Lorsque l’on fait partie de la CIA, en théorie, on dit adieu à toute famille et surtout aux personnes les plus proches. Ainsi, aucune peur de perdre qui que ce soit, et la certitude de pouvoir rester dans l’ombre et d’être efficace comme jamais. Inutile de dire que sans personne, l’esprit n’est pas pollué par des pensées empoisonnées, la plupart du temps. Lynn avait longtemps été ainsi, à n’accepter l’affection de personne afin de rester l’agent efficace et impitoyable qu’elle avait su devenir… mais tout ça pour quoi ? Pour rentrer dans un appartement tous frais payés par le gouvernement en plein cœur de New York et se rincer le gosier en solitaire ? Oh bien sûr, la jolie brunette pouvait très bien trouver compagnie masculine ne souhaitant qu’une brève histoire nocturne, et pendant longtemps, c’est exactement l’attitude qu’elle possédait. Mais avec le recul, elle détestait le fait d’être traitée comme un simple objet de désir, il lui manquait quelque chose. L’envie de faire confiance, notamment. Pour cela, difficile de ne pas penser illico presto à Helen, cette demoiselle timide à qui l’on aurait donné le bon dieu sans confession et qui pourtant connaissait particulièrement bien l’espionne. Certes, elle n’avait jamais réellement de données ou de détails très précis sur les différentes missions de son acolyte de toujours, mais elle était la première informée de ses allées et venues. Helen savait quand Lynn partait, mais également quand elle revenait… la preuve, même à trois heures du matin, alors que la brunette avait le bras couvert d’un bandage plutôt impressionnant et que son pantalon en cuir était à moitié déchiré, elle venait célébrer leur rituel en amenant un whisky de qualité histoire de se rincer le gosier tout en refaisant le monde, ou pas… la plupart du temps, elles se lançaient dans un karaoké à tout casser histoire de faire enrager les voisins et, lorsque ceux-ci menaçaient d’appeler les flics, elles passaient à d’autres activités plus sérieuses, notamment au fait de se plaindre chacune leur tour de leurs vies respectives. Passionnante activité s’il en est, très instructive, et qui permettait également à Helen de se lâcher sans craindre un quelconque jugement : Lynn avait fait bien trop de choses inavouables dans sa vie pour lui jeter la pierre ou même la lapider en place publique. Les deux brunes étaient donc dans d’excellentes mains, aussi bien l’une que l’autre.

« Darling ouuuuuuuuuuvre !! Je sais que tu dors pas !! » Lynn aurait pu être à deux doigts de hurler de douleur à force de tambouriner à la porte d’Helen à l’aide de son bras blessé. Elle voulait rentrer et éviter de se taper le regard inquisiteur du voisin d’en face, malgracieux comme on en fait peu et surtout curieux comme un concierge. Non pas que Lynn soit contre la curiosité, mais là, la brunette avait tout de même pris cher et n’avait aucune envie de se griller pour un détail pareil. Aussi, il ne fut pas étonnant de la voir « pousser » légèrement son acolyte unique et préférée à l’intérieur de son appartement une fois la porte ouverte, pour mieux s’adonner aux grandes embrassades habituelles à l’abri des regards : là encore, le voisin n’était pas obligé de les considérer comme des lesbiennes juste parce qu’elles étaient très proches… c’est fou comme cet abruti peut avoir l’esprit fertile ! « J’ai besoin d’un très, très grand verre et surtout d’une bonne nuit de sommeil. Tu penses que tu peux m’offrir ça ? Attention on ne va pas se coucher illico presto, je peux encore tenir quelques heures je n’ai pas quatre-vingt dix ans ! J’ai trois jours devant moi avant de repartir, donc on va en profiter : demain SHOPPING !! » Lynn risquait peut-être sa vie pour son pays, mais l’avantage, c’est qu’elle avait toujours de l’argent à claquer en rentrant… autant mourir en étant bien sapé !

Sitôt ordonné, sitôt fait, Lynn avait pénétré dans la cuisine de son acolyte de toujours en moins de temps qu’il n’en fallut pour le dire. Certes, elle était blessée au bras, mais rien n’aurait entaillé son enthousiasme pour autant, et surtout pas une blessure du genre bien au contraire. Elle accepta donc le grand verre d’eau bien fraîche gentiment offert par Helen avant que celle-ci ne lui ramène de quoi se soigner. « Vraiment ma poule, tu es une mère pour moi ! » La brunette esquissa un sourire ravi avant de se mettre à désinfecter la plaie comme s’il s’agissait d’un geste parfaitement anodin. Il faut dire qu’avec l’adrénaline coulant dans ses veines, elle était anesthésiée pour l’instant et ne risquait pas de ressentir la moindre douleur : les endorphines marchaient encore à pleine régime. Probablement aurait-elle un mal de chien à se lever demain, mais ça, il n’était pas temps de s’en préoccuper pour l’heure. « Tu déconnes ? J’ai cru que tu ne demanderais jamais ! Juste le temps de s’occuper de cette broutille et on fonce plein gaz vers l’Awesome ! Surtout que je ne vais pas me rincer le gosier toute la nuit au Château La Pompe, même si sa désaltère… j’ai besoin d’une boisson d’homme pour continuer ! » Lynn était inépuisable. Cela avait toujours été, mais c’était pire maintenant que ses missions s’étaient durcies. La brunette trouvait une énergie phénoménale dans ses moindres ressources et ne s’écroulait vraiment qu’au bout d’un très, très long moment. Elle pouvait revenir d’une mission les mains couvertes de sang, rien ne l’aurait empêchée d’aller festoyer comme il se doit accompagnée d’Helen. La raison ? L’envie de se sentir vivante. Après avoir longuement côtoyé la mort, la canadienne avait besoin de repousser d’autres limites, de se trouver en galante compagnie, pourquoi pas de s’envoyer quelques produits illicites histoire que ses sens soient tous en mode open bar. Elle ne s’interdisait rien pour peu qu’elle ne soit pas la seule à s’amuser… sans quoi cela deviendrait rapidement triste et pathétique. Une chance que Helen soit toujours prête à l’accompagner !

« Alors, quoi de neuf de ton côté avant qu’on fasse feu ? Tu dois bien avoir des dizaines d’anecdotes croustillantes à me raconter !! » Lynn était toujours persuadée que la vie des autres était aussi trépidante que la sienne… à ceci près qu’ils ne souffraient pas le même rythme de vie et que les autres, justement, ne revenaient pas à la fois blessés et guillerets de leur mission. Il s’agissait sûrement de peupler la conversation en attendant que son bandage ne soit terminé et semblable à une véritable œuvre d’art : Lynn avait beaucoup de mal à supporter le silence sur la durée, cela lui rappelait bien trop ses planques. Inutile de dire qu’elle avait parfois du mal à dormir sur ses deux oreilles et que ses cauchemars se rapprochaient, souvent. Mais ça, elle n’en faisait jamais part à Helen. Inutile de l’inquiéter, et puis elle n’aurait jamais pu lui expliquer lesdits cauchemars avec des détails précis. « Et voilààà ! Mon bandage fait un peu Picasso période déstructurée, mais bon ça tiendra. EN ROUTE !! » Exprès pour agacer le voisin si adôôrââble d’Helen, elle beuglait comme un veau qu’on égorge et faisait exprès de tambouriner légèrement à sa porte à chaque fois qu’elles sortaient. Cette fois-ci ne fut pas exception, et, comme si elle était complètement saoule alors que sa sobriété n’était plus à prouver, elle manqua de s’étrangler de rire alors qu’elle descendait les escaliers de l’immeuble en compagnie de sa comparse préférée. « Deux solutions : on prend ton vieux tacot ou on se donne le frisson sur ma moto… j’ai un deuxième casque, pas de problème. Et avant que tu ne poses la question, je ne suis ni défoncée ni alcoolisée, donc je suis en pleine possession de mes moyens et tu ne cours pas à la catastrophe avec moi ! »

Lynn et sa moto, une grande histoire d’amour. Aussi vrai que la brunette avait le permis depuis ses seize ans, elle n’avait pas souvenir d’avoir un jour conduit une voiture depuis. Ce genre d’engin était bien trop lent à ses yeux, mais également trop encombrant. Il lui fallait du rapide et de l’efficace, c’était obligatoire. Il était utile de ne point oublier à quel point la vie de la brunette était bordée par le danger et l’adrénaline… se trimballer ensuite en voiture de mémère ne pouvait pas être en adéquation avec le personnage. Elle retrouvait donc sa moto bien-aimée à chaque retour de mission, se délectant d’un petit tour à toute vitesse dans les rues de New York, souvent désertes à l’heure à laquelle elle passait. Lynn ne se souvenait plus le nombre de lever de soleil qu’elle avait bien pu voir lors de ses petits road trip. Jusqu’ici, c’était l’une des rares choses qu’elle n’avait pas partagées avec Helen, mais quelque chose lui disait que cela viendrait : maintenant que son acolyte unique et préférée venait juste de goûter à l’adrénaline de la moto sportive de marque BMW qu’elle possédait, Helen allait sûrement lui redemander à monter dessus d’elle-même. Lynn en était presque persuadée… mais pour l’heure, il n’était pas question de parler road trip, mais plutôt de la soirée de beuverie qu’elles allaient sûrement se payer pour la forme. Bien que la jolie canadienne n’ait pas perdu une miette de cette partie de confidence faite précédemment par son amie d’enfance, elle la mit soigneusement de côté, afin de faire une entrée remarquée dans le bar et de s’installer au comptoir dans un premier temps : il fallait se rincer le gosier d’abord et aviser ensuite… telle était la règle d’or de tout bon fêtard qui se respecte ! « Qui a dit qu’on ne pourrait pas faire les deux ?! » C’est vrai quoi, elles n’avaient pas encore l’âge de la retraite et pouvaient donc se permettre de se mettre minable dans les deux sens du terme sans aucun problème. Du moins Lynn le visualisait-elle de cette façon, et ce fut pourquoi elle commanda tout d’abord deux Mojitos histoire de les assouplir légèrement. De toute façon, elles allaient mettre le feu sur la piste, c’était une affaire plus qu’entendue, alors autant retarder légèrement leur entrée : dès l’instant où elles commenceraient à se trémousser, les autres femmes n’auraient sûrement plus aucune importance aux yeux des hommes présents dans l’Awesome. Pire, elles risquaient de les jalouser à un point qui ne saurait être décrit.

« A ta tienne ma belle ! » balança-t-elle tout en trinquant en compagnie d’Helen, sourire évident aux lèvres, plus que contente d’avoir laissé ses armes ainsi que ses intrigues de côté pour mieux profiter d’un instant qu’elle allait considérer « plus calme ». « Au fait, tu allais commencer à parler de cette fameuse rencontre que tu as faite et qui, je suis sûre, est triplement passionnante. Juste une petite mise en bouche avant d’aller se trémousser avec classe sur le dancefloor ! Et si tu es sage… je te décrirai la rencontre que j’ai faite il y a une semaine, deal ? » Lynn mit bien sûr de côté que lors de cette semaine, elle était partie sauver son père, retenu prisonnier en Birmanie depuis plusieurs années, et qu’elle avait manqué de mourir en se prenant une balle en pleine poitrine. Il n’y avait pas à dire, la demoiselle revenait de loin… et était suffisamment maligne pour avoir caché sa plaie avec un pansement efficace et discret à la fois. Elle n’avait pas envie que cette soirée soit gâchée par l’inquiétude potentielle de son amie, déjà qu’elle avait dû subir celle de cette fameuse rencontre… il n’y avait pas à dire, à chaque fois qu’elle revenait de mission, les surprises s’accentuaient de seconde en seconde pour Helen ! « Je ne bouge pas du comptoir avant d’avoir eu des détails !! »

Histoire sentimentale et Lynn, ça ne pouvait pas rimer ensemble, il s’agissait d’une évidence. L’espionne qu’elle était ne pouvait pas se permettre de vivre une histoire d’amour tout en sachant qu’elle devrait mentir à ladite personne sans arrêt… ce n’est pas exactement l’idée qu’elle avait de ce genre de relation, et encore moins ce qu’elle voulait partager avec un homme. Pour l’instant du moins, elle évitait d’y penser et se contentait de plaisirs éphémères, puisqu’il semble qu’elle n’ait jamais été douée que pour cela. D’autant que le projecteur n’était pas braqué sur elle mais plutôt sur Helen : à peine eut-elle avoué être amoureuse que Lynn manqua de s’étrangler en avalant une gorgée de Mojito de travers. Nom d’une chouette bigleuse ! Avait-elle seulement bien entendu ? Fallait-il que ce fameux Damian soit extraordinaire pour qu’elle prenne « un tel risque ». Helen n’était pas nécessairement du genre à s’attacher facilement à autrui, et encore moins à la gent masculine. Du moins était-ce l’image qu’elle avait de son amie, et sans la jalouser une seconde, logique qu’un sentiment de surprise ne l’envahisse. Hélas, Lynn n’eut même pas le temps d’en placer une que déjà, son acolyte l’avait embarquée pour la piste de danse, bien décidée à ne surtout pas subir d’interrogatoire de sa part semble-t-il. Elle n’y couperait pas, c’était l’évidence même, mais juste pour le plaisir la brunette lui laissait quelques minutes de répit. Surtout qu’elle ne s’était pas dépensée sur un dancefloor depuis un lustre, et que rendre jalouse toutes les pimbêches présentes allait devenir son activité préférée pour la soirée. On regardait déjà le duo terrible comme s’il était sorti de nulle part, avec son talent indéniable pour créer envie et jalousie. Si la vie de Lynn était compliquée, elle savait qu’au pire des cas, il y aurait forcément quelqu’un pour raccompagner et combler sa solitude ce soir. Helen le savait, il y avait parfois des moments où elle avait envie de se dépenser d’une autre façon… même si ce soir elle dû avouer que les manières de ces messieurs ne lui plurent guère : à peine avait-elle commencé à danser que déjà, un homme était venu la coller et un autre commençait à avoir la main baladeuse. « Hey mignon, t’es pas au self, couché ! » Lynn s’était emparé de la main de l’importun et l’avait retournée pour bien lui faire comprendre qu’il n’était pas question de toucher à la marchandise d’une manière aussi rustre. Elle y était sûrement allée un peu fort, étant donné qu’il poussa un hurlement, que la musique ne parvint pas à couvrir, et qu’il s’éloigna en la menaçant du regard. Bah, au pire des cas il allait s’en sortir avec une entorse, dans le meilleur des cas, un petit bleu, et il n’en reparlerait plus. « Franchement, y’en a j’ai vraiment envie de les décalquer ! » s’exclama-t-elle avant de poursuivre sa danse impassiblement en compagnie de Helen.

Hélas, sa danse ne dura pas, bien évidemment. Il y eut un moment où sa blessure faite en Birmanie la rappela à l’ordre et l’incita à faire signe à Helen de retourner au comptoir en sa compagnie. Danser, oui, mais avec modération malheureusement. « Je le déplore, mais je ne suis pas Wonderwoman ! » commença-t-elle en prenant bien soin d’en plaisanter pour ne pas alerter l’inquiétude potentielle de son amie. « J’ai été blessée et je ne pourrais pas trop forcer sur la danse ce soir… du moins, pas tout le temps. J’ai l’impression d’être une mamie bordel ! » Sa dernière mission avait été rude, tant émotionnellement que physiquement. Recouvrir ses forces complètes prendrait du temps et si Lynn était la patience incarnée la plupart du temps, elle n’avait aucune envie de l’être aujourd’hui. « T’as intérêt à me laisser un message sur mon portable samedi pour me raconter ta sortie, sinon je vais te faire la guerre ! » Certes, elle serait déjà repartie en mission, mais elle se jura d’écouter ledit message dès qu’elle aurait dix secondes. Et elle le ferait… il n’y avait pas de doute là-dessus.

« Me reposer, moi ? Tu déconnes, je deviens chèvre au bout d’une heure ! » Lynn n’était pas du genre à rester enfermée sagement chez elle juste pour le plaisir de la chose. Il fallait qu’elle bouge, se sente vivante et n’ait pas l’impression d’être inutile. Cela résultait certainement de sa vie dure et mouvementée, mais quoi qu’elle fasse, ce trait ressortait toujours à un moment donné… et là, bien qu’elle soit effectivement tiraillée entre le fait de rester ou de s’écrouler de fatigue, le fait de rester en mode cocooning ne l’enchantait pas. Il faut dire qu’à chaque fois qu’elle avait le malheur de ne pas occuper ses mains ou son esprit, elle cogitait. Helen n’en n’avait pas encore conscience, mais le passé de Lynn était lourd à porter, et ses moments de répit extrêmement brefs… pourtant, contre toute attente, elle finit par abdiquer sans demander son reste. « On peut rentrer, mais à pieds ! Histoire qu’on s’aère quand même… tu sais que tu ne crains rien avec moi. » Si par malheur elles étaient attaquées, Lynn aurait la possibilité de tourner la situation à son avantage, sans compter qu’elle ne sortait jamais désarmée. Il s’agissait là de l’un des rares points positifs à être un espion : inutile de s’expliquer puisque ses armes éventuelles étaient trop bien cachées. Son acolyte ne devinerait donc jamais la chose à moins de jouer sur la supposition du début à la fin, et ça, ce n’était guère dangereux à ses yeux. « Demain on se rattrapera, je te le promets. Et tu me connais, je n’ai qu’une parole ! » La nuit fraîche pénétra bientôt ses poumons alors qu’elles marchaient l’une à côté de l’autre dans les rues sombres de New York. Lynn se demandait encore quel serait son programme du lendemain, à savoir si elle rendrait une petite visite à son père ou déciderait à la dernière minute de faire tout à fait autre chose… d’un côté, elle ne pouvait pas s’empêcher de se demander s’il allait bien, s’il était bien traité, s’il ne devenait pas chèvre à force d’être allongé, et de l’autre, elle avait du mal à le regarder en face sans se remémorer toutes ces années d’horreur durant lesquelles elle l’avait cru mort. Chaque Toussaint, elle se rendait sur une tombe que sa mère avait osé faire poser en son honneur, afin d’y poser un magnifique bouquet de fleurs, sans espoir de pouvoir un jour retrouver ce modèle fabuleux qu’il représentait pour elle. Mais Lynn se souvenait également très bien de sa réaction lorsqu’elle avait appris, de la bouche de sa mère, que son géniteur était en vérité détenu depuis des années en Birmanie. La torture de cette révélation l’avait fait péter une durite… et bien qu’elle n’ait pas été en mission à ce moment là, son instabilité émotionnelle l’avait poussée à rester éloignée de Helen : il valait mieux ne pas la mêler à ce genre de rage, frappant aux pires moments, sans crier gare…

« Tu sais pourquoi je n’aime pas être en mode off ? Parce que je cogite. Je ne dis pas que ma vie ne me convient pas, bien au contraire, mais plutôt à l’instabilité que je fais subir aux autres. Tu es la seule à savoir vraiment ce que je fais, mais tous les autres… ils sont persuadés que je suis journaliste, DRH, chanteuse, et je t’en passe et des meilleures. Je me demande parfois où est le bien là dedans. Je suppose que je cogite trop pour éviter de penser que demain, je devrai me rendre à l’hôpital pour voir mon père. » Lynn n’en n’avait pas encore parlé à Helen, il s’agissait d’un secret largement caché et qu’elle avait gardé pour elle sciemment. Pourquoi, c’était une longue histoire… mais son acolyte de toujours comprendrait sûrement, ou du moins à demi mot.

« Ce serait fun qu’il te rencontre ! Comme je ne suis absolument pas le portrait craché de ma mère, tu verras de qui je tiens au moins… » Ce n’était pas faute que Lynn veuille mêler sa meilleure amie à la seule partie visible de sa vie, sans forcément y parvenir toujours avec brio. Ce soir, les quelques verres qu’elle avait dans le nez devait forcément aider à pousser la confidence un peu plus loin, du moins suffisamment pour qu’elle aille jusqu’à parler de son père, son idole, la personne qu’elle aimait le plus en ce monde et qu’elle avait pourtant crue perdue à jamais. Fallait-il qu’elle adore cette charmante brunette aux cheveux courts marchant actuellement au même rythme qu’elle dans une rue déserte de New York pour que sa confidence aille jusque là. Lynn savait qu’elle pourrait avoir toute confiance en Helen, c’était comme marqué sur son front. « Je n’en n’ai jamais parlé à personne, c’est vrai. Je plaide coupable. » Lynn esquissa un sourire plus faible bien que présent, signe que ce sujet la touchait tout particulièrement. Elle aurait pu se mettre à insulter sa mère pendant des heures sans en ressentir le moindre remord, mais elle n’aurait jamais pu se permettre de le faire à l’encontre de son père. Celui-ci regroupait tout ce qu’elle respectait dans ce monde, le meilleur comme le pire. Il restait humain… « En fait, si je ne t’en ai jamais parlé, c’est parce que je l’ai longtemps cru mort. Il dirigeait un commando d’élite, sous le couvert de la NSA, et pendant toute mon enfance, je le voyais peu mais à chacun de ses retours, j’étais aux anges. Il a toujours été mon modèle, et je rêvais de lui ressembler. Quand il a disparut, j’en voulais à la terre entière et je me suis mise à faire n’importe quoi. Tu te souviens le moment où tu me reprochais de ne plus me voir du tout ? J’étais dans une phase un peu… autodestructrice et je ne voulais pas t’embarquer dans mon délire. J’avais raison… »

Lynn avait toujours été plus ou moins instable. Elle était même loin de se considérer comme quelqu’un d’équilibré, même encore maintenant ! Sans quoi, elle ne ferait pas ce métier. Elle serait comme tout un chacun, à galérer pour payer ses factures et non pas à rouler sur une moto hors de prix, à profiter d’un appartement honteusement luxueux, ou à s’enrôler dans des missions toutes plus dangereuses les unes que les autres. Mais tout ça, Helen n’en n’avait pas conscience et c’était tant mieux. Ce qu’elle ignore ne peut pas lui faire de mal, comme dit l’autre… « Il s’avère que mon père n’était pas mort mais retenu prisonnier en Birmanie. Les birmans ne sont pas réputés pour leur douceur… je ne veux pas savoir ce qu’il a subit pendant toutes ces années, mais au moment où j’ai appris ça, j’ai pris le premier vol pour aller le secourir. Pleine jungle birmane, un seul coéquipier aussi fou que moi pour partenaire… c’est là que j’ai vraiment été blessée, en fait. Ma plaie au bras, c’est de la gnognotte à côté, je me suis pris trois balles en pleine poitrine avant de remonter dans l’avion. Mais il fallait que je le sauve, parce que je sais qu’il aurait fait de même pour moi. Ah, je sais, tu dois me prendre pour une barge ! Tu as le droit, je ne t’en voudrais pas tu sais… »

« Ton idole ? » répéta Lynn, incrédule. Diantre, elle n’aurait jamais cru qu’on puisse l’aduler. Mais il fallait dire que Lynn ne trouvait absolument pas glamour le fait de rentrer souvent blessée, couverte de sang et la conscience lourde face aux faits qu’elle avait bien pu faire. Son métier n’était aucunement utopique : certes, elle protégeait son pays, mais à quels prix. Ceux-ci étaient bien lourds, lorsqu’on y réfléchissait. Ce fut sans doute ce qui la poussa à attraper Helen par les épaules afin de la serrer contre elle, non sans cesser de marcher, mais plutôt pour qu’elle ne se trouve pas toute petite : au contraire, la brunette aux cheveux courts avait un cœur en or, un talent indéniable et si elle n’existait pas, Lynn était convaincue qu’il faudrait l’inventer. Faire un complexe d’infériorité n’était donc pas utile, surtout face à la brunette deuxième du nom, qui n’estimait pas avoir inventé la poudre, bien au contraire. « Et bien si cela te convient, alors continue à vivre ta passion ! Tu sais, il n’y a pas de bon ou de mauvais métier… le tien n’est pas à dénigrer face au mien, et tu sais pourquoi ? Parce que tu fais rêver les gens. Tu leur donne envie de se croire plus forts, plus beaux, plus extraordinaires. Tu penses peut-être que ce n’est pas grand-chose, mais je ne suis pas du tout, du tout d’accord avec toi. Qui te dit que tu ne sauves pas les gens ? Peut-être que tu redonnes le sourire à de très grands dépressifs, les empêchant ainsi de vouloir se donner la mort ! Ton métier n’est alors pas moins noble que le mien. D’autant que moi, je suis dans l’ombre, condamnée à être méconnue de tous. Toi, tu as la chance de pouvoir être sur le devant de la scène… pour qu’ils t’adulent tous ! » Et pour la beauté de la chose, Lynn mima une foule de fans en train de crier le nom d’Helen, prête à entrer sur scène, dans un costume magnifique. D’ailleurs, si elle avait l’occasion, la demoiselle viendrait volontiers à une prochaine représentation de son acolyte unique et préférée, qui en connaissait désormais plus sur elle que n’importe qui d’autre sur cette bonne planète… si ce n’est pas un rang honorifique, ça ! « Franchement d’ailleurs, faut que je te demande un autographe pour fanfaronner avec. »

Alors que leurs rires peuplaient l’atmosphère sonore étonnement silencieuse de cette grande rue de New York, ce fut le moment précis où une pluie torrentielle décida de s’abattre justement sur la ville. En moins d’une minute, les deux jeunes femmes furent trempées jusqu’aux os, mais ne semblaient pas décidées à accélérer le pas, ou même à prendre un taxi pour éviter de choper une pneumonie au passage, et ce bien qu’elles soient en tenues que l’on pourrait qualifier de légères. Lynn n’était pas une petite nature, Helen non plus, et il s’agissait d’un beau challenge qui s’offrait à elles : pourquoi ne pas se la jouer « I’m singing in the rain » ! « Tu te souviens de cette choré que tu avais inventée lors du dernier anniversaire que l’on a fêté ensemble ? C’était le tien, d’ailleurs ! Tu seras toujours meilleure danseuse que moi, mais ça pourrait être encore plus énorme avec de la flotte ! » Et Lynn commença à refaire le début des mouvements, dont elle n’avait oublié aucun détail, un sourire on ne peut plus éclatant au bout des lèvres. L’alcool devait aider, c’était une certitude !

Lynn aurait pu souffrir mille morts voire même se trouver en fauteuil roulant qu’elle aurait quand même voulu danser avec son acolyte de toujours. Il n’était plus question de tomber dans l’idolâtrie ou la déprime, car les voilà en train de refaire à leur sauce la chorégraphie de « I’m singing in the rain » sous les regards bauvins de la plupart des voisins d’Helen. Vraiment, la chanteuse risquait de se faire prendre pour une folle échappée de l’asile, mais qu’importe. Celle-ci ne semblait pas s’en soucier alors qu’elle accompagnait volontiers Lynn, dont le chant laissait certes à désirer mais qui venait du fond du cœur. Après tout, elles n’allaient pas se rendre à un concours de chant, la jolie canadienne n’avait donc pas à craindre que le hurlement étant actuellement le sien soit noté par un quelconque jury véreux. Par contre, au niveau danse, elle était au rendez-vous : ses gestes étaient souples, maîtrisés, et bien qu’elle n’ait pas le talent de son amie, elle savait la suivre sans peine et surtout, sans écouter la douleur présente dans son bras. Hors de question de gâcher un moment pareil… qui valait tout de même son pesant de cacahuètes en plomb ! Elles furent une bonne vingtaine de minutes à danser et à s’époumoner en pleine rue, sans que personne n’ose leur demander de la boucler, sûrement trop intéressés qu’ils étaient par ce spectacle unique… et contre toute attente, ce fut Lynn qui s’arrêta en premier. Elle n’était aucunement essoufflée, mais elle peinait simplement à trouver davantage d’inspiration au niveau de la chorégraphie. Elle n’avait jamais prétendu être danseuse, après tout ! « Dis-moi, je trouve que notre duo ferait malheur à Hollywood. » Le pire, c’est que Lynn aurait été capable, une fois bien alcoolisée, d’aller au bout du monde même pour présenter un show complètement pourri digne de recevoir des salades avariées. Mais elle n’était pas suffisamment bloquée par l’alcool pour ajouter des actes à ses paroles. Elle avait plus intelligent à proposer, du reste. « Je pense qu’on devrait aller se faire une bonne bouffe. Tu choisis le restaurant le plus cher de la ville, on part se repoudrer le bout du nez chez toi et on fonce. C’est d’autant plus jouissif que ça va être ma richissime mère qui va nous payer notre petite soirée improvisée. Je suggère même qu’on ne s’arrête pas à la bouffe et qu’on s’octroie un petit massage Thaï après ! » Sous entendu, j’ai de nombreuses très bonnes adresses et tu vas passer la meilleure nuit de ta vie ! Comme quoi, il n’y avait pas que de mauvais côtés à bosser pour sa mère : cela lui permettrait de faire passer une soirée complète avec Helen en tant que note de frais… et quelque chose lui disait qu’elle n’oserait sûrement pas refuser cela à Lynn. « Ou si tu as d’autres doléances, je suis toute ouïe ma chère… tant que c’est la maternelle qui paye, de toute façon, quoi qu’on fasse ce serait délectable ! » Et pour la beauté de la chose, elle avait pris un air tout à fait solennel pour lui présenter le programme. Mais quelque chose lui disait qu’Helen allait tout de suite adhérer audit programme…

« Dis-moi, je trouve que notre duo ferait malheur à Hollywood. », constata assez rapidement Lynn. C'est vrai que elles n'étaient vraiment pas mauvaises et que leur duo était vraiment beau. Les personnes qui habitaient non loin avaient dut entendre le chant d'Helen et se poser des question, tandis qu'elles exécutaient leur chorégraphie sous la plus battante. « Tu crois ? Je pense qu'ils se languissent de nous ! », rigola Helen. Par la suite, Lynn enchaîna sur un tout autre sujet, laissant leur projet prometteur de côté. Même si elle ne voulait pas écouter Helen, l'agent de la CIA avait un vrai don en danse, mais elle ne voulait pas écouter la comédienne. Pourtant, celle ci en voit tous les jours des pas de danse et en fait très régulièrement, alors elle est en quelques sortes experte en la matière. Mais non, Lynn beaucoup trop modeste préfère laisser le beau rôle à son acolyte. Soit, on ne pouvait pas la faire changer d'avis, c'était peine perdue.

« Je pense qu’on devrait aller se faire une bonne bouffe. Tu choisis le restaurant le plus cher de la ville, on part se repoudrer le bout du nez chez toi et on fonce. C’est d’autant plus jouissif que ça va être ma richissime mère qui va nous payer notre petite soirée improvisée. Je suggère même qu’on ne s’arrête pas à la bouffe et qu’on s’octroie un petit massage Thaï après ! » Helen constata Lynn l'air sérieux. Non, en fait elle tentait d'être sérieuse car elle était toute excitée du programme qui s'annonçait. Même si elle savait qu'il ne fallait tout de même pas abuser de la fortune de la mère de Lynn, ce genres de petits plaisirs ne se fait que rarement, entre amies. Or, Helen n'a pas énormément de temps, et encore moins pour s'offrir ce genres de petites choses alors autant en profiter, d'autant plus que la présence de Lynn n'est pas du tout désagréable. « Ou si tu as d’autres doléances, je suis toute ouïe ma chère… tant que c’est la maternelle qui paye, de toute façon, quoi qu’on fasse ce serait délectable ! » Là aussi, Helen et Lynn tentèrent de garder un air le plus sérieux mais c'était impossible. Ma comédienne accepta avec grand plaisir l’invitation de Lynn. Cependant, un massage à onze heures du soir... « Yay ! Awesome ! On passe chez moi, on se repoudre et on s'habille classe et ensuite on va dans un super resto. Ça marche pour ça. Mais le massage à onze heures presque minuit... Je sais pas si ça sera possible. », dit elle avait un air légèrement désolé. Elle attendit la réponse de son amie et elles filèrent chez elle en courant sous la pluie qui tombait toujours sur New York. Face au placard, elles prirent les premières robes qui leur tombaient sous la main, enfin celles avec un minimum de classe tout de même. Heureusement qu'elles faisaient la même taille. Helen fit attention en faisant enfiler la robe à Lynn, à son bras endolori. Ce n'était pas très beau à voir mais bon, elles ferraient avec. Ensuite elles se mirent à la recherche d'un restaurant très réputé de New York et tombèrent sur un avec des prix faramineux et que des bonnes critiques, elle n'hésitèrent pas une seule seconde et se ruèrent dans la voiture d'Helen. Oui, Lynn avait fait la moue lorsqu'elle c'était souvenue que sa superbe moto était à l'Awesome. « Désolée ma poule si mon vieux tacos n'arrive pas à nous tracter à destination ! », dit Helen avec un clin d'oeil en laissant apparaître sa belle Audi noire. Elle et les voitures, ça se connait.