Ce soir-là, je me trouvais assis dans un fauteuil en train de lire le dernier roman de mon écrivain préféré lorsqu’une voix provenant de la télévision me fit relever la tête. Cette voix me semblait familière au point de m’interpeller. Cette voix était celle d’une présentatrice. Jeune, brune, un regard à faire damner un saint et pourtant, ce fut une profonde tendresse qui me traversa de part en part. J’ignorais pourquoi dans un premier temps mais très rapidement le souvenir d’une enfant arriva à mon esprit. Je la connaissais, c’était elle, l’enfant avec qui je jouais quand j’étais plus jeune. Arabelle. Cela faisait des années et des années que je ne l’avais pas vu. En réalité, depuis nos sept ans, nous nous n’étions pas revus et malgré cela, je continuais à éprouver une tendresse à son égard. C’était fou comme les années l’avaient rendu belle et apparemment, elle avait très bien réussi dans la vie. D’une impulsion, je me levais de mon fauteuil abandonnant mon livre sur la table basse pour me rendre dans mon bureau pour allumer mon ordinateur portable. Vingt minutes plus tard, j’avais toutes les informations qu’il me fallait à son sujet et surtout, un rendez-vous à la clé pour dans trois jours. C’était idiot que de vouloir faire revivre le passé mais peut-être avais-je simplement besoin de retrouver certaines de mes racines car Arabelle était un goût de Grèce, un gout de nostalgie et puis, j’avais envie de savoir comment elle allait car je n’avais jamais oublié cette enfant qui avait accepté de jouer avec moi dans ce parc à Athènes. Un orphelin solitaire.

# Arabelle Ioannis ?

Le ton était interrogateur, le sourire en coin chaleureux pour la saluer, je me trouvais face à mon ancienne amie d’enfance, les mains dans les poches de mon long manteau noir. J’ignorais si elle me reconnaitrait car les années avaient passé et j’avais changé. J’étais plus grand, le visage bien moins enfantin que par le passé et surtout, ma voix n’était définitivement plus celle que j’avais eu par le passé.

# Loukas Petridis… Je ne sais pas si tu te souviens, nous nous sommes connus à Athènes, une courte année avant que tu ne quittes la Grèce.

J’avais l’impression d’être idiot et de parler dans le vide mais j’avais eu besoin de venir aujourd’hui lui parler. C’était complétement fou, moi d’ordinaire qui n’avait pas la mémoire des visages, il avait fallu que je n’oublie jamais le siens.

C’était fébrile que j’attendais qu’Arabelle ne sorte car je m’attendais réellement à tout pour ces retrouvailles. Après tout, nous n’étions que des gosses à l’époque et je doutais qu’elle se souvienne de moi-même si dans le fond, j’espérais que ce soit le cas. La jeune femme avait été l’une de mes rares amies mais aussi la seule à n’avoir jamais eu à faire avec l’arnaqueur. Elle ne connaissait que l’orphelin et c’était bien mieux ainsi même si j’ignorais quoi lui dire. Après tout, si elle me demandait ce que je devenais, pouvais-je lui dire la vérité ?! Bonjour, je suis un escroc recherché par Interpol mais n’aies pas peur, je suis toujours un peu ce gamin avec qui tu jouais avant de t’envoler loin d’Athènes et loin de ma vie. Non, il y avait bien mieux comme entrée en matière et je devais absolument m’en tenir à un seul mensonge. C’était la clé : un mensonge bien construit et dont je maitrisais toutes les ficelles afin de ne pas perdre la face et cela en toute occasion.  Ce fut donc le cœur battant la chamade que je me présentais à elle, croisant mentalement les doigts pour qu’elle se souvienne même fugacement de cet orphelin maigrichon.

# Oui, cela fait des années. Tu as changé… Tu es devenue une très belle femme et quelle réussite ! En réalité, je t’ai vu récemment à la télévision et je me suis rappelé de cette adorable gamine avec qui je jouais et je n’ai pas résisté à la tentation de reprendre contact avec toi.

L’explication était simpliste et au moins honnête, c’était toujours cela de pris. J’eu un sourire amusé en la voyant sincèrement heureuse de me voir. Quelque part, je sentis une sorte de chaleur se répandre en moi comme si, sans même le savoir, elle m’offrait une part de bonheur. C’était toujours bon d’être sincèrement désiré chose que je n’avais jamais réellement l’impression d’obtenir des gens. On ne passait pas sa vie à mentir aux autres sans en subir les conséquences et la solitude en était justement une.

# Et bien je vais bien et toi ?! Je suis curieux de savoir ce que tu es devenue depuis tout ce temps. Tu as le temps de prendre un verre avec moi ? Nous pourrions peut-être même dîner dans un restaurant afin de parler du bon vieux temps mais tu dois être occupée.

Je le lui laissais par mes mots donc, le choix de refuser cette invitation mais je ne sais pas, quelque chose me disait qu’elle allait sauter sur l’occasion à moins que je ne sois en train d’espérer comme un gamin attendant impatiemment la venue du père Noël.

Si j’avais su qu’après toutes ces années, nous nous retrouvions peut-être aurais-je souhaité que cela se passe en d’autres circonstances. En réalité, j’aurais beaucoup apprécié de pouvoir lui offrir une autre facette que celle de l’escroc menteur et lâche mais malheureusement, les circonstances faisaient que j’étais cet homme jusqu’au bout des ongles. Il n’y avait plus grand-chose de vrai dans ma vie mise à part mon prénom et mon nom. D’ailleurs, je ne savais pas pourquoi, en arrivant à New York, j’avais été pris de cette impulsion concernant ma nouvelle identité. Si je me penchais sur la question, peut-être y verrais-je simplement le besoin de mettre un peu de normalité dans une existence tout ce qu’il y a de plus anormale. J’aimais mes origines, j’en étais même très fier seulement pouvais-je me laisser aller à cette nostalgie auprès d’Arabelle ?! Aucune idée. Elle était devenue véritablement une très belle femme et ses rougeurs n’en étaient que plus craquantes, je devais bien le reconnaitre. Avait-elle quelqu’un dans sa vie ? Sûrement, une belle femme comme elle ne pouvait pas être célibataire ou alors, les hommes étaient devenus bien plus fous et/ou couards que je ne le pensais.

# Oui, je pense que nous avons quelques années à rattraper.

Le ton était à la fois rieur et amusé tandis que je la couvais littéralement d’un regard doux. Sa voix était devenue légèrement plus grave mais cela n’enlevait rien à son charme bien au contraire. Aussi, partager un moment en tête à tête ne pouvait qu’être agréable surtout que j’étais sincèrement curieux concernant sa vie bien que je doutais d’avoir quelque chose à lui raconter. Je ne me voyais pas lui raconter toutes mes escroqueries comme si de rien n’était. Arabelle me dépassa avant de se retourner vers moi après quelques pas. Je lui souriais presque tendrement avant de m’approcher d’elle.

# Avec plaisir. Je ne connais pas encore ce petit café alors tu seras mon guide. D’ailleurs, cela fait longtemps que tu es sur New York ?

La question était légitime et j’attendais sa réponse tout en marchant à ses côtés. Elle semblait fébrile mais j’en ignorais le pourquoi du comment. Est-ce ma présence ? Nos retrouvailles ? Ou un fait totalement extérieur ? Je n’en avais aucune idée mais j’étais bien déterminé à la mettre à l’aise en ma compagnie. Au moins, pouvais-je user de ma connaissance sur les femmes pour m’aider dans mes retrouvailles avec ma jolie grecque.

Spoiler:

Le temps avait filé à vitesse grand V depuis qu’elle était partie d’Athènes et ma vie n’avait jamais été la même. Dire que je m’étais imaginé lorsque j’étais gamin, marié avec elle, et une ribambelle de gamins derrière nous. Aujourd’hui, c’était risible mais à l’époque, je devais reconnaitre que mon cœur s’était brisé lors de son départ avant de s’en remettre. Nous ne voyons pas les choses de la même manière quand nous sommes gamins. Tout prend des allures d’apocalypse jusqu’à ce que nous trouvions quelque chose d’autre sur lequel nous concentrer. Néanmoins, je ne l’avais jamais oublié et cette demoiselle qui me faisait face était toujours aussi ravissante. Ses formes féminines devaient faire tourner la tête à plus d’un homme mais étrangement, je ne ressentais qu’une profonde tendresse à son égard, comme si, le petit garçon qui était en moi et que je pensais avoir enfermé dans une boite bien hermetique, revenais à la surface pour s’exprimer enfin. Je l’interrogeais donc sur sa vie, désireux de refaire connaissance avec cette amie venue de mon enfance la plus « pure ».

# Oui, tu me rassures ! J’essaie toujours de m’y retrouver dans cette ville mais pour le moment, je fais un peu chou blanc.

Je plaisantais, lui souriant avec un demi-sourire malicieux tandis que nous reprenions notre marche, les mains dans les poches de sa veste pour elle, et dans les poches de mon pantalon pour moi. La discussion était légère et elle me faisait du bien. Pour une fois, il n’y avait aucun rapport de séduction, aucune démarche pour escroquer, juste une douce mélancolie provenant du passé.

# Je suis là pour affaires. J’investis dans le marché immobilier mais je ne pense pas rester très longtemps encore. Je suis un peu toujours par monts et par vaux pour les affaires. Et toi ? Alors comme ça, tu fais carrière à la télévision. C’est une passion ?

Le ton était interrogateur, je cherchais à la connaitre plus tandis que je poussais la porte du petit café, la lui tenant pour qu’elle puisse y rentrer en bon gentleman. J’avais rapidement appris que les bonnes manières, un sourire séducteur et beau corps pouvaient charmer une femme et dans mon métier, c’était toujours appréciable d’arriver à ses fins rapidement.

# Qu’est-ce que tu veux boire ?

Je l’invitais, tout naturellement. Après tout, je le lui avais proposé en premier et il était hors de question qu’elle me fasse l’affront de refuser.