Je n’arrivais toujours pas à croire que Noah était trapéziste. Cela me semblait tellement inconcevable venant de lui que je ne réalisais toujours pas et que je me demandais si je n’avais pas tout simplement rêvé notre soirée ensemble. Après tout, le fait qu’il ait alors accepté de m’aider à servir à manger à des personnes démunies suffisait à me mettre le doute. Ce n’était vraiment pas son genre d’aider les autres et le fait qu’il ait accepté ne lui ressemblait pas vraiment. Après tout, il était assez centré sur sa personne, dépensant sans compter, sans penser aux autres. Je l’avais d’ailleurs rencontré pour la première fois tandis qu’il osait jeter à la poubelle des objets luxueux. Moi aussi j’étais une acheteuse compulsive – bien que cela continuait de me culpabiliser – mais lorsque je faisais du tri dans toutes mes affaires, je les donnais à mon association, ce qui permettait à des personnes dans le besoin de pouvoir s’habiller – me faisant ainsi déculpabiliser de mes achats, puisqu’au final, je les achetais presque pour des personnes dans le besoin non, vu que c’était pour eux quelques mois après. Donc je pouvais comprendre qu’il soit un acheteur compulsif, mais qu’il ose ensuite gaspiller tout ça, ça non ! Je l’avais donc bien enguirlandé, en pleine rue, et l’avais même suivi ensuite pendant plusieurs heures pour bien lui faire comprendre ce que je pensais de son comportement. Probablement fatigué par mes sermons, on avait fini par échanger nos téléphones et il m’avait promis qu’il m’appellerait lorsqu’il souhaiterait se débarrasser de ses affaires. Ce qu’il fit peu de temps après. Nous avions donc gardé le contact depuis, et je l’avais appelé pour qu’il vienne m’aider, étant un peu débordée. Mais ça ne se passa pas vraiment comme prévu, puisqu’il avait tout de même eu le culot de partir après m’avoir regardé faire pendant des heures. Je n’avais pas pu laisser passer ça et l’avait donc suivi, allant même jusqu’à le gifler à un moment. De fil en aiguilles, il m’avait emmené dans un cirque et m’avait montré sa passion. Oui, j’avais probablement rêvé. Mes pensées firent coupées par le serveur qui me demanda ce que je souhaiterais prendre. « Oh j’attends quelqu’un. »

Lorsque l’on s’occupait d’une association comme la mienne, des contacts se créaient forcément. Positifs, voire même quelques fois négatifs – on ne peut pas plaire à tout le monde, et tout le monde ne peut pas nous plaire. Je n’avais pas de rôle précis au sein de mon association et m’occupais un peu de tout. La cuisine, bien évidemment, mais je savais que les personnes les plus démunies n’avaient pas besoin que de nourriture mais surtout de contacts humains. Je parlais donc souvent avec eux, les écoutais aussi – même si cela pouvait être plus compliqué, bavarde comme je l’étais. Et forcément, des liens naissaient. Xander a été une des premières personnes que j’ai aidées. Je venais à peine de créer l’association quand il arriva dans ma vie. J’aurais tellement aimé faire plus que de lui donner à manger. C’était d’ailleurs probablement pour ça que mon association n’arrêtait pas de s’agrandir et de proposer de nouvelles choses. Quand je pensais à Xander par exemple, je me disais qu’il aurait été parfait pour le programme de loyer différé. En fait, ce système était plutôt simple : avec l’aide de bénévoles, on achetait des appartements – et personnellement j’essayais de convaincre des personnes ayant des logements vides, autant dire harcèlement même, venant de moi – et on étudiait les dossiers – bien que je n’aimais pas ce terme – de ces personnes. On attribuait ensuite des appartements qui pourraient convenir à leurs besoins, et ils y logeaient gratuitement. La seule chose qu’on leur demandait en échange, c’était de rechercher un travail, d’aider un peu l’association, et bien sûr de payer les loyers une fois la situation améliorée. Oui, Xander aurait été parfait dans ce système. Dommage que je n’y ai pensé qu’une fois que tout allait mieux pour lui. « C’est le revers de la gloire je te signale ! On ne peut pas tout avoir ! » lui répondais-je dans mon rire habituel, avant de lui faire la bise.

J’éclatais de rire tandis que mon ami se vantait et se pavanait. Je lui donnais une petite tape sur le bras tout en secouant doucement la tête. « Mais oui bien sûr ! Tu as été doté de tous les avantages de la nature. Tu es la perfection incarnée, un vrai Apollon moi j’dis ! » répondais-je ironiquement, sans perdre mon rire. Mais il était vrai qu’il était chanceux d’avoir à présent tout ce dont il avait toujours pu rêver. J’aurais bien pensé que son karma avait changé, et que toutes les mauvaises choses qu’il avait pu vivre pendant tant d’années changeaient à présent, et que c’était la roue qui tournait. Mais je ne croyais absolument pas à ce genre de choses, et encore moins au karma. Tout simplement parce que je côtoyais bien trop de misère et que je savais pertinemment qu’ils n’avaient rien fait pour mériter ce qu’ils vivaient actuellement. Je savais pertinemment que pour la plupart d’entre eux, c’était tout simplement les choses qui s’étaient accumulées, sans leur laisser le temps de souffler. La plupart avaient perdu leur emploi suite à la crise économique et leur famille les avait lâchés. C’était aussi simple que ça. Aucun karma là-dedans. Je haussais les sourcils en voyant la réaction du serveur avant de claquer des doigts pour tenter de le ramener à la raison, en vain. « Eh, vous êtes au courant que c’est une personne tout à fait normale que vous avez devant vous ? Rien de plus que vous et moi. Donc et si vous faisiez votre travail et éviter le licenciement ? Croyez-moi, ce n’est pas le moment de se faire renvoyer. » dis-je à l’attention du serveur, pour son propre bien. Je savais parfaitement comment réagissaient les patrons des brasseries et cafés, et il pouvait être sûr que s’il se faisait prendre ainsi, son patron ne serait vraiment pas content.

Je levais les yeux au ciel en guise de réponse. Après tout, que répondre de plus ? Bon, il était vrai que physiquement, il était plutôt gâté par la nature – tout dépendait des codes physiques qu’une personne pouvait aimer en général, et comme l’expression le disait ‘tous les goûts et les couleurs sont la nature. De plus, après avoir vécu un véritable enfer – il fallait bien l’avouer, son passé était pavé de malencontreux événements – il ne s’en était relevé que plus fort, et la chance lui souriait à présent. J’irais même jusqu’à dire qu’il avait à présent la vie qu’il avait toujours rêvée d’avoir. Il faisait le métier qui lui plaisait – et gagnait bien sa vie, ce qui était un plus non négligeable après avoir vécu dans la rue et avoir dépendu d’une association pour pouvoir manger – et de ce que j’avais compris, était heureux en amour. Que demander de plus ? Apparemment, le serveur qui était complètement sidéré de voir Xander ne se souciait guère de son emploi. C’en était même assez impressionnant ! Ne savait-il pas que nous vivions actuellement dans une énorme crise financière, et qu’avoir un emploi était crucial ? C’était d’ailleurs pour cette raison que je ne me fis pas prier pour lui dire ma façon de penser. Cela eut l’air de le secouer et de lui remettre les idées en place, puisqu’il s’excusa avant de prendre notre commande. « Je crois que j’ai justement bien trop d’activités en ce moment ! Entre mes cours de cuisine et de restauration en général, plus l’association qui ne cesse de s’agrandir et donc de demander beaucoup de mon temps, je ne sais pas comment je pourrais en plus de ça accepter d’être ton garde du corps. Je crois que tu vas devoir apprendre à te défendre sans moi. » répondais-je dans un petit sourire malicieux, avant de penser à sa deuxième question. Comment cela se passait-il pour moi, au fait ? « Et bien écoutes, il n’y a pas vraiment de changement. Toujours le même train train. Et toi ? »

J’éclatais de rire, et cela me prit une bonne minute pour réussir à me calmer. Bien sûr, je savais pertinemment que Xander rigolait et n’était pas cette personne à l’égo surdimensionné. Nous avions bien trop parlé par le passé pour que je puisse y croire une seconde. Mais je décidais de jouer le jeu. « Je n’aurais pu défendre ton être si parfait que de par mon langage. Je me bats comme une fille, vraiment ! D’ailleurs, je n’aime tout simplement pas me battre, ni les conflits en général. Donc si j’avais été ton garde du corps, je t’aurais fait perdre énormément de temps à tenter de convaincre ceux t’embêtant que ce n’était pas la solution et puis je serais probablement parti dans différents monologues sur des sujets divers et variés … » répondais-je dans un grand sourire. Surtout que je ne disais que la stricte vérité. Je savais parfaitement que j’étais une pipelette enquiquinante. Je pouvais même aller jusqu’au harcèlement pour obtenir ce que je voulais. Je l’avais d’ailleurs fait avec Noah, le suivant pendant plusieurs heures – jusqu’à ce qu’il cède et accepte de m’aider à l’association. Mais bon, cela faisait partie intégrante de ma personne, et je m’étais trop bâillonnée par le passé – pendant toute mon enfance et adolescence d’ailleurs – pour continuer de le faire maintenant que j’étais indépendante. Certaines personnes n’aimaient donc pas mon comportement, mais je m’en moquais effrontément. Tant que mes amis m’acceptaient, c’était l’essentiel pour moi. « Si tu savais comme je suis heureuse pour toi. Te voir ainsi me redonne vraiment de l’espoir. »

Je remerciais le serveur qui apportait nos cafés. J’espérais qu’il ne m’en voulait pas pour la réflexion que je lui avais faite et pensais déjà à lui donner un bon pourboire. C’était juste qu’avec toute la misère que je voyais tous les jours, cela avait tendance à m’agacer de voir une personne ayant un emploi, prendre le risque de perdre celui-ci pour une raison aussi futile que celle de devoir servir une personne connue. Je m’étais donc permis de le remettre gentiment à sa place, et j’espérais qu’il en comprenait la raison. « Je suis contre la violence aussi, donc au moins on est raccord là-dessus. Mais même si je me ferais une joie de te servir de garde du corps peace and love, je ne sais pas comment je trouverais le temps pour le faire. Entre mes cours et l’association, cela risque d’être compliqué ! » répondais-je toujours dans mon rire. J’avais lu une étude qui disait que rire augmentait l’espérance vie de la personne. Vu comment je riais – c’est-à-dire à peu près toute la journée – au rythme où cela allait, je finirais par être immortelle ! Mais bon, je n’y pouvais rien, rire faisait partie de ma vie et cela était même comme une seconde peau. Je riais tout le temps, tout simplement. Je ne savais jamais quoi répondre à cela. Que répondre à une personne qui disait que sans moi, elle ne s’en serait probablement pas sorti ? Cela me gênait, tout simplement parce qu’aider les autres me semblait naturel. J’étais née une cuillère en or dans la bouche et mes parents n’avaient rien fait pour cela. J’avais moi-même une immense fortune, alors que je n’avais jamais travaillé de ma vie. Aider les autres qui n’avaient pas ma chance, c’était la moindre des choses, non ? « L’important, c’est que tu t’en sois sorti, et que d’autres s’en sortent. Qui les aide, ça n’a pas vraiment d’importance … »

Je bus une gorgée de mon café, avant d’éclater de rire à sa proposition qui réglerait tous mes soucis. « Mais bien sûr, pourquoi je n’y ai pas pensé avant ?! Un retourneur de temps serait LA solution qu’il me faudrait ! Tu imagines tout ce que je pourrais faire si j’en avais un ? Le nombre de gens que je pourrais aider ? Tu sais où je pourrais en trouver un ? » lui demandais-je dans un rire. Même si, en effet, si le retourneur de temps existait vraiment, je pourrais y mettre une bonne partie de ma fortune. Etant donné que je ne travaillais pas, on ne pouvait pas m’appeler une workoolique. Mais je m’en rapprochais beaucoup. Il était justement très rare que je prenne du temps pour aller au café me détendre avec un ami. Bon, bien sûr, avec Lexie, ma meilleure amie, ce n’était pas la même chose. Mais à l’exception de mes moments passés avec elle, j’étais toujours en train de « travailler ». Bon, travailler n’était probablement pas le terme le plus approprié, puisque mes cours de latin m’avaient appris que le mot travail signifiait en faire un engin de torture. Et qu’aider les autres, ce n’était vraiment pas une torture pour moi, bien au contraire. Mais j’aimerais tellement pouvoir faire plus. En fait, j’aimerais pouvoir me dédoubler, voire me tripler, voire plus ! Ainsi, je pourrais faire tellement plus. Mais malheureusement, nous ne vivions pas dans un monde de magie, mais ben dans la vie réelle, et je n’étais donc qu’une simple humaine. Je me triturais les cheveux tout en me mordant les lèvres de gêne, tandis que Xander me demandait si j’en retirais un peu de fierté. « Heu, non ? » tentais-je, toujours aussi embarrassée. « Je veux dire … Pourquoi j’en retirerais de la fierté ? Ce n’est pas moi qui ai fait en sorte que tu trouves un emploi. C’est toi-même qui l’as fait. Après, oui je t’ai aidé quand cela n’allait pas. Mais tu t’en ais sorti par toi-même … »