Je sortais du cabinet Cravath, toujours sidérée par la proposition que le directeur me faisait. Bon, j’avais de bons résultats dans mes procès, voire même très bon, mais tout de même ! Cravath figurait toujours dans le haut de tête dans les classements des meilleurs cabinets d’avocats. Et ceux qui finissaient en haut du podium étaient des cabinets d’avocats d’affaires. Cravath était donc le meilleur dans le pénal. Et ils me voulaient. Et ils me voulaient vraiment ! Je n’en revenais toujours pas de ce que le directeur m’avait proposé. Et puis avouons-le, vu ce qui se passait entre Nathanaël et Déborah – enfin Rebekah maintenant, de ce que j’avais compris – je n’étais pas certaine que mon ex mari revienne vivre à Vancouver. Et même s’il passait le plus souvent possible, je ne voulais pas qu’il ait un jour à choisir entre sa fiancée et nos enfants. Parce que de ce que j’avais compris, Déborah s’était créée une nouvelle vie après son amnésie, et je n’étais pas certaine qu’elle voudrait la quitter. Donc finalement, m’installer à New York serait peut-être la meilleure solution pour tout le monde. Et puis, de toute façon, il était tout bonnement impossible de refuser l’offre que le directeur venait de me faire. Comment même imaginer la refuser ? J’envoyais un sms à Nathanaël pour lui donner rendez-vous dans un café proche du cabinet. Nos enfants étaient actuellement chez mes parents, le temps du procès. Mais quelque chose me disait qu’ils allaient bien rapidement nous rejoindre dans la Big Apple. Je m’installais à la terrasse du dit café et m’allumais une cigarette, tout en pianotant sur mon téléphone pour faire passer le temps. « Bonjour, je vais vous prendre un thé au jasmin s’il vous plait. » commandais-je à la serveuse de mon accent anglais.

J’avais hésité à amener Illiana et Noah avec moi à New York, le temps de mon procès. Déjà, me séparer d’eux était toujours autant difficile, même pour une semaine, et même si j’en avais la garde partagée avec Zach et donc que je ne les voyais pas une semaine sur deux. Mais là, étant à New York depuis une semaine, je n’avais pas pu les emmener. Ils ne pouvaient pas manquer l’école comme ça, ce n’était pas raisonnable. Illiana était au collège maintenant quand même. Donc mes parents se faisaient une joie de les avoir pour la semaine. Cela me faisait penser qu’il faudrait leur trouver une école à New York, qui les accepterait pour le deuxième semestre. Après tout, vu l’offre d’emploi que je venais d’avoir, m’installer à New York semblait une obligation. Mais finalement, cela arrangerait probablement tout le monde. Zach était à New York pour tenter de récupérer Déborah, qui était devenue amnésique suite à un accident, et faire l’aller/retour New York Vancouver n’était pas vraiment donné. Et si la blondinette ne retrouvait pas sa mémoire, je doutais qu’elle accepte de tout quitter – donc ses nouveaux amis, son nouveau job, … – à nouveau pour lui. C’était d’ailleurs pour cette raison que m’installant à une terrasse de café, j’envoyais un sms à mon ex mari pour lui demander de me rejoindre, pour pouvoir ensuite lui annoncer la bonne nouvelle. Après seulement quelques minutes d’attente, je le vis arriver. Je me levais pour l’enlacer et déposer un baiser sur sa joue, avant de me réinstaller et de boire une gorgée de mon thé qui était maintenant infusé. « Moi aussi je suis contente de te voir. » lui répondais-je dans un sourire, avant de l’inviter d’un signe de la main à s’installer en face de moi. « De quoi moi et mon eau chaude ? Tu as une remarque à faire peut-être ?  » répondais-je d’une moue boudeuse. « Si tu critiques mon thé, je ne suis pas sûre que tu mérites de savoir ce qui m’a poussée à te demander de venir. Car non, ce n’était pas simplement pour voir tes beaux yeux, mais bien pour une raison. »

Après que Nathanaël m’ait rejointe à la terrasse du café où je me trouvais, je ne pus m’empêcher de remarquer sa remarque à propos de mon thé. Après toutes ces années, il continuait de critiquer ma boisson fétiche qui était le thé. Je n’avais jamais aimé le café, celui-ci m’excitant plus qu’il ne me réveillait. Et je n’avais pas besoin d’être une pile électrique. Au contraire même, avec mon métier d’avocate pénaliste, je me devais plutôt d’être calme en toute circonstance. Le thé était donc parfait pour ça. Et je le prévenais donc que s’il continuait ainsi, je ne lui ferais pas part de la nouvelle que j’avais à lui donner. Parce qu’il aimerait cette bonne nouvelle, je le savais. « Mais oui mais oui … » lui répondais-je en roulant des yeux alors qu’il me disait ne faire aucune remarque. Et il commanda un café, ce qui me fit lâcher un petit rire. Après toutes ces années, je le connaissais parfaitement à présent. Et donc je n’étais absolument pas surprise de sa commande. « Non non, ce n’est pas que pour te voir. » annonçais-je dans un petit sourire malicieux. Je n’allais pas cracher le morceau aussi rapidement quand même ! Et pourtant, il me demanda exactement ça. Mais je n’allais pas lui donner satisfaction, du moins pour le moment. Qu’était la vie sans un peu de mystère non ? « Tu sais que je me suis fait voler mon téléphone en sortant de l’aéroport ? Je le tenais dans ma main et marchais tranquillement quand un gars me l’a juste piqué des mains ! » m’exclamais-je toujours frustrée par ce qui m’était arrivé, même si cela faisait près d’une semaine maintenant. Heureusement que je connaissais les numéros importants par cœur. « Bon allez, je vais pas te faire mariner plus longtemps. Je suis trop gentille pour faire ça à tes petits nerfs. Devine à qui on vient d’offrir une proposition d’emploi exceptionnelle ? »

C’était assez étrange comme les choses n’avaient pas changé entre nous. Même après des années, nous nous moquions toujours de la boisson favorite de l’autre. En même temps, si l’amour était parti plusieurs années auparavant, l’amitié avait pris sans place, sans difficulté. Comme si cela avait été logique que nous restions amis. Bon, nous avions nos deux petits anges qui nous empêchaient également de nous éloigner. Mais ce n’était pas vraiment eux qui faisaient que nous entretenions cette relation à présent. Non, c’était bien nous. Et c’était tant mieux. J’avais passé plus de la moitié de ma vie en sa compagnie, le perdre tout simplement parce que nous n’étions plus amoureux l’un de l’autre m’aurait été très difficile. Je commençais donc par lui parler du téléphone que l’on m’avait dérobé la semaine dernière, toujours pas remise de l’incivilité de certains new-yorkais. « A quoi ça m’aurait servi de porter plainte ? Je ne pense pas vraiment que la police l’aurait retrouvé, alors que même moi je ne sais pas à quoi ressemble le voleur. » lui répondais-je en haussant les épaules, avant de m’allumer une cigarette. Je ne savais pas vraiment combien de temps j’allais jouer à ce petit jeu avant de l’informer de l’excellente nouvelle que j’avais à lui faire part. C’était qu’en plus, j’avais envie de le lui dire et de « frimer » un peu devant lui. Dans un petit sourire, je passais aux confessions, avant d’attendre sa réaction. « Oh oui exceptionnelle. Tu aurais entendu ce qu’il me propose. C’est incroyable, je m’en suis toujours pas remise je crois. Je ne sais pas vraiment pourquoi il me propose tout ça, mais une chose est sûre, je ne vais pas me plaindre. » l’informais avant de porter ma cigarette aux lèvres. Et lorsqu’il me demanda si j’allais quitter l’ancien, je lui lançais un petit sourire en coin. « Oui, je vais abandonner l’ancien, bien sûr. Et je crois que tu n’as pas encore entendu le mieux. C’est à New York. »

Peut-être que c’était justement parce que j’étais avocate pénaliste et que je m’occupais donc de dossiers bien plus grave qu’un simple vol de téléphone, mais je ne voyais aucunement l’intérêt de porter plainte. Il n’y avait de toute façon pas de caméra de surveillance lorsque cela s’était passé, et j’avais qu’à faire plus attention. « Sérieusement, la police a d’autres choses à faire que de chercher un banal vol à l’arraché. S’il m’avait agressée, je ne dis pas, mais là il n’a fait que voler mon téléphone, rien d’autre. Je ne vais pas encombrer les policiers alors qu’ils ont des choses plus importantes à faire. » répondais-je en haussant des épaules. Ce n’était qu’un téléphone portable, ce n’était pas comme si on m’avait volé mon sac avec tous mes papiers. Pour moi, un téléphone portable ne valait pas le coup d'embarrasser la police avec ça, alors qu’ils avaient bien choses plus importantes à faire. Et s’il faisait la même chose à d’autres personnes, et bien il faisait la même chose à d’autres personnes. Mais bon, je n’étais pas ici, avec lui, pour lui parler du vol de mon téléphone, mais pour parler d’une excellente nouvelle : la proposition d’emploi que je venais d’avoir. Bien sûr, ma décision était toute faite, qui aurait la stupidité d’envoyer balader l’un des meilleurs cabinets pénalistes et l’offre allant avec ? Sûrement pas moi. Je ne faisais donc que simplement partager cette nouvelle avec l’homme qui était devenu mon meilleur ami au fil des années. « Ce que je viendrais faire à New York ? » répétais-je dans un petit sourire amusé. « Hum je sais pas, laisse-moi réfléchir … » continuais-je dans un rire discret, avant de reprendre. « Non je ne vois pas. Tu ne vois pas toi ? » reprenais-je d’un air malicieux. Oui, je m’amusais de la situation et du fait qu’il n’avait toujours pas compris que cette nouvelle était tout aussi merveilleuse pour lui que pour moi.

J’avais souvent tendance à prendre les choses à la légère, comme elles venaient. A l’exception de mon travail et de mes enfants, je n’aimais pas prendre les choses au sérieux, tout simplement parce que je n’aimais pas être déçue. Donc pour moi, ce vol de téléphone n’était rien, et si j’en avais parlé à mon ex mari, c’était simplement pour faire la conversation et retarder le moment où je lui annoncerais l’excellente nouvelle que j’avais à lui annoncer, et qui était tout autant excellente pour moi que pour lui. Et d’ailleurs, je ne tardais finalement pas à lui dire, toute enjouée. Puis voyant qu’il ne comprenait pas, je ne pus m’empêcher de le taquiner un peu. Comment pouvait-il ne pas comprendre à quel point c’était une bonne nouvelle pour lui aussi ? J’allais m’installer à New York, avec nos enfants. Ainsi, il n’aurait plus à se ruiner dans des allers/retours interminables entre New York et Vancouver, et pourrait voir nos enfants quand il le voudrait. Et puis il en aurait enfin de nouveau la garde partagée. Et si cela me faisait plaisir pour lui, c’était encore plus accentué pour mes enfants. Je savais à quel point leur père leur manquait. Et d’ailleurs, si j’avais tout de suite été d’accord pour une garde partagée, c’était bien pour leur bien à eux – parce qu’avouons-le, être séparée de mes enfants une semaine sur deux était assimilable à de la torture pour moi. Mais je devais bien avouer que je ne comprenais pas ces mères qui n’accordait à leur ex mari qu’un week-end sur deux, voire moins des fois. Est-ce qu’elles ne pensaient pas à leurs enfants, qui avaient besoin de leur père ? Tout simplement pour quoi ? Une stupide vendetta ? Je ne voyais pas pourquoi ce serait aux enfants de payer le prix. Enfin bref, Nathanaël finit enfin par comprendre ce que voulait dire cette offre d’emploi, pour nous quatre. « Oui, nous allons emménager à New York. Je ne leur ai pas encore dit, tu es la première personne au courant. Mais vu comment tu leur manques, je ne pense pas qu’ils seront opposé à cette idée. » lui répondais-je dans un grand sourire, avant de reprendre suite à ses interrogations à propos de Déborah. « Déjà, il ne faut pas que tu partes comme ça, défaitiste. Ça va s’arranger entre vous deux. Il faut que tu prennes ça comme … Je sais pas, essaye de voir ça comme un acte romantique que tu fais. Tu ne dois pas lui montrer que tu es le bon choix pour elle. Tu dois la séduire de nouveau. Tu dois la faire tomber amoureuse de toi à nouveau. Ça ne sert à rien de remuer le passé. Elle t’a oublié, et de ce que tu m’as dit, ça ne reviendra pas. Donc mets les choses à plat, et séduis-là à nouveau. »

Si, bien sûr, la principale raison qui me poussait à vivre à New York était l’incroyable opportunité que je venais de recevoir, j’étais heureuse que ce soit dans cette ville que l’opportunité ait lieu. Je savais que Nathanaël ne reviendrait pas à Vancouver. C’était devenu certain maintenant. Si Rebekah et lui se remettait ensemble, je la voyais mal abandonner de nouveau sa vie pour lui. Et si elle avait pu le faire la première fois, cette fois-ci c’était différent. Même si nous n’étions pas particulièrement proches – nous ne l’étions que pour Nathanaël et nos enfants pour tout dire – je commençais à la connaître. Et si, déjà avant son accident, elle avait beaucoup de mal à rester vivre à New York, éloignée de sa famille, je me doutais bien que ce serait pire maintenant. Elle s’était reconstruite une nouvelle vie, et devoir la quitter de nouveau serait probablement impossible pour elle. Mais je n’aimais pas le pessimisme qu’avait mon ex mari à son sujet. Les deux étaient faits l’un pour l’autre, je le savais. Elle finirait par retomber amoureuse de lui. Je trouvais ça presque romantique. Il devait tout recommencer et la séduire à nouveau. Cela me rappelait un film que j’avais vu il y a peu, où la femme avait eu un accident et devenait amnésique, ne se souvenant plus de son fiancé – bon où les choses étaient différentes, c’était que dans le film, elle n’avait perdu sa mémoire que sur quelques années, et non tous ses souvenirs. Mais bref, ils finissaient ensemble, et c’était l’essentiel ! « Ou pour qu’elle te pardonne, il faudrait qu’elle retombe amoureuse de toi. Essaye de lui faire la cour, fais-lui des petites attentions. J’en sais rien, offre-lui des cadeaux, montre-lui que tu l’aimes et montre-lui pourquoi elle doit t’aimer ! Bref, séduis-la ! »