TAYLA & LOAN

❝ heads up ❞

Elle était malade comme un chien et avait des impressions de déjà-vu qui ne l’étaient pas tant à bien y réfléchir. Elle était probablement suicidaire … ce qui à vrai dire ne pouvait être que la seule explication quant au fait qu’elle soit tout de même aller en Afghanistan en sachant pertinemment que sa vie ne serait pas la seule en jeu. Bien qu’elle ne soit pas la plus normale de Duke, elle en restait une malgré tout et l’armée elle avait ça dans le sang. Qu’importe la raison il était tout bonnement non envisageable pour la jeune femme de refuser un quelconque déploiement bien que ce dernier ait éveillé en elle une sacré peur qui, lorsqu’on regardait de plus près le mois qui s’était écoulé, avait eu une raison d’être. Cependant elle était de retour et penser à ce mois qu’elle venait de vivre n’était pas la meilleure chose à faire d’autant plus lorsqu’elle passait quasiment toutes ses nuits à en faire des cauchemars qui la forçaient à se réveiller en sueur, la respiration courte et tellement paniquée qu’elle s’assurait pendant une bonne demi-heure d’être à New York et non pas en train d’halluciner dans sa « caisse » au front. Cette nuit n’avait pas été bien différente et Loan commençait à sentir la fatigue lui tirailler un peu plus chacun de ses muscles tandis que les jours s’écoulaient. Le sommeil était ce dont elle avait le plus besoin – d’autant plus en ce moment – et pourtant son cerveau semblait prendre un malin plaisir à l’empêcher d’avoir des nuits entières.

Tout d’abord réveillée aux alentours de quatre heures du matin par l’un de ses nombreux cauchemars, la philippine avait tout de même réussi à retrouver le sommeil pour finalement être à nouveau réveillée par des nausées qui la forcèrent à sortir avec précipitation de son lit pour rejoindre à toute vitesse les toilettes avant qu’il ne soit trop tard. Cet état la fatiguait tout autant que le reste, mais c’était sans doute le seul point positif de sa vie ces derniers temps bien qu’elle n’en ait parlé qu’à très peu de personnes et encore au moins à la plus intéressée de ces dernières. Toute sa matinée, Loan la passa à somnoler devant sa télévision, allongée dans son canapé lorsqu’elle n’était pas en train d’avaler un plein bol de céréales, seule nourriture qui ne lui demandait pas trop d’efforts. Néanmoins, voyant le soleil décliner dans le ciel et les programmes télévisées devenir de plus en plus ennuyants, la jeune femme quitta le salon pour déposer son bol et sa cuillère dans l’évier de la cuisine et rejoignit la salle de bain pour une bonne douche chaude. Les vêtements pour lesquels elle opta une fois face à son armoire elle savait que c’était bien la dernière fois qu’elle les mettait avant plusieurs mois et rien que cette idée la fit soupirer et regretter d’avoir jeté les vêtements de sa première grossesse. Rejoindre ce qui était à présent le bar de sa sœur de sang ne fut pas d’une grande difficulté pour la jeune femme qui avait une excellente mémoire.

Elle parvint même à retrouver le monte-charge sans la moindre difficulté et tandis qu’elle rejoignait le bar en lui-même, elle ne put s’empêcher d’éprouver une certaine impatience à la fois à l’idée de retrouver Tayla que pour la découverte qui l’attendait. Comme elle s’en doutait l’endroit reflétait parfaitement la personnalité de son amie d’enfance et un large sourire vint étirer ses lèvres lorsque son regard se posa sur la silhouette de la jeune femme dont elle vit les lèvres bouger sans pour autant entendre ce qu’elle pouvait dire. Puis, la voyant courir en sa direction, la surprise prit place sur son visage et Loan eut tout juste le temps de faire un pas en arrière pour garder son équilibre tandis que Max se jetait sur elle. « T'es rentrée... ». Malgré la douleur qui se réveilla au niveau de son abdomen, la philippine la serra à son tour dans ses bras avant de se séparer d’elle après quelques minutes. « J’avais pas trop le choix à vrai dire … ». Non pas qu’elle le regrettait mais elle aurait préféré rentrer pour une toute autre raison que l’actuelle. Ceci dit, le regard de Loan ne tarda pas à dévier de son amie au bar de cette dernière en restant souriante. « Impressionnant … tu n’aurais pas gardé le bar, j’aurais eu du mal à reconnaître l’endroit. ». Elle exagérait peut-être un peu mais c’était uniquement afin d’appuyer sur le fait qu’elle était impressionnée du travail qui avait été effectué et de ce qu’était devenu ce bar totalement vide qu’elle avait vu quelques mois plus tôt.

Ce bar clandestin lui semblait bien moins effrayant que lorsqu’elle y était venue auparavant. Avec le réaménagement des lieux elle n’avait pas la sensation que des gars armés jusqu’aux dents allaient débarquer d’une minute à l’autre et tirer sur tout ce qui bougeait. Là, le Scorpio ressemblait vraiment à un bar et faisait ressortir les goûts que sa sœur de sang pouvait avoir. De plus, la Philippine préférait s’intéresser à tout et n’importe quoi du moment qu’elle n’avait pas à penser à ce par quoi elle été passée lorsqu’elle était encore en Afghanistan. Pourtant, Loan savait que Tayla n’allait pas la laisser s’en sortir aussi facilement, elle allait lui poser la question et la jeune femme n’aurait aucun moyen d’y échapper et, quelque part, elle doutait d’en avoir réellement envie. Silencieuse, elle la suivit néanmoins en direction du bar, seul vestige des souvenirs qu’elle avait de l’endroit et elle prit place sur l’un des tabourets haut tandis que son amie faisait le tour du bar pour se poster devant elle.

« Je sais ! Je suis plutôt fière de ce que j'ai fait pour le coup, même si il reste sûrement quelques petits ajustements à faire. Comme je t'ai dit, j'attendais ton retour pour entamer une quelconque ouverture. ». Un nouveau sourire apparu sur les lèvres de la jeune femme qui acquiesça d’un bref signe de la tête pour lui faire comprendre en silence qu’elle savait qu’elle avait attendu son retour. L’une des rares fois où son portable avait accepté de capter un quelconque réseau était également la seule fois où elle avait pu répondre aux personnes qui avaient tenté de prendre contact avec elle depuis qu’elle était partie soit pas tant de monde que ça au final. « Alors, qu'est-ce qui s'est passé ? ». Son regard jusqu’alors posé sur le bar devant lequel elle était assise, il ne tarda pas à aller se poser sur Tayla tandis que les sourcils de la jeune femme se froncèrent pour lui donner l’air de ne pas savoir de quoi elle parlait. Évidemment, Loan le savait très bien. Comme elle l’avait deviné quelques instants plus tôt, la jeune femme face à elle n’allait pas la laisser s’en sortir aussi facilement et comptait bien savoir toute la vérité. « Un petit remontant de bienvenue ? ». Totalement perdue dans ses pensées, elle n’en sortit qu’en voyant le verre que Tayla glissa vers elle. Loan passa quelques secondes à le fixer avant de le repousser en secouant vigoureusement la tête de droite à gauche.

« J’arrête l’alcool pour un temps. » Avoua-t-elle avec un sourire désolé, même si elle ne l’était pas tellement. La Philippine se sentait peut-être quelque peu déboussolée depuis qu’elle savait être enceinte, mais étant donné que l’avortement n’était pas dans ses principes – et que pour tout dire elle n’avait pas la moindre envie de se séparer de cet enfant – elle ne comptait pas jouer avec le feu. « Mon unité est tombée dans une embuscade. » Commença-t-elle pour en revenir à sa précédente question. « Mes souvenirs restent encore assez flous, je peux juste te dire que j’ai été enfermée dans une sorte de tombe improvisée dont j’ai été sortie quelques rares fois pour un interrogatoire avant d’en sortir de je ne sais plus quelle manière. ». D’après les médecins son cerveau avait volontairement refoulé ces souvenirs et Loan ne voyait pas de problème à ça même si ses cauchemars restaient présent eux. Le regard perdu dans le vague, elle soupira tout en revenant, ses yeux se posant ensuite sur Tayla. « Mais ce n’est pas la raison de mon retour. Ils ont découvert que je leur avais caché quelque chose de plutôt … important. Je suis enceinte. ». Voilà qui était dit. La Philippine n’avait pas la moindre envie d’y aller par quatre chemins et puisqu’il s’agissait de son amie elle savait qu’elle n’avait pas besoin de prendre des gants et encore moins de lui mentir puisqu’elle l’aurait découvert tôt ou tard.

Elle revoyait encore l’air ahuri des médecins lorsqu’ils avaient reçu les résultats de ses examens et lorsqu’ils avaient eu la confirmation qu’elle était totalement folle. Loan était partie en Afghanistan en sachant qu’elle risquait gros à la fois pour sa propre vie que pour celle de l’enfant qu’elle portait. Toutefois, malgré la peur qui lui avait rongé l’estomac lorsqu’elle avait appris que son déploiement se ferait si rapidement elle avait été bien incapable de dire quoi que ce soit. Elle avait été poussée par son devoir de soldate et n’avait eu de cesse de chercher une bonne excuse à donner si jamais sa grossesse venait à être découverte. Au final, la Philippine n’avait rien eu à dire. Après que son unité eut été retrouvée elle s’était enfermée dans un mutisme qui ne lui ressemblait pas et personne n’avait osé la brusquer, pas même à son retour à New York. Cependant, aussi imprudente eut-elle été en partant tout en connaissant la vérité, elle s’était promis de se calmer une fois de retour aux États-Unis, de retrouver un semblant de vie normale et de stabilité à la fois pour elle et pour le bébé. L’alcool était évidemment à proscrire.

Lui qui avait été son meilleur ami au cours de sa dépression, elle l’éloignait autant que possible d’elle et refusait tous les verres que l’on pouvait lui offrir, même venant de Tayla. « Bullshit... ». Loan fut incapable de retenir son rire en la voyant avaler à la suite les deux verres qu’elle venait de servir sans lui cacher sa surprise. La raison elle allait la connaitre, aussi dérangeante puisse-t-elle être lorsqu’on connaissait le père de l’enfant qu’elle portait. Mais les premières paroles qu’elle prononça suite à son aveu d’abstinence furent d’abord à propos de ce qu’elle avait vécu en Afghanistan, une prise d’otages traumatisante dont son cerveau avait effacé une grande partie même la Philippine désirait se souvenir persuadée que ça l’aiderait à dormir enfin la nuit. « Oh merde... Si j'avais su, Loan, je... je serais venue te chercher, sois en sûre. ». Un très léger sourire vint étirer les lèvres de la jeune femme afin de lui faire comprendre qu’elle n’en doutait pas une seule minute et même qu’elle la remerciait pour ça, pour son soutien sans faille. « Je sais, mais comme tu le vois j’ai réussi à m’en sortir même si la façon m’échappe encore … les joies du choc post-traumatique. » Ironisa-t-elle en levant les yeux au ciel. Loan préférait en rire plutôt que d’en pleurer et surtout elle refusait que qui que ce soit ait de la pitié pour elle.

Elle était dans l’armée, elle savait que ce genre d’évènement pouvait se produire et rien que pour ça elle ne supportait pas qu’on la plaigne alors qu’elle savait très bien ce qu’elle risquait à chaque fois. « Quoi ?! Mais, mais de qui ?! ». Cette fois la Philippine fut incapable de regarder Tayla dans les yeux. Son regard alla se poser sur le bar devant lequel elle était assise tout en sentant son estomac se nouer parce qu’elle savait que la jeune femme allait deviner l’identité du père très vite. « Mon dieu ! De... ? ». Mêler Dieu à toute cette histoire était peut-être exagérer mais au moins ce fut la preuve qu’elle avait compris, comme Loan s’en était doutée. Levant doucement les yeux, elle poussa un soupire lourd de sens en haussant les épaules. « Ce n’était pas prévu dans l’équation et je ne lui ai rien dit … d’ailleurs j’aimerais que ça reste comme ça même si je me doute qu’il va finir par le voir … ». Loan ignorer qu’Elijah n’était plus sur le sol américain ? C’était tout à fait le cas. Une grimace mal à l’aise déforma le visage de la jeune femme dont le regard ne quittait plus sa sœur de sang. Tout compte fait, le verre de vodka elle aurait bien voulu le boire.

Cet aveu qu’elle avait seulement fait à Tayla, la jeune femme aurait préféré le garder pour elle pour le restant de sa vie, mais malheureusement étant donné son état de ce n’était pas une chose qui allait arriver de si tôt. La grossesse n’était pas une chose qui l’intéressait vraiment et autant dire que les deux fois où ça lui tombait dessus c’était bien la dernière chose que la jeune femme souhaitait. Certes, elle aurait probablement pu faire le choix d’avorter dès qu’elle l’avait su mais ça ne faisait pas partie de ses principes et cette fois-ci, elle comptait garder l’enfant qu’elle portait. Malgré toute la colère qu’elle pouvait éprouver envers Elijah, elle l’aimait d’un amour quelque peu malsain mais qui existait tout de même. Jamais elle ne serait capable de l’avouer parce qu’elle était trop fière pour ça mais aussi par peur, celle de le perdre définitivement ce qu’elle ne pouvait pas se résoudre à accepter, du moins pour l’instant. Alors, non elle n’avait rien dit à personne, encore moins lorsqu’elle avait été en déploiement, par égoïsme sans doute, mais peu lui importait. L’avouer à Tayla libérait un tant soit peu le poids qui pesait sur ses épaules et qui pourtant ne fit pas taire la nervosité qui lui retournait l’estomac.

Voir la jeune femme avaler deux verres de vodka d’affiler éveilla quelque peu sa curiosité. Était-elle tellement choquée par cette nouvelle qu’elle avait besoin de boire autant d’alcool ou était-ce pour une toute autre raison ? « A propos de ça... » Vu le début de cette phrase, il devait y avoir quelque chose et Loan se sentit immédiatement mal à l’aise comme si elle devinait par avance que ce que la jeune femme face à elle allait lui dire n’allait que très peu lui plaire. « Elijah est parti. » L’air lui manqua. La Philippine ouvrit la bouche prête à répliquer quelque chose, mais rien ne lui venait à l’esprit. En réalité, elle essayait de savoir si Tayla était en train de se moquer d’elle ou si elle était sérieuse bien que dans les deux cas elle n’appréciait que très peu ses paroles. « Il ne m'a pas vraiment donné de détails, mais je sais qu'il est retourné en Europe, probablement en Grèce, et qu'il ne comptait pas revenir ici avant un bon moment... Enfin, j'imagine que si il savait que tu attendais son gosse, les choses seraient peut-être différentes, mais si tu préfères ne pas lui dire... » Loan resta focalisée sur les premiers mots et uniquement sur ces derniers. Il était vraiment parti, ce n’était pas une plaisanterie. Il avait quitté les Etats-Unis et était retourné en Grèce sans même daigner la prévenir … pour quoi n’était-elle pas surprise ? Aussi blessée qu’elle pouvait paraître, la Philippine n’était pas étonnée.

Tous les deux s’étaient trop rapprochés … Il lui avait avoué l’avoir protégé pendant des années et ils avaient fini par coucher ensemble. Loan connaissait assez bien Elijah pour savoir ce que pouvait signifier cette erreur pour lui comme pour elle. Passant sa langue sur ses lèvres, Loan fini par pincer ces dernières tout en baissant les yeux, ce verre de vodka elle le voulait de plus en plus. « Alors si je comprends bien... Tu vas le garder ? Oula, attends, tu savais que t'étais enceinte en partant ? » Doucement, la jeune femme révéla les yeux vers Tayla sans rien dire pendant un temps. Elle essayait encore de faire passer la nouvelle et de faire taire cette pointe de déception qui grandissait en elle de seconde en seconde. Puis, finalement, Loan opina du chef dans un soupire. « Je le savais, oui, ce que mes supérieurs n’ont que très peu appréciés même s’ils n’ont pas osé me dire quoi que ce soit » Étant donné l’état dans lequel elle avait été lorsqu’ils avaient découvert qu’elle était enceinte et qu’elle le savait avant même de mettre les pieds en Afghanistan ce n’était pas étonnant. « Et je le garde. J’ai beau détester Elijah, là tout de suite, cet enfant il n’a rien demandé, j’ai déjà fait l’erreur d’abandonner mon fils, je vais pas la refaire alors que je le veux. » ou comment dire de manière implicite qu’elle avait tellement Elijah dans la peau qu’elle avait besoin de garder auprès d’elle un bout de lui …