Il fallait que j’arrête de penser à Lexie, ce n’était plus possible. Pourquoi est-ce qu’à l’exception de lorsque j’opérais – encore heureux ! – je ne pensais qu’à la jeune femme ? C’était une sensation horrible. A chaque fois que je la voyais, mon cœur se mettait à rompre plus qu’à la normal, me donnant l’impression qu’il voulait s’échapper de ma poitrine. Qui avait inventé ça ? Je soufflais, tout en allant aux urgences. Avec un peu de chance, il y aurait un cas chirurgical, et au moins, je serais avec des patients, pas seul dans mon bureau à penser à elle. Je n’arrivais pas à comprendre ce que j’avais bien pu faire de mal. Avant elle, quand je trouvais une femme attirante, je n’allais simplement pas la voir. C’était aussi simple que cela. Mais lorsque je l’avais vu pour la première fois, c’était comme si je n’avais eu aucun contrôle sur mes jambes, et qu’elles avaient décidé de n’en faire qu’à leur tête. J’étais allé la voir, et nous avions discuté. Très mauvaise idée. Et pourtant, cela s’était passé de nouveau, à plusieurs reprises alors qu’elle se trouvait à l’hôpital pour sa grossesse. Comment j’avais même pu négliger ce dernier point ? Elle était alors enceinte et seule, sans soutien à l’exception de celui de son frère. Sa situation était donc déjà assez bien compliquée pour y rajouter du flirt avec un homme marié. Car j’étais bien marié à Melissa. Même si je ne l’avais jamais aimée. Même si je ne l’avais épousée seulement parce qu’elle était enceinte, malgré mes parents qui me disaient à quel point je le regretterais quelques années plus tard. Si je regrettais de l’avoir épousée elle, au final, je ne regrettais pas tant que ça. Ça m’avait permis d’être proche de ma fille après tout. Si je ne l’avais pas fait, je n’aurais jamais pu la voir, entre mes études de médecine et plus tard mon internat, cela aurait été tout bonnement impossible. Je prenais un dossier, comme un automate et le lisais. Houla, infection d’une cicatrice au niveau du crâne ? J’allais à l’encontre de la patiente, et dans un petit sourire qui se voulait rassurant, je m’adressais à elle. « Mademoiselle Shihôin, je suis le docteur Hamilton et je vais m’occuper de vous. Comment vous êtes-vous fait cela ? » lui demandais-je avant d’examiner sa plaie, ce qui me lâcha une grimace de dégoût. Belle infection, en effet.

Je savais qu’il ne fallait pas que je reste dans mon bureau, ou je risquerais de penser à Lexie toute la journée. Depuis que j’avais diner chez elle – qu’est-ce qui m’était passé par la tête sérieusement ! – je ne pensais plus qu’à elle, à toute heure de la journée. Sauf lorsque j’opérais. Et c’était pour cela que je devais opérer aujourd’hui, et que je me retrouvais donc aux urgences. Vu la tempête qu’il y avait à New York en ce moment, je ne penserais bientôt plus à la jeune brune, c’était certain. Bon, l’opération ne serait apparemment pas pour tout de suite, puisqu’une jeune femme avec une plaie infectée à la tête venait d’arriver. Autant m’occuper avant que de multiples accidents en tout genre liés à la tempête, ne remplissent les urgences. J’allais donc vers la jeune femme et lui demandais ce qu’il s’était passé, dans un sourire compatissant. « Euh… J’ai reçu un coup sur la tête. » me répondit-elle. J’acquiesçais lentement, sachant pertinemment qu’elle ne me disait pas tout. Comme la plupart des personnes qui se retrouvaient à l’hôpital d’ailleurs. Je regardais sa plaie, avant de cacher une grimace de dégoût en voyant qu’elle s’était infectée. « Et votre coup à la tête date de combien de temps exactement ? » lui demandais-je, voyant à la tête que cela avait que cela ne datait absolument pas d’aujourd’hui, et que pire, elle semblait attendre que cela se referme tout seul – et il était inutile de préciser que cette personne n’était définitivement pas médecin. « Ça va me revenir cher ? » me demanda-t-elle en cherchant mon regard. « Parce que j’ai vraiment pas beaucoup d’argent… » reprenait-elle sans me laisser le temps de répondre à sa première question. « C’est pour ça que vous ne venez que maintenant pour soigner cette plaie ? » demandais-je dans un soupir. Il allait vraiment falloir que je trouve le moyen d’ouvrir un dispensaire. La santé ne devait pas être une affaire d’argent, et pourtant malheureusement, c’était bien le cas. « Pour ce que cela va vous coûter, cela dépend de si je dois vous amener en chirurgie ou non. Donc cela dépend du degré de l’infection que vous avez. »

« Euh, un peu plus d’un mois je crois… » marmonne ma patiente, me faisant écarquiller les yeux de surprise. Un mois ? Je n’ai pas le temps de répondre, que la jeune femme me devance. « Je… Hum, me suis mise des agrafes à la tête mais quand elles sont parties ça c’est infecté en fait… » continue-t-elle. Si avant, mes yeux étaient écarquillés, je pense que maintenant, je ressemble plus à un poisson hors de l’eau qu’autre chose. « Très bien. » je réponds dans un hochement de tête, en tentant de ne pas laisser transparaitre un quelconque sentiment. Parce que ce n’est pas mon rôle, tout simplement. Si elle ne s’est pas faite soigner avant, c’est qu’elle a probablement une bonne raison pour cela. Et même si pour moi, la santé passe avant tout, tout le monde ne pense pas pareil. Et je comprends rapidement ce qui l’a poussée à attendre. L’argent. Forcément, c’est tout le temps comme ça. Je ne comprends pas du tout notre système médical, c’est un fait. Aux Etats-Unis, c’est limite s’il ne faut pas être riche pour pouvoir se soigner. Et c’est bien malheureux. Je me suis renseigné sur les autres pays, et dire que les Européens nous battent à pleine couture à ce niveau-là est un euphémisme. « Ouais… Je me suis soignée comme j’ai pu jusqu’à présent. Mais si ça va couter cher, abandonnez, je n’ai pas de quoi payer. » elle me répond, me faisant lâcher un soupir. « Je vais voir ce que je peux faire. » dis-je dans un nouveau soupir. J’espère réellement qu’elle n’a besoin d’aucune chirurgie. Parce qu’autant je peux ne pas lui facturer mes soins et ne lui faire payer que le traitement, autant cela risque d’être plus compliquer de lui faire une opération pro bono. « L’infection est assez grave. Je mettais pourtant de l’alcool dessus pour la désinfecter … » rajoute-t-elle, tandis que je regarde sa plaie. En effet, elle n’est pas belle à regarder. Mais bon, elle n’a peut-être pas besoin de chirurgie, et c’est déjà ça. « Je vais tenter de gratter la plaie, pour voir à quoi ça ressemble, d’accord ?  »

Il fallait vraiment que je mette en place ce dispensaire. C’était un projet que j’avais eu dès que j’avais été nommé chef de la chirurgie, et pourtant, je ne l’avais toujours pas appliqué. Tout simplement parce que cela demandait beaucoup d’argent pour le mettre en place. Vraiment beaucoup d’argent. J’avais calculé, et cela coûtait environ dix millions d’euros. Autant dire que l’hôpital n’avait pas cet argent. Et je ne savais pas où le trouver. Je pourrais demander à des riches donateurs. Après tout, j’avais sauvé la vie de pas mal de patient influents, ou tout du moins des proches de personnes influentes. J’avais même sauvé la vie de la fille du Maire. Mais je détestais réellement quémander de l’argent. La dernière fois que j’avais organisé un gala de charité pour réaménager et améliorer le service traumatique, j’avais vraiment dû prendre sur moi. Mais est-ce que je ne pourrais pas faire un effort. Il était tout bonnement incroyable que des personnes mettent leur vie en danger tout simplement parce qu’elles n’avaient pas assez d’argent pour se faire soigner. Un dispensaire permettrait d’arrêter ça. Ces personnes pourraient se faire soigner, puis ensuite, si besoin, bénéficier d’une opération pro bono. « Merci, c’est gentil à vous en tout cas… » me remercia la jeune femme après que je lui ai dis que je verrais ce que je pourrais faire. Il fallait juste espérer que son infection ne soit pas dégradée au point qu’elle ait besoin d’une opération. Parce que si je pouvais la soigner gratuitement et lui donner quelques médicaments, ce n’était vraiment pas la même chose avec une opération. Tout simplement parce que je n’étais pas seul lors d’une opération et qu’il fallait bien payer les infirmiers et l’anesthésiste, au moins. « Non, c’est normal.  » lui répondais-je en lui faisant un petit sourire que je voulais réconfortant. Parce que c’était normal. Ce qui n’était pas normal, c’était que la santé coûte aussi chère, alors qu’elle devrait normalement être gratuite. Voilà ce qui n’était pas normal. Je lui expliquais alors que j’allais devoir gratter la plaie pour pouvoir mieux voir la tête qu’avait l’infection. « D’accord… J’ai le droit de m’agripper à votre blouser ? » me demanda-t-elle alors, visiblement inquiète. « Oui bien sûr. » acceptais-je dans un petit rire. Prenant un anesthésiant que je déposais sur sa plaie pour amoindrir la douleur, je commençais alors à gratter.

« Vous devriez recevoir une médaille. Les bons médecins comme vous ça ne court pas les rues. Bientôt on va se retrouver au moyen âge avec cette société pour les soins… » partagea-t-elle, me faisant tirer une grimace. Malheureusement, j’étais d’accord avec elle. Notre système de santé était vraiment pitoyable. « Et encore, j’ai appris qu’en Espagne, le gouvernement avait interdit aux médecins de soigner les étrangers. Vous vous rendez compte ? Donc il se passe quoi si un étranger arrive à l’hôpital en train de faire une hémorragie ? On le laisser mourir de ses blessures, simplement pour de l’argent ? La chirurgie, ce n’est pas un métier. C’est une passion. Et surtout, c’est un serment que nous faisons. Et on se doit de soigner tout le monde. Sérieusement, j’ai sauvé la vie d’un tueur en série à tendance psychopathe. Si je le sauve lui, c’est pas pour laisser mourir quelqu’un simplement parce qu’il n’a pas d’argent. » lui répondais-je, amer. J’avais été sidéré en apprenant ce qui se passait en Espagne. Et moi qui croyais qu’en terme de soins, les Etats-Unis étaient le pire parmi les pays civilisés. Je continuais à gratter sa plaie, alors qu’elle s’agrippait à ma blouse. Malgré l’anesthésiant que je lui avais mis, je n’osais imaginer sa douleur. « Ça va ? Ce n’est pas trop dégueulasse ? Enfin je veux dire… La plaie quoi… » me demanda-t-elle, me faisant lâcher un sourire, même si elle ne pouvait pas le voir. « Je suis chirurgien en trauma. J’ai vu bien pire dans ma carrière.  » lui affirmais-je très sérieux. « Et vous, la douleur ? J’essaye de faire le plus délicatement possible mais j’imagine que ça ne suffit pas.  »

« Sérieux ? C’est horrible… Tant que les étrangers paient, pourquoi refuser ? Bénéficier de soins devient comme au moyen âge… Sans argent on va crever… » marmonna la jeune femme. Malheureusement, c’était réellement une question d’argent, et rares étaient les étrangers qui pouvaient payer. Je le voyais dans mon métier d’ailleurs. Les immigrés n’avaient aucune ressource et encore moins d’assurance. Mais ce n’était pas une raison pour les laisser mourir pour autant, simplement parce qu’ils ne pouvaient pas payer. « Le problème est que les immigrés n’ont que rarement des ressources financières, et ne peuvent donc pas payer les soins. Mais refuser de les opérer n’est définitivement pas la solution. Et je ne vois pas quel médecin accepterait de regarder un patient mourir sans intervenir. Mais vous avez raison, nous sommes dans une époque où … où les gens en viennent à devoir choisir entre se soigner et avoir un toit sur la tête. » répondais-je dans un soupir, las. C’était réellement quelque chose qui me faisait sentir impuissant. Savoir qu’en sauvant la vie d’une personne, je la ruinais et que cette même personne devrait vendre son toit simplement pour payer les frais médicaux. Mais tant que l’Obama Care ne s’améliorerait pas, il en resterait malheureusement ainsi. Enfin, avec cette « sécurité sociale », comme ils l’appellent dans d’autres pays, c’était toujours mieux qu’avant, où les personnes n’avaient strictement aucune aide. Même si ce n’était pas suffisant. « C’est… Supportable, enfin, je ne vais pas en mourir, j’ai connu bien pire. » me dit-elle après que je lui ai demandé si la douleur n’était pas trop puissante. J’acquiesçais en hochant de la tête, pour seule réponse.« Quelle est la pire chose que vous ayez vu dans votre boulot ? » reprit-elle alors. Réfléchissant, je cherchais quelle était la pire chose que j’avais bien pu voir aux urgences. « Humm … Une fois, je me suis occupé d’un homme qui avait une tronçonneuse dans le ventre. Réellement, il avait fait son jardinage, avait apparemment fait tombé sa tronçonneuse encore allumée, et en tentant d’en reprendre le contrôle, les choses se sont … envenimées. »