Impossible n’est pas allemand… et encore moins Neige. Le joli flocon semblait avoir diamétralement changé en l’espace de quelques semaines. Elle n’était plus la jeune femme avenante et prête à aider son prochain, cachant honteusement ses activités criminelles par peur que son fiancé ne désapprouve la chose… non, désormais, elle n’avait plus de compte à rendre à personne. Amaury avait pris la poudre d’escampette devant ses blessures à répétition et l’avancée complexe de sa grossesse, la laissant démunie. Cela avait été difficile, particulièrement pénible pour la demoiselle mais la jolie allemande avait fini par reprendre du poil de la bête, écrasant ses émotions les plus dérangeantes pour se concentrer sur ce qu’elle savait fait de mieux : être un architecte que tout le monde s’arrache d’un côté, notamment grâce à son talent en dessin mais également son sens du détail particulièrement évident, mais aussi une voleuse hors pair que de très nombreuses forces de police n’avaient toujours pas réussi à coincer. Ce soir, un musée en particulier était dans sa ligne de mire : en plein New York, alors qu’un gala était organisé dans la salle principale de celui-ci, Neige se jouait du danger pour dérober des plans de ce bon Léonard de Vinci… les plans d’une machine ayant une valeur particulièrement imposante et qui aurait probablement moins de surveillance à ses trousses que la tiare d’on ne sait quelle reine mis en valeur pendant le gala. Les plans qui l’intéressaient piquaient en vérité la curiosité de l’architecte avant tout. Elle les avait longtemps cherchés et désormais qu’ils étaient à portée de sa main… il aurait été criminel de ne pas les dérober.

« Jarvis, coupe les caméras dans dix secondes. » Armée d’un mini ordinateur lui permettant de mettre à mal les capteurs de mouvements, Neige avait revêtit une tenue noire moulante, non pas pour donner dans le cliché mais plutôt car cela l’empêchait davantage d’être gênée par ses rondeurs de grossesse. Elle venait juste de pénétrer à l’intérieur de la salle de restauration, vide à cette heure, et si ses calculs étaient exacts –chose étant toujours le cas bien évidemment–, la prochaine ronde de surveillance ne pointerait pas le bout de son nez avant vingt bonnes minutes. Cela lui laissait amplement le temps de défaire chaque vis du présentoir afin d’en extraire les plans anciens… « Je commence à dévisser. Tu es mes yeux Jarvis t’as pas intérêt à merder… précision hein ! » Neige s’adonnait à sa tâche lorsqu’elle fut prévenue de la visite impromptue d’un suicidaire. Elle eut juste le temps d’enrouler les documents sur eux-mêmes pour les mettre dans un porte document circulaire prenant peu de place et possédant une sangle qu’elle pouvait porter en bandoulière. Elle voulut hélas sortir avant même qu’il ne rentre mais il la devança, l’incitant à couper les lumières toujours à l’aide de son mini ordinateur. La sortie risquait d’être sportive, surtout que pour ne rien arranger, des douleurs lancinantes commençaient à lui scier littéralement le bas ventre. « Vous avez cinq secondes pour me lâcher » ordonna-t-elle. Mais cet inconnu semblait prêt à de l’excès de zèle et si elle parvint à lui coller un simple bourre-pif, destiné à le désorienter, il réussit de son côté à ôter sa cagoule, laissant clairement entendre qu’elle était une femme d’une part, mais à détacher sa longue chevelure blonde qui allait certainement laisser des traces compromettantes sur les lieux… « Laissez-moi passer » reprit-elle sans se démonter alors qu’elle le tenait aussi fermement que lui, sans même le lâcher une seconde du regard. Qu’il la laisse partir et qu’elle ne fasse pas un malaise maintenant…

Enceinte, le mot était hélas faible. A six mois de grossesse, Neige avait davantage l’impression d’être une baleine échouée incapable d’esquisser de grands mouvements. Mais son goût pour l’adrénaline avait pris le pas sur tout le reste et, malgré les douleurs à répétition lui sciant le bas ventre depuis le départ d’Amaury un peu avant leur mariage, elle avait décidé d’aller jusqu’au bout en récupérant de fait les plans qu’elle convoitait depuis des lustres. Tout aurait été parfait si seulement cet employé zélé n’avait pas pointé le bout de son nez ! Il la tenait fermement, malgré la faiblesse physique que l’on pouvait imaginer en voyant sa canne échouée à même le sol, et Neige avait beau être quelqu’un de souple et de particulièrement agile d’ordinaire, ses kilos de grossesse se faisaient malheureusement bien trop sentir dans cette seconde précise. Elle le fusillait du regard de façon plutôt évidente malgré la pénombre les ayant entourés, agacée non seulement par sa première réplique mais plus encore par sa seconde : il enfonçait des portes ouvertes et, somme toute, lui faisait perdre un temps précieux. « Les personnes dans mon genre ? Et dire que je pensais les historiens intelligents et vifs d’esprit… vous ne savez rien de moi monsieur je sais tout et pire, vous trimballez votre point faible sans malice alors que je pourrais très bien m’en servir… dites-moi : vous préférez me lâcher ou bien risquer d’être dans un fauteuil jusqu’à la fin de votre misérable vie ? » Neige n’était pas quelqu’un de violent. Son talent pour le cambriolage n’avait strictement rien à voir et était lié à des souffrances infantiles. Elle s’était construite seule, avait souvent eu besoin d’argent alors voler s’était révéler être la meilleure des solutions. En bref, la jolie allemande ne comptait pas le malmener, pas s’il ne l’obligeait pas à le faire en dernier recours.

Sauf que ses belles paroles acerbes diminuèrent d’intensité face à la douleur insupportable dont elle fut la victime par la suite. Neige laissa échapper un bref cri, qu’elle retint en se mordant violemment la lèvre, n’essayant plus de se débattre tant elle n’en n’avait pas la force. « Jarvis sors moi d’ici… » murmura-t-elle simplement à son oreillette, en espérant qu’il comprendrait bien que cet appel au secours n’était pas du bluff, loin de là. Par chance, son partenaire était vif et apparut dans la salle où elle était toujours maintenue « prisonnière » en quelques minutes à peine alors que Neige perdait peu à peu conscience. « Lâchez-la merde !! » Bien loin d’être emprunt de non-violence, Jarvis poussa l’historien sans l’ombre d’un état d’âme pour mieux rattraper Neige avant qu’elle ne s’évanouisse. Cette fois-ci, le pire pouvait être craint. « Il faut que je la conduise à l’hôpital. Vous pouvez prévenir qui vous voulez l’affreux, mais je la laisse pas comme ça ! » Et en même temps qu’il la soulevait, sa main droite qui venait de soulever ses jambes fut couverte de sang. Son propre liquide vital ne fit qu’un bon dans sa poitrine et il commença à se diriger vers la sortie sans attendre la Trinité. A vrai dire, Neige avait été maligne avant que Mylo n’arrive… elle avait placé dans son étuis resté sur place une copie des plans de De Vinci, et dissimulé les vrais sur elle. En somme, elle avait quand même réussi son coup… bien qu’elle était en passe de perdre tellement plus.

Jarvis avait hoché la tête en guise de remerciement, ne perdant pas de temps en salamalecs. Il préférait se concentrer sur la survie de son amie de toujours, mais également de son bébé… à six mois, le fœtus n’était pas encore viable et il y avait donc des chances qu’il n’en réchappe pas. Cela n’avait pas été faute de blinder en brûlant tous les feux rouges jusqu’à l’hôpital le plus proche, mais le couperet était tout de même tombé telle la guillotine sur la nuque d’un condamné : l’état de Neige était critique des suites de l’hémorragie dont elle avait été la victime, et ils n’avaient malheureusement pas pu sauver l’enfant. Jarvis dissimula son visage entre ses mains, en colère contre lui-même et soudainement envahi d’une extraordinaire tristesse. Ce n’était pourtant pas son fils, mais la jolie allemande lui avait sauvé la vie tant de fois qu’il se sentait responsable de la sienne. Il patienta un nombre d’heures incalculable avant qu’on ne lui permette de venir voir une Neige comme profondément endormie, soigneusement placée en soins intensifs. Elle y resta de nombreux jours le temps de reprendre le dessus, et autant dire qu’une fois parfaitement réveillée, placée dans une chambre standard et sans la surprotection de Jarvis qui venait de partir bosser, Neige ne mit pas longtemps avant de harceler son doc pour qu’il la fasse sortir de là. « Écoutez, ça fait une semaine que je suis dans cet asile de fous, je ne pourrais pas en supporter une de plus. Signez-moi un papier de sortie et on se quitte « bons amis », par pitié ! » Le charisme de la demoiselle n’était plus à prouver, elle en avait usé maintes et maintes fois lorsqu’elle s’était trouvée en difficulté. Elle parvint d’ailleurs à ses fins puisque son chirurgien finit par céder, se basant sur ses constantes acceptables, non sans lui préciser qu’elle devrait revenir les voir bientôt pour un contrôle. Elle était prête à dire amen à tout s’il lui permettait de quitter au plus tôt cet endroit sordide !

Sa longue chevelure blonde légèrement en bataille, vêtue d’une robe blanche que Jarvis lui avait ramenée pour son départ de l’hôpital, Neige avait presque l’air humaine si l’on excluait soigneusement la pâleur de ses joues et la maigreur de son corps. On lui avait arraché quelque chose. Désormais, elle se sentait vide comme jamais elle ne l’avait été auparavant. Neige marchait comme une ombre en serrant ce foutu morceau de papier entre ses mains, ne faisant aucunement attention à la trajectoire qu’elle empruntait, tant et si bien qu’elle finit par bousculer un visiteur de l’hôpital sans faire exprès. « Excusez-m… » Pour un peu, elle était presque prête à s’excuser, mais elle se ravisa en constatant avec horreur de l’identité de ce fameux visiteur. « Je suis pressée désolée » rétorqua-t-elle tout en tournant aussitôt les talons. Masochiste ? Jamais de la vie. La jolie allemande avait vu son accent reprendre du gallon tout en sachant qu’elle ne serait pas gagnante en cas de joute verbale : pas alors qu’elle était au pire de sa forme.

Neige pensait, sûrement à tort, qu’elle allait s’en sortir en disparaissant comme d’habitude dans un tour de passe-passe… mais cet historien avait décidé de lui donner du fil à retordre et par la barbe de Merlin, il était même parvenu à la rattraper en deux temps trois mouvements ! En lui empoignant l’épaule, il obligea la jolie allemande à plonger à nouveau son regard d’un bleu saisissant dans le sien, mais elle ne lui renvoya que froideur et impassibilité. Certes, la jeune blonde était quelqu’un de fondamentalement intransigeant et nerveux, mais ses colères étaient toujours froides… impossible de savoir quand elles allaient frapper, comment ou pourquoi. En l’occurrence, l’empêcher de partir se terrer dans le cocon le plus protecteur de cette planète après l’horreur qu’elle venait de vivre n’était pas la meilleure façon de lui permettre de rester calme. Neige savait pourquoi il la retenait, qui plus est. Il était très loin d’être idiot, il faisait même une partie de la réputation de son musée d’après ses renseignements extrêmement précis, il devait donc s’être rapidement rendu compte de la supercherie et était venu lui réclamer les plans originaux de Da Vinci. Sûrement avait-il compris que même aux portes de la mort, la jolie allemande était quand même capable d’être une voleuse extraordinairement douée… et une illusionniste non moins remarquable. Mais ils n’étaient pas là pour évoquer ses talents, pas alors qu’elle peinait littéralement à tenir debout. « Et bien j’attends, même si je doute que vous ayez quoi que ce soit à m’apprendre d’intéressant. » Neige n’était pas cruelle, elle pointait des vérités avec une manière un peu froide et cartésienne. On la prenait souvent pour quelqu’un n’ayant aucune folie, incapable de sourire… mais personne ne la connaissait. Personne à part Jarvis, qui lui avait sauvé la vie aussi sûrement que les médecins de l’hôpital où ils se trouvaient.

« Je ne vois pas pourquoi vous l’êtes » reprit-elle en tâchant de ne pas croiser son regard, son corps dégageant une faiblesse qui la désavantageait grandement « désolé, j’entends. » Neige n’avait pas remarqué son bouquet de fleurs jusqu’ici… et il lui glaça à moitié le sang. On ne lui en avait jamais offert. Elle déglutit donc avec difficulté, fronçant même les sourcils avant de les saisir sans brutalité aucune. Elle en aurait été bien incapable et puis… ce n’était pas dans son caractère. « Nous n’avons rien à nous dire, Monsieur Anderson. Et avant que vous ne vous étonniez, bien sur que je sais qui vous êtes. Vous avez même étudiez à Berkeley et avez été embauché il y a deux ans par un Conservateur extrêmement bavard… et qui ne tarit pas d’éloges sur vous. Ne voyez en cela que le fait d’être à la hauteur de votre réputation. » Neige avait été impressionnée par son parcours, à vrai dire, même si elle ne l’avouerait jamais. Mais plus encore, le regard qu’il avait pointé sur elle ce soir là avait dépassé de très loin tout ce qu’elle avait vécu jusqu’ici. Il devait la haïr bien sûr et la jolie allemande n’était pas idiote au point de croire qu’une voleuse comme elle pourrait plaire à un historien de sa trempe… mais il s’était passé quelque chose pendant ces quelques secondes partagées. Hélas, elle ne pouvait même pas le remercier pour l’aide qu’il lui avait apportée, car cela reviendrait à reconnaître son crime… Neige ne faisait aucunement confiance à quelqu’un d’autre qu’à Jarvis, seul être au monde ne l’ayant jamais déçue. Toutefois, cela ne l’empêcha pas de décrocher la tête de l’une des roses blanches du bouquet afin de la glisser dans sa longue chevelure blonde. Elle ne souriait toujours pas et possédait un masque parfaitement impénétrable… mais cela ne l’empêchait aucunement de profiter de son premier bouquet. « C’est mon premier bouquet de fleurs… étrange qu’il émane de vous puisqu’il n’est pas désintéressé. » Autant dire qu’elle évitait soigneusement d’évoquer la perte de son bébé face à ce parfait inconnu… elle n’était pas assez forte pour se faire.

Le sang de Neige fut glacé sur place face au discours de Mylo. Elle n’eut hélas pas le temps d’en placer une bien qu’elle fut tentée par la chose à plusieurs reprises, finissant par le regarder s’éloigner alors qu’une sorte de sentiment dérangeant et nouveau la bouleversait : était-elle désolée pour lui ? Cela ne tournait plus rond chez la jolie allemande ! Elle ne se désolait pas pour autrui d’habitude. Elle n’était pas égoïste pour autant mais savait par expérience que personne ne serait jamais désolé pour elle, hormis Jarvis, s’il lui arrivait une tuile. Cet homme, cet inconnu, ce symbole insaisissable avait été le premier à l’être, de même qu’il avait été le premier à lui apporter des fleurs… elle déglutit avec difficulté, confortablement cachée derrière son habituel masque de froideur tandis qu’elle était peinée de se rendre compte à quel point Mylo Anderson, le génie de l’histoire était un homme seul. Il n’était pourtant pas repoussant, s’exprimait de façon fluide et intelligente, ne semblait pas non plus quelqu’un d’un caractère impossible… Neige nageait en pleine incompréhension et comme toujours, le feu de sa volonté la piqua au vif au point qu’elle ne se lance à sa poursuite. Les portes de l’ascenseur s’ouvraient juste au moment où elle l’aperçut, l’incitant à se dépêcher de lui attraper le bras pour qu’il s’engouffre avec elle et nulle autre à l’intérieur de l’endroit exigu. Le contact physique qu’ils venaient juste d’avoir l’électrisa à un point qu’elle dû le lâcher aussitôt, prétextant tacitement vouloir simplement arrêter l’ascenseur grâce au bouton d’urgence. Seulement voilà, la belle blonde était coincée dans un endroit extrêmement petit, en présence de quelqu’un qui la poussait à énormément se questionner et ce… pour une raison qui l’échappait totalement. Elle plongeait néanmoins son regard dans le sien, sans éprouver le moindre détour et surtout sans s’écarter d’un millimètre malgré leur extrême proximité. « Je ne sais pas ce qui vous a poussé à penser que je suis quelqu’un de dangereux mais qu’importe. Pour votre gouverne et afin que nous soyons sur un même pied d’égalité au niveau des informations, j’ai une fâcheuse tendance à haïr la violence de tout mon être et à la fuir. Mon fiancé m’a abandonné peu avant cette fameuse nuit ou je vous ai rencontré et si vous pensez que mon meilleur ami est mon compagnon, alors… ne le pensez plus car ce n’est pas le cas. »

Pourquoi diable lui donnait-elle des informations si capitales sur sa personne ? Mystère et balle de golf. Neige ne voulait pas qu’il se fasse une mauvaise image d’elle, sans doute, et ce bien que cette vérité soit diablement ridicule et improbable. « Je n’ai rien contre vous, je ne vous veux aucun mal. Libre à vous de le croire ou non je ne prétends pas vous forcer à me croire mais je me demande pourquoi vous avez mis votre réputation à mal pour moi. C’est ridicule, vous ne me devez rien et je sais me défendre seule. » Non pas qu’elle ait spécialement envie qu’il témoigne contre elle, mais pour ainsi dire… elle s’en moquait. La preuve en fut qu’elle rappuya sur le bouton de l’ascenseur afin de lui prouver qu’elle ne le retiendrait pas en otage maintenant qu’elle s’était exprimée et se tourna vers les portes pour ne plus croiser son regard. Foutues hormones… et encore, elle n’était pas au bout de ses peines ! Lorsque les deux pans de métal s’ouvrirent, quelle ne fut pas son abominable surprise lorsqu’elle vit au loin son harceleur par excellence, le rival de toujours qu’elle possédait dans le domaine de l’architecture et qui la poursuivait de ses assiduités non sans une grande constance. Il constata malheureusement sa présence, la poussant à une chose qu’elle n’aurait jamais faite si elle avait été dans son état normal, à savoir se tourner vers Mylo pour prendre son visage en coupe et l’embrasser, tout simplement. A ceci près que ce qui devait être un simple baiser sans conséquences s’approfondit au fil des secondes, comme s’ils refusaient mutuellement de se laisser s’éloigner de peur de se perdre l’un l’autre. Ce ballet fabuleux posséda littéralement Neige à un point qu’elle n’aurait pu décrire seulement par des mots. Si elle mit un terme à ce baiser, ce fut à grand regret et son regard si profond soudainement dû le laisser pleinement entendre à Mylo bien qu’elle reprit rapidement le contrôle d’elle-même pour s’éloigner sans un bruit. Son rival avait dû être vexé car il avait disparut sans demander son reste, laissant la jolie allemande à nager en pleine perplexité : mais que lui arrivait-il tout d’un coup ?

« Le fait de savourer un moment sans vous poser de questions n’est pas votre genre, pas vrai ? » A peine le baiser avait-il pris fin que déjà, Mylo la questionnait déjà sur le comment du pourquoi. Neige se mit à soupirer avant d’articuler un « pas ici » pour mieux l’inciter à la suivre jusqu’au parking, où elle savait que Jarvis avait laissé sa voiture. Celle-ci ne payait pas de mine et était ancienne mais elle avait beaucoup d’affection pour les vieilles choses. Ca donnait tout de suite une sensation d’authenticité, sentiment que personne ne lui faisait plus ressentir à vrai dire. Mais Neige ne l’avait pas incité à la suivre en ce lieu désert pour le massacrer et laisser son cadavre à bouffer aux corbeaux mais plutôt pour se mettre à le fouiller avec des gestes on ne peut plus précis, tandis qu’elle s’assurait qu’il n’était pas juste un appât affublé d’un micro… on n’est jamais trop prudent, surtout lorsque l’on se trouve être la voleuse la plus recherchée au monde. « Côté étrangeté, je crois que vous me surpassez de très loin. Vous venez avec un bouquet de fleurs, compromettez votre réputation durement gagnée… alors que vous ne savez même pas qui je suis. Et pire, vous me suivez dans ce parking alors qu’effectivement, il serait facile de vous faire du mal ! Est-ce de la naïveté ou simplement de la désinvolture parce que vous pensez que votre vie n’a aucune valeur ? » Neige s’interrogeait sérieusement sur cet homme. Il l’intriguait, chose particulièrement rare car la jolie allemande ne se penchait généralement sur le cas de personne. Elle préférait concentrer son énergie sur ses prochains cambriolages ou sur ses contrats en tant qu’architecte… car oui, elle n’en n’oubliait pas son métier premier, bien au contraire.

« A l’accueil de l’hôpital il y avait un harceleur que je ne peux plus voir en peinture et qui malheureusement est un concurrent dans mon vrai domaine d’activité. Vous étiez là et vous êtes loin d’être repoussant… il n’y a pas à chercher plus loin alors inutile de vous torturer la cervelle. » Il était étrange pour Neige de se dire qu’elle avait embrassé quelqu’un qui ne connaissait même pas son prénom, et ce alors qu’elle avait récemment perdu ce qui aurait pu importer diablement dans sa vie personnelle… un fiancé et son fils. Pour l’instant, elle mettait tous ces détails de côté mais une fois seule, la donne ne serait sûrement pas la même. « Je ne fais pas de choses n’ayant pas de sens pour moi, vous savez. Et accéder à votre requête en fait partie. Je vous dépose ? » Neige ne souriait toujours pas et ne laissait strictement rien transparaître sur ses traits de porcelaine. Libre à ce fameux Mylo de refuser, puisqu’il s’agissait de leur dernier moment ensemble dans tous les cas… elle n’était pas stupide au point de côtoyer quelqu’un pouvant la faire mettre en taule ! « Sinon, c’est un adieu Monsieur Anderson. »

« Je ne vous ai pas violé ! » se défendit-elle aussitôt avant de froncer les sourcils. Neige allait de surprise en surprise dans le sens où Mylo semblait avoir bien peu de considération pour sa vie. Pourquoi ne se jetait-il pas du haut d’un pont s’il souffrait tant ? Oh bien sûr, la jeune femme s’était vaguement intéressée à son dossier médical histoire d’en apprendre davantage sur sa personne mais loin d’elle l’envie de remuer le couteau dans la plaie. Manifestement, il avait passé un sale quart d’heure avec une bande d’abrutis congénitaux et, aussi incroyable que cela puisse paraître, la jolie allemande se surprit à être mue d’une colère particulièrement vengeresse à cette idée. Pourquoi, comment, difficile à dire. Mais en apprenant à connaître le jeune homme, elle devait bien reconnaître qu’il était non seulement loin d’être repoussant mais il possédait un mystère particulièrement attirant. Bien sûr, elle s’en voulut aussitôt d’avoir de telles pensées, puisqu’il restait celui connaissant son vrai visage en dehors de Jarvis et que le côtoyer revenait à prendre le risque de passer le restant de son existence en taule… Neige n’avait pas encore décidé si elle pouvait lui faire confiance en pas, l’avenir le dirait certainement, mais en attendant il n’y avait aucun mal à le raccompagner jusqu’au musée. Même si en soit cela ne pouvait qu’évoquer de très durs souvenirs pour elle… notamment la perte de son bébé. « Je confirme, masochiste est votre second prénom ! Je n’arrive pas à saisir pourquoi vous vous mettez en péril pour rien en restant en ma compagnie mais soit… nous verrons bien. »

En attendant, Neige alla jusqu’à lui ouvrir la portière de sa voiture, celle-ci s’avérant un peu dure et grinçante, avant de contourner son véhicule pour mieux pénétrer du côté conducteur. La jolie allemande n’avait pas encore répondu à sa question mais elle préférait démarrer pour cela : sans être parano, la demoiselle avait une tendance à préférer les endroits restreints où elle pouvait à la fois s’exprimer et réfléchir beaucoup plus librement. « Je suis architecte » lança-t-elle au bout d’un long moment dans un silence parfait, et alors qu’elle s’engouffrait dans les avenues écrasantes de la Grande Pomme. « Ce qui vous explique mon amour pour les plans complexes » ironisa-t-elle sans pour autant que le moindre sourire ne se fraye un chemin au travers de son masque. « En vérité quand je parlais d’adieu ce n’est pas tout à fait vrai… il est possible que le musée m’embauche pour un lourd travail. J’ai cru comprendre que de nombreuses rénovations ne seraient pas du luxe… » Neige ne savait pas si Mylo allait accueillir cette nouvelle avec plaisir ou bien chercher à tout faire pour la dissuader de venir bosser au musée… pour un peu, elle sentait une détestable appréhension la saisir à cette idée. « Je m’appelle Neige-Ondine… mais vous pouvez m’appeler Neige. »

Susceptible, Neige ? Malheureusement oui. Elle n’était pas coutumière des pétages de plomb de Jarvis mais sa colère était d’autant plus froide et dévastatrice quand elle s’y mettait. La jeune femme déglutit avec difficulté face à la réaction de Mylo et fronça les sourcils en se permettant de le regarder dans détour puisqu’ils se trouvaient arrêtés à un feu rouge. « Je n’ai pas à me justifier face à vous, gardez vos petites leçons ! » rétorqua-t-elle sans l’ombre d’une douceur tandis qu’elle ne le lâchait pas du regard, son océan d’un bleu saisissant s’imprégnant des vagues sombres de celui de l’historien. A vrai dire, la jolie allemande ne savait pas ce qui la vexait le plus… qu’il ne veuille clairement pas qu’elle intègre le musée pour une durée indéterminée afin de procéder à des rénovations de marque ou qu’il fasse preuve d’une froideur dont la raison finale lui échappait totalement. « Je ne touche jamais deux fois à un même endroit et puis… je ne mélange pas mon travail officiel et mes autres activités. A ceci près que je ne sais même pas pourquoi je me justifie face à vous : après tout, ce n’est pas comme si vous pouviez comprendre quoi que ce soit. Vous êtes tellement obnubilé par le fait que l’on puisse vous faire du mal que vous perdez tout le reste de vue ! » Neige n’était pas foncièrement délicate dans ses paroles mais sa douceur d’autrefois en avait pris sacrément pour son grade dernièrement. Elle avait tout perdu. Pourquoi devrait-elle se justifier alors que dans le fond, personne ne l’attendrait non plus une fois rentrée chez elle ? Pas même Jarvis, qui serait certainement bien trop occupé à se trouver une femme pour passer agréablement la nuit. Somme toute, la solitude n’avait de cesse de mordre et la réaction de Mylo ne pouvait guère faire autrement que de lui taper sur le système.

« Mes états de service ? Mais pour qui vous vous prenez, hein ? Vous, la belle oie blanche qui a tellement peu de respect pour sa vie qu’elle supplie presque à tous ceux qu’elle croise d’abréger ses souffrances ! Je n’émets pas de jugement alors ne mettez pas les pieds sur cette pente glissante, MONSIEUR ANDERSON. » Neige avait bien insisté sur la fin avant de redémarrer sa voiture, quittant de fait le regard brisé du jeune homme qu’elle ne prenait ni en pitié ni en affection. Du moins elle tentait de faire en sorte que la deuxième option ne lui mette pas d’œillères particulières. Finalement, la jolie allemande ne manqua pas de se garer au beau milieu de New York, sur la première place qu’elle trouva à portée de sa main avec la ferme intention de faire un peu de marche à pied. « Vous voulez que je vous dise ? Je vais marcher, l’air est doux, cela calmera mes nerfs. Je vous demande de descendre. » Neige ne bougeait pas et ne descendait pas tant qu’il ne l’avait pas fait de son côté. A voir qui serait le plus fier ou le plus têtu des deux… mais Neige était persuadée qu’il ne s’opposerait pas à elle. Il ne lui semblait pas voir dans ses yeux tant de volonté que cela.