J’en étais convaincu, mon supérieur me détestait. Je me demandais ce que j’avais bien pu lui faire pour qu’il me fasse des coups comme celui-ci. Me demander d’accompagner Sofia en Egypte pour l’aider à s’installer. C’était quoi ce délire ? Qu’est-ce qui pouvait bien lui faire croire que j’avais envie de me retrouver dans un pays en pleine guerre ? Si Sofia était suicidaire, grand bien lui fasse, mais ce n’était absolument pas mon cas ! Peut-être que j’avais couché avec sa fille ? Ou sa sœur ? Ou une autre personne à laquelle il tenait ? Et il l’avait appris et décidait depuis de faire de ma vie un véritable enfer. Il commençait par me donner des dossiers plus stupides et inintéressants les uns que les autres, puis me mettait avec Sofia en binôme, puis maintenant m’envoyait carrément dans un pays en guerre pour m’assurer que la princesse arriverait à bien s’installer et à prendre ses marques. Je ne parlais même pas arabe en plus ! Comme si anglais, français, allemand et espagnol ne suffisait pas maintenant ! Il fallait que je me retrouve dans un pays dont je ne parlais aucunement la langue. De mieux en mieux, non ? Je regardais Sofia qui était justement au téléphone avec lui. Je ne voyais même pas pourquoi elle se donnait la peine, comme si cela changerait quoi que ce soit ? J’avais couché avec une de ses proches, et maintenant il me faisait la peau. Il fallait vraiment qu’elle arrête de croire qu’elle était le centre du monde et que tout se faisait en fonction de sa petite personne. En plus elle devait cacher ses beaux cheveux ! Je la regardais remettre son foulard en place avec de gros yeux. Elle était sérieuse là ? Et c’était dans ce pays qu’elle voulait vivre … Quand elle revint vers moi et me proposa d’aller manger quelque chose, je ne pus qu’acquiescer. J’avais fait, c’était un fait. Mais il valait mieux pour le directeur que rien ne m’arrive cette semaine, parce que sinon son corps rejoindrait rapidement le mien ! Je suivais Sofia à travers les rues, ne connaissant de toute façon pas du tout la ville. S’installant ensuite à un café, je soupirais d’agacement tandis qu’elle parlait avec le serveur dans une langue qui était probablement de l’arabe. Ce que j’aimais ne rien comprendre à la conversation !  « Une bière ne me ferait pas de mal … » commençais-je avant de me reprendre immédiatement.  « Qui dit pays musulman dit pas d’alcool, donc oublie ça. Un thé à la menthe alors … Ça doit être bon ici … » reprenais-je en tentant d’y mettre du mien.

Ce n’était pas que je n’aimais pas l’Egypte. D’ailleurs, je n’y avais jamais été avant aujourd’hui. Mais les pays en pleine pauvreté, je connaissais. Je savais bien qu’il y avait bien plus à propos de l’Egypte, mais tout ce que je voyais, c’était que la guerre les appauvrissait. Et je venais de Maurice. Où, comme pour l’Egypte, l’argent ne venait que grâce au tourisme. Autant dire que ceux qui ne travaillaient pas dans ce secteur pouvaient bien croupir que personne ne s’en apercevrait. Je ne venais pas non plus d’une famille très pauvre. Après tout, mes frères et sœurs et moi-même n’avions jamais manqué de nourriture, ni avions étés à la rue. Nous vivions dans un petit appartement, c’était vrai, mais il y avait pire. Et lorsque j’étais revenu à Port Louis après mes études, pour soutenir ma famille après la mort de mon père, j’avais fait des sujets de fond pour le New York Times. Et sérieusement, entendre les gens se plaindre de ne pas avoir de toit sur la tête m’avait plus qu’agacé. Si je n’avais pas été journaliste – et donc supposément objectif – je leur aurais bien dit ma façon de penser. A quoi cela pouvait bien leur servir de se lamenter ? Ils n’avaient qu’à bosser, comme tout le monde, au lieu de se plaindre. Après tout, je l’avais fait, et je ne devais cela qu’à moi-même. Si j’en étais où j’en étais, c’était par mon travail et ma persévérance, et rien d’autre. Donc oui, pour le moment j’en étais cantonné à des sujets plus stupides que les autres et sans aucun intérêt, mais bientôt, cela changerait. Je m’occuperais enfin de vrais sujets de fond – et je ne parlais pas de ceux qu’intéressaient mon ex petite amie. Je me voyais déjà faisant des reportages complets sur la mafia et sur les conflits d’intérêts de grandes entreprises pharmacologiques. Et cela, je ne le devrais qu’à moi-même.  « Au moins mes cours de géopolitique m’auront servi une fois dans ma vie, c’est déjà ça. » répondais-je dans un sourire amusé.  « Malgré les apparences, je préfère le temps qu’il y a à New York. J’ai vécu trop longtemps dans un pays où il faisait tout le temps chaud et finalement, j’aime bien l’hiver de New York. Et puis au moins, on a des vraies saisons. On sait quand c’est l’été et on sait quand c’est l’hiver. » expliquais-je avant de hausser les épaules. Ce n’était pas que le réchauffement climatique m’intéressait plus que cela, mais c’était un fait, il n’y avait plus de saison. Je regardais le serveur préparer mon thé. Pas que j’étais impressionné, mais c’était tout de même tout un art, il fallait bien l’avouer. J’eus un petit rire quand Sofia me demanda ce que j’avais bien pu faire à notre directeur pour le mettre suffisamment en rogne pour qu’il m’envoie dans un pays en pleine guerre.  « Sérieusement ? Je n’en sais rien … Mais je commence à me demander si je n’ai pas couché avec une de ses proches … Peut-être qu’elle s’est faite des illusions et que résultat le boss m’en veut et essaye littéralement de me faire tuer ? » proposais-je, avant de me rendre compte à quel point dire cela à la seule personne avec qui j’avais eu ce qui se rapprochait d’une vraie relation pouvait être gênant. Je me grattais la gorge pour cacher mon semblant de gêne. De toute façon, cela importait peu. Bientôt, je serais le nouveau rédacteur en chef, et ce serait moi qui prendrais les décisions. Je ferais tout pour en tout cas. Et toutes les personnes qui s’étaient retrouvées un jour sur mon chemin savaient pertinemment que lorsque je voulais quelque chose, je l’obtenais. Même la jeune femme qui était installée en face de moi d’ailleurs. Après tout, j’avais voulu la mettre dans mon lit et j’y étais parvenu. Parce que oui, malgré les rumeurs, ce n’était que ça dont il s’était s’agit, bien sûr. Un simple défi … Et pourtant, tout en pensant cela, rapidement, je m’entendais crier son nom avant de la renverser au sol pour la protéger de mon corps, alors que des explosions se faisaient entendre. Merde, qu’est-ce qui s’était passé ?

J’avais un peu l’impression de gâcher le début de la nouvelle vie de Sofia. Je savais que ce n’était pas de ma faute – après tout, on m’aurait demandé mon autorisation et non donné l’ordre d’y aller, jamais je ne l’aurais accompagné en Egypte pour vérifier que son installation se passait bien, c’était sûr – mais bon, je n’y mettais vraiment pas du mien. Mais c’était toujours ainsi avec Sofia en fait. J’avais envie de faire des efforts, de retrouver un semblant de complicité avec elle, mais à chaque fois que j’essayais, je me remémorais à quel point elle avait pu me faire souffrir. Et c’était pour ça, qu’encore et toujours, je me mettais une carapace. Je ne voulais plus m’attacher. Je ne voulais plus jamais tomber amoureux. Plus jamais. Ça apportait bien plus de complications qu’autre chose, et les simples relations d’amis avec bénéfices me convenaient bien mieux. « D'ordinaire, j'allie le "soleil" avec l'Argentine, je vais toujours voir mon Abuelo et mon abuela en été depuis que je suis bébé, du coup quelque part, j'attends de les voir surgir à tout moment au coin de la rue » me dit-elle alors. Je devais bien avouer que ce n’était pas quelque chose auquel j’étais habitué. A l’exception de Juliette, ma petite sœur, moins je voyais ma famille, et mieux je me portais. Je ne pouvais supporter aucun membre de ma famille en fait – sauf Juliette, bien sûr, mais elle, ce n’était pas la même chose. Ils me rappelaient tous cette ancienne vie à laquelle je n’avais plus envie de penser. Et puis, ils avaient tellement peu d’ambition aussi. Comment pouvaient-ils supporter de rester là-bas, dans ce miteux appartement, à être considérés comme des moins que rien ? Bref, je ne les comprenais pas et ne les comprendrais probablement jamais. « Et bien, retourne les voir ? Enfin je sais pas, mais rien ne t’empêche de prendre un billet d’avion et de retourner en Argentine ? Une fois que tu seras bien installée en Egypte, tu pourrais te prendre quelques jours ? » lui proposais-je, même si je savais que c’était bien naïf de ma part. Mais ne comprenant absolument pas ce qu’elle ressentait, je n’avais pas su quoi lui dire. Apparemment, c’était quelque chose d’habituel lorsque j’étais en sa présence. Dire quelque chose, n’importe quoi, tant qu’il n’y avait pas de silence. Mais il y a des choses qu’il vaudrait mieux garder pour nous. Et parler du fait que je couchais avec la moitié de la ville n’était probablement pas une bonne idée, comme elle me le confirma, en quelque sorte. « Je préférerais ne pas le savoir... » Bon, elle était celle qui avait rompu avec moi, c’était vrai. Et j’avais réussi à retomber sur mes pattes et à tirer mon épingle du jeu. Donc si elle n’avait pas rompu, peut-être serions-nous mariés à l’heure actuelle, et que je n’aurais jamais eu l’opportunité de lui dire que je couchais avec pas mal de filles – puisque je n’aurais couché avec personne d’autre qu’elle, bien entendu ; après tout, j’avais réussi à lui être fidèle pendant près de deux ans, je ne vois pas pourquoi je n’aurais pas pu continuer sur cette lancée – et nous ne serions pas dans cette situation. Peut-être aurions nous déjà un ou deux enfants ? Je secouais la tête. Voilà que je divaguais maintenant. Elle n’avait été qu’un défi, et puis c’est tout.

Qu’est-ce qui s’était passé ? Qu’est-ce qui s’était passé ? Je n’arrivais pas à me remémorer la scène. Où est-ce que j’étais ? Je tentais péniblement d’ouvrir les yeux, avant de les refermer aussitôt, aveuglé par la lumière. « Oh mon Dieu, est-ce que tu vas bien ? » entendais-je une voix que je mis du temps à reconnaître, avant de sentir une main dans mes cheveux. « Sofia ? » demandais-je d’une voix enrouée. Puis je me remémorais la scène. J’avais senti un tremblement et entendus quelque chose – une explosion ? – avant d’avoir un réflexe : protéger Sofia. Je l’avais poussée au sol avant de la protéger de mon corps. « Ça va ? » lui demandais-je en ouvrant péniblement les yeux pour la regarder. « Je dois t’écraser là … » tentais-je de rire, pour alléger l’atmosphère. Je tentais de me soulever, mais n’y arrivais pas. Quelque chose était tombée sur mon dos. J’étais coincé. « Je pense qu’on va devoir attendre les secours. J’ai une espèce de poutre sur moi je crois. Je sais pas. » lui disais-je alors, un peu tendu. Tout irait bien. Tout irait bien. Je tentais de me rassurer. Une fois que nous serions débloqués et que la poutre serait enlevée, je ne m’en sortirais qu’avec un bleu, c’était sûr. Et puis, Sofia allait bien, c’était l’essentiel, non ? Non, pas vraiment en fait …

Je m’étais probablement évanoui sous le choc. J’essayais de me rappeler de ce qui s’était passé, mais tout était noir, rien ne me revenait. Je mis du temps avant de réaliser que quelque chose de terrible s’était passé. Il avait fallu que Sofia prenne la parole pour que je me remémore le tremblement que j’avais senti, prémices de l’attentat qui avait alors lieu. Je n’aurais jamais cru que mon premier réflexe lors d’un attentat serait de protéger mon ex petite ami. Bon, vu l’inquiétude que j’avais ressenti lorsque j’avais appris qu’elle allait en Egypte m’avait fait réaliser que le lien que je partageais avec Sofia était toujours présent, malgré le fait qu’elle ait rompu avec moi sans explication, malgré le fait qu’elle ait été la seule pour laquelle j’ai eu des sentiments et donc la seule qui m’avait brisé le cœur. Malgré tout ce qui s’était passé entre nous. Ou peut-être était-ce tout ce qui s’était passé entre nous qui m’avait fait m’inquiéter pour elle. Je n’en savais rien. Mais je n’aurais jamais cru que mon premier réflexe serait de la protéger. N’étais-je pas supposé être égoïste d’ailleurs ? Toute ma vie, je n’avais pensé qu’à moi, alors pourquoi est-ce que cela n’avait pas été le cas alors qu’un attentat avait lieu ? Le fait est que je me retrouvais sur Sofia, la protégeant de mon corps, et que j’étais incapable de bouger. D’ordinaire, j’aurais pu aimer être ainsi, sur son corps et ne pas bouger. Mais la situation était loin d’être ordinaire.

Je tentais alors d’expliquer la situation à la jeune femme, tentant même un peu d’humour pour alléger l’atmosphère et surtout cacher la peur que je ressentais. « Tu as une poutre sur le dos... »  répéta-t-elle. Pour seule réponse, j’acquiesçais, tout en tentant de capter son regard. « Je suis tellement désolée... » dit-elle après avoir essayé d’enlevé la poutre. « Je n’ai pas mal. » annonçais-je alors. Ce n’était pas pour la rassurer, bien au contraire même, puisque le fait que je ne ressente pas de douleur m’inquiétait plus qu’autre chose. J’avais un élément étranger et lourd sur mon dos, et pourtant, cela ne me faisait absolument pas mal. Je n’avais pas fait médecine, mais je savais pertinemment que ce n’était pas une bonne chose. Peut-être n’avais-je qu’un nerf de bloqué et que tout reviendrait ensuite à la normale. Oui, tout redeviendrait normal une fois les secours arrivés. « Je n'entends plus rien... alors... tu dois articuler, lentement pour que je suive une de tes phrases... » avoua-t-elle alors. Mon regard passa de son visage pour glisser jusqu’à l’une de ses oreilles. Apercevant du sang en sortir, je ne pus retenir une grimace. « Tout ira bien. » affirmais-je tout en passant ma main dans ses cheveux, dans un geste que je voulais réconfortant. « Les secours vont arriver, et tout ira bien. »