Dolce & Ariel

Back in business

Ariel croisa les bras sur sa poitrine et regarda son collègue droit dans les yeux. « Êtes-vous en train de me dire que vous doutez de mes compétences, Dr. Moss ? » Le dit Dr. Moss se dandinait sur place, comme un gamin pris en faute, cherchant du regard de l’aide. Mais les autres chirurgiens se gardaient bien d’intervenir, se contentant d’assister à la scène sans rien dire, mais sans en manquer une miette. « Bien sûr que non, Dr. Jacquet ! Seulement, vous avez été absente pendant quelque temps… » « Merci de me le rappeler », lança avec acidité Ariel. « … et, hmm, je pensais que vous n’étiez peut-être pas encore prête à reprendre le chemin du bloc… » « Eh bien, vous pensiez mal. Est-ce que quelqu’un d’autre voit un problème à ce que je m’occupe de l’opération de la petite Harper ? » demanda Ariel en lançant un regard à la ronde. « Oh non », « Pas du tout », « Absolument pas »… La jeune femme se retourna vers son collègue dont le visage était rouge – de honte et de colère mélangées, devina-t-elle. « Bien, puisque cette affaire est réglée, excusez-moi, une hernie inguinale m’attend. » Ariel pivota sur elle-même et se mit en direction du bloc.

L’opération se déroula à la perfection. Ses mains ne l’abandonnèrent pas, son esprit non plus. Ariel resta concentrée sur son but et finalement, elle ressortit contente d’elle-même. On la félicita comme il se devait. Elle reçut ces compliments sans rien dire, avant de s’éloigner vers les toilettes pour femmes. Là, elle vérifia qu’elle était seule dans la pièce. Elle prit appui contre un lavabo et respira un grand coup. Elle devait l’admettre, elle avait eu un sursaut de panique en entrant dans le bloc, elle s’était demandée si le Dr. Moss n’avait pas raison, s’il n’était pas trop tôt pour de nouveau opérer… Mais sa fierté avait repris le dessus, et elle y était allée tel un bon petit soldat. L’opération s’était bien passée. Alors d’où lui venait cette soudaine envie de pleurer ? Le contrecoup, certainement. Elle ne devait pas flancher maintenant, pas après tout ça. Elle avait eu une tumeur au cerveau, elle l’avait vaincue, elle était une des meilleures dans sa spécialité, il fallait qu’elle tienne ! Mais voilà qu’une larme coula sur sa joue, suivie d’une autre, et elle se retrouva bientôt à sangloter sans pouvoir s’arrêter. Si quelqu’un la surprenait, elle en mourrait de honte…

Je soupirais lentement, pas vraiment certaine de réaliser ce que j’avais entendu. Le docteur Fitzgerald allait débrancher sa femme. Je ne savais même pas que sa femme était dans le coma. J’avais pu deviner qu’il était marié à la vue de l’alliance qu’il portait à l’annulaire gauche, mais pas plus. En même temps, ce n’était pas mes affaires. Il n’était que mon titulaire en chirurgie pédiatrique et même s’il m’avait aidé lorsque les choses étaient au plus mauvais point avec Joshua, mon ex petit ami, cela s’arrêtait là. Pourtant, en entendant sa conversation avec un autre médecin, je n’avais pas pu m’empêcher de ressentir une boule au ventre. J’avais presqu’envie de pleurer pour lui. Il était impossible pour moi de savoir ce qu’il ressentait à propos de cela, mais je me doutais bien que ce n’était pas la joie. Et je ne pouvais m’empêcher de ressentir de l’empathie pour lui. Il avait été là quand j’étais au plus mal et j’avais envie d’en faire de même. Mais je doutais franchement d’être la personne qu’il ait envie de voir en ce moment. Je lâchais un autre soupir.

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Forcément, au moment précis où Ariel ne voulait pas qu’on la surprenne, la porte des toilettes s’ouvrit. Trop tard pour se réfugier dans une des cabines. Elle tourna la tête en espérant que la femme qui venait d’entrer ne s’attarderait pas. « Ariel ! » La jeune femme fut immédiatement soulagée en entendant son prénom. Elle connaissait bien la personne qui venait de le prononcer – Dolce Preston, une de ses internes. Ariel se retourna, les larmes aux yeux et sourit faiblement. « Je pensais justement à toi. » Oh, c’était si gentil de sa part… Mais Dolce avait dû remarquer que quelque chose n’allait pas. « Ariel, ça va ? » Ariel n’était pas du genre à se laisser aller, mais la question avait été posée avec une telle douceur qu’elle craqua et elle se retrouva à pleurer comme une Madeleine. « Oui… oui, ça va… Enfin, non… Oh, je ne sais pas... » Elle avait toujours trouvé ridicule les gens qui s’épanchent sur l’épaule des autres. Elle avait toujours cru qu’elle était au-dessus de ça. Mais ces derniers mois, elle avait bien dû s’en remettre aux autres. À son mari, aux autres médecins… Et à Dolce, Dolce qui avait été la première personne à apprendre qu’elle avait une tumeur au cerveau et qui l’avait écoutée se lamenter sans rien dire, qui était juste restée là à la soutenir tandis qu’Ariel s’apitoyait sur son sort.

Au début, elle avait traité Dolce comme tous ses internes, se montrant intraitable avec elle. Mais très vite, elle s’était rendue compte des capacités de la jeune femme et avait lâché du lest. Elles avaient fini par devenir amies et déjeunaient souvent ensemble. Alors, quand Ariel avait appris qu’elle était malade, c’était tout naturellement qu’elle s’était retrouvée à en parler à Dolce. Et Ariel se rendait compte qu’elle lui avait manqué pendant ses longs mois passés en dehors de l’hôpital.

Elle avait vécu un calvaire, certes ; néanmoins, ce n’était pas une raison pour flancher. Heureusement que c’était Dolce qui l’avait trouvé en pleurs dans les toilettes et non une de leurs collègues aux dents longues. La rumeur que le Docteur Jacquet n’était pas revenue au meilleur de sa forme aurait vite fait le tour de l’hôpital sinon. Ariel avait parfaitement confiance en son interne, par contre, qui n’était pas du genre à colporter les secrets qu’on lui confiait. La jeune femme sourit bravement à son amie en essuyant ses larmes – elle devait avoir une sale tête. « Bon... Je te mentirais si je te disais que je n’ai pas subi le contrecoup du stress de mon jour de reprise… », admit-elle piteusement. « Tu me connais, pourtant… Ce n’est pas mon genre… » Ariel attrapa une serviette en papier, la trempa et tenta de se redonner une contenance.