Dix-sept août. Juste cette date, le dix-sept août. Rien qu'en ouvrant les yeux ce matin, dès la première seconde, tout m'est revenu en pleine figure, tout ça, toutes cette situation qui date de plusieurs mois maintenant. Plusieurs mois. Alors, quand j'ai reçu le message de Rory dans la journée, j'ai juste ... eu l'impression de recevoir un coup dans le ventre et je suis resté statufié une éternité après la fin du message, le souffle coupé. Jazz n'étant pas chez elle jusqu'à ce soir à cause d'une répétition je crois, je n'ai pas à me soucier qu'elle me voit tout d'un coup aussi ... disons amorphe. J'ai fini par raccrocher tout en récupérant un peu mon souffle. Tant de mois sont passés  depuis la dernière fois où j'ai entendu sa voix. Rien que cette constatation me fait presque trembler de la tête aux pieds. Pensif, je me laisse glisser contre le mur du salon, un peu perdu.

J'ai déjà passé un anniversaire sans elle, celui de nos vingt-et-un ans et je me suis toujours dit que ça serait la première et la dernière fois. C'était déjà un anniversaire de trop. Mais là ... On est sur le point de passer un autre anniversaire chacun de notre côté. Malgré tout ce qui a pu se passer entre nous, la façon dont on s'est quittés, cette idée m'est toujours aussi insupportable. C'est comme si quelque chose ne tournait pas rond depuis des mois et pourtant, me voilà, toujours debout, à vivre ma vie comme si ... presque comme si de rien était. Alors qu'elle est cette partie de moi sans laquelle je ne peux pas vivre et pourtant, pourtant nous sommes toujours là tous les deux après tout ce temps, avec ce gouffre qui nous sépare depuis des mois.

Plus jamais un anniversaire sans elle, je me l'étais dit aussi après le désastre de l'été dernier. Pourtant je reste là sans bouger. Ces derniers mois se sont résumés à ça, à ne pas bouger, à laisser la situation se détériorer. Ce qui devait être une petite pause s'est éternisée. Les jours sont devenus des semaines, les semaines des mois. Et nous voilà aujourd'hui. Est-ce que je lui en veux toujours ? Je l'ignore. Est-ce que ça vaut toujours la peine de ne pas retourner vers elle ? Je ne sais pas. Son message m'a rappelé une chose : ce n'est plus possible. Alors avant de m'en rendre vraiment compte, je suis dans ma voiture, en direction de Manhattan. Je ne suis pas sur de ce que je suis en train de  faire, de ce que ça va donner mais je sais qu'il faut le faire. Elle a envoyé le message, c'est-à-moi d'y répondre parce qu'autrement ... Il y a trop de risques, et je ne suis pas près à les prendre.

En me garant devant le parc, j'ai le coeur qui bat trop fort. Souvent, durant ces derniers mois, je me suis demandé comment on a pu laisser les choses devenir ce qu'elles sont aujourd'hui. Je me souviens du sentiment cuisant de trahison que j'ai ressenti la dernière fois que nous nous sommes parlés. Jamais ce n'était arrivé, jamais personne n'avait réussi à se mettre entre nous au point de nous séparer pendant des mois. Mais ... Est-ce que tout ça a encore un sens ? Impossible de le savoir. Alors que j'avance en direction de cet endroit où Kat et moi nous sommes retrouvés tant de fois durant notre première année ici et où je suis sure qu'elle se trouve aujourd'hui. Avant de m'engager dans le chemin qui mène à l'endroit, je baisse la tête et prends une profonde respiration.

Le chemin de terre a beau avoir l'air très intéressant, je finis tout de même par relever les yeux. Elle est bien là, assise tranquillement, les jambes dans le vide. Ma gorge se serre en songeant au fait que nous ne nous sommes pas retrouvés face à face depuis tout ce temps. C'est notre anniversaire. Tâchant de garder la tête froide, je me fous une claque mentale pour ne pas perdre pieds. Je m'avance vers elle et en chemin, me baisse pour cueillir une petite pâquerette dans l'herbe. Plus j'approche de Rory, plus mon coeur semble s'affoler, c'est terrible. Le sentiment de trahison me revient en tête. En arrivant à sa hauteur, je lui tends la fleur. « Bon anniversaire. » ai-je réussi à articuler.

J'ignore si j'attends ce moment depuis des mois ou si je le redoute. J'imagine que le fait d'aller au rendez-vous de Rory répond à cette question de toute façon. J'ai repoussé ce moment pendant tellement de temps, enfin je ne suis pas sur que ce soit la bonne façon de dire les choses. La situation s'est envenimée tellement vite et à croire qu'on a laissé les choses empirer sans bouger. Mais peut-être qu'il le fallait ... S'il y a une chose que je sais, c'est que j'avais besoin de prendre du recul. Je crois. Les pensées fusent sur le chemin jusqu'au parc. Seulement rester sans se parler, sans se voir pendant autant de temps ... Donc il fallait que j'y aille, rien que parce que ... Il le fallait. C'est notre anniversaire. L'année dernière, quand elle est partie en Namibie, je me suis dit que c'était juste impensable qu'on repasse encore un anniversaire séparés. Pourtant c'est ce qui était à deux doigts de se passer si elle n'avait pas appelé ... Peu importe.

Je suis arrivé au parc avec une boule énorme dans le ventre. Après tout ce qui s'est passé, après tout ce temps me dire que je vais la revoir dans quelques minutes. Je ne sais même pas ce que je vais lui dire. Juste que ... elle m'a manqué, même si je suis resté très longtemps en colère contre elle, elle m'a vraiment manqué. Même ce qui s'est passé ne peut pas effacer qui nous sommes et notre relation, le fait qu'on soit comme deux parties d'un tout. Je remonte l'allée et petit-à-petit, sa silhouette se dessine. J'ai du mal à respirer pendant un instant, mélange d'angoisse et d'une urgence, parce que ... elle est là. Après tout ce temps, elle est là. La dernière fois que nous nous sommes vus me revient soudain en mémoire et ma gorge se serre. Alors, j'essaie de faire le vide, de me concentrer sur ce qui est important, c'est-à-dire qu'elle soit là. Mais il y a toujours cette incertitude sur l'avenir qui me tiraille. Après ce soir quoi ? Qu'est-ce qui va se passer ensuite ? A propos de Chris et du reste ? J'ai beau être têtu sur le sujet, je crois que je connais aussi déjà la réponse à cette question. Je la rejoins, lentement, je cueille même une fleur au passage, sur un coup de tête. Et en un clin d'oeil, elle est juste en face de moi et je lui souhaite bon anniversaire en lui tendant la fleur. Je sais pas si vous imaginez à quel point j'ai pensé et repensé à ce moment dans ma tête, créant des centaines de scénarios différents. Certains d'entre eux arrivaient ce jour précis. Elle relève à peine les yeux vers moi. « Merci... À toi aussi. » murmure-t-elle, ne sachant plus où se mettre.

Nous restons plantés là tous les deux, face à l'autre, sans savoir exactement quoi dire. Ce n'est pas le genre de scènes auxquelles nous sommes habitués, être gênés l'un devant l'autre comme si nous étions des ... étrangers. Elle détourne les yeux quand son regard trouve le mien pendant que j'essaie de maîtriser ma respiration. J'aimerais pouvoir dire quelque chose mais quelque chose m'en empêche. « Je suis contente que tu sois venu... » finit par dire Kat après quelques secondes d'un profond silence. Je hoche la tête, doucement, et ne mets pas longtemps à répondre. « Moi aussi je suis content d'être venu. » ai-je soufflé. Ce qui est vrai. Je n'ai pas eu à réfléchir, pas besoin pour répondre ça. Mais c'est tellement ... ces silences, cette gène, cette impression de ne pas savoir quoi dire à l'autre, c'est juste tellement ... c'est pas nous. Et ça fait mal de s'en rendre compte. Le fossé qui nous a séparés durant ces derniers mois n'a pas disparu parce que soudain, nous sommes à un mètre l'un de l'autre. Mais oui je ne regrette pas d'être venu. Il le fallait, avant qu'il soit trop tard. « Désolée d'avoir rien amené, je... doutais que tu viennes & je savais pas trop... quoi prendre.  » repend-elle. Je hoche la tête à nouveau en songeant à quel point toute la situation devient pénible. Le véritable sujet de la conversation traine dans l'air, on ne fait que tourner autour du pot pour le moment. J'aimerais savoir comment débloquer tout ça, trouver les mots pour commencer à parler franchement mais j'ai un peu de mal. « Oh t'en fais pas. C'est qu'une simple fleur que j'aie cueillie en arrivant. » ai-je fait en haussant les épaules. Sur le coup, je me suis demandé si c'était la meilleure chose à dire parce que ça rabaisse quand même son "cadeau" mais ... enfin ce n'était pas mon but, j'ai juste voulu ...

« Hm, tu veux... t'asseoir ? » Je soupire comme première réponse, trouvant tout ça de plus en plus pesant, incapable de démêler tous ces sentiments contradictoires qui m'assaillent depuis mon arrivée. Je m'assois à côté d'elle. Je me dis que j'ai accepté de venir, alors je dois faire un effort pour que ça marche ce soir. Si j'en ai envie ? Oui. Oui mais je sais que ce n'est pas si simple que ça. Le silence est revenue. Je crois que peut-être, je préfèrerai qu'on se gueule dessus comme la dernière fois où on s'est vus ... Enfin je ne sais pas vraiment qu'elle est le le pire. « Tu m'as manqué. » Et je l'ai dit, sur le plus gros des coups de tête possible, certes, mais je l'ai dit. J'ai préféré ne pas réfléchir car autrement, il serait resté coincé au fond de ma gorge. Mon regard tente à son tour de capturer le sien.