Une semaine exactement qu'Alexandra avait emménagé.

Et finalement, je devais bien avouer que j'avais été mauvaise langue, elle était calme, discrète et sympathique. Je ne lui parlais pas beaucoup, mais pour le peu que je le faisais, elle m'avait l'air d'être tout ce qu'il y a de plus gentil et agréable. Elle ne valait pas Kate, évidemment, parce que je l'avais connu des années et que je la considérais comme un membre de la famille, mais je commençais à me dire qu'elle pourrait peut-être devenir une bonne amie, avec un peu de temps et de bonne volonté. Or, nous avions les deux.

Ce qui m'embêtait un peu plus c'était que depuis son départ, je n'avais eu aucune nouvelle de Kate, comme si elle m'avait déjà oublié, en si peu de temps, alors que moi, je n'osais toujours pas entrer dans sa maudite chambre tant j'avais peur de me mettre à pleurer comme une gamine de cinq ans. Bref, je n'avais pas eu de coup de téléphone et ça m'ennuyait beaucoup. Ce soir-là, comme presque tous les soirs en semaine, je travaillais. J'étais donc arrivé au sex-shop où j'étais vendeuse à l'heure pour pointer. J'étais ravie, car il s'agissait d'une des rares soirée en binôme. Je n'étais donc pas seule pour servir les clients et mieux encore, c'était mon collègue préféré qui était là avec moi.

Seulement, une petite heure à peine, après mon arrivée, mon téléphone sonna. Il n'y avait aucun client dans la boutique et je me permettais donc de lire le message que je venais de recevoir. Il venait d'Alexandra, étonnant, elle ne m'envoyait jamais rien habituellement. J'ouvrais donc le message et le lisait rapidement. « Merde ! » Fis-je. La situation était mauvaise, j'étais au travail, Dara aussi -et de toute façon elle n'aurait sûrement pas accepté d'aller reprendre notre nouvelle colocataire- et je ne voulais surtout pas risquer de tomber sur la copine de Luke en lui téléphonant. « Qu'est ce qu'il se passe roussette ? » demanda alors une vois derrière moi, celle de mon collègue qui venait de sortir du cagibi et s'inquiétait de m'entendre dire des jurons toute seule. « Je t'ai déjà dit que ce surnom est très moche ! » m'exclamais-je alors qu'une idée lumineuse me traversait l'esprit. Mon collègue avait déjà eu plusieurs imprévus et m'avait plus d'une fois demandé de couvrir ses absences en le replaçant et en pointant à sa place. Il était temps qu'il me rende la pareille. « Ma coloc' a un problème, tu crois que tu peux me couvrir, seulement pour ce soir ? » demandais-je avec un sourire en le suppliant du regard.

« Vu le nombre de fois où tu l'as fait pour moi, sans problème ! Mais dis, ta coloc', elle est pas partie il y a genre deux semaines ? » Répondit-il, augmentant mon sourire. Je me dépêchais d'aller vers le cagibi d'où il venait de sortir pour récupérer mes affaires et en ressortait quelques secondes plus tard pour répondre à sa question. « On en a une nouvelle, Alexandra. Presque le même nom que moi, bizarre, non ? Et puis on est quatre à l'appart tu sais, il y a Dara et... » Je ne lui avais pas encore parlé d'Alexandra, peut-être parce que sa présence rendait bien trop réel le départ précipité de Kate, peut-être parce que j'avais pensé au tout débout qu'elle ne tiendrait pas trois jours avec Dara. Quoi qu'il en soit, maintenant il savait, alors elle avait plutôt intérêt de rester, la petite. « Luke, je sais, tu n'arrêtes pas d'en parler, de celui-là. » me coupa-t-il. C'était sûrement vrai, depuis ce qu'il s'était passé entre nous, je pensais presque tout le temps à lui et à Clyde aussi. En gros, je m'étais fichu dans une sale situation, encore. Mais il était hors de question de l'avouer à qui que ce soit. « Ne dis pas n'importe quoi ! » Criais-je en me dirigeant vers la porte tout en essayant d'enfiler mon manteau. « C'est ça oui, allez dépêche-toi, je pointerais pour toi. » Je souriais et lui faisais un petit geste de la main. « T'es un ange ! » Annonçais-je en ouvrant la porte. « Je sais bien. » répondait-il alors que je la refermais.

En arrivant à sa hauteur, je ne pus m'empêcher d'attraper son menton pour constater d'ampleur des dégâts, comme je l'aurais fait avec n'importe quel ami. Sauf que nous n'étions pas amies, du moins, pas encore. « Oh la vache ! Mais qu'est ce qu'il t'es arrivé ? Ça va aller ? » Demandais-je d'un air inquiet. « Monte dans la voiture, réchauffe-toi, je vais essayer de mettre ton vélo dans le coffre. » Fis-je après sa réponse. Et faire entrer son vélo dans mon coffre ne fut pas une mince affaire, mais après plusieurs longues minutes de bataille acharnée, j'y parvenais enfin. Et retournais à la voiture. Nouveau sourire pour Alexandra, pour la mettre à l'aise. Puis j'ouvrais la boite à gant pour y prendre un paquet de mouchoir et une trousse de secours que je tendais à la jolie brune. « Tiens, fais ce que tu peux avec ça, désolée, je n'ai rien d'autre. Ça va aller ? Tu t'es pas ratée... »

La voiture redémarrait et le silence retombait, laissant à nouveau les chanteurs du moment en fond sonore. « Bon. Puisqu'on est là toutes les deux et si on en profitait pour parler un peu ? Je ne sais même pas où tu travailles ! » Proposais-je à tout hasard sans savoir si elle serait partante.

Après tout, mieux la connaître ne pouvait qu'améliorer l'ambiance à la maison, non ?

A peine arrivée à l'endroit indiqué, Alexa l'avait aperçue : la petite brune toute mignonne qui remplaçait Kate. Elle était adossée à un lampadaire et semblait frigorifiée et en mauvais état. Elle se précipita vers Alexa lorsque celle-ci descendit de sa voiture. La brune remercia sa colocataire et lui dit qu'elle espérait ne pas trop la déranger. En fait, la rouquine était tout de même parti de son boulot pour venir la rechercher, mais comme elle ne voulait pas mettre Alexandra mal à l'aise, elle décida de ne rien lui dire. « De rien ! Et tu es ma colocataire, tu ne me dérange jamais, d'accord ? » Répondit-elle, sincère. A vrai dire, le jolie brune n'était pas à la maison depuis très longtemps, mais contrairement à ce qu'elle avait pensé au départ de Kate, Alexa commençait déjà à l'apprécier et elle ressentait comme un besoin de la protéger, elle qui avait l'air si fragile.

Le rousse lui demanda ensuite ce qu'il s'était passé, question légitime vu l'état de la pauvre française : les nez en sang, la lèvre également et c'était sans parler de l'état de sa jambe toute égratignée. Alexandra expliqua avec un sourire que l'un de ses pneu avait crevé et qu'elle avait fait ce que l'on appelle communément un vol plané pur se prendre le trottoir. S'empêchant de rire du comique de la situation, la vendeuse invita sa colocataire à monter dans la voiture pendant qu'elle rangeait son vélo dans le coffre. Chose qu'elle fit avec un peu de mal, en quelques minutes avant d'aller la rejoindre. Après un échange de banalité et qu'elle lui ait donnait de quoi se soigner un peu, Alexa démarra. Ce fut elle qui lança la conversation sur les métiers, sachant très bien qu'Alexandra lui retournerait sûrement. Mais mieux valait qu'elle lui parle de son boulot maintenant que jamais. « Je travaille à Greenwalt, c'est une grande société, je suis l'assistante du patron. » Répondit la petite brune avec ce regard qu'on ceux qui aiment ce qu'ils font, Alexa en savait quelque chose, Luke avait souvent ce genre de regard quand il parlait pâtisserie. « Wah, l'assistante du patron ? C'est plutôt la classe ça ! » S'exclama la rouquine avec un grand sourire. Puis, vint la question qu'elle attendait tout en la redoutant un peu. «  Et toi ? » Fit une petite voix presque enfantine qui fit sourire Alexa.

Elle déposa quelques secondes ses yeux sur la jolie brune qui désinfectait sa plaie en grimaçant. « Moi ? Hum... Et bien... » Commença-t-elle en réfléchissant à comment lui annoncer. « J'en reviens justement, je suis vendeuse dans un sex-shop, je fais les horaires de nuit. » Voilà, c'était dit, vendeuse dans un sex-shop qu'elle était. E mine de rien, elle appréciait assez ce travail pour les horaires qu'il lui offrait, même si en contrepartie, elle recevait quotidiennement des pervers dans sa boutique. « Ce n'est pas... Le métier que je rêvais de faire, tu dois bien t'en douter... Comment t'expliquer ? Hum... Disons que j'ai fait des études en infographie... Je savais qu'il n'y avait pas énormément de débouchés, mais depuis la mort de mon frère mes parents me laissent faire les choix que je veux... Dont l'infographie. J'ai vraiment adoré mes études, j'ai eu mon diplôme avec une mention du premier coup et là... Plus rien. Au bout de plusieurs mois j'ai juste trouvé un stage de deux mois super mal payé. Et comme j'habitais avec Luke, Dara et Kate depuis un moment déjà, l'argent a commencé à manquer pour le loyer. Pour moi, il était hors de question de les laisser payer ma part. Alors voilà, j'ai postulé un peu partout et j'ai eu un job au sex-shop. C'est pas si mal payé et mes horaires de nuit me permettent de passer la journée à la maison avec Dara et Luke. Enfin voilà, je ne cherche pas à me justifier, finalement j'aime bien mon boulot et je ne pense pas que se soit une honte ou quoi. Mais comme j'ai conscience que c'est un peu étrange, je t'explique. » Crût-elle bon d'ajouter. Peut-être que sa colocataire s'en moqué comme de sa première cuite, mais pour Alexa, cette explication était importante.

La rouquine prit un virage un peu serré et observa à nouveau la brune en souriant. « Bref. Je me demandais... Comme on a presque le même prénom, ça me stresse un peu de t’appeler "Alex' ", du coup, j'y ai réfléchi et... Je peux t'appeler " Sandra " ? ça peut être un diminutif d'Alexandra aussi et du coup, ça me perturbera moins ? » Demanda-t-elle en bafouillant un peu. Elle ne voulait surtout pas la mette mal à l'aise alors elle pesait ses mots. D'ailleurs, en parlant de mal à l'aise... Une chose lui revint en tête. « Et avec Dara, ça va mieux ? Il ne faut pas hésiter à le dire si ça ne va pas, je sais qu'elle peut être un peu dure parfois et elle n'a pas à te faire sentir mal chez toi. » Questionna-t-elle en gardant le regard sur la route cette fois. Oui, Dara était sa meilleure amie, oui, elle était adorable avec elle, mais ça ne changeait rien au fait que si elle devait la réprimander pour faire accepter la nouvelle, elle le ferait aussi.

 « Tu dois être déçue de ne pas pouvoir faire ce que tu aimes... Mais en même temps si ton job te plaît, c'est tant mieux ! » Répondit-elle. Elle ne paraissait pas choquée, ni réagir de manière disproportionnée comme ça avait déjà été le cas dans le passé. Quand Alexa avait parlé pour la première fois de son métier dans sa famille par exemple... Sa mère lui avait donné l'impression d'être au bord de la crise cardiaque et son père était devenu si rouge qu'elle avait cru qu'il s'étouffait., ils avaient fini par s'y faire, avec le temps. Temps qu'il ne faudrait apparemment pas à Alexandra, ce qui était une bonne chose. « Bof, travailler dans un sex-shop, ça n'a rien de vraiment passionnant, mais c'est payé alors je ne vais pas m'en plaindre... Quand j'aurais une situation amoureuse stable et que je penserai à me caser, il sera temps de penser à changer. J'ai pas trop envie de devoir expliquer un jour à mes enfants plus tard en quoi ce métier consiste. » Confia la rouquine à sa colocataire. À vrai dire, elle n'avait encore jamais parlé à personne de son projet de petite vie tranquille avec un mari et des enfants. Ni à Luke, sûrement parce qu'elle l'imaginait un peu trop comme étant le mari en question, ni à Dara, parce qu'elle avait un peu peur que sa meilleure amie ne la comprenne pas, ni même à Kate, pour des raisons qui lui échappaient encore. Si elle en parlait ce jour-là à Alexandra, c'est qu'elle avait un certaine confiance en elle et ce, malgré le peu de temps depuis lequel elles se connaissaient. Elle espérait juste qu'elle n'aurait pas à le regretter.

« L'infographie ça doit être passionnant et c'est vraiment dommage qu'il n'y ai pas beaucoup de débouchées. Moi mon truc c'est la mode, j'adore la mode. Mais à cause de ma timidité je suis pas toujours très à l'aise vis-à-vis de ce que j'aime ou ce que je n'aime pas. » Ajouta ensuite la petite brune sans bafouiller une seule fois, ce qui fit sourire Alexa qui se tourna, surprise, vers sa colocataire. Elle semblait aussi étonnée que la rousse, ce qui ne fit qu'accentuer le sourire de la vendeuse. Si leur relation continuait à évoluer ainsi, bientôt les deux jeunes femme deviendraient amies et rien n'aurait pu faire plus plaisir à Alexa, du moins concernant la brunette, dans sa propre vie, certains autres événements auraient effectivement pu lui faire plus plaisir. « J'aime beaucoup la mode aussi. C'est vraiment génial que tu fasses quelque chose que tu aimes, surtout que tu as l'air passionnée ! Et il va falloir te débarrasser de cette fichue timidité, ça devrait être interdit d'être aussi timide quand on est mignonne comme toi » Fit la rousse en passant rapidement sa main sur l'épaule d'Alexandra dans un geste qui se voulait amical. Et elle pensait ce qu'elle disait, la brune était une jeune femme adorable et tout ce qu'il y a de plus charmant à ses yeux, elle ne comprenait pas ce qui avait pu se passer dans sa vie pour qu'elle devienne aussi peu sûre d'elle. Mais elle l'aiderait à devenir moins timide, même si cela prenait du temps, elle l'aiderait tant que possible.

Alexa embraya ensuite la conversation sur un surnom qu'elle pourrait donner à sa nouvelle colocataire ce qui fit rire la jeune femme. Elle lui confia que cette ressemblance dans leurs prénoms la perturbait un peu elle aussi et que si elle le désirait, Alexa pouvait l'appeler Lucie. Elle ajouta même une anecdote sur sa sœur qui la surnommait « Alex le petit Lu », comme les biscuits, ce qui fit rire la rousse. « Okay, ce sera Lucie alors. Et moi, mon premier prénom c'est Charlie, peu de gens sont au courant, mais tu peux l'utiliser aussi si tu veux. » Deuxième confession de la journée. Décidément, Alexandra ne s'en rendrait certainement pas compte, mais la vendeuse lui confiait des choses qu'elle avait mis un moment à dire à ces autres amis. « Et petit Lu, c'est trop mignon, ça te va bien. » ajouta-t-elle pour la taquiner un peu avant d'aborder un sujet plus sérieux : Dara. À l'entente de ce nom, Alexandra grimaça, ça voulait déjà tout dire, les choses ne devait pas aller tellement mieux. « Bof, je m'y fais. Je ne sais pas exactement comment je dois me comporter avec elle, à vrai dire. Mais Luke et toi êtes très gentils, donc ça compense bien. Et puis j'espère qu'un jour elle sera moins dure avec moi. » répondit Alexandra, apparemment sincère. « D'accord. » Soupira Alexa. Elle avait espéré que Dara changerait rapidement de comportement avec a jolie brune, malheureusement la métisse ne semblait pas vouloir faire d'efforts. Cela donnait une atmosphère un peu étrange à la maison, bien différente de l'ambiance d'autrefois, lorsque Kate était encore là. « J'espère aussi qu'elle va changer d'attitude. J'aimerais tellement que l'ambiance soit plus détendue à la maison, surtout que Dara est sympa, quand elle s'en donne la peine, je t'assure. »Et c'était assurément là qu'était le problème. Dara pouvait être si mignonne parfois et si ignoble à d'autre moment que même la rouquine se demandait parfois comment elle devait réagir. Lui faire la morale n'était plus un problème depuis la tempête et tant pis si la videuse n'était pas contente, mais tout de même, il aurait suffit de si peu pour que tout le monde soit mieux que s'en était triste de voir l'ambiance maussade qui régnait lorsque tout le monde était là. « Quoiqu'il en soit, tu peux compter sur moi... Et sur Luke aussi, j'en suis persuadée. » fit tout de même Alexa, dans l'espoir de rassurer Alexandra. Si pour l'instant elle ne pouvait rien espérer de la métisse, le pâtissier et la vendeuse se ferait un plaisir de lui rendre la vie facile et de l'aidr si besoin en était.

Et soudain, alors que le silence retombait tout doucement, la voiture commença à ralentir toute seule. « oh, oh. » fit Alexa en tournant son volant pour se garer sur la bas côté avant que la voiture ne s'arrête d'elle-même sur la route. Elle essaya de redémarrer l'automobile et vint et jeta un coup d’œil à la jauge d'essence.« C'est pas vrai... J'ai oublier de remettre de l'essence. » expliqua-t-elle en se maudissant intérieurement d'être si bête. Le pire étant qu'elle avait pris un chemin peu fréquenté censé être un raccourcit et que donc, elles se retrouvaient seules avec la voiture en panne. Premier réflexe : appeler une dépanneuse. Alexa attrapa son téléphone et composa le numéro de l'annuaire téléphonique, mais elle tomba sur un message d’erreur, faute de réseau. « Et évidemment, j'ai pas de réseau. Tu en as, toi ? »