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even & ebba - at first sight

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MessageSujet: even & ebba - at first sight even & ebba - at first sight EmptyLun 9 Mar - 14:35



at first sight
« Вы должны только сопровождать меня » C’est pas ces mots, finalement, que tout avait commencé. Des mots russes, comme toujours lorsqu’ils s’agissaient des vestiaires du studio de danse que nous partagions. Drôle d’ironie du sort, non, que l’American Ballet ne soit composé, en grande majorité, que de russes ? Tu n’as qu’à m’accompagner, m’avait-elle dit en se remémorant, brusquement notre soirée prévue. Une soirée qu’elle avait promis à un autre, un artiste dans Brooklyn, d’après ce que j’avais pu comprendre. J’avais décliné l’invitation, bien évidemment, secouant la tête et la main, ne souhaitant pas la déranger dans ses projets. Notre soirée, on pouvait la remettre à plus tard, un autre jour, une autre semaine, voir un autre mois. Je ne me vexais pas. Je ne me vexais jamais. Au contraire, je comprenais. « Allez, viens, Ebba ! » avait-elle insisté, s’accrochant à ma main et tirant sur mon bras. « Tu ne sors jamais de ton île ! » C’est faux ! Une fois, j’avais été dans le Bronx... C’était pas sur l’île, hein ? « Ca te fera du bien de découvrir autre chose que les rues parallèles et les tutus ! » Elle avait eu l’air si enthousiaste, si excitée de me faire partager cet aspect de sa vie, que j’avais rendu les armes en un sourire. « Et puis comme ça, tu pourras me dire ce que tu penses de lui. » avait-elle ajouté en jetant son sac sur son épaule, avant de passer la porte du vestiaire. Lui ? Elle l’avait évoqué durant tout le trajet en métro qui suivit, m’expliquant à quel point il était fascinant, et beau aussi, tellement beau. Elle avait ajouté ‘talentueux’ lorsqu’elle m’avait vu pencher la tête sur le côté de perplexité. J’étais trop expressive, je n’avais pas besoin de parler pour que l’autre sache quelle émotion me traversait. Ce qui était paradoxal sachant que personne ne comprenait vraiment ma façon de penser dès que j’entrouvrais les lèvres. D’ailleurs, quand je lui avais demandé si c’était son nouveau copain, elle avait laisser échapper un rire cristallin, sa main venant s’abattre sur mon bras comme s’il eut s’agit d’un trait d’humour. Je ne connaissais pas grand chose aux relations amoureuses, mais la façon dont elle parlait de l’artiste laissait entendre qu’elle s'intéressait plus à l’homme qu’à son art. « Non, il n’est pas de ceux avec qui on espère quoique ce soit d’autre que quelques nuits. » Je n’avais pas vraiment compris ce qu’elle entendait par là, mais j’avais hoché de la tête, comme si, alors qu’elle sautait hors de la rame avec entrain. Plus nous approchions, et plus elle semblait s’animer, s’extasier, s’impatienter. Comme s’il s’agissait là du point culminant de sa journée. Autour de nous, les jolies rues décorées avaient laissé place à des artères plus désertiques, et à un décor plus industriel. L’espace d’un instant, je me demandais si elle ne m’avait pas entrainé là dans le projet de me tuer et cacher mon corps quelque part, puis je me rappelais qu’il s’agissait d’Irina, une ballerine si fine qu’il m’aurait suffit d’un souffle pour qu’elle s’envole. C’était la faute de mon frère, ça, à force de voir le mal partout, il me contaminait des idées tordues. Certes, mon amie semblait un peu agitée, plus que d’ordinaire, mais elle ne faisait qu’évoquer cet artiste. Un artiste dont j’ignorais l’art qu’il pratiquait, finalement, tant elle avait passé son temps à me parler de sa stature, de la force de son regard, de ce qu’elle ressentait lorsqu’il le posait sur elle, justement, ce regard. Elle posait pour lui, ça, j’avais compris, des heures durant, parfois. Même qu’il oubliait les pauses, et qu’elle passait des heures avec la gorge sèche, trop intimidée pour lui demander si elle pouvait boire. Alors moi, naïvement, je m’attendais à tomber sur un tortionnaire, un type grand et froid, très brun et très mince. Il fut tout le contraire. Grand et froid, oui, mais ni brun, ni pâle. Il était comme un David qui se serait extrait du marbre pour se planter devant nous et cracher ses mots. Ou plutôt son mot. Un seul. Il n’avait dit que ça. Un mot que je n’avais pas compris, mais qui sembla parler à Irina, puisqu’elle me laissa sur le seuil pour filer vers une pièce attenante. J’hésitais entre la suivre, rester planter ici, ou bien fuir. J’optais pour la quatrième solution, celle à laquelle personne n’aurait pensé, et je foulais le sol de l’atelier sur la pointe des pieds, avec légèreté, me rendant invisible. Le David avait disparu, mais, rapidement, je décelais sa présence dans l’ombre du chevalet, celui faisant face au divan. Est-ce qu’au moins, il savait que j’étais là ? En avais-je le droit ? Est-ce qu’Irina m’aurait proposé de l’accompagner si ça n’avait pas été le cas ? Dans le doute, je restais dans un coin, m’adossant au mur sans ciller, jusqu’au retour de mon amie, un drap ceinturant sa poitrine, et trainant la poussière du sol derrière elle. Elle s’installa sur le divan, et entreprit de retrouver la pose qu’elle avait déjà du faire des centaines de fois. Moi ? Moi, discrètement, je me délestais de mon écharpe, la déroulant d’autour de mon cou avec autant de délicatesse que s’il eut s’agit d’un serpent endormi. Pas de mouvement brusque, surtout, je ne voulais pas déranger, ni prendre le risque que, dans ma maladresse habituelle, je renverse quelque chose, et m’attire l’irritabilité de l’artiste. Après l’écharpe, je m’attaquais au manteau, dans un effeuillage tout sauf sensuel, plutôt comme une idiote pas très sûre de ses mouvements. Pas très à l’aise, non plus, encore moins lorsque je me retrouvais avec écharpe et manteau à la main, sans idée d’où j’allais pouvoir les déposer sans avoir à bouger de mon coin bien tranquille, bien invisible. Alors, je restais là, droite comme un ‘i’, observant mon amie destiner des oeillades et des soupirs à un chevalet peu réceptif. Mais peut-être que je percevais mal, peut-être que je ne savais pas tout. Irina avait plus d’expérience que moi, c’était indéniable, elle devait savoir mieux que moi. Il me fallu encore plusieurs longues, interminables minutes d’observation, de lui, du lieu, des oeuvres, avant que son regard, ce regard dont Irina m’avait tant parlé, ne se braque sur moi, me perçant la chair comme deux lames aiguisées. J’étais découverte. Dans tous les sens du terme. Je ne sais pas combien de temps dura ma paralysie, mais il sembla s’écouler un siècle avant que je ne retrouve l’usage de mes lèvres, et tente l’amorce d’un sourire en coin. Je m’attendais presque à retrouver mon amie fossilisée sur le divan, depuis tout ce temps, mais cette dernière toussota, me rassurant quant à sa survie. Le David, retourna derrière son chevalet, et moi, moi je faisais un pas, puis deux, me tirant hors de l’ombre du mur pour me délester de mes affaires. Maintenant qu’il savait que j’étais là, je n’avais plus à me dissimuler. Certes, je me faisais toujours discrète, ne souhaitant pas troubler leur concentration, mais je devais me dégourdir les jambes, et me débarrasser de mon manteau si lourd, que je déposais sur un siège, juste là. L’espace était immense et coloré, aussi je décidais de m’y perdre et ne plus les importuner, flânant, ici et là, me promenant, le pas léger, observant les toiles offertes à l’oeil, et me fascinant pour celles qui ne l’étaient pas, encore recouverte d’un tissu. J’aimais la peinture, je m’y essayais, d’ailleurs, parfois, mais mon niveau n’avait rien de comparable avec le sien. Je voulais en voir plus, en découvrir plus, et jetais un oeil par-dessus mon épaule, avant de soulever un drap et laisser exploser la mélancolie d’une toile. Est-ce qu’il peignait toujours de manière aussi sombre ? Portée par la curiosité, je soulevais un autre drap, puis un autre, encore un autre, me confrontant toujours à cette forme de noirceur triste. Des ténèbres qui me laissaient perplexe en observant mon amie posant sur le divan. Est-ce qu’il allait la représenter comme ça, aussi ? Pour en avoir le coeur net, je revenais vers eux, m’approchais timidement du chevalet, côté artiste, et avait la présence d’esprit de demander « Je peux ? » avant d’approcher d’un nouveau pas et d’entrevoir et deviner ce qui pouvait se trouver sur sa toile. Encore un pas, et je pourrais voir vraiment. S’il m’y autorisait.


with: Even | date: 13/01/15
cassie at atf.
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MessageSujet: Re: even & ebba - at first sight even & ebba - at first sight EmptyLun 9 Mar - 23:47


at first sight
Ebba et Even
Les hommes ne devraient plus tarder. Certains artistes appréciaient-ils vraiment le métier qu’était faussaire? Oui, il faut de tout pour faire un monde. Mais quand même… Comment un artiste pouvait préférer copier plutôt qu’innover? Me concernant, reproduire ce qui avait déjà été fait, c’était lassant. Je me plaisais à voir que je pouvais aisément peindre, sculpter ou encore dessiner les oeuvres les plus célèbres des plus grands artistes de tous les temps, évidemment. Ça prouvait que j’avais un certain talent. Mais jamais je ne pourrais me contenter de ça. J’ai besoin de laisser parler mon esprits, d’extérioriser mes émotions. J’ai besoin de créer mon Art. Pourtant, je peignais là une oeuvre déjà existante. Une scène qu’on avait peint et repeint, des centaines, des milliers de fois. La série la plus célèbre de Titien. Mais ce n’était pas lui que j’avais décidé de copier. Non, j’avais opté pour la Danae de Léon-François Comerre, bien plus lumineuse, bien plus ouverte, bien plus active. S’il y avait bien une chose qui me gênait en particulier dans les représentations de Danae, c’était son côté passif. Elle semblait attendre par simple obligation. Or, ce n’est pas ce que la légende raconte. Sauf que bien des gens ne connaissent que l’aspect superficiel. Enfermée dans sa tour d’airain à cause de la prophétie de l’oracle, Zeus s’éprends d’elle et se change en pluie d’or pour passer à travers le toit de sa prison et s’unir à elle. Elle mit d’ailleurs Persée au monde, après ça. Mais ce que la légende ne raconte très rarement, c’est que Zeus ne lui rendit pas qu’une seule visite. Ils restèrent amants durant une longue période, Zeus se changea à chaque fois en pluie d’or pour se déposer entre ses jambes. Et à chaque visite prévue, elle l’attendait, alanguie sur son lit, nue, une jambe déployée et l’autre légèrement écartée, prête à le recevoir une énième fois s’en jamais s’en lasser. Elle n’était pas passive. Il venait à elle quant bon lui semblait, mais elle l’attendait aussi à chaque fois, avide. Cet aspect là, il n’était que très rarement développé dans les représentations de Danae. Sauf que je trouvais que Comerre avait réussi à transcrire l’envie de cette mortelle s’abandonnant à un Dieu. Il l’avait peinte dans la même situation mais l’avait rajeunie, avait arqué son dos, ouvert son cou, caché une partie de son visage de sa main. En tout cas, son oeuvre me plaisait. Cette scène de Danae recevant la pluie d’or m’avait toujours plu, et pourtant c’était la première fois que j’en faisais une copie. Copie qui touchait à sa fin. Je signais mon oeuvre, et allait la poser sur un meuble, contre le mur, pour laisser la peinture sécher. Pas de répit, puisque les businessmen arrivaient, et je leur donnais les toiles emballées dans du kraft, alors qu’en échange, ils me donnaient ma rémunération, que je ne manquais pas de recompter. Je ne faisais confiance à personne, encore moins dans ce domaine. Ils me demandaient si je comptais vendre celle-là, pointant la peinture encore humide que je venais à peine de terminer. Je secouais la tête. « Je la garde. » Ferme. Pas de négociations possibles. Pourtant, l’un d’eux ouvrait la bouche, s’apprêtant à répliquer un pseudo argument de choc qui me ferait soit-disant changer d’avis, mais je le coupais dans son élan. « Non. » Ils commençaient à assez me connaître pour savoir que je restais campé sur mes positions, non? Et pourtant, ils cherchaient encore à insister. Et ça avait le don de m’irriter. Je les raccompagnais à la porte et la refermais derrière eux, me dirigeant vers l’évier. Face au grand miroir qui le surplombait, je regardais mon t-shirt blanc teinté ça et là de couleurs toutes différentes les unes des autres. Oui, quand j’étais dans le travail, je n’y étais pas qu’à moitié. Je penchais quelque peu la tête toujours en me regardant, lavant de mes doigts  — ayant eux aussi fait les frais de mon art — mes pinceaux. Et si j’entreprenais une oeuvre personnelle? En usant mon propre corps? Comme les anthropométries de Klein. En monochrome? Non, j’aimerais faire plus original. Comme… Mais je fus coupé dans ma réflexion artistique par trois coups sourds sur la porte. Irina était enfin arrivée, apparement. J’allais ouvrir la porte sans même lui jeter un regard, tournant rapidement les talons pour retourner face à mon chevalet, lançant seulement un mot. « Drapée. » Elle comprendrait, je n’avais pas besoin de dire plus. Puis, parler, ce n’était pas mon fort. Elle s’avait comment je la voulais, vu que c’était déjà arrivé auparavant. Je la voulais nue, enveloppée dans un drap souple blanc. Je préparais ma feuille de dessin, et réfléchissais. Fusain ou non? Fusain. J’adorais sa texture, la façon dont sa pointe glissait avec aisance sur la feuille. « Sur le canapé. Allonge-toi. Alanguie. Cheveux d’un côté. Maintiens le drap d’une main au niveau de ta poitrine. » C’était des ordres. Strictes, fermes, durs. Et elle ne se fit pas plaindre. Bien que je ne la regardais pas, je sentais du mouvement derrière le mur que formait mon chevalet, et entendais le tissu traîner sur le sol, brassant l’air et la poussière. Silence. Je relevais les yeux vers elle pour voir si elle était correctement installée. Si je pouvais éviter de la regarder, je le faisais. Je détestais ce regard avide qu’elle posait sur moi, espérant se retrouver dans mon lit à chaque fin de session. Elle avait l’air d’une croqueuse d’hommes, et j’étais une cible. Cible qu’elle n’atteindrait jamais. Sauf que mon regard se détourna bien vite d’elle, se posant sur la frêle blonde qui se tenait raide dans un coin de la pièce, écharpe et manteau en main, alors que son amie lâchait des soupirs languissants. Tais-toi, avais-je envie de lui dire. Je fixais ce contraire d’Irina, me demandant qui elle était, qu’est-ce qu’elle faisait là. Je ne flanchais pas — jamais — et la transperçais de mon regard froid. Elle ne se défilait pas non plus, ne bougeant pas d’un poil, avant de finalement contorsionner le coin de ses lèvres en se qui s’apparentait à un sourire. Intrigué, je ne fis rien pour lui rendre la pareille. Irina toussota faussement, rappelant mon attention. Je détournais le regard après quelques secondes de plus, entamant mon esquisse. Je n’avais d’ailleurs pas vu qu’elle s’était débarrassée de son manteau, le posant sur le dossier d’une vieille chaise en bois, et s’était éloignée faire un tour. Seulement une fois qu’elle arrivait à mes côtés, bien qu’elle restait quelque peu en recul. « Je peux ? » Si elle peut? Je pivotais sur mon tabouret, me tournant vers elle pour lui faire face, bien que je sois assis et elle debout. Elle approchait d’un pas. Qu’est-ce que j’étais censé lui répondre? C’était la première fois qu’on me posait cette question. C’était la première fois qu’on s’approchait aussi près de moi durant une session. C’était la première fois qu’on s’immisçait dans mon espace de création, de mon côté du chevalet. J’avais toujours été seul, de ce côté là. Et elle, elle était venue naturellement, et avait demandé de sa petite voix cristalline si elle pouvait. Me rendant compte que je la fixais encore de façon bien trop insistante, je finis par hocher vaguement la tête pour simple réponse. Pourtant, je restais encore face à elle un petit moment — bien que je ne saurais pas dire exactement si ça représentait cinq secondes ou une minutes. Je pivotais enfin une nouvelle fois pour revenir à ma position initiale, reprenant mon dessin.
electric bird.
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MessageSujet: Re: even & ebba - at first sight even & ebba - at first sight EmptyMar 10 Mar - 3:20



at first sight
Il y avait quelque chose de magique dans les ateliers d’artistes. Qu’importe la forme que prenait l’atelier, d’ailleurs. Chez Astaria, c’était un bureau transformé en exposition permanente. Chez Ambroise, c’était un ordinateur et des millions de livres. Chez Irina, c’était un dressing dans lequel elle entassait les tenues de danses et les photos d’inspiration. Et ici, c’était un long espace au charme anarchique. Il ne devait pas souvent faire le ménage, mais ça n’avait pas la moindre importance, le sol tâcheté prouvait que son art s’exprimait au-delà de sa toile, de ses toiles. Cette pièce était une partie de ce tout qui le composait. Un désordre apparent, un assemblage de pièces hétéroclites qui avaient déjà du vivre plusieurs vies, et de la couleur partout. La couleur qui manquait, d’ailleurs, dans certaines des oeuvres que je découvrais. L’ensemble était surprenant, mais j’aimais beaucoup. C’était comme un patchwork révélant l’occupant. Comme ces meubles, là, qu’il avait probablement ramassé dans la rue, les sauvant d’une mort évidente, comme s’il se faisait un devoir d’accueillir ce qui était dysfonctionnel, endommagé, et abandonné. Je ne pouvais qu’approuver cette cause, ayant longtemps été, moi même, une chose dysfonctionnelle, endommagée et abandonnée. Cela dit, si je n’étais plus abandonnée, je demeurais le reste. Aussi, parfaitement à mon aise, je visitais les lieux, flânais, après avoir déposé écharpe et manteau sur une chaise, et sac au sol. Avais-je le droit de soulever les draps pour découvrir les toiles ? Peut-être pas, mais je n’y songeais pas vraiment. De toute façon, ils étaient trop occupés et concentrés pour me prêter la moindre attention. Je prenais même le temps de m’attarder à la fenêtre, observant le fleuve qu’on devinait malgré la nuit tombant. J’étais supposée vivre sur une île, mais je n’avais plus vu autant d’eau depuis longtemps. C’était calme. Apaisant. Comme hors du temps. Comme à des années lumières de New York. Je ne sais pas à quoi ça ressemblait, mais à rien de ce que je connaissais. Ni mon village, ni Saint Petersburg, ni Paris, ni rien du tout. Et puis, naturellement, achevant mon tour, j’approchais l’homme, l’artiste, et l’art en mouvement. Un peu comme moi, lorsque je dansais, sa main créait, sa main faisait naître des formes, des contours, des êtres, des mondes. À la différence du mien, son art n’était pas éphémère, une fois l’oeuvre achevée, elle restait, elle ne disparaissait pas. Elle pouvait être vue et revue à loisir. Pas comme mes mouvements à moi, qui s’évaporaient définitivement, chaque représentation s’avérant unique et impossible à reproduire. Alors oui, j’étais fascinée et curieuse. Je voulais savoir comment il percevait Irina, lui dont la majorité des oeuvres étaient si sombres. D’ailleurs, il avait opté pour le fusain, je le remarquais en m’approchant encore un peu, aux traces noires qui colonisaient le bout de ses doigts. Est-ce que je pouvais m’approcher plus ? C’est la question que je lui posais, attirant son attention, et ses deux lames tranchantes qui perçaient, à nouveau, ma peau. Un regard toujours aussi fixe, mais moins... Moins quoi ? Écharpé ? Oui, peut-être. Je cru même déceler une forme de surprise. Il ne m’avait pas entendu arriver ? Devant l’absence de réponse, j’avançais d’un nouveau pas. Petit le pas. Irina me l’avait décrit froid, distant, hautain, mais je ne voyais rien de tout ça. Ses silences, je ne les percevais pas comme de l’indifférence, mais comme une forme de parcimonie, ses yeux parlant bien trop pour lui. Alors, je faisais comme lui, j’adoptais son langage, et l’interrogeais, à nouveau, mais cette fois avec les miens, avec mes yeux. Il finit par me donner son autorisation, d’un simple hochement de tête, et je réduisais la distance en un instant, trop ravie de pouvoir observer son travail immédiat, de près. Cela dit, je conservais une forme de respect, n’empiétant pas trop dans son espace vital, ne m’avançant qu’assez pour percevoir le contenu de chevalet dans son intégralité. D’autant qu’il m’observait toujours. Ça ne me dérangeait pas, j’y étais habituée. Mais, de ce fait, je ne pouvais pas trop m’approcher. Non, à la place je focalisais toute mon attention sur les courbes et les creux, les ombres et les reliefs. J’observais, j’étudiais avec minutie, le regard de mon amie sur papier, et les quelques kilos qu’il lui avait ajouté. Je ne m’approchais encore que lorsque le fusain retourna gratter le grain. Un pas, puis un autre, et encore un autre, jusqu’à être sur son flanc, inconsciente de la promiscuité tant j’étais accaparée par son art, par les mouvements de la craie sur le papier, par le balancement de ce poignet, et la force de ces doigts. Ça ne devait pas être offert à tout le monde, ça, l’observation de l’artiste en création, du côté de l’artiste et non de la création. Mon attention passait de l’un à l’autre, d’ailleurs, de la création à l’artiste, avant de se focaliser sur l’artiste, sa main, son bras, et l’encre bleue que je découvrais sur sa peau. Elle accrochait mon regard, cette encre, comme à chaque fois. Parce que j’avais beau n’en avoir aucun, ces morceaux d’art sur un épiderme me fascinaient depuis toujours. J’aurais voulu toucher. J’aurais probablement touché, d’ailleurs, si ses bras n’étaient pas si occupés. Je ne voulais pas déranger. Et Irina, en l’occurrence, se chargea de me faire reprendre pied dans la réalité. « Ebba, chérie. » m’appela-t-elle depuis l’autre côté du chevalet, m’obligeant à me redresser pour la percevoir. « Ne dérange pas Even, veux-tu ? » Déranger quoi ? Je n’avais pas tout compris, surtout pas le rapport au paradis, mais j’en déduisais qu’elle devait évoquer la création, et opinais du chef. « Pardon. » je murmurais à l’attention de l’artiste avant de me redresser, puis me raviser, et me pencher à sa hauteur à nouveau pour ajouter : « Faudra pas lui montrer, d’accord ? » en chuchotant encore, pour qu’Irina n’entende pas. « Elle risquerait de faire une crise de nerfs en pensant qu’il s’agit de son vrai corps. » Un joli corps, d’ailleurs, représenté sur papier, mais pas celui de la danseuse en sous-poids obsédée du contrôle. J’étais soucieuse du bien-être de mon amie, mais cette attention ne m’empêcha pas d’esquisser un sourire amusé, presque complice, que j’offrais à l’artiste, en même temps qu’un « Merci. » avant de me redresser, pour de bon, et de m’éloigner à nouveau, cette fois en direction des toiles du fond, et de celle non couverte, en particulier.  


with: Even | date: 13/01/15
cassie at atf.
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MessageSujet: Re: even & ebba - at first sight even & ebba - at first sight EmptyMar 10 Mar - 4:54


at first sight
Ebba et Even
« Je peux ? » Deux mots, si innocents et pourtant si francs. Si bien qu’au début, je n’en compris pas le sens. Elle demandait la permission, mais à quoi? C’est quand elle fit un pas vers moi et que son regard vacillait vers mon chevalet que la lumière s’éclairait. Elle demandait si je lui laissais voir mon oeuvre. Mon oeuvre, encore inachevée. Jamais je ne montrais mes ébauches. J’étais de ce genre perfectionnistes, qui ne voulait exposer que la perfection finie dans ses moindres détails, sans aucun défaut, sans aucune faille. Je la regardais longuement, de façon insistante. Comme si… Comme si j’essayais de lire en elle. Comme si je voulais savoir ce qu’elle pensait, comment elle pensait. Pourquoi s’approchait-elle de moi ainsi? Pourquoi ne rougissait-elle pas sous mon regard perçant? Pourquoi ne détournait-elle pas les yeux des miens? Pourquoi ne s’affairait-elle pas à onduler des hanches? Pourquoi voulait-elle voir mon esquisse de son amie? Pourquoi était-elle si… différente ? Si différente des autres femmes, si différente de son acolyte, alanguie là devant moi sur mon vieux canapé récupéré dans une brocante, ne se faisant pas prier pour enlever tout vêtement? Plus aucun mot. C’était inutile. Elle aussi, les bannissait. Elle m’interrogeait du regard sous mon absence de réponse. Quelques secondes de plus et je lui offrais un simple hochement de tête, alors qu’elle s’approcha bien rapidement, à croire qu’elle avait attendu ce moment, ce privilège, depuis longtemps déjà. Quelques secondes de plus et je me remettais au travail, ramené à la réalité à cause d’un énième soupir pseudo-sensuel d’Irina. Quoi, elle s’impatientait la mistinguette? Elle ne pouvait pas me laisser travailler en paix cinq minutes? La grande blonde derrière moi concentrait toute son attention sur mes traits. Elle paraissait vouloir en ressortir une analyse pertinente, ses yeux passant des contours aux ombres, aux tracés formés et déformés par le passage de mes doigts qui effaçaient la craie, les laissant noir charbon. Le corps d’Irina maintenant tracé, je m’affairais à dessiner le drap dans lequel elle était enveloppée. Travailler au fusain me prenait que très peu de temps. C’était ma matière préférée, premièrement, puis il n’y avait aucun effort à faire tant la mine glissait avec une aisance et une grâce naturelle sur son support. De plus, je ne détaillais pas vraiment les choses au fusain. Ça restait vague, tout n’était que suggéré, laissant place à l’imagination du spectateur tout en lui offrant un premier support, une première direction à suivre. C’était, en réalité, une technique didactique. J’amenais mon spectateur sur la voie que je voulais qu’il prenne, mais le laissais la suivre seul ensuite. Je lui montrais le chemin, tout en me retirant discrètement une fois qu’il y faisait face. Je crois que ce que j’aimais le plus représenter, c’était des nus. Pas forcément entiers, mais une parcelle de peau, un bout de corps dévoilé. Une épaule ou un sein découvert, un dos à moitié caché par de longs cheveux tressés, des abdominaux parfaitement dessinés, une chute de reins exquise. Des Davids et des Aphrodites tout droit sortis du monde des vivants, posant pour moi, à l’abri des regards indiscrets. Irina était loin d’être l’une d’entre elles. J’étais obligé de l’engraisser un peu à chaque fois, évitant de représenter ses côtes visibles ou encore les os de son bassin ressortant. Perdu dans l’élaboration du drap, mes yeux passant de la toile au modèle, ma main traçant d’un automatisme surprenant, je ne remarquais pas tout de suite que cet adulte enfantine se trouvait près de moi. Près de moi. Très près de moi. C’était bien la première qui s’approchait aussi près. Ne voulait-elle pas arrêter à être la première en tout? Ça en devenait perturbant. Je sentais son regard s’arrêter sur moi. C’était des choses que je percevais aisément. Ça ne me dérangeait pas, j’avais l’habitude que les femmes me détaillent, mais encore une fois… De sa part, je le ressentais d’une façon différente. « Ebba, chérie. » Oh non, encore? Cette blonde aux yeux clairs répondait donc au nom de Ebba? Apparemment, puisqu’elle se redressait, ses yeux passant au dessus du chevalet pour regarder mon modèle. « Ne dérange pas Even, veux-tu ? » Grognement sourd, presque inaudible, lèvres plissées. « Tais-toi. » La politesse, je ne connaissais pas. Elle m’agaçait, et je le lui faisais savoir, sans prêter aucune importance à si mes mots allaient l’offenser ou pas. Ça m’importait franchement très peu, pour ne pas dire rien du tout. « Pardon. » murmurait Ebba. Elle s’excusait? Mais de quoi? Pourquoi j’étais aussi perdu ce soir? Elle se pencha à ma hauteur et me chuchota quelques paroles dans le creux de l’oreille. « Faudra pas lui montrer, d’accord ? Elle risquerait de faire une crise de nerfs en pensant qu’il s’agit de son vrai corps. » Je fis de mon mieux pour rester impassible et garder mon visage fixe, expression figée dans le marbre, bien que son souffle me fit légèrement frémir. Personne ne s’autorisait à m’approcher, et quand bien même, je n’autorisais personne. Et les lèvres de la blonde étaient pourtant à quelques insignifiants millimètres de mon lobe en cet instant précis. Et ça ne me dérangeait pas le moins du monde. Elle m’adressa un sourire en coin qui paraissait complice, avant de me remercier. Je la sentis s’éloigner à nouveau. « Lève-toi. » lançais-je fermement à l’attention d’Irina. « Remplace-la. » Cette fois, à l’attention d’Ebba. Je connaissais le corps d’Irina par coeur à force, et il ne me coûtait plus rien de la dessiner. J’avais donc déjà fini le croquis de la brune, et maintenant, c’était Ebba que je voulais dessiner.
electric bird.
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MessageSujet: Re: even & ebba - at first sight even & ebba - at first sight EmptyMer 11 Mar - 0:39



at first sight
Quelques pas, juste pas, pas le temps de beaucoup plus avant que l’ordre ne soit lâché. J’avais cette toile en ligne de mire, cette toile découverte, probablement en train de sécher, et qui me rappelait quelque chose. Et plus j’en approchais et plus j’avais cette intuition diffuse de ne pas avoir le droit d’approcher plus. Comme si j’avançais vers un interdit. C’est la raison pour laquelle je me figeais à l’entendant grogner. « Lève-toi. » avait-il ordonné. Ce qui n’avait aucun sens puisque j’étais déjà debout, mais je n’y avais pas réfléchit, j’avais juste immédiatement supposé qu’il s’adressait à moi, qu’il m’empêchait d’aller vers la toile, et m’immobilisais avant de me retourner lentement, très lentement, dans sa direction, mon air le plus coupable au visage. Sauf que, bien évidemment, c’était à Irina qu’il s’adressait, et non à moi. Une Irina qui se redressait, drapée dans sa dignité, mais l’air de ne pas comprendre de quoi il retournait. Je ne comprenais pas non plus, à dire vrai. Est-ce qu’il comptait la représenter debout ? Peu importe, je n’attendais pas la réponse pour pivoter à nouveau, et reprendre ma progression jusqu’à la toile. Il ordonna un nouveau truc, mais je n’écoutais plus, consciente que ce n’était pas pour moi. Sauf qu’il y avait comme ce silence attentif, un flottement dans l’air qui m’obligea à m’immobiliser à nouveau, puis me retourner, pour me retrouve face à deux regards. L’un en attente, l’autre dans l’incompréhension. « Moi ? »  je demandais en comprenant brusquement. C’était à moi que s’était adressé le « Remplace-la. » ? Remplacer qui ? Irina ? Et pourquoi ? Oui, d’accord c’était plutôt évident, mais là, en cet instant, dans ma tête, rien ne l’était, surtout pas de m’envisager en train de poser. Est-ce qu’il s’imaginait que c’était ce que je voulais ? « Je ne suis pas... Enfin... J’accompagne juste Irina. » je marmonnais, mal à l’aise, tout en jetant des coups d’oeil hésitants en direction de mon amie. « Et puis, je ne sais pas faire... » j’argumentais, en vain, puisque j’avançais tout de même. Je n’avais jamais posé, ou du moins pas comme ça, pas totalement immobile. J’avais posé pour Astaria, mais c’était différent, la photo permettant le mouvement, et ne prenant qu’un instantané de quelques secondes en quelques secondes. J’étais censée faire quoi de mon corps ? Il ne savait que bouger, pas s’immobiliser. Alors j’hésitais. J’hésitais non pas dans le fait d’obéir, j’hésitais dans celui de savoir faire ce qu’on attendait de moi. Arrivant au niveau du divan, je jetais un regard implorant à Irina, espérant qu’elle me vienne en aide, qu’elle me dise quoi faire à défaut de faire elle-même. Sauf qu’elle n’en fit rien, me fixant un instant, avant de céder sa place à grand renfort de froissement de tissu. Elle faisait la tête ? « Et si je suis nulle ? » je soufflais, alors, à l’attention du seul interlocuteur qu’il me restait, le principal intéressé, restant immobile devant le divan, mes mollets frôlant à peine l’assise, mes mains frottant mes cuisses à défaut de savoir en faire autre chose. Je devais m’asseoir ? Je devais m’allonger ? Je devais... « Là ? » j’interrogeais en désignant le sofa. « Comme ça, ça va ? » je poursuivais mes questionnements en m’installant sur le bout de l’assise, bien droite, les mains sagement déposées sur mes genoux. Est-ce que j’avais le droit de sourire ? Est-ce que je devais sourire ? Est-ce qu’une fois ce point défini je devrais rester figée dans une seule et même expression ? Dans ce cas, il ne valait mieux pas sourire, ça devait faire mal à la mâchoire, non ? Est-ce que je devais m’installer d’une certaine façon, avec une certaine attitude ? Est-ce que je devais relever mes cheveux ? Les relâcher complètement ? Est-ce que... Oh grand dieu ! « Est-ce que je dois faire comme Irina ? » traduction : me déshabiller pour enfiler un drap. Non, parce que j’étais pas certaine d’être prête pour ça. « Si je prends le drap et que je le remonte jusqu’à là, là... » j’ajoutais en désignant mon cou « ... ce sera comme si j’étais nue, mais sans être nue en dessous. Malin, non ? » oui, enfin, n’allons pas jusque là. « Parce que je... Je crois que ça me ferait trop bizarre, en fait. Mais si c’est trop compliqué, on peut demander à Irina de reprendre sa place. Non pas que je ne sois pas flattée, loin de là, et j’aime bien apprendre de nouvelles choses, c’est juste que je ne veux pas décevoir. Faut savoir qu’à la base, Irina m’a juste demandé de venir pour que je lui dise ce que je pensais de toi, ce qui est idiot, parce qu’on a pas besoin de savoir ce que les uns pensent sur les autres pour savoir ce que l’on pense, nous-même, des autres. Non ? » Oui, je parlais trop, c’était l’effet qu’un léger stress avait sur moi, je laissais mon esprit confus s’échapper et s’exposer sans filtre via ma voix, saoulant mon interlocuteur, le perdant un peu plus à chaque mot, avant de, comme toujours, réaliser et m’excuser. « Pardon, je parle trop. C’est parce que je suis un peu anxieuse à l’idée de mal faire. » j’avouais à mi-mots, à voix basse, presque malheureuse de cette confession. J’aurais voulu être aussi à l’aise et naturelle qu’Irina. J’aurais voulu avoir sa prestance, son assurance. Mais je n’étais que moi, Ebba, jamais très sûre, jamais très stable, toujours très maladroite, pas tout à fait normale. Voir même très anormale puisque, passant d’une émotion à une autre, je demandais brusquement : « J’ai le droit de sourire ? » Etrange question sachant que je n’arrêtais pas de parler, donc de bouger les lèvres, alors un simple sourire ne devrait pas être un si grand problème que ça, mais sur l’instant, c’est tout ce qui m’inquiétait, savoir si j’avais le droit de sourire, d’être tout ce que ses toiles n’étaient pas : lumineuse. Au moins un peu.


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MessageSujet: Re: even & ebba - at first sight even & ebba - at first sight EmptyMer 11 Mar - 4:17


at first sight
Ebba et Even
Sans gêne — ni politesse d’ailleurs — j’ordonnais à Irina de se lever et à Ebba de la remplacer. J’ignorais son air d’incompréhension totale, de frustration. Qu’elle soit frustrée tiens, ça m’arrangerait bien. Qu’elle me déteste. Ça l’évitera peut-être de me dévorer du regard comme elle passe son temps à le faire. J’attendais patiemment Ebba. Mais ma patience avait des limites, et elle ne venait pas. Alors, je fis pivoter mon tabouret pour la regarder. Elle se dirigeait vers le fond de l’atelier, comme appelée par quelqu’un, ou quelque chose. Silence pesant. Je voulais voir ce qui avait attiré son attention, alors je la laissais progresser à sa guide. Mais elle ressentit l’attente, apparement, puisqu’elle se retourna enfin vers moi. « Moi ? » Elle n’avait pas l’air de comprendre non plus. Bon sang, je parlais en norvégien sans m’en rendre compte ou quoi, pour que tout le monde me regarde avec cet air ébahi? « Oui. » Un seul mot prononcé d’une voix déterminée. « Je ne suis pas... Enfin... J’accompagne juste Irina. » Je savais très bien qu’elle n’était pas modèle. Bien que sa fluette silhouette dégageait une certaine grâce, ce n’était pas cette grâce qu’avait Irina quand elle posait pour moi. C’était une grâce gauche, maladroite, innocente. Et c’était bien ça qui avait attiré mon attention. « Je sais. » Elle paraissait mal à l’aise, et jetais des coups d’oeil à son amie, comme si elle attendait que celle-ci lui dise quoi faire. J’appuyais mon regard sur elle. Non, n’attends pas qu’elle te commande. Fais ce dont toi, tu as envie. Voilà ce que ce regard voulait dire. Il se voulait insistant. J’avais trop l’impression qu’elle se faisait mener par le bout du nez par la brune. Enfin, qu’est-ce que ça m’importait? Je ne me souciais de personne. Mais elle… La façon dont Irina lui avait parlé quelques instants plus tôt m’avait déplu. Elle lui parlait comme à une enfant trop immature, alors qu’elle avait tout à faire l’air capable de se gérer seule. « Et puis, je ne sais pas faire... » Mais à croire que son corps n’était pas du même avis que sa raison, puisqu’elle avançait d’un pas, bien qu’hésitante. Elle passa devant moi, et je tournais sur mon siège pour la suivre du regard. Devant le vieux sofa, elle jeta un nouveau regard désespéré à son amie. Amie qui le paraissait beaucoup moins d’un coup, son regard teinté d’une jalousie assassine envers la blonde. « Va te rhabiller. » lui lançais-je, sans pour autant quitter son accompagnante des yeux. « Et prends ton temps. » Hésitante sur le coup — à croire qu’elle était réticente à l’idée de nous laisser seuls, Ebba et moi — elle finit par s’éloigner, brassant à nouveau la poussière du long drap blanc qui entouré son corps nu. Une fois partie, le ton de la voix d’Ebba se changea, pour ne plus être qu’un souffle. « Et si je suis nulle ? » Je ne lui offrais aucune réponse. Ce n’était pas à elle d’avoir le talent, mais à moi. Et je l’avais. Ses mains s’échauffaient sur ses cuisses. Elle était si gênée que ça? « Là ? » me demanda-t-elle, le doigt pointé vers le sofa. Hochement de tête. « Comme ça, ça va ? » Je la regardais, assise là au bord, jambes serrées, mains sur les genoux, le dos bien droit. « Tu es danseuse. » Oui, ça m’apparaissait clair comme de l’eau de roche à présent. Sa grâce à moitié envolée quand elle devait être terre-à-terre. « Tu me fais penser à l’Albatros. » avouais-je alors. Référence au poème de Baudelaire. On remplaçait le poète par la danseuse et c’était elle. « Exilé sur le sol au milieu des huées, ses ailes de géant l'empêchent de marcher. » Comment j’avais pu manquer ça? Elle devait se sentir à l’aise sur scène, mais quand il lui suffisait de simples mouvements bateaux — mettre un pied l’un devant l’autre ou rester statique — tout se compliquait. « Qu’est-ce que tu voulais voir? » finis-je par demander, en parlant de quand elle allait vers le fond de l’atelier, comme capturée par quelque chose. « Est-ce que je dois faire comme Irina ? Si je prends le drap et que je le remonte jusqu’à là, là… ce sera comme si j’étais nue, mais sans être nue en dessous. Malin, non ? » Je secouais la tête. « Parce que je... Je crois que ça me ferait trop bizarre, en fait. Mais si c’est trop compliqué, on peut demander à Irina de reprendre sa place. Non pas que je ne sois pas flattée, loin de là, et j’aime bien apprendre de nouvelles choses, c’est juste que je ne veux pas décevoir. Faut savoir qu’à la base, Irina m’a juste demandé de venir pour que je lui dise ce que je pensais de toi, ce qui est idiot, parce qu’on a pas besoin de savoir ce que les uns pensent sur les autres pour savoir ce que l’on pense, nous-même, des autres. Non ? » Flot de paroles dans lequel je me perdais quelque peu. Je n’avais pas l’habitude qu’on me parle autant, en si peu de temps. Je n’avais pas l’habitude qu’on me parle tout court, d’ailleurs. « J’en ai fini avec elle. » Première chose. Elle était flattée? Mais cette pensée s’échappa bien vite de mon esprit avec ses mots suivants. Irina lui a demandé de venir ici avec elle pour qu’elle lui dise ce qu’elle pense de moi. Je me levais et me dirigeais vers elle, déterminé mais à pas de loup, lentement, tel un prédateur. A vrai dire, c’était juste ma façon de l’approcher, comme pour l’apprivoiser. Intrigué, j’essayais tant bien que mal de la comprendre. J’essayais, je le jure, mais ça ne menait à rien. Une fois debout face à elle, je baissais quelque peu le regard pour la scruter de nouveau, ne m’en lassant pas. « Et? » lui dis-je simplement. « Que penses-tu de moi? » Pourquoi je voulais savoir ça, d’abord? En quoi ça m’importait? Je me fichais de ce qu’on pensait de moi. Mais là, j’étais curieux. Curieux de savoir ce qu’elle, grande blonde élancée prénommée Ebba, mystérieuse et intrigante à mes yeux froids, opinait de ma personne. Peut-être que sa réponse me dirait si elle était vraiment différente des autres comme je le ressentais. Ou non. C’était ça aussi, que je voulais voir. Que je testais, à cet instant. Elle s’excusait de sa maladresse, me confiant avoir peur de mal faire les choses, mais j’ignorais ses mots. Elle paraissait triste. « Ne cherche pas à être comme Irina. » finissais-je par lui dire. Surtout pas, me contenais-je d’ajouter. Je tournais les talons et allais chercher mon chevalet pour le ramener à un seul petit mètre d’elle, avec le tabouret sur lequel je m’asseyais, un peu sur le côté pour pourvoir la regarder en face, maintenant à sa hauteur. « J’ai le droit de sourire ? » Sourire? Mon front se plissait quelque peu, comme si je réfléchissais à cette proposition. Proposition qui lui semblait naturelle, mais qui n’eu le don que de me perturber encore plus. « Je veux que tu restes naturelle. » Tiens, j’avais adouci mon énonciation en ajoutant ma volonté personnelle. Ce n’était plus qu’un simple impératif. C’était que je voulais, moi, personnellement. Je voulais la capturer telle qu’elle était vraiment.
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MessageSujet: Re: even & ebba - at first sight even & ebba - at first sight EmptyJeu 12 Mar - 1:47



at first sight
« Je sais. » Il savait. Ça pouvait sembler peu, mais pour moi c’était important. Je ne voulais pas paraître être une profiteuse, apparaissant dans le seul but d’être immortalisée sur toile. Je savais que ça existait, ce besoin d’être et de paraître, mais ce n’était pas mon cas. Malgré ma fratrie de mannequins, j’avais encore du mal avec mon physique. Non pas que je le trouve disgracieux, juste quelconque, anodin, pas vraiment apte à inspirer quoique ce soit. Pas comme Nastazià, ou même Irina. Elles avaient quelque chose, elles étaient atypiques, intrigantes. Moi j’étais juste trop grande et trop blonde. Alors non, je ne voulais pas qu’il cherche à me faire plaisir en me représentant. Je ne faisais qu’accompagner mon amie, rien d’autre. Je ne sais pas ce qu’elle avait en tête, d’ailleurs, au moment de m’y inviter, mais je n’étais certainement pas là pour prendre sa place, la faire oublier. Ce n’était pas ma décision, c’était celle de l’artiste, et bien que j’espérais qu’il puisse changer d’avis en m’entendant lui affirmer que je ne savais pas faire, la série d’ordre qu’il destina, à nouveau, à Irina me signifia qu’il n’en avait pas l’intention. Alors, j’approchais encore. J’approchais en offrant mon regard le plus désolé à mon amie, espérant qu’elle ne m’en voudrait pas, qu’elle ne me le reprocherait pas. Elle avait eu l’air tellement enthousiaste durant tout le trajet, comme si cette entrevue artistique représentait le point culminant de sa journée. Et je le lui dérobais sous ses yeux. J’ébauchais, tout de même, un sourire à l’attention du David, une fois mon amie au loin, afin de ne pas lui faire ressentir mon trouble, et l’indisposer avec ça. Je m’excuserais plus tard, auprès d’Irina, pour l’instant, je ne devais pas contrarier mon hôte. D’ailleurs, je l’interrogeais sur où m’installer, et comment le faire, suivant ses hochements de tête pour me diriger, jusqu’à ce que... « Tu es danseuse. » Ce n’était pas une question. Ça ne pouvait pas en être une pour que l’évidence était là. J’avais tout de la danseuse, du port de tête jusqu’au corps modelé par et pour la danse classique. Seulement, il est vrai, lorsqu’on me voyait marcher maladroitement, prêter attention à tout pour ne rien renverser, on en venait à s’interroger sur le monde duquel je venais de dégringoler. Il n’y avait que sur scène que j’étais habile. « Tu me fais penser à l’Albatros. » La surprise du se lire sur mes traits, avant que l’enthousiasme débordant ne supplante le reste, tout le reste. « Oui ! » je m’exclamais dans un sourire dévorant la moitié de mon visage. « Oui, c’est exactement ça ! C’est à ça que je me compare systématiquement, l’Albatros de Baudelaire ! C’est même ce que j’ai dit à ma soeur la première fois où on s’est vu, que j’étais l’Albatros. Mais elle ne connaissait pas. » j’achevais ma confession dans une légère moue, à ce souvenir, avant de récupérer mon enthousiasme. « Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule ! Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid ! » je citais même, en français, ravie de trouver quelqu’un qui, comme moi, connaissait l’auteur et le poème. Et surtout, quelqu’un qui comprenait comment je pouvais me sentir une fois sortie de scène, quelqu’un qui avait su voir mon aisance d’oiseau et ma maladresse terrestre. C’était étrange, d’ailleurs, non ? Comment il avait pu voir ça si vite ? Je n’avais pourtant rien fait tomber, cette fois. « Je préfère voler. » je concluais, avant de revenir sur le sujet principal : la pose qu’il voulait me voir adopter. Voilà qui était moins réjouissant, surtout alors que je venais de réaliser que, peut-être, il me voulait comme Irina, nue sous un drap. Mal à l’aise à cette simple idée, je l’interrogeais, puis argumentais, négociais, lui affirmant une nouvelle fois que les raisons de ma présence ici, n’avait rien à voir avec son art. C’est vrai, après tout, Irina m’avait amené ici pour que je lui donne mon avis sur lui, pas sur ce qu’il peignait. Peut-être aurait-elle du faire l’inverse, ses toiles révélant plus de sa personnalité que n’importe quoi d’autre. À moins qu’elle ne veuille mon avis sur son physique, mais là encore, c’était étrange, sachant que je n’étais pas la mieux placée pour répondre à ce genre de questions. « Et? » Et quoi ? « Que penses-tu de moi? » Oh, ça ? Bon sang, pourquoi fallait-il que je parle autant ? J’aurais mieux fait de taire ce passage, au lieu de quoi, je me retrouvais, désormais, dans une situation délicate. Ce que je pensais de lui ? Difficile à dire, je ne le connaissais pas. Mais... « Tu ne corresponds pas au portrait qu’on m’a fait de toi. » ça, je pouvais l’affirmer. Il ne me semblait ni hautain, ni froid, ni même méchant ou cinglant. Il me semblait triste. Juste ça, triste. « Le Chat. » j’affirmais, brusquement, sûre de moi. Oui, pour rester dans du Baudelaire, il était le Chat. « Son regard, comme le tien, aimable bête, profond et froid, coupe et fend comme un dard. Et, des pieds jusques à la tête, un air subtil, un dangereux parfum nagent autour de son corps brun. » je précisais, toujours en français, passablement inutile s’il ne parlait pas la langue, ou ne connaissait pas ces vers. Précision rapide, d’ailleurs, puisque j’enchainais, tout aussi rapidement, en m’excusant de ma maladresse, de mon malaise, de cette anxiété se traduisant par ce besoin de parler, de trop parler. « Ne cherche pas à être comme Irina. » lâcha-t-il, alors, d’un ton bizarre, avant de tourner les talons pour aller chercher chevalet et tabouret, et se rapprocher de moi. J’aurais voulu l’interroger sur ce qu’il entendait par là, mais la question s’était évaporée en le voyant revenir. Étrangement, la proximité me rassurait. Je me sentais moins sujet observable et observé. C’était plus comme... Je ne sais pas, une conversation ? Comme si nous étions, simplement, en train de parler, et que l’un de nous, s’occupait à griffonner en même temps. C’était agréable. Rassurant, et agréable. Tellement que j’en esquissais, immédiatement, un sourire, avant de le ravaler, et l’interroger lui sur mon droit, ou non, à sourire. Peut-être préférait-il que je prenne un air sérieux ? « Je veux que tu restes naturelle. » Naturelle ? À mon tour de réfléchir à la question, fronçant les sourcils un instant, tentant de me définir moi en étant naturelle. « D’accord. » j’affirmais, tout de même, en relevant mes jambes pour les mettre en tailleur, mon dos venant s’appuyer contre l’accoudoir du sofa, de manière à faire face à l’artiste. Ça, maintenir mon corps immobile, je savais faire. Mais mon visage ? J’étais trop expressive, et j’avais du mal à me taire. Si je passais d’une expression à une autre, et si je ne cessais de remuer les lèvres, j’aurais beau être naturelle, ça n’allait pas lui convenir en réalité, si ? À moins que... « Tu veux juste mon corps, en fait ? » je demandais, très innocemment, afin de comprendre ce qui l'intéressait pour son esquisse. Si c’était comme pour Irina, le visage n’avait pas d’importance, son fusain s’était acharné sur un corps. Peut-être était-ce mon tour de n’être qu’un corps ? C’était le sens de ma question, mais... Brusquement, je réalisais ma tournure malheureuse. « Enfin, pour le dessin. » je précisais, alors, précipitamment, en pointant son chevalet de mes deux index. « Non, parce que, ce que je voulais dire c’est que je crains que seul mon corps soit intéressant, ma bouche l’est moins. » Parce que je parlais trop, c’était évident, alors pour le portrait, ça risquait d’être compliqué. Enfin, pas que ma bouche en fait, mais il avait compris ce que j’entendais par ma bouche, hein ? « Y avait des doubles sens, dans ce que je viens de dire ? Parce que y en avait pas dans ma tête, mais parfois, ça sort bizarrement. » je le prévenais, très sérieuse pour le coup, hochant la tête avec gravité. Il avait voulu du naturel, il ne pouvait pas avoir plus naturel que ça. Et j’en étais désolée. Maintenant, il allait être déçu, ça me semblait évident.  


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MessageSujet: Re: even & ebba - at first sight even & ebba - at first sight EmptyJeu 12 Mar - 17:05


at first sight
Ebba et Even
Je ne savais pas vraiment pourquoi j’avais décidé aussi subitement de la représenter, elle. Je ne la connaissais pas, et c’était évident qu’elle n’avait jamais joué les modèles. Elle n’était pas sûre d’elle comme Irina l’était. Non, c’était même le contraire d’Irina. Outre son physique, elle était maladroite, gauche, innocente, se perdait dans ses mots et agissait comme une enfant. Mais… justement. Elle était différente. Elle n’avait pas hésité à se balader dans l’atelier comme si elle le connaissait depuis toujours, comme si elle était chez elle ; elle n’avait pas hésité à regarder les différentes oeuvres qui trainaient ça et là ; et pire encore — elle n’avait pas hésité une seule seconde à m’approcher. A essayer de pénétrer ma bulle, s’y immiscer doucement mais sûrement. Elle avait demandé à me regarder à l’oeuvre, en train de dessiner son amie, et je l’avais laissé faire. Qu’est-ce que j’aurais pu dire? Non? Contradictoire, puisque l’esquisse rejoindrait sûrement l’un des murs d’ici ce soir, exposée aux yeux de ceux qui pénètreraient dans mon antre. Bien que je n’aimais pas dévoiler mon travail en cours d’élaboration, elle me semblait juste curieuse. Rien de plus. Elle ne voulait pas voir pour juger. Elle voulait juste voir, pour dire de voir. Et je crois que c’était bien la première. Elle avait ce truc de différent qui me poussait à la coucher sur papier. J’étais hâtif de l’immortaliser, ayant le pressentiment que ça serait la seule fois que je la verrais. Je devais le faire, là, maintenant, avant qu’elle ne passe cette porte et qu’elle disparaisse dans le brouhaha new-yorkais. Une fois Irina partie, Ebba m’adressait un sourire. Elle me questionnait sur où devait-elle se mettre, de quelle façon, et je remarquais enfin cette contradiction. Elle était danseuse. C’était pourtant évident. Contradiction qui m’amenait à ma remarque suivante, la comparant à l’Albatros de Baudelaire. Je ne savais pas pourquoi je lui avouais ce que je pensais. D’habitude, c’était le genre de choses que je gardais pour moi. Mais cette Ebba me faisait parler, sans même que j’en éprouve la difficulté. Les mots, ce n’était normalement pas mon fort. Mais avec elle, ça semblait si… naturel. C’était facile. Après son air surpris, son enthousiasme éclatait. « Oui ! Oui, c’est exactement ça ! C’est à ça que je me compare systématiquement, l’Albatros de Baudelaire ! C’est même ce que j’ai dit à ma soeur la première fois où on s’est vu, que j’étais l’Albatros. Mais elle ne connaissait pas. » Légère moue de sa part. La première fois qu’elle a vu sa soeur, elle lui a parlé de l’Albatros? Ce ne devait pas être il y a si longtemps alors. Mais ce n’était pas mes affaires. Alors comme ça, elle-même aussi se comparait à ce grand oiseau, ce prince des nuées? « Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule ! Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid ! » me récitait-elle en français. « L'un agace son bec avec un brûle-gueule, l'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait. » continuais-je, en français moi aussi. J’avais un peu étudié le français durant mes années à Bergen. Mon accent n’était pas très mauvais, mais c’était clair que ce n’était pas ma langue maternelle, contrairement à l’anglais que je maitrisais comme telle. Moi aussi, parfois, l’Albatros me rappelait ma situation. J’étais tellement à l’aise dans mon atelier, c’était mon monde, c’était moi. L’Art, c’était le fin fond de mon existence, l’essence même de ce que j’étais. Mais hors de ce bâtiment, dans les rues de la Grosse Pomme, en présence d’autres individus, je me sentais… à part. Je n’étais pas moqué, mais c’était seulement parce que les gens n’osait rien dire devant ma prestance et mon regard lancinant. J’étais mieux seul, dans mon monde. Comme l’Albatros, comme le poète. Comme Ebba. Comme l’artiste. « Je préfère voler. » Et je la regardais, intensément, comme si j’essayais toujours de percer les mystères de son âme. Mais elle se remit à parler — à croire qu’elle ne s’arrêtait jamais — et essayait de négocier de ne pas se mettre nue, comme Irina. Pourquoi ça la gênait tant que ça? Enfin, oui, si elle n’avait jamais posé pour un inconnu, ça devait être intimidant. Mais après tout… Qu’importe. Je ne la voulais pas nue. Ça ne serait pas elle. Ça ne serait pas naturel pour elle. Elle m’avouait d’ailleurs qu’elle n’était pas là pour ça, qu’Irina l’avait amené seulement pour qu’elle lui dise ce qu’elle pensait de moi après la session. Du coup, je devançais les questions de son acolyte. J’étais curieux de savoir ce qu’elle pouvait bien répondre à ça. « Tu ne corresponds pas au portrait qu’on m’a fait de toi. » Ah, parce qu’elle avait carrément eu une description? « Le Chat. » Le Chat? « Son regard, comme le tien, aimable bête, profond et froid, coupe et fend comme un dard. Et, des pieds jusques à la tête, un air subtil, un dangereux parfum nagent autour de son corps brun. » Je la regardais, silencieux. Oui, ça me paraissait être une bonne description, finalement. J’adorais ce poème. Je le trouvais sensuel, érotique, mystique. Et l’entendre le citer me picotait légèrement l’échine. Elle s’excusait ensuite rapidement de trop parler, de ne pas être comme Irina, et je lui répliquais que c’était tant mieux, tout en allant chercher chevalet et tabouret pour m’installer en face d’elle, réduisant la distance à un seul petit mètre, chose exceptionnelle pour moi. Chose à laquelle elle répondait par un sourire sincère, avant de l’effacer et de me questionner sur si elle pouvait sourire ou non. Ce à quoi je lui répondais que je voulais qu’elle reste naturelle. Simplement. Elle relevait donc ses jambes qu’elle croisait en tailleur, avant d’appuyer son dos sur l’accoudoir du canapé pour me faire face. « Tu veux juste mon corps, en fait ? » J’arquais un sourcil. « Enfin, pour le dessin. » Oh. Oui. Le dessin. Elle avait ajouté ça rapidement, en pointant mon chevalet de deux indexs accusateurs. « Non, parce que, ce que je voulais dire c’est que je crains que seul mon corps soit intéressant, ma bouche l’est moins. » Je continuais de la regarder, muet, immobile, pas bien sûr de comprendre, en réalité. Silence gêné. « Y avait des doubles sens, dans ce que je viens de dire ? Parce que y en avait pas dans ma tête, mais parfois, ça sort bizarrement. » finissait-elle, hochant la tête, l’air grave. J’esquissais un faible demi-sourire, un coin de mes lèvres s’étirant quelque peu, amusé de la situation. « Oui, il y en avait des tas. » lui confirmais-je. « Et pas des moindres. » Mais pour simple réponse, je donnais le premier coup de crayon sur le papier et entamais ma nouvelle oeuvre, qui, pour le coup, me paraissait bien plus intéressante qu’Irina. Elle pouvait continuer de parler, au final, ça ne me dérangeait pas. Je me surprenais. La façon dont j’étais avec elle. Tout semblait tellement plus simple, tellement plus… naturel. C’était le mot. Je n’avais pas besoin de me forcer à parler, les mots sortaient s’extirpaient d’eux-mêmes d’entre mes lèvres, et elle avait même réussi à me faire décrocher un semblant de sourire. Si ça, ce n’était pas exceptionnel.
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MessageSujet: Re: even & ebba - at first sight even & ebba - at first sight EmptyVen 13 Mar - 3:19



at first sight
« L'un agace son bec avec un brûle-gueule, l'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait. » Il connaissait. Il connaissait Baudelaire tout comme moi. Pas juste comme ça, en passant, de nom ou quelques titres. Il connaissait les vers et la langue. C’était presque improbable, de ces improbabilités qui me faisaient sourire et me réjouir. Jamais je ne m’étonnais vraiment ou m’écriais, non. J’étais surprise, agréablement, mais j’étais coutumières de ces présents précieux que cette drôle de vie nous réservait, parfois. Ça ne me semblait pas impossible qu’il connaisse Baudelaire en V.O, ni même qu’il me compare à l’Albatros comme j’avais l’habitude de le faire. C’était normal, puisque c’était ma surprise du jour, ma délicieuse anomalie, mon exquise bizarrerie. Je n’irais pas jusqu’à évoquer le destin, c’était une bêtise pour rassurer les naïfs et les frileux, mais je croyais aux coïncidences heureuses que l’on devait vivre, qu’on était supposé vivre. J’aimais ces instants inédits, inattendus, inespérés. J’aimais lorsque les gens me surprenaient comme il venait de le faire, ce David improbable. Tout comme j’aimais ce lieu qui semblait lui ressembler en tout point. Dérangé, anachronique, abandonné et pourtant, tellement vivant et vibrant en même temps. Hors du temps, hors du monde, comme un microcosme d’une vie différente. C’était beau, autant qu’il l’était lui-même. De cette beauté esthétique, presque parfaite. Une perfection ordinaire qu’il avait rendu différente, elle aussi, en marquant sa peau, en marquant ses yeux. Comme si, brusquement, elle se trouvait habitée et donc imparfaite. Égratignée, écorchée, comme une danse à bout de souffle, à bout de force, la plus belle chorégraphie qui soit, celle vibrante d’émotion. Parce que, danser, ce n’était pas marquer le temps, marquer la mesure, enchainer des mouvements parfaitement exécuté dans le bon rythme. C’était habiter la prose musicale, s’était revivre l’émotion de l’auteur et ajouter la sienne afin de ne jamais danser deux fois le même morceau, l’aborder systématiquement de façon différente. Il était comme ça, lui, comme une danse changeante, mouvante, comme le Chat, de Baudelaire. Changeant, mouvant, le côté pile et le côté face, aussi paradoxal que ça. Le yin et le yang. Une description un peu étrange de sa personne, je n’avais jamais su faire simple. Une description qui semblait lui convenir, pourtant. Ça non plus, je n’y étais pas habituée, mais ça me plaisait. D’ordinaire, on soupirait, on me demandait de traduire ou de laisser tomber, ou alors on me souriait poliment pour ne pas me vexer ou pour laisser croire qu’on avait compris. Mais jamais encore, ou trop rarement, j’avais lu cet éclair d’acceptation dans un regard, comme si mon langage à moi avait trouvé un écho quelque part en lui. Cela dit, ce n’était pas une raison pour le noyer sous un flot de paroles ininterrompu, alors je m’excusais, encore, ça aussi je faisais beaucoup, de trop parler, et j’en revenais au sujet qui l’intéressait. À savoir, moi et la façon dont je devais poser. Je l’interrogeais, sur ce qu’il attendait, ce qu’il espérait, ce qu’il voulait, mais je devais mal m’y prendre. Je parlais beaucoup de langues, mais toutes mal, il faut croire. À part ma langue maternelle, évidemment, mais lui parler en russe n’arrangerait rien à notre communication. Et, à en croire ses regards, j’avais du commettre quelques bourdes. Est-ce qu’il y avait des doubles-sens dans ce que je venais de dire ? « Oui, il y en avait des tas. » me confirmait-il dans un frémissement de lèvres. Un sourire ? Je croyais qu’il ne souriait jamais ? Ou alors, c’était Irina qui ne savait pas voir ? Possible. « Et pas des moindres. » Oh ? Vraiment ? Et me voilà gênée et rougissante. Mon autre désagréable habitude, rougir en permanence. Il faut bien dire qu’avec ma peau très blanche, le moindre échauffement de joues se voyait immédiatement. « Désolée. » je soufflais, à nouveau, désespérante de culpabilité. Rougir, m’excuser, et trop parler, voilà comment les gens devaient me décrire, en fait. Et puisqu’il venait d’activer son fusain contre le grain, je m’immobilisais sagement, taisant les questions qui m'assujettissaient, encore, les lèvres, calmant ce corps qui ne tenait que très rarement en place, et m’obligeant à conserver le visage dans le même axe, les traits dans la même expression. Je tenais quoi ? Une minute, peut-être plus, peut-être moins, épiant ses regards, cherchant à deviner ce qu’il regarderait, la prochaine fois que ses yeux se poseraient sur moi. Mon épaule ? Ma gorge ? Mon visage ? Elles bougeaient si vite, ses perles d’azur, comme s’il me scannait dans mon ensemble en une fraction de seconde, capturant l’image mentalement avant de retourner sur son chevalet. Comme une photocopieuse. Une photocopieuse qui capturerait l’âme des gens, la teinterait de son âme à elle, avant de servir la copie. Parce que ce n’était pas seulement moi, qu’il couchait sur papier, c’était sa version à lui, de moi, une version tronquée, donc, forcément. Une version où il mélangeait les deux âmes. La sienne et la mienne. « Tu as déjà fait des autoportraits ? » la question avait jaillit malgré moi, suivant le fil rouge de mes pensées, un fil rouge que personne ne comprenait, en général. Pourtant, c’était simple, si en copiant son modèle, il teintait son âme de la sienne, pour avoir une vision fidèle de lui-même, il fallait un autoportrait, où son âme ne se mélangeait à rien d’autre qu’à lui. Est-ce qu’il se voyait réellement ? Ou bien son regard le déformait ? Et moi ? Comment je le représenterais si j’en avais l’occasion ? Je n’avais pas son talent, je n’avais même pas la moitié de son talent, ni le tiers, ni le quart, mais je savais manier les pinceaux. Un coup d’oeil rapide autour de moi, et je réalisais que je l’avais, l’occasion. « Attends, pouce ! » j'entonnais en levant le pouce, justement, avant de lever le reste de mon corps, le dépliant pour aller rejoindre le tréteau dressé derrière lui, et sur lequel s'amoncelait, en constellations, une partie de son matériel. Plus tard, je me reprocherais de m’être servie sans demander l’autorisation, mais sur le coup, je n’y songeais pas. Ce n’était pas un manque de politesse ou une forme de mauvaise éducation, juste un peu trop de spontanéité. Alors, je récupérais un bloc Canson, où se trouvait déjà quelques esquisses, et un fusain, avant de retourner m’installer sur le sofa, retrouvant ma position initiale, à l’exception du bloc qui venait de faire son apparition contre mes cuisses. La feuille vierge sur laquelle je venais de tomber, allait bientôt se trouver noircie de clairs et d’obscurs, et tandis que ma main caressait le papier, mes yeux caressaient ses traits. J’allais lui dévoiler son âme au sein de ce kaléidoscope étrange d’un artiste croquant le modèle qui croquait l’artiste.   


with: Even | date: 13/01/15
cassie at atf.
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MessageSujet: Re: even & ebba - at first sight even & ebba - at first sight EmptyVen 13 Mar - 21:00


at first sight
Ebba et Even
Rien que réciter le vers de Baudelaire, c’était beaucoup pour moi. C’est bien plus de mots que ce que j’avais l’habitude de dire dans toute une session artistique. Et pourtant, c’était sorti tout seul, comme ça, sans que je ne me fasse prier. Les mots s’étaient extirpes de mes lèvres d’une manière inhabituellement naturelle, sans aucun effort, sans aucun forçage. Baudelaire était sans aucun doute mon poète préféré et voir que j’avais une connaisseuse en face de moi, qui récitait qui plus est ses vers en version originale, ne pouvait que m’impressionner et me réjouir. Et elle me prouvait qu’elle connaissait réellement, et non pas l’un des poèmes les plus connus, puisqu’arrivait le moment où elle me comparait au Chat de ce dernier. Comparaison justifiée de quelques vers, toujours en français. Vers que je considérais quelques instants avant d’acquiescer, sans pomper mot. Ça se pourrait bien être la meilleure description qu’on n’ait jamais faite de moi. En général, on me lâchait des mots, adjectifs attribues par-ci par-là, sans réel sens à mes yeux. Hautain, froid, lancinant. Bien, et ? Qu’est-ce que ça voulait dire tout ça ? Non, la description d’Ebba avait été bien plus précise. Bien plus pure. Bien plus complexe, aussi. Elle ne s’était pas contentée d’un seul mot. D’ailleurs, elle avait l’air de ne jamais se contenter d’un seul mot. Elle parlait beaucoup. Pas que ça me déplaise, étrangement, mais j’avais peur de finir par l’offenser par le fait que j’étais loin d’en dire autant. C’était bien quelque chose de nouveau ça, chez moi. J’avais peur d’offenser quelqu’un. Moi, Even Jørgåsen, l’impénétrable, l’inébranlable, je me retrouvais aujourd’hui à me soucier de quelqu’un d’autre que de ma petite personne. Pas que j’étais égoïste ou arrogant, loin de là, c’était juste que… le monde ne m’intéressait pas. Je n’avais aucune raison en particulier, mais je n’avais jamais éprouvé aucune connexion avec les autres, quels qu’ils soient. Mais Ebba était différente. Si j’avais pu douter précédemment, j’en avais maintenant la certitude. Mais je n’arrivais toujours pas à déceler en quoi. En espérant que la dessiner m’aiderait à y voir plus clair. Elle demandait d’ailleurs où se mettre, comment poser, que faire, si elle pouvait sourire. Et je lui répondais que je voulais simplement qu’elle reste naturelle. Je ne la voulais pas superficielle, jouant le modèle comme Irina. Non, si je voulais capter son essence même, il fallait qu’elle reste telle qu’elle était. Irina et les autres, je m’en fichais un peu de déceler ce qui les composait, le propre même de leur existence. Mais là, c’était Ebba. Et je n’allais pas revenir sur le sujet d’ô combien elle était singulière. Sauf que ses mots se confondaient, créant des doubles-sens assez poussés, question de sa part que je confirmais dans un petit rictus. Elle devenait gênée, et se mettait même à rougir, contraste déchirant avec sa peau de porcelaine. « Désolée. » s’excusait-elle, encore. Elle passait donc toute sa vie à s’excuser d’être elle-même? « Je ne vois aucune raison suffisante qui mériterait une excuse. » lui avouais-je. Il fallait qu’elle s’en rende compte. J’avais bien deviné qu’elle n’était pas d’ici, qu’elle n’était pas américaine. Elle avait cet accent notable et ne percevait toujours pas les subtilités de la langue au point de donner à ses paroles, sans même s’en rende compte, une tournure ambiguë. Cette innocence qui m’intriguait. Et aussitôt que je traçais la première ligne sur ma feuille, elle arrêtait de bouger et se taisait. Je m’affairais, dessinant avec aisance en commençant grossièrement pour petit à petit affiner mes traits, laissant deviner au fur et à mesure l’esquisse. J’avais commencé par représenter son corps. Les corps, c’était simple pour moi. C’était mon principal domaine de travail. Ses jambes croisées en tailleur, ses cuisses fines, pour doucement remonter sur sa taille marquée, son buste. Mes yeux passaient inlassablement d’elle au papier, du papier à elle, sans jamais se fatiguer. Mon regard glissait sur sa clavicule dévoilée que je dessinais en même temps que j’y posais mon regard, remontant peu à peu — sa gorge, son cou — pour enfin atteindre le visage. « Tu as déjà fait des autoportraits ? » Je stoppais mon crayon, la regardais en silence quelques instants. Par autoportraits, est-ce qu’elle voulait dire d’un oeil objectif? J’avais déjà représenté ma propre personne, mais jamais cela ne s’était tellement approché de la réalité. J’avais plutôt tendance à partir sur une base réelle pour ensuite la déformer au gré de mes envies, pour faire ressortir l’intérieur plutôt que l’extérieur. L’être plutôt que le paraître. Représentations assez sombres, je devais bien l’avouer, un peu à la Goya et sa gravure El sueño de la razón produce monstruos. Mais du coup, est-ce que c’était vraiment un autoportrait? Il aurait fallu qu’elle me définie ce qu’elle entendait par là. Parce que non, je ne m’étais jamais représenté de manière objective, l’aspect physique seulement. L’Art était mon exutoire, ce qui semblait donc logique de mettre mon âme dans mes pseudos-autoportraits et non pas de me contenter à mon enveloppe corporelle. « Pas vraiment. » me contentais-je finalement de répliquer après cette réflexion. Et je reprenais mon croquis comme si je ne m’étais jamais interrompu, entamant avec minutie son visage. « Attends, pouce ! » Pouce? Elle levait d’ailleurs le sien en l’air, avant de se lever tout entière, passant derrière moi sans gêne pour s’emparer d’un bloc Canson et un fusain. Elle dessinait, elle aussi? Elle revenait s’assoir exactement comme avant, si ce n’est que le bloc posé sur ses cuisses s’ajoutait au tableau. Qu’est-ce qu’elle allait faire avec ça? La regardant fixement, intrigué, elle me rendait ce regard si profond. Elle me détaillait. Elle me scrutait. Et sa main commençait à bouger. Elle allait me dessiner. Ça paraissait logique, après tout. Et pourtant, là encore, c’était la première fois que ça m’arrivait. Je ne m’étais jamais laissé dessiné, par personne. Je n’aimais pas être le modèle. Je me sentais bien plus à l’aise de l’autre côté de la feuille, le crayon en main, à moi, analyser les gens. Mais je la laissais faire, silencieusement, reprenant mes traits effrénés. Encore quelques minutes et j’aurais fini.
electric bird.
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MessageSujet: Re: even & ebba - at first sight even & ebba - at first sight EmptySam 14 Mar - 3:11



at first sight
« Je ne vois aucune raison suffisante qui mériterait une excuse. » Il en existait pourtant des tas. Raison pour laquelle je relevais un regard surpris dans sa direction. Parce que je l’étais toujours, surprise, lorsque quelqu’un, spontanément, prenait la défense de ma bizarrerie. J’étais pas totalement normale, je veux dire que je les voyais bien, ces autres, qui évoluaient avec tant d’aisance dans une réalité leur correspondant en tout point. Moi j’étais pas comme ça. Parfois, j’aurais aimé pouvoir l’être. Pas toujours, parce que j'aimais ma drôle de manière de penser, mais j’aurais voulu être munie d’un bouton, ce genre de truc qui m’aurait permis de passer du statut de moi, au statut de pas-moi. Voir le monde avec les yeux de ces autres, juste un peu, une fois de temps en temps, ralentir le flot de mes pensées, et aborder les choses avec facilité. Ça devait être reposant, non ? Ne pas se tromper sur les mots, ne rien bousculer dans ma maladresse, ne pas m’interroger sans cesse sur absolument tout. Une fois, on m’avait même demandé si j’étais autiste. Je n’avais pas su quoi répondre ne sachant pas ce que autiste voulait dire. Et puis j’avais cherché. Non, je ne l’étais pas, du moins pas à ma connaissance, mais il m’arrivait souvent de décrocher. Au cours d’une conversation, je pouvais parfaitement ne plus entendre mon interlocuteur et me perdre dans les méandres de mes réflexions. Alors oui, j’avais pris l’habitude de m’excuser. M’excuser pour mon comportement étrange, pour mes habitudes bizarres, pour mon fonctionnement déroutant, pour ma façon de penser différente. M’excuser pour tout, m’excuser d’être moi. Et c’était la moindre des choses, en soi, puisque j’obligeais chaque interlocuteur à des efforts considérables d’attention pour qu’il puisse espérer me suivre. Et personne n’y parvenait totalement, d’ailleurs, pas même ma soeur, pas même mes collègues, pourtant artistes comme moi. Parce que... C’était pas l’artiste, en moi, qui était étrange. C’était juste moi. Alors, si lui ne voyait aucune raison qui méritait que je m’excuse, c’est qu’il était aussi étrange que moi, voir plus. En attendant, je ne répondais rien, me contentant de réfléchir à ce qu’il venait de dire, cérébralisant et décortiquant chacun de ses mots, chacune de ses intonations de voix, et les altérations sur ses traits, trahissant des micro-émotions qu’il était bien difficile, de percevoir, chez lui. Et puis, je restais immobile, aussi, parce qu’il avait entamé son oeuvre, et que je ne souhaitais surtout pas lui compliquer la tâche, pour finir par ressentir le besoin de m’excuser encore. Parce que, voilà, j’en étais arrivée à cette conclusion-là : il n’aimait pas les excuses, il ne supportait pas les gens qui demandaient pardon perpétuellement. C’était la seule explication possible. Alors, je ne bougeais plus, m’autorisant une question, toutefois, après un long moment de silence. Est-ce qu’il avait déjà fait des autoportraits ? « Pas vraiment. » Drôle de réponse après tout ce temps de réflexion. Il n’avait pas prit la parole tout de suite, semblant prendre le temps de vraiment y réfléchir, observer les preuves et finalement en arriver à cette conclusion. Une conclusion qui n’en était pas une, puisque ‘pas vraiment’ pouvait vouloir dire tout et son contraire. Comment pouvait-on faire pas vraiment un autoportrait ? Il l’avait commencé mais jamais achevé ? Dans le doute, je voulais combler ce manque, et m’empressais de demander une pause pour aller chercher le matériel dont j’avais besoin. Pas grand chose, finalement, puisque je n’étais pas lui, que je n’aurais jamais son talent et que, forcément, je n’avais pas la prétention d’en faire autant. Et ce ne fut qu’une fois munie d’un bloc et d’un fusain, que je retournais m’installer dans le sofa, pour m’attabler à ma tâche : l’immortaliser lui. « Je vais faire ton autoportrait, alors. » je l’informais -c’était la moindre des choses- même s’il devait déjà s’en douter à mes regards caressant, ponctuellement, à intervalles réguliers, sa silhouette. « Enfin, un autoportrait pas auto, puisque je suis pas toi. » ce qui semblait évident, mais... « ... mais, peut être un peu plus toi que si ça avait été toi. » Parce que lui, il ne se voyait pas en tant que lui, mais en tant que l’autre, puisqu’on est tous étranger à soi-même. Alors que moi, moi je le voyais en tant que lui, vraiment lui. Pas en profondeur, certes, mais je pouvais, peut-être, m’attarder sur ce que je percevais déjà ? Mes traits n’étaient pas nécessairement très précis, ma main pas super assurée, et j’esquissais plus que je ne précisais, mais les éléments importants étaient là, selon moi. Je m’attardais sur son visage, délaissant totalement le corps qui, finalement, n’était pas très important pour un portrait, comme son nom l’indique. Parfois, je croisais son regard lorsque je l’observais en train de m’observer. Et j’ébauchais un sourire, parce que c’était marrant, tout de même, le dessiner lui en train de me dessiner pendant que je le dessinais. Une mise en abîme étrange et fascinante. Pas dérangeante. Est-ce qu’il trouvait ça aussi enthousiasmant que moi ? Et puis, il y avait autre chose, aussi... Comme une envie que ça ne s’arrête jamais, ce glissement de fusain sur son papier. Son fusain, sur son papier à lui, derrière ce chevalet. Je voulais pas, je crois, parce que j’avais ces fourmillements sous les cheveux sitôt que ses yeux s’attardaient un peu plus. Moi, d’ordinaire si discrète, préférant l’ombre à la lumière, excepté sur scène, j’aimais cette attention braquée sur moi. Comme s’il était un projecteur effaçant le reste. Parce que, c’était ça, la scène, c’était un projecteur si aveuglant qu’il m’isolait de la salle, me permettant de ne danser que pour moi, malgré les milliers de pairs d’yeux braquées sur moi. Je ne les voyais pas. Là, c’était un peu comme ça. Il était les yeux et le projecteur me faisant oublier les yeux, ou alors, les mettant en lumière, je ne sais pas. Je savais juste que j’aimais bien ça. C’était apaisant, relaxant, et quelque chose d’autre en même temps, que je ne comprenais pas, puisque je le ressentais pour la première fois. Une sorte de bien-être euphorique. Une forme d’excitation, mais lente, pas comme celle qui précédait l’entrée sur scène, ou ponctuait l’annonce d’une bonne nouvelle, non. Quelque chose d’autre, de plus intérieur et donc, plus profond, et pas aussi fulgurant. C’était lent, long, et piquant. Un engourdissement général. Tout ça, avec son regard, avec ses yeux, et cette main qui reproduisait tout. Comme la mienne, d’ailleurs, s’employant à transposer tout ça sur papier. Et j’y mettais tout mon maigre talent, jusqu’à ce que des talons claquent contre le sol, et qu’une voix tendue n’annonce que « J’ai fait aussi lentement que j’ai pu, mais il ne faut malheureusement pas trois jours pour enfiler un jean. » Irina. Une Irina contrariée qui tenait à me le faire savoir. Il y avait de forte chance que cet agacement soit dirigé envers le David, mais... C’était l’un de mes défauts, aussi, prétendre que j’étais responsable de tous les maux de mes amis. C’était moi qui avait prit sa place, moi qui avait accepté que l’artiste l’oubli à mon profit. J’aurais pu dire non, j’aurais pu insister pour qu’il continue avec elle, mais la vérité c’était que, peut-être, j’en avais eu envie, moi aussi, de cette place temporaire, et surtout, je n’avais pas deviné qu’il allait, à ce point, me privilégier. Je pensais qu’il ne s’agissait que d’une pause, qu’Irina aurait tôt fait de retrouver sa place légitime. Sauf qu’il lui avait demandé de se rhabiller. Et maintenant que c’était chose faite, elle imposait sa contrariété tout aussi légitime. « Sur ce, puisque j’encombre le décor... » Irritée, plus que contrariée, elle s’était emparée de son manteau, son sac, et enfilait le tout en traversant l’atelier jusqu’à la porte. Quoi ? Non ! Et moi ? « Attends ! Irina ! » je m’exclamais en russe, la langue me venant naturellement en présence d’une compatriote, et lorsqu’il s’agissait de m’exprimer rapidement, sous la panique. « Mais ! Attends-moi ! » j’insistais, toujours dans ma langue, bondissant hors du sofa, alors qu’elle était déjà à la porte. Oui, sauf que je n’avais pas achevé mon esquisse, moi. Tant pis, j’avais déjà ramassé mon manteau, mon écharpe et mon sac. J’aurais du franchir la porte à mon tour, sur ses talons, mais, à la place, j’hésitais, mon regard oscillant entre l’artiste, l’esquisse abandonnée, et la porte par laquelle mon amie avait disparue. Ok... Je m’accordais un délais d’une toute petite minute, pour revenir jusqu’au sofa, signer d’un simple Ebba A. le bas de mon dessin, et couvrir la distance jusqu’au chevalet. « Cadeau. » je glissais, près de son oreille, en même temps que mon esquisse à côté de celle qu’il avait fait de moi. La mienne n’était que l’ébauche d’un oeil, une pommette, l’angle d’une mâchoire et le coin d’une bouche se soulevant en cette naissance de sourire qu’il m’avait offerte, un peu plus tôt. Il manquait toute une partie du visage, comme un masque inachevé, celui du fantôme de l’Opéra, presque. Mes lèvres se déposant rapidement sur sa joue, en une bise spontanée, naturelle et irréfléchie, je tournais les talons rapidement, enroulant mon écharpe autour de mon cou, tout en passant la porte, reprenant mon appel incessant, et mes injonctions en russe. Pas des injonctions, pas vraiment, plutôt des suppliques envers cette amie que, finalement, je ne parviendrais à rattraper qu’une fois dans la rue, loin, si loin de l’atelier.     


with: Even | date: 13/01/15
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even & ebba - at first sight

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