parole. Venait-il lui proposer de s’échapper de cet enfer ensemble ? Se contrôler, surtout ne pas rougir ! Après tout, le prince ne venait pas de la demander en mariage, juste de s’éclipser en sa compagnie afin de ne pas éveiller les soupçons… malin, parfaitement à son image même. « Soyez mon alibi et je serais le vôtre » énonça-t-elle simplement avant de lui serrer la main avec enthousiasme et de faire mine d’être en grand conciliabule avec le prince tandis qu’ils se dirigeaient vers la sortie mine de rien. Elvia connaissait trop bien son père, cela dit. Il n’allait pas croire une seconde que Leroy se soit intéressé à sa fille, surtout déguisée en homme de cette façon. Il fallait surtout qu’ils se dépêchent et pour cela, hors de question d’attendre quelque chauffeur que ce soit… la jolie suisse incita son acolyte du moment à la suivre jusqu’à ce qu’elle n’aperçoive la limousine réservée à son père. Le chauffeur habituel devait être allé boire un petit verre en attendant que la soirée ne se termine, comme toujours, aussi se mit-elle à chercher les clefs dans l’emplacement voiturier comme si elle avait fait cela toute sa vie. Somme toute, la patineuse n’avait jamais manqué de ressource… bien qu’elle n’ait jamais « réquisitionné » de voiture avant aujourd’hui. « Clefs trouvées ! Suivez-moi et soyez discret, surtout… »

A vrai dire, Elvia ne savait pas elle-même pourquoi elle faisait preuve de temps d’acharnement à le voir retrouver son fils. Depuis quand le connaissait-elle au point de prendre de tels risques ? Très peu de temps. Mais son attirance parlait à sa place, tant et si bien qu’elle n’hésita pas une seconde à prendre place du côté conducteur avant de manœuvrer la limousine comme s’il s’agissait d’une seconde nature. Elle ne manquait pas de ressources, c’était une évidence désormais ! « Il va falloir me guider car je n’ai aucune idée du coin où vous habitez… quelque part, je trouve cela particulièrement jouissif d’imaginer mon père prendre un taxi. Voilà qui le ramènera auprès du commun des mortels… navrée si vous me trouvez cruelle. Je vais vous déposer au plus vite auprès de votre fils et je rentrerai moi-même. Je suppose que cet engin doit avoir un GPS ? »

Elvia tentait de se concentrer sur sa conduite, sur la route se profilant à l’horizon sans risquer de devenir un véritable danger public, mais ce n’était pas une chose aisée. Il faut dire que la limousine était particulièrement longue et difficile à manœuvrer, sans oublier le fait que l’avenue qu’ils venaient juste d’emprunter était blindée de voitures à cette heure-ci. Ce n’est pas pour rien que New York était considérée comme LA ville ne dormant jamais… Leroy ne lui facilitait pas non plus la tâche en lui proposant ni plus ni moins de lui offrir un abri pour la nuit. Elle lui lança un regard incrédule et surpris, comme s’il fallait qu’il la pince de toute urgence pour lui garantir qu’il ne s’agissait pas d’un rêve. Certes, la donne était dangereuse. S’il venait à découvrir que sous ces oripeaux masculins se cachait une femme, la jolie suisse peinait à deviner quelle catastrophe cela pourrait être. Néanmoins, un léger sourire amusé se dessina bientôt contre ses traits fins avant qu’elle ne doive violemment braquer le volant pour éviter la collision avec une voiture… il l’avait déconcentrée, c’était donc SA faute à LUI ! « Vous me donnez quel âge pour ne plus aimer les dessins animés ? Je ne suis pas si vieux ! Et d’ailleurs, j’ai tellement peu souvent l’occasion, ou même l’autorisation de regarder de telles choses que ça me changera. Mon père considère que ça abrutie le cerveau des gens convenables… n’allez pas penser que tous les Suisses sont aussi bornés, surtout ! » Elvia haussa légèrement les épaules avant de tourner à l’angle indiqué par les bons soins de Leroy. Avec un peu de chance, ils allaient arriver à bon port à peu près saints et saufs…

« Merci de m’offrir cette alternative. Ca vous paraît peut-être égoïste que je n’ai même pas hésité une seconde lorsque vous m’avez proposé ceci, mais… je vous avoue que tout ce qui peut m’éloigner de ce monde de requins est bon à prendre. Et puis je vous avoue qu’imaginer un prince en train de faire du pop corn pour son fils doit valoir son pesant de cacahuètes en plomb ! N’ayez crainte… je suis une tombe. » Elvia esquissa un petit rire légèrement plus aiguë qu’elle ne l’avait souhaité de prime abord non sans continuer de se concentrer sur sa conduite. Lorsqu’elle apprendrait à Lawrence qu’elle avait chipé la limousine de son père ET qu’elle l’avait conduite elle-même histoire de lui échapper… elle sentait le sermon d’ici. Mais hélas, il aurait raison. « Je suis virtuose du chocolat chaud. Ce sera ma manière de vous remercier ; vous faites le pop-corn, je m’occupe du chocolat. Votre fils ne va pas être perturbé, j’espère ? »

Elvia ne prononça pas le moindre mot une fois à l’intérieur de cette bicoque impressionnante. Elle se laissa volontiers porter par les évènements et entraîner jusqu’au salon par le fils de Leroy qui semblait la détailler avec un intérêt tout particulier. Il faut dire que si elle avait pris la peine d’enlever sa veste de costume, elle n’ôta évidemment pas le petit chapeau qu’elle portait ; et pour cause, celui-ci l’empêchait de se trahir en démontrant la longueur pourtant impressionnante de sa chevelure blonde. Les deux nouveaux acolytes choisirent plusieurs Disney, dont le dernier sorti, Rebelle, enthousiasmant particulièrement l’enfant qui sautillait rien qu’à l’entente du nom. Elle prit chaque DVD dans l’armoire en bois avant de les déposer sur la table basse et laisser Connor lire chaque résumé avec acharnement. « Je vais m’occuper du chocolat chaud… tu veux bien ? » « Oh oui ! » s’exclama-t-il en frappant légèrement dans ses petites mains potelées. Elvia s’éclipsa donc sans regret afin de rejoindre Leroy dans la cuisine, tout à s’affairer pour préparer le pop-corn. Il avait l’air d’avoir l’habitude, somme toute, et la jolie suisse s’étonna que son fils n’ait pas de mère pour s’occuper de ce genre de chose ou même pour regarder des dessins animés avec lui. D’ordinaire, probablement aurait-elle fait preuve de discrétion, mais pour le coup, la curiosité dépassait de très loin son habituelle pudeur. « Vous avez besoin d’aide ? Je peux m’occuper du chocolat comme nous avions convenu, si vous le souhaitez. » Elvia s’avança davantage, remontant ses manches face à la future besogne l’attendant et espéra que le prince ne lui indique où se trouvait les différentes choses, et notamment une casserole pour y faire un bon chocolat fumant à réchauffer le corps le plus froid qui soit.

« Je vous pensais marié » commença-t-elle de façon presque un peu trop brusque. « Vu que vous avez un emploi du temps chargé et que beaucoup de monde attend votre présence à des soirées comme celle-ci… votre fils n’a pas de mère qui pourrait s’occuper de lui ? » Elvia ne pensait pas poser des questions ne la regardant pas, c’était fait histoire de peupler l’insupportable de silence les ayant à nouveau entourés. Elle n’avait jamais été très fan des situations gênantes du genre, et si elle avait écouté son instinct, probablement serait-elle sagement restée avec Connor jusqu’à ce que Leroy ne les honore de sa présence… mais il possédait quelque chose d’attirant dans tout ce qu’il dégageait. Quelque chose de fragile, de brisé. Loin d’elle l’envie de le passer au rayon x pour obtenir davantage de réponses, mais sa curiosité la poussait à beaucoup de maladresses. « Ce ne sont pas mes oignons, je crois… »

Pour un peu, Elvia aurait été capable de rester un moment bouche bée face aux différents aveux donnés par Leroy. Ainsi, il était marié à une femme qu’il ne semblait pas aimer, et dont il voulait même divorcer… mais plus important, il avait rêvé d’épouser une autre demoiselle, qu’il aimait cette fois-ci, et l’emploi du passé fit froncer les sourcils de la jolie suisse. Était-elle décédée ou partie pour faire sa vie avec quelqu’un d’autre ? Elvia n’avait pas encore cette réponse mais cela viendrait. Après tout, le prince, membre de l’illustre famille Windsor, commençait à se confier à elle, n’est-ce pas ? De son côté, la jolie patineuse avançait dans la préparation de ses chocolats chauds, même si ceux-ci avaient pris un brin de retard à cause du fait qu’elle était plus appliquée à écouter les confessions diverses de son interlocuteur plutôt que de se concentrer sur quelque chose lui semblant diablement intéressant par rapport… « Vous vous êtes marié contre votre gré… mais pourquoi divorcer brutalement comme ça ? Vous avez pour plan d’épouser l’autre femme dont vous parlez au passé ? » Ce n’était toujours pas ses oignons mais tant pis. Elvia avait l’air bien trop concernée pour faire marche arrière maintenant. Pire, elle avait à nouveau stoppé la préparation des chocolats pour s’avancer vers Leroy et lui lancer un regard légèrement inquisiteur… tout ceci la perturbait. « Vos parents seront toujours pour vous voir mariés, enfin je suppose qu’ainsi va le monde pour la royauté. Vous n’avez pas une sœur qui est dans le même problème ? Je crois avoir lu quelque part que vous aviez une sœur. »

La jeune femme s’écarta pour retourner à sa préparation, tout en sachant qu’un jour, son père serait capable de la marier au premier rustre venu… cela impliquerait bien évidemment de ne plus avoir à s’habiller en homme, mais cela impliquait également l’anéantissement de son rêve et l’abandon total de sa liberté tant voulue. En somme, elle préférait encore garder un statut quo vis-à-vis de sa situation actuelle… « Ca avance, oui… mais dites-vous que je suis dans le même bateau, la tête couronnée en moins. Le principe est le même pour les familles du même genre que la mienne… il ne faut jamais être seul au sommet. Cette simple idée me donne une intense envie de vomir. Je n’ai pas la moindre intention d’épouser qui que ce soit, et surtout pas quelqu’un que je n’aurais pas choisi. Surtout que je suis contre le mariage à la base. »

Durant tout le laïus de Leroy, Elvia demeura parfaitement silencieuse, ne se permettant pas de l’interrompre de peur de dire une connerie. Sa vie était loin d’être simple, celle-ci comportait même davantage de complexité que tout ce que le père de la jolie suisse osait lui imposer. Jamais encore il ne s’était permis de lui ordonner de se marier, et bien qu’il serait probablement tombé sur un os se faisant, Elvia bénissait le fait qu’il n’ait jamais eu cette idée saugrenue en tête. Au final, la vie du prince était un gigantesque gâchis, une véritable équation d’occasions manquées s’accumulant toujours au fil des années sans que rien ni personne ne les arrêtent de s’additionner. Pour un peu, la pimpante blonde se surprit à être désolée pour lui, bien qu’il n’y ait strictement rien qu’elle puisse faire pour aller contre, partant du principe qu’il était impossible que quelqu’un comme lui mérite quelque chose du genre. Pire, il semblait être un père aimant et aussi disponible que possible, il méritait donc en théorie d’être laissé tranquille et non assailli par les devoirs et autres choseries de ce genre. « Vous êtes son grand frère… d’un côté vous devez être son modèle, la personne qu’elle respecte même si c’est loin d’être évident, et d’un autre, comme vous mettez certainement le haut-là lorsqu’elle dépasse les bornes, vous êtes aussi son bourreau. C’est ce que l’on appelle l’adolescence, vous savez. Vous êtes bien passé par là, non ? » A ceci près qu’il n’y était plus depuis un moment, bien entendu. La preuve, un adolescent n’aurait jamais eu le réflexe de questionner Elvia en retour sur des sujets aussi personnels et marquants que ceux que Leroy en personne venait d’aborder. La jeune femme prit une grande inspiration, cessant de préparer ses chocolats chauds pour se concentrer sur sa réponse… devait-elle se confier ou inventer un bobard plus gros qu’elle ? Cruelle dilemme.

« Une femme heureuse, ah oui ? Difficile de vous croire alors que vous ne connaissez strictement rien de moi, vous ne croyez pas ? Je ne suis pas un personnage aussi public que vous, tout n’est donc pas marqué dans Closer me concernant ! » Elvia s’en amusait, d’ailleurs. Leroy pensait l’exact inverse de ce qu’il était censé penser en vérité à son sujet. Mais quelque part, cela l’arrangeait… son secret devait être jalousement gardé. « Je ne veux pas me marier. Je trouve cet engagement stupide et bien trop contraignant. L’amour est factice, faux, feint même de nos jours. On s’aime et se désaime aussi vite que l’on change de chemise… oh je sais, vous devez penser que mon discours est cynique… mais ai-je seulement tort ? » La jolie suisse détestait les engagements de long terme ne concernant pas le patinage artistique. C’était beaucoup trop lui demander, surtout qu’en l’état actuel des choses, c’était un engagement qu’elle ne pouvait pas prendre. Pas sous les vêtements d’un homme… « Mon père n’a jamais été marié. Mais d’une certaine façon il est veuf, à vrai dire » répondit-elle légèrement plus froidement. La mort de sa mère était douloureuse… même des années plus tard.

« Ne vous excusez pas, vous ne pouviez pas savoir » expliqua Elvia tout en haussant légèrement les épaules. Leroy n’était pas du genre à gaffer ni à mettre les pieds dans le plat impunément, du moins c’est ainsi que la jolie suisse le comprenait. Il donnait plutôt l’image de quelqu’un usant toujours de raison, sans jamais s’autoriser le moindre faux pas, le plus petit moment dans la mauvaise direction, même si cela pouvait lui procurer un peu de bonheur supplémentaire. A sa décharge, avant même que d’être prince de Galles, il se trouvait être père. Elvia ne pouvait pas comprendre sa situation pour la simple et bonne raison qu’elle n’était ni membre d’une famille royale ni mère. Certes, son clan brassait énormément d’argent et beaucoup de jeunes aimeraient probablement être à sa place, mais c’était sans connaître l’horreur qu’elle vivait au cœur même de son quotidien. Leroy était le premier à ne pas être au courant, bien que somme toute ce ne soit pas plus mal. Il ne manquerait plus qu’il se mette à la juger ou que sais-je d’autre encore… « Je n’ai pas de sœur. Je suis enfant unique, mais j’avais tendance à agir un peu comme ça avant, donc je suppose que tout le monde est un peu pareil à l’adolescence, que l’on ait des frères et sœurs ou pas ! » Tout en terminant presque les chocolats tandis que le jeune Connor s’impatientait, Elvia se mit à analyser soudainement la classe physique de Leroy. Non pas qu’elle ne l’ait jamais fait, mais c’était plus approfondi en cette seconde.

« Vous savez, moi et les enfants ça fait dix. Disons que je les adore s’ils ne sont pas de moi. Je ne saurais pas quoi faire avec… non vraiment, je n’ai pas la moindre fibre parentale ! Pour vous, c’est presque une obligation d’avoir des héritiers, mais moi je ne m’estime aucune obligation particulière. Il ne manquerait plus que ça ! » Elvia poussa un pénible soupir, persuadée qu’il allait probablement opposer un très bon argument à son propre argumentaire. Mais la vérité, c’est qu’elle refusait de faire un gamin pouvant naître dans ce monde injuste et sombre. Elle ne voulait pas que qui que ce soit puisse vivre l’enfer qu’elle vivait de son côté. « Et vous, pourquoi vous ne vous trouvez pas une ravissante femme que vous puissiez aimer afin de l’épouser, hum ? »

Décidément, Elvia n’était pas faite pour les conversations sentimentales. Elle ne s’y sentait pas à l’aise et n’avait qu’une seule envie : les fuir, une bonne fois pour toute. Elle n’aurait jamais pu être victime d’un mariage arrangé et devoir aimer un gamin qui en aurait été le fruit. Cette idée avait une fâcheuse tendance à lui flanquer une nausée absolument indicible. Bien sûr, Connor avait l’air d’être un gosse très agréable, du moins du peu qu’elle en avait vu, mais elle était loin de se voir en mère de famille raisonnable et prise en tant que modèle. Il n’y avait aucune rébellion cachée là-dessous, c’est simplement qu’Elvia n’avait jamais reçu d’amour familial de son père. Sa mère avait été l’être le plus délicat envers elle, mais tout s’était brisé à sa mort. Depuis, la jolie suisse vivait dans une froideur parfaite et impénétrable, attendant sagement l’heure où elle pourrait s’évader de cette insupportable prison. Elle laissa donc un rire amusé perler contre ses lèvres non maquillées tandis que les questions de Leroy se faisaient de plus en plus précises. Diantre, cela tournait-il à l’interrogatoire ? Non, elle refusait de le croire. « Je ne vous apprend rien en disant que souvent, les femmes sont vénales et intéressées ? Celles qui veulent justement être à mon bras sont pour la plupart comme ça. Et comme je ne suis que moyennement amateur des locations vingt-quatre heures, je ne vois aucune raison valable de supporter ce genre de comportement. Traitez-moi de fou si vous le souhaitez, mais comme dit l’adage, il vaut mieux être seul que mal accompagné ! N’êtes-vous pas d’accord ? »

Dans le fond, Leroy ne pouvait guère lui donner tort, puisqu’il avait l’air de s’ennuyer comme un rat mort au sein de son mariage. Nul besoin d’être un descendant d’Albert Einstein pour s’en apercevoir. Mais d’un autre côté, il était de la famille Windsor et de fait sans arrêt surveillé… pas évident pour trouver quelqu’un qui n’en n’avait pas après la couronne ou qui n’avait pas envie de juste se faire mousser deux minutes. « Mais admettons vous êtes surveillé, adulé, photographié sous tous les angles possibles et imaginables, mais il vous arrive de draguer, non ? C’est curieux j’ai du mal à vous imaginer en train de séduire une femme, mais encore une fois, admettons… ça vous arrive ou alors vous avez envie sans jamais oser franchir le pas ? »

" J'arrive même à ne pas vous imaginer vous amuser ! " Non pas qu'il ait l'air rasoir, loin d'elle cette idée, mais Elvia l'imaginait réellement en père de famille raisonnable, faisant office de modèle pour sa soeur et le reste de sa famille sans jamais s'accorder le moindre écart. Sa constatation n'était pas très éloignée de la vérité puisqu'il avouait lui-même ne jamais avoir été un grand dragueur dans sa vie. Un léger sourire moqueur vint étirer ses lèvres tandis qu'elle essayait de l'imaginer dans la peau d'un autre... quelqu'un qui n'aurait pas peur de chercher à séduire autrui, prenant des risques ainsi que du bon temps en se moquant éperdument des conséquences ou même du quand dira-t-on. Mais vraiment, il ne collait pas à cette image... elle avait beau se tourner la chose dans tous les sens dans son esprit, ce n'était pas possible. Même Elvia paraissait plus séductrice qu'il ne le serait jamais ! " Mais admettons : ce serait quoi, pour vous, "vous amuser" au juste ? " Ayant temporairement délaissé la préparation des chocolats chauds qui finissaient réellement par traîner sur la longueur, la jolie blonde le toisa d'un seul regard comme si elle le défiait d'être foncièrement honnête voire même légèrement culotté pourquoi pas. " C'est une question de rang, évidemment. Vous savez que si vous lancez un juron devant témoins... ce sera amplifié, détourné, modifié par toute la presse people dans son intégralité ? Un juron ou autre chose, mais l'idée reste la même. Vous êtes un personnage publique, un modèle adulé. Tout le monde voudrait faire partie de la famille Windsor. C'est un peu un don et une malédiction, j'imagine. Vous avez la vie que tout le monde rêve d'avoir... mais vous ne vous appartenez pas. Vous faites ce que l'on attend de vous, toujours. Je n'ai pas souvenir d'avoir un jour lu un seul article désobligeant vous concernant, j'en déduis donc que vous êtes un garçon sage. Mais peut-être est-ce une bonne chose ! En général... une jeune fille ne se marie pas avec un mauvais garçon ; elle épouse le garçon sage. "

Elvia haussa légèrement les épaules avant de pousser un petit soupir. Peut-être qu'il devrait se lâcher un peu plus, même si cela ne devait pas forcément être devant témoins. " Vous voulez mon opinion ? Plus que votre rang c'est votre tempérament qui vous retient et vous empêche de faire preuve d'un peu de folie. Mais que serait la vie sans un brin de folie ? Vous devriez méditer là dessus. "

Une fois encore, Elvia écouta Leroy presque religieusement, jusqu’à ce qu’il ne lui sorte LA phrase. Celle qui la fit éclater de rire de bon cœur, chose particulièrement rare surtout ces temps-ci et qui eut le don de durer en prime. Elle ne savait pas si le prince Windsor était devenu un vieux con, mais en tout cas, le simple fait de le reconnaître avait pour effet de le rajeunir de façon directe et sans appel. La jolie blonde contrôla son rire pour ne pas offusquer son interlocuteur, se demandant bien ce qu’elle allait pouvoir lui répondre puisque somme toute, à chaque fois qu’elle s’amusait, c’était sur des patins et nulle part ailleurs. L’adrénaline, le danger… les sports dangereux à vrai dire étaient sa seule source d’amuser. Mais allez expliquer cela à quelqu’un qui avait toujours suivi le protocole à la lettre, et qui plus est se retrouvait marié avec une femme qu’il n’avait jamais aimée, sans oublier le fils qu’il avait à sa charge ! Même si celui-ci se trouvait être adorable, il n’en demeurait pas moins quelqu’un l’empêchant de se lâcher complètement. Il s’agissait d’un fait et non d’un jugement. « Si vous dites que vous êtes un vieux con… alors vous avez fait la moitié du chemin pour cesser de l’être » nota malicieusement Elvia, sans l’ombre d’une moquerie dans le regard. Au contraire, elle le plaignait plus qu’elle ne le jugeait ! Difficile de ne pas être profondément désolé pour cet homme dont la vie avait oublié d’être heureuse un seul jour dans sa vie. « Moi ? Et bien je ne suis pas du genre à écumer les bars et à multiplier les cuites comme vous vous en doutez, puisque j’aurais malheureusement mon père sur le dos si je m’amusais à ce genre de choserie… mais sur des patins, je me sens invincible. »

Elvia baissa subitement le regard, persuadée qu’il allait la prendre pour une folle. Ce n’était pas commun, comme amusement. Mais après tout… il y avait plus malsain, n’est-ce pas ? Ce n’est pas comme si elle venait de lui avouer qu’elle se tapait des rails de coke à longueur de journée ! Chose qui n’était pas vraie, qui plus est. « Je ne suis pas quelqu’un qui réagit comme tout le monde, alors ne me prenez pas forcément pour exemple. Quant à vous connaître… je ne vous connais pas, je vous observe juste. Vous n’êtes pas heureux et le pire, c’est que vous ne semblez pas vouloir que cela change. Est-ce que ça vous effraie ? Sinon, je peux toujours vous faire tenter le patinage ! » Ils ne seraient pas au même niveau, mais qu’importe ! « Sauf si vous avez peur de vous coucher tard après le Disney, of course. » L’idée, c’était de profiter de la soirée avec Connor, le coucher, appeler quelqu’un pour le garder et faire l’éducation de fun de Leroy. Charmant programme !