all alone, but maybe some things will never change...

Elizabeth regardait le carroussel, l'air absent. Malgré son accoutrement - une chemise d'homme par-dessus une camisole et son sempiternel trench Burberry recouvrant le tout - le vent arrivait à s'insinuer au plus profond d'elle, lui arrachant un frisson de temps à autre. Elle gratta le sol du bout de sa botte en daim rapé, histoire de se réchauffer les orteils, et regarda les enfants rire, juchés sur leurs fiers destriers. Un petit sourire pâle éclaira son visage, faisant ressortir ses fossettes.

Noah - Hé !

Elizabeth fit volte-face, et vit un jeune homme qui accourait dans sa réaction. Il était habillé simplement : t-shirt, veste, jeans et - son sourire s'élargit - une paire géniale de Converses noires. Lorsqu'il fut à sa hauteur, la jeune femme réalisa qu'il était très grand, avec une chevelure savamment décoiffée et un adorable sourire en coin. Il sentait vaguement l'herbe, mais ça ne dérangeait pas Elizabeth outre mesure. Un véritable ado déluré.

Elizabeth - Hé... ?

Elle avait parlé doucement, un sourire interrogateur flottant sur ses lèvres. Il était mignon, et elle adorait les gens qui engagaient la conversation aussi facilement, mais la manière dont il l'avait salué sonnait comme si ce n'était pas leur première rencontre... Elle eut alors mémoire d'une fois dans le métro, il y a peu de temps...

Elizabeth marchait rapidement, son BlackBerry collé contre l'oreille, essayant de rejoindre son agent pour un shooting sans intérêt. Elle sortait du métro, se dirigeant vers une boulangerie pour acheter une baguette, quand un type lui rentra dedans violemment. Il lui adressa des excuses, mais son agent avait répondu au même moment, et elle n'avait pu qu'esquisser un sourire en direction de l'homme en question.

Elle se souvenait de l'avoir trouvé sexy, avec sa moue pensive et son regard scrutateur, qui semblait inspecter le monde autour. Quel drôle d'hasard de le retrouver ici, à regarder un carroussel tourner!

Elizabeth - ... Heu, on ne se serait pas vus ailleurs, par hasard?

Bonne question qu'il posait là, lui. Pourquoi était-elle là? Elizabeth haussa les épaules; ses pieds curieux (et un peu sado-maso, vu le temps qu'il faisait, c'était quoi leur idée d'aller se balader dehors hein?) l'avaient mené là. C'était d'ailleurs la première fois qu'elle venait à Central Park, et il avait bien raison de dire qu'elle semblait apprécier les parcs. En Angleterre, on raffolait des parcs; Hyde Park, Green Park, Regent Park... Elle était bien contente d'en retrouver ici aussi. Les arbres, les senteurs, la nature, tout ça la fascinait et, curieusement, l'appaisait.

Elizabeth - Oui, j'aime beaucoup les parcs, en effet. Et il faut croire que j'avais envie de découvrir le plus grand parc de New York. Je viens d'arriver...

Elle ne savait pas s'il allait deviner, vu son accent, d'où elle venait. Elle laissa donc sa phrase en suspend, voir comment il allait lui répondre. Lui demanderait-il son nom? Ses origines? Une question bidon? Partirait-il? Il l'intriguait. Il avait le style d'un gosse super simple, mais elle devinait que ce n'était qu'une couverture. La manière dont il la regardait, dont il parlait même... Son esprit se mit à vabagonder, élaborant des scénarios farfelus expliquant son histoire, qui il était. Elle secoua la tête subtilement; elle était trop imaginative. Mais bon, ces signes ne trahissaient qu'une chose ; elle voulait poursuivre la conversation.

Puis, pendant qu'il lui répondait, son regard se tourna vers le carroussel, si coloré et si animé... Des mémoires d'enfance surgirent devant ses yeux; des visages, des rires... Tout cela était si loin désormais! Elle était une "grande fille", une adulte bientôt, et elle était dans un pays qu'elle ne connassait presque pas. Et pendant un instant, elle eut envie d'en faire un tour... Juste pour renouer avec l'enfance, l'insouciance, les plaisirs simples de la vie... Elle se retourna vers le garçon, les yeux brillants, une idée nouvelle en tête.

Elizabeth - Oui.

Elle avait répondu un peu trop précipitamment, tandis que ses pensées s'envolaient comme des papillons, s'éparpillant dans sa tête. Elle battit des cils un instant, essayant de se souvenir de la question qu'il lui avait posé. Si elle aimait les gosses, oui. Et hop une autre bonne question, pas quelque chose de débile genre " Hé, tu sais que t'es mignonne". Son visage s'illumina, et elle commença à papoter.

Elizabeth - En effet, j'aime les enfants. J'aime leur honnêteté, même si parfois ils peuvent être méchants. Ils n'ont aucune notion de bien ou de mal. Si une femme est grosse, ils vont l'appeler la "grosse madame ", parce que c'est ce qu'elle est. Je sais que c'est mal, mais je trouve que c'est fantastique de pouvoir être aussi candide. J'ai peine à croire que j'ai un jour été ainsi...

Elle les regarda les gamins en question s'énerver, rire et brailler, les yeux remplis de tendresse. Elle s'était toujours promis d'avoir des enfants, idéalement des jumeaux aux noms exotiques... Elle ne savait pas encore lesquels exactement, mais ils seraient spéciaux, ça c'était sûr. Et elle les amenerait ici, et ils prendraient les plus beaux chevaux, ceux avec le plus de couleurs, et ils seraient heureux. Et elle aussi serait heureuse, parce qu'elle les regardait tourner, monter, caracoler, comme si c'était vrai. Puis, son envie de faire un tour de carroussel triomphant sur les bonnes manières, elle explosa.

Elizabeth - Hé, ça vous dit de faire un tour de carroussel?

Elle était là, devant lui, accoutrée d'un curieux mélange de vêtements, les cheveux frisottés, les yeux rêveurs, lui demandant de faire un tour de carroussel avec des bambins de cinq ans! Et elle ignorait tout de lui, même son nom. Mais elle s'en fichait; elle savait qu'il allait dire oui. Elle savait qu'il comprenait, qu'il en avait envie lui aussi, que la vie ne serait rien sans un grain de folie, qu'il était lui aussi intelligent, qu'il n'avait pas d'arrière-pensée, qu'il était quelqu'un de bien.

Et c'était justement ça qui était fantastique.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Elizabeth s'envola littéralement vers le carroussel, saisissant la main de l'homme au passage et l'entraînant dans son sillage. Elle se sentait légère, joyeuse. Même le ciel semblait être d'un gris chaleureux, et ses épais nuages devaient sans doute lui sourire à l'instant même. Elle sauta prestement sur le manège, oubliant de payer, oubliant les regars courroucés des parents aigris, oubliant tout. Ne sentant que la chaleur de la main de son compagnon inconnu.

Une seconde plus tard, ils étaient sur les plus beaux chevaux du carroussel, entouré d'enfants éberlués qui les regardaient sans bouger, ou presque. Mais, lorsque le manège s'activa, ils les oublièrent et se mirent à s'extasier sur la vitesse de leur monture, le paysage qui tournait, et Elizabeth se sentit comme eux. Elle était cette fillette qui se prenait pour une princesse, ce petit garçon qui allait conquérir le monde, elle n'avait nul autre souci que de ne pas salir sa robe ou son chandail. Elle se tourna vers son compagnon, un sourire enchanté aux lèvres. Il semblait amusé, lui aussi. Elle revit sa maison de Mayfair, son petit chien Capuccino qui s'était fait écraser par un vélo (mais comment avait-il fait?), son premier tutu... Et elle eut un petit "oh" triste lorsque la carroussel s'arrêta, et en débarqua avec un air de petit chien battu.

Elizabeth - ... C'était bien hein? ... On recommence!

Et ils rembarquèrent, et rembarquèrent, et rembarquèrent... Jusqu'à ce que l'homme dise qu'il avait un rendez-vous et qu'il devait partir. Elizabeth acquiesça alors et le serra dans ses bras très fort, pour le remercier de ... de rien et de tout, dans le fond. De lui avoir dit " hé ", de lui avoir demandé si elle aimait les enfants, d'avoir passé une heure dans un carroussel dans Central Park, d'avoir été quelqu'un de formidable aussi facilement. La vie était belle, étrangement belle, surtout quand on faisait un calin à un inconnu formidable, sans nom ni rien.