Anaé n’avait de cesse de checker inlassablement sa montre, ne sachant guère quand sa couturière allait bien pouvoir finir la prise de mesure pour sa future robe. A plusieurs reprises, la princesse avait demandé si tout ceci était absolument nécessaire, mais la réponse qu’on lui avait apportée était si sèche qu’elle avait fini par se murer dans un silence désapprobateur. A vrai dire, elle n’avait qu’une envie, c’était de foncer se changer pour enfourcher sa moto et faire ainsi une surprise à son pompier unique et préféré. La veille, elle avait été incapable de se libérer, à son grand regret, et attendait donc depuis plus de vingt-quatre heures de le serrer entre ses bras, de goûter à nouveau ses lèvres et d’entendre sa voix suave la provoquer. C’était devenu une sorte de rituel en l’espace d’un seul weekend, tant et si bien qu’elle ne pouvait désormais plus se passer de sa présence. Shaun avait réussi à l’apaiser suffisamment pour qu’elle passe les premières nuits paisibles depuis deux ans. Aucun cauchemar, aucun cri, aucune sueur froide, rien. Mais à son retour dans son hôtel particulier, sa malédiction avait repris de plus belle… peut-être était-ce tout bonnement un signe. « J’estime que vos mesures sont suffisantes, compte tenu du fait que je n’ai point pris le moindre gramme depuis des temps immémoriaux. Je suis attendue et vous prie de bien vouloir m’excuser. » Anaé quitta aussitôt la pièce, mettant son plan à exécution non sans un plaisir à peine dissimulé. Par chance, la circulation était excellente et elle parvint à bon port en quelques minutes à peine après avoir roulé à vive allure. Habillée d’une chemise blanche et d’un pantalon en cuir moulant parfaitement la courbe de ses cuisses, elle s’avança sournoisement, dans un grand silence, jusqu’à apercevoir l’objet de ses pensées… Shaun. Son pompier. L’homme de ses rêves, d’une certaine façon.

Puisqu’il ne l’avait pas vue, la jolie française s’avança tout en rangeant discrètement ses clefs dans sa poche avant de se placer derrière lui et de lui cacher les yeux à l’aide de ses mains. « Qui est-ce ? » murmura-t-elle à son oreille, de telle façon qu’il avait été sûrement le seul à l’entendre. Anaé alla même jusqu’à déposer un baiser léger comme un vent de printemps contre son cou avant qu’un petit rire cristallin ne peuple l’atmosphère sonore tout proche d’eux. Si seulement il savait à quel point il lui avait manqué… une seule journée loin de lui avait été semblable à cent ans de torture.

La réplique de Shaun lui arracha un petit rire tandis qu’elle se laissait docilement faire, le contournant avant de s’asseoir contre ses genoux, de la même façon sensuelle que lorsqu’ils se trouvaient au sein du bar de son père. A ceci près qu’Anaé n’avait pas la moindre intention de se donner en spectacle face à une armada de pompiers, pouvant inclure le boss du bel irlandais si celui-ci était dans le coin. Il la connaissait trop pour qu’elle ne prenne ce risque et puis… elle ne voulait surtout pas qu’il lui rappelle son mariage en lambeaux et la difficulté qu’elle éprouvait à pouvoir divorcer. Carl lui mettait de sérieux bâtons dans les roues, et le problème, c’est qu’elle ne parvenait pas à s’en débarrasser. La jolie française éprouvait l’envie d’être honnête envers Shaun, pensant qu’elle lui devait cette vérité, mais cette envie fondit comme un caramel sucré au soleil dès lors qu’elle eut croisé le regard de son pompier. Son regard était toujours aussi puissant et aussitôt, elle se sentit fébrile. Diable qu’il lui avait manqué ! « J’ai bien peur que tu n’aies pas encore mérité que je ne réponde à cette question. Cela va rester mon petit secret ! Mais peut-être aurais-tu préféré que j’attende docilement que tu viennes me voir… au point de mourir de vieillesse ? » Anaé arqua un sourcil avant qu’un sourire taquin ne s’empare de ses lèvres : sérieusement, il voulait rouvrir cette vieille plaie en parlant des chocolats ? Il n’avait pas peur de marcher sur du charbon ardent ! « A vrai dire je crains d’avoir été vaccinée du chocolat… j’aurais trop peur que tu te méprennes sur mes intentions. »

La jolie française savait que les collègues de Shaun n’en perdaient pas une miette. Elle se savait reluquée de part en part et pourtant, pour la première fois de sa vie, elle s’en moquait. Il n’y avait rien d’autre qui puisse lui importer qu’un seul geste, un seul regard, un seul sourire de son beau pompier. « Mais peut-être suis-je en train de manquer de manières… il y a un excellent chocolatier tout près, puisque cela manque à ta magnifique journée, j’y vais de ce pas. » Le toisant pour le défier, comme toujours puisque c’était devenu leur plus grand jeu, Anaé se pencha à son oreille comme si elle allait lui murmurer des mots doux et se contenta de frôler son lobe d’oreille de sa langue. Il s’agissait d’une petite provocation, certes, mais après tout… ils étaient en public ! Puis, très noblement, elle se releva avant d’esquisser un petit clin d’œil et de commencer à s’éloigner. Docile ? Jamais ! L’honneur de la France était en jeu…

Anaé fut la première étonnée de sentir Shaun la rattraper par la taille pour mieux l’emmener dans une pièce vide. Ici, il n’y avait aucune raison de se retenir, aussi évitait-elle de s’emparer seulement chastement de ses lèvres alors que tout ce qui le caractérisait l’avait diablement manqué durant ces jours d’absence. La jolie française avait la détestable impression qu’il était devenu indispensable à sa vie, en un temps record, comme s’il constituait l’air même dont elle avait besoin pour vivre. Cette simple idée la terrifia sur place autant qu’elle la faisait frissonner de plaisir. Ce fut un pur délice lorsqu’il lui avoua qu’elle lui avait diablement manqué, ne pouvant s’empêcher d’esquisser un léger rire moqueur. « J’ai gagné… tu l’as dit en premier » souffla-t-elle car pour une fois, Anaé n’était pas celle à avoir cédé. Pourtant, elle se sentait prête à le lui murmurer jusqu’à ne plus avoir de souffle, à le lui prouver jusqu’à ce que toute énergie se soit épuisée en elle… sa simple présence suffisait à la rendre heureuse, réellement. Il n’y avait aucun mensonge dans ses faits et ses gestes, et surtout pas dans les baisers qu’elle lui donnait à son tour. Mais hélas, avant même qu’elle n’ait pu rétorquer quoi que ce soit au sujet de la fin de son service, l’alarme sonna effectivement, lui arrachant un léger cri désapprobateur tandis que l’angoisse naissait dans le fond de son cœur. Diantre, ils ne pouvaient pas rester tranquilles deux minutes ? « Je crains fort que nos retrouvailles soient repoussées » constata-t-elle, parfaitement consciente du fait que Shaun devait partir sur le champ, sans attendre. Elle lui glissa néanmoins la carte d’un restaurant dans les mains, endroit où elle comptait l’attendre. « J’y serai toute la nuit s’il le faut. C’est là où j’avais prévu de te kidnapper… dans un premier temps. Tu aurais pu me questionner si toutefois ta curiosité prend le dessus sur ta fierté d’irlandais » plaisanta-t-elle alors qu’elle n’osait pas l’embrasser, ayant bien trop l’impression qu’il s’agirait d’un baiser d’adieu. Il y aurait bien d’autres moments, pas vrai ?

Mais une fois qu’il fut sortit de la pièce, son propre passé lui sauta à la gorge, lui rappelant l’enfer de l’incendie ayant tué ses parents. Anaé ne put donc s’empêcher de courir après Shaun, le rattrapant par le bras afin de lier passionnément ses lèvres aux siennes. Ce geste s’était révélé vital. « N’oublie pas de me revenir, tu entends ? » Certes, on ne pouvait pas encore considérer leur brève aventure comme une histoire d’amour, mais dans l’esprit d’Anaé, cela en prenait bien le chemin. Elle le regarda s’éloigner en tentant de maîtriser l’émotion incompréhensible s’étant emparée d’elle, avant de se diriger vers ce fameux restaurant français où elle l’attendit de longues heures durant. Il n’était pas question qu’elle bouge d’une semelle… même si elle était repassée par chez elle pour mettre quelque chose d’encore plus seyant. Ne fallait-il pas qu’elle fasse honneur à son bel irlandais ?

Anaé avait beaucoup de défauts, mais l’impatience n’en faisait pas partie. Elle pouvait attendre des heures à un endroit donné pour peu que ce soit pour une bonne raison. En l’occurrence, elle aurait littéralement pu attendre Shaun toute la nuit durant, ne serait-ce que pour profiter de quelques minutes en sa compagnie. Mais nom de dieu qu’est-ce qui lui arrivait ?! Cela ne lui ressemblait pas. Elle était censée être arnacoeur de métier, séduire les hommes malheureux dans le cadre de ses contrats, pas s’attacher et encore moins coucher avec celui qui avait été une cible… oh bien sûr, elle avait d’ors et déjà annulé ledit contrat ainsi que refusé l’argent, mais il n’empêche que la situation était étrange à ses yeux, au moins autant que le fait de recevoir un ravissant bouquet de fleurs de la part d’un homme. Cela faisait un lustre et demi qu’elle n’avait plus eu ce genre de privilège… « Il semble que l’incendie n’ait pas été le plus coriace » ne put-elle s’empêcher de remarquer alors qu’il semblait aussi tendu que la corde d’un arc. Anaé grimaça légèrement avant de se relever et de s’emparer de la main de Shaun. Personne ne remarquerait leur absence tout de suite, la partie du restaurant où elle avait demandé la table était relativement calme. Il faut dire qu’elle avait quelques habitudes ici… aussi n’hésita-t-elle pas à l’emmener jusqu’aux toilettes pour hommes, fermant le verrou pour ne surtout pas être surprise dans un lieu aussi peu habituel pour une femme, avant de lever un sourcil. « Inutile de faire l’enfant, ta fierté d’irlandais est à mettre de côté, sans compter que mes mains savent être magiques. Ferme les yeux et tâche de te détendre. »

Sans mauvaise intention aucune, la jeune femme remonta légèrement la chemise de Shaun avant de commencer à lui masser le bas du dos par mouvements circulaires et extrêmement précis. Elle savait quoi faire de ses mains, il n’y avait pas de doute…elle avait l’habitude de soulager les douleurs de sa jeune sœur lorsqu’elles vivaient encore à la Réunion après le décès de leurs parents. Anaé avait presque été vexée par la plaisanterie que Shaun avait faite suite à son geste inquiet lorsqu’il partait en intervention, mais ça, c’était une autre histoire et cela ne l’empêchait pas de le masser avec douceur et conviction… « Est-ce que cela commence à te soulager ? Il serait dommage que tu ne profites pas de ton repas à cause de cela ! Ceci étant… nous ne sommes pas obligés de rester ici si tu n’es pas à l’aise. En plus d’être patiente je suis légèrement observatrice. » La jeune femme esquissa un petit sourire taquin tandis qu’elle ne cessait pas son massage. On lui avait souvent dit qu’elle aurait pu en faire son métier… et pour être honnête, elle aurait préféré que d’épouser un salopard fini.

« Match de rugby ? Lily m’avait offert le calendrier des Dieux du Stade l’année dernière, pour mon anniversaire… il faut être honnête, leur corps huilé… » Anaé se racla légèrement la gorge avant d’éclater de rire. Elle avait toujours le fameux calendrier, notamment à cause du fait qu’il lui rappelait la France et qu’il s’agissait d’un cadeau de sa sœur unique et préférée. Cela ne voulait certes pas dire qu’elle allait se mettre à regarder le sport… la jeune femme n’aimait pas ce genre d’activité, ou plutôt n’avait-elle jamais eu l’occasion de s’y intéresser. Avant son mariage, elle s’occupait de sa sœur, nettement plus jeune qu’elle, et après, ses fonctions de princesse l’avaient énormément accaparée… suffisamment pour qu’elle n’ait plus jamais l’occasion de faire preuve de folie. « Précisément » commença-t-elle avant de s’éloigner d’un pas, un air malicieux prenant peu à peu possession de ses fins traits de porcelaine. « Je suis pleinement consciente que dans un… couple ? Les efforts soient bienvenus, mais je n’ai aucune intention de te faire subir quoi que ce soit qui puisse de près ou de loin de faire sentir un quelconque malaise. Hors de question. Je reviendrai ici avec Lily… elle qui se plaint régulièrement de n’avoir jamais l’occasion de renouer avec nos racines en ma compagnie ! » Maintenant que le dos de Shaun paraissait moins douloureux, elle esquissa un petit clin d’œil avant de faire signe au serveur qu’ils s’en allaient et qu’il n’avait qu’à mettre les consommations qu’elle avait pu ingurgiter sur sa note habituelle. Note qu’elle payait chaque fin de semaine car, contrairement aux apparences, elle venait ici régulièrement pour se ressourcer… le bonheur passe par l’estomac, paraît-il !

Anaé attrapa le bras de Shaun pour qu’ils ne se mettent tous deux à marcher de concert dans la rue on ne peut plus blindée, tandis qu’elle avait une petite idée d’où ils pourraient bien se restaurer. C’était même son pompier qui lui avait inspiré ladite idée. A quelques mètres de là se trouvait un McDonald’s dont l’enseigne aurait pu être reconnaissable de loin, mais la jolie française s’arrêta soudainement à la vue de celle-ci. S’il n’était pas habitué aux restaurants d’un certain standing… l’inverse était diablement vrai. « Comment dire… je n’ai jamais eu l’occasion de mettre les pieds dans ce type de restaurant et n’aie jamais mangé de hamburger de ma vie. J’accepte de faire ce grand plongeon en ta compagnie si et seulement si tu acceptes de m’accompagner ensuite à la grande fête foraine de Central Park… des sensations fortes pour moi maintenant, d’autres pour toi ensuite. » Échange de bons procédés ? Peut-être un peu de chantage aussi, car elle savait qu’il risquait de se foutre d’elle. Anaé avait déjà honte d’entrée de jeu à cette simple pensée !

Anaé allait mourir dans cet endroit, c’était une chose plutôt évidente. Fallait-il qu’elle ait envie de faire plaisir à son beau pompier, sans quoi elle aurait soigneusement continué à ne surtout pas se pointer dans ce genre d’endroit… étrange. La jeune femme n’était pas à l’aise, mais elle cachait habilement son trouble en le laissant prendre les choses en main. Pour un peu, elle aurait presque pu voir un gamin tout content d’avoir obtenu ce qu’il souhaitait. Mais n’était-ce pas ce qu’ils étaient ? Deux gamins à se provoquer mutuellement pour obtenir le dernier mot ? La discussion sur le calendrier des dieux du stade en était une preuve parmi tant d’autres… mais à vrai dire, Anaé elle-même ne savait pas comment elle pouvait les définir tous les deux. Ils étaient gamins, provocateurs… amoureux, au moins dans son cas. Jamais elle n’aurait fait un effort aussi considérable pour quelqu’un d’autre, c’était une chose certaine. Même s’il fallait avouer qu’elle blêmit légèrement en voyant le plateau qu’il apportait. « Je ne vais jamais être en mesure de manger tout ça… » avoua-t-elle piteusement. « Avant même que t’attaquer et d’être la principale cible de tes railleries… je crois que je suis en droit d’exiger d’obtenir ce fameux calendrier de ta caserne, n’est-ce pas ? A moins que tu ne préfères que je ne continue à préférer mes chers français » continua-t-elle malicieusement. A vrai dire, Anaé se moquait bien des onze autres mois du calendrier, elle sentait que seule la page pour juillet était susceptible de l’intéresser réellement. « De toute évidence, même si je t’interdisais de rire, tu en serais bien incapable. Tu n’as aucun self control darling. »

Anaé prit une grande inspiration, se sentant comme un grand chirurgien s’apprêtant à faire l’opération de sa vie, celle qui lui vaudrait un prix mais également un respect évident auprès de tous ses confrères pour le reste de sa carrière. Elle ouvrit la boîte avec une sorte de grâce dans le poignet, ne pouvant s’empêcher d’agir comme on le lui avait appris… à savoir de façon charmante, parfaite, habile. Voir la jolie française ouvrit une boîte contenant un Big Mac valait son pesant de cacahuètes en plomb, car même pour cela, elle dégageait un charisme évident. Un dernier regard à Shaun qui semblait être suspendu à ses moindres faits et gestes et elle empoignait le sandwich sans trop savoir exactement comment s’y prendre. Pour sûr, elle se sentait diablement ridicule. Mais à la guerre comme à la guerre, sa fierté l’empêcha de rebrousser chemin pour prendre le chemin de la salade Caesar, à savoir celui de la facilité… elle mordit donc à pleines dents dans ce fruit qu’elle s’était toujours défendu, fermant les yeux une demi seconde pour mieux laisser échapper un petit « hum » de délectation. Bien évidemment, elle reposa le sandwich aussitôt pour éviter de s’en mettre partout, s’essuya légèrement la bouche et esquissa un sourire amusé. « Nom d’un chien, mais c’est super bon ! » Bon d’accord, ce genre de discours était inhabituel pour elle, de même que sa présence ici, mais au moins, Shaun allait pouvoir se moquer des heures durant !

« Hors de question que de marchander… à moins que je ne te fasse du chantage, voilà qui serait nettement plus dans mes cordes. Si tu veux que je décroche soigneusement mon magnifique calendrier des dieux du stade, peut-être faudra-t-il penser à me ramener celui de ta caserne ! » Anaé avait adopté un petit air malicieux, mais en vérité, elle n’en pensait pas un mot : bien sûr que ces rugbymen étaient sexy, bien sûr qu’ils donnaient tous plus envie les uns que les autres, mais la jeune femme n’était pas quelqu’un s’intéressant uniquement à l’aspect physique. Il lui fallait de l’esprit en face, quelqu’un capable de la courtiser ou, au contraire, de la défier. Shaun semblait diablement doué pour cela puisqu’il ne manqua pas de se moquer d’elle alors que la princesse reniait absolument tout ce qui la caractérisait en étant dans ce lieu de perdition. Mais diable, c’est vrai que c’était bon. Anaé préférait bien évidemment la cuisine française et qui avait une véritable consistance culinaire, mais… une fois n’est pas coutume ! « La tête couronnée se sent comme quelqu’un qui a sauvé un pompier d’une soirée d’ennui ! » Elle n’avait aucune intention de lui dire qu’elle était un peu honteuse et avait cruellement l’impression de faire tache, au contraire. Elle continua la dégustation de son hamburger sans même ciller ou prononcer la plus petite parole. Il ne manquerait plus qu’elle se mette à parler la bouche pleine pour imaginer sa belle-mère faire une crise cardiaque. Quoique… pour le bien de l’humanité, voilà qui ne serait pas plus mal !

« Peut-être aurais-je la délectable possibilité de me payer ta dette à la fête foraine… à moins que tu sois aussi costaud que tu en as l’air, même sur un manège à grande vitesse. » Anaé ne put s’empêcher d’éclater de rire. De toute évidence, elle serait celle à s’agripper à son bras et non l’inverse ! Il faut dire qu’elle avait beau avoir une frousse incroyable du vide, elle s’éprouvait aisément de cette manière et y revenait toujours, quitte à en avoir la nausée de peur. « Comment se sent le grand héros dont j’ai dû soigner le dos, désormais ? Ne te moque pas, mais puisque mon estomac crie encore famine je veux bien le deuxième sandwich. » Anaé, bien qu’aussi fine qu’un fil, avait tout de même un appétit féroce. La preuve, elle avait déjà engloutit la moitié de ses frittes, l’intégralité de son BicMac et malgré ça… elle avait encore faim. « Tu ne vas pas me laisser mourir de faim, n’est-ce pas ? »

Si elle passait un bon moment ? Anaé sourit malicieusement. Il avait bien longtemps qu’elle ne s’était lâchée d’aucune manière et si elle avait pu le lui chanter pour lui faire comprendre à quel point elle se sentait bien, à sa place… sûrement l’aurait-elle fait. La jolie française s’apprêtait en tout cas à se lancer dans un petit discours inspiré lorsqu’elle vit la populace du restaurant être conduite vers la sortie par des hommes entièrement vêtus de noir. Anaé fronça aussitôt les sourcils mais elle n’eut aucunement le temps de dégoiser un seul mot que déjà, un bras l’avait brutalement soulevée et retournée. Le corps de la jeune femme s’était aussitôt figé face à cette vision d’enfer et sa respiration prit un rythme saccadé alors que le prince de Suède en personne laissait échapper un rire gras et méprisant. Le restaurant était désormais désert, sécurisé pour ainsi dire, et Carl maintenait Anaé à cette exacte position lui faisant face en exerçant une pression certaine contre son bras. « Mon dieu j’avais oublié à quel point vous étiez magnifique… » murmura-t-il dans un anglais parfait, teinté toutefois d’un accent qui n’aurait trompé personne. D’ordinaire, il s’exprimait toujours en suédois face à sa jeune épouse, puisqu’elle en parlait parfaitement la langue, mais il fallait que Shaun puisse comprendre chacun des mots qu’il comptait énoncer. Il contourna donc Anaé pour mieux s’asseoir en face du pompier, le toisant de toute l’arrogance dont il était capable afin de faire en sorte qu’il se sente comme le moins que rien qu’il était aux yeux du futur monarque. « Je suis surpris. Vraiment. Deux ans que je suis à la recherche de ma charmante épouse ici présente et je découvre non sans une intense envie de vomir à quel point elle est tombée bas… vraiment, forniquer avec quelqu’un de votre espèce, n’ayant pas le moindre titre de noblesse, quelle perdition ! Une véritable honte, si vous voulez mon humble avis. Mais trêve de palabres puisque vous ne serez probablement pas capable d’en comprendre la moitié, il se trouve que ma merveilleuse Anaé est mariée avec ma personne, et qu’en tant que future reine de Suède, il est absolument impossible que je la laisse poursuivre son petit manège avec une personne de votre espèce. Vous pensiez sincèrement qu’elle vous aimait ? Allons, regardez les choses en face, mon petit monsieur ! Vous n’êtes rien du tout… »

La jolie française, qui n’avait pas osé ouvrir la bouche jusqu’ici, encore sous le choc de la présence de son mari, se tourna brusquement, les sourcils froncés. Elle ne pouvait pas laisser les choses se dérouler ainsi, ou elle allait perdre Shaun… bien qu’elle ait totalement conscience qu’il ne lui pardonnerait jamais de lui avoir caché un truc pareil. « Vous m’avez suivre par l’un de vos croque mort de valet, c’est tout à fait vous. Mais laissez-le en paix, Carl, je vous en prie. » Anaé n’était pas femme à supplier d’ordinaire et nul ne le savait mieux que son détestable époux. Fallait-il qu’elle aime cet irlandais pour plaider sa cause, aussi ne manqua-t-il pas de se relever brusquement pour balayer le plateau d’un geste rageur et la gifler de toutes ses forces. « Vous êtes MA FEMME ANAE ! Vous allez rester à votre place ou vous savez que les conséquences seront bibliques. » « OUI je suis votre femme, et chaque jour en votre compagnie n’a rien été d’autre qu’un poison dont j’ai rêvé de me débarrasser à jamais !! Votre cruauté n’a d’égale que votre folie !! N’est-ce pas vous qui depuis notre mariage n’avez eu de cesse de vous trouver des galantes compagnies ? Je ne suis rien d’autre qu’un prétexte pour vous… et pourtant, vous m’empêchez depuis deux ans de demander le divorce ! Au nom du ciel, pourquoi vous obstinez-vous alors qu’il n’y a rien entre nous, il n’y a jamais rien eu et il n’y aura jamais rien !! » Carl la plaqua violemment contre le mur à proximité pour mieux beugler qu’elle était sa propriété et qu’en tant que tel, elle devait lui obéir… Anaé avait osé lui tenir tête, et quelque chose lui disait qu’elle allait le payer cher.

C’était la toute première fois qu’Anaé entendait Carl jurer. Ses gardes du corps ne manquèrent pas de l’aider à se relever, mais chose étonnante, le prince de Suède n’ordonna pas à ceux-ci de ne faire qu’une bouchée du pompier. Cela ne voulait pas dire que tout était fini… bien au contraire. Anaé craignait le pire pour la suite car il n’était pas de ceux s’avouant vaincu mais plutôt ceux adorant avoir le dernier mot. « Ce n’est pas fini, ma chère Anaé… vous payerez cher votre trahison, faites-moi confiance. Votre précieux pompier ne sera pas toujours là pour vous protéger. » Le prince quitta l’établissement avec son armée et tandis que Shaun lui demandait si elle allait bien, la jolie française ne savait que répondre. Bien sûr que non, ça n’allait pas. Non seulement son psychopathe de mari l’avait retrouvée, mais en plus il proférait des menaces sur elle qu’il était tout à fait capable de mettre à exécution. La jeune femme avait perdu toute sa volonté et ne comptait plus sur son charisme pour la sauver de cette épineuse affaire. Mais pire que tout, elle savait que bientôt, le pompier de son cœur allait partir à son tour et ne jamais plus se tourner vers elle. Carl avait ce qu’il voulait : sa ruine, pure et simple. Comme quoi, la ruine de quelqu’un n’était pas toujours faite d’argent et d’or, elle pouvait très bien être de sentiments. « Non… » murmura-t-elle en se releva maladroitement, massant sa joue douloureuse alors qu’elle cherchait quelque chose à dire. L’intégralité du personnel du McDonalds était parti, et ils se retrouvaient donc tous seuls après un épisode dont Anaé se serait bien passée. « Je n’ai pas d’excuses et tu as toutes les raisons du monde de vouloir me tourner définitivement le dos… je voulais te le dire à la fin de cette soirée. Je savais que tôt ou tard cela gâcherait tout ce qu’il y avait de beau entre nous et j’ai donc remis sans arrêt à plus tard car je ne voulais rien perdre… c’était stupide. Je pensais réussir à lui échapper mais cela s’avère être un échec particulièrement cuisant. »

La jolie française laissa échapper un rire nerveux, se moquant davantage d’elle-même que de la situation. Javier l’avait pourtant mise en garde… pourquoi diable avait-elle choisi de ne pas écouter sa sagesse ? Elle avait tout gâché. Elle méritait ce résultat piteux et détestable. « Pour ma défense, notre mariage n’est rien qu’un morceau de papier. Cela a toujours été ainsi, outre les violences dont il faisait preuve parfois. Cela fait deux ans que j’essaye de divorcer mais il soudoie tous les avocats de New York pour me garder sous sa croupe… j’étais dans une impasse et je t’ai rencontré. Toi qui ne me considérait pas uniquement comme un objet près duquel il faut s’agenouiller, qu’il me considérait comme un être humain comme les autres… je ne veux pas te perdre, Shaun, je t’en prie. Ne me tourne pas le dos. » Anaé avança simplement sa main vers lui sans pour autant oser le toucher. Elle ne pouvait pas s’approcher ou le contourner car cela reviendrait à faire face à son regard probablement glacial… et elle n’en n’était pas capable.

Anaé sentit son cœur se briser face au début du discours de Shaun. Oh elle comprenait sa colère et effectivement, elle n’avait pas la moindre excuse mais elle savait pertinemment qu’il serait parti sans un regret si elle lui avait avoué la vérité. La jolie française avait oublié d’être idiote, bien qu’elle ait fait l’idiotie d’épouser cette espèce d’enfoiré. Son visage laissait échapper un sérieux à glacer le sang tandis qu’elle n’osait surtout pas interrompre son bel irlandais. Bien sûr elle n’avait pas peur de lui, contrairement à la peur panique qu’elle éprouvait face à Carl, mais ses mots lui déchiraient littéralement le cœur. Elle n’eut même pas honte de sentir de longues larmes couler alors qu’il frôlait sa joue, et n’hésita pas à déposer sa propre main sur celle de Shaun pour qu’il ne l’ôte pas immédiatement. Seul son contact pourrait lui donner le courage nécessaire en vue de divorcer, mais malheureusement, il allait le lui refuser tant qu’elle n’aurait pas pu briser cette gigantesque mascarade ! « Je ne veux pas de toi comme simple amant » commença-t-elle en tâchant de maîtriser sa voix pourtant brisée par l’émotion et toute la peur qu’elle avait précédemment ressentie. « Ce que je ressens pour toi dépasse de très loin la place de simple amant… » Anaé n’osa pas lui demander de la croire, car elle était fichtrement en mauvaise posture pour cela, mais elle sut à partir de maintenant que ce n’était plus la peine de lui cacher quoi que ce soit…

« Après notre première altercation, ton frère Patrick est venue me trouver pour que mette à mal ton couple avec Joyce. Il pensait que ta relation avec cette femme ne pourrait que te faire souffrir à l’avenir et comme je te connaissais, je n’ai jamais réellement accepté le contrat. J’étais terriblement mal à l’aise avec cette idée, d’autant que votre histoire ne me semblait pas malheureuse et que d’ordinaire, je ne prends en charge que les histoires où l’homme est malheureux. Je suis Arnacoeur, en vérité. Je séduis, je règle les problèmes et je disparais. Il est bien évident que je n’embrasse jamais mes clients et que je ne couche jamais non plus avec eux. Mais lorsque je t’ai embrassé dans ce bar, j’ignorais que tu t’y trouvais. Je ne savais même pas qu’il s’agissait de toi au départ. Et après… j’ai refusé purement et simplement ce contrat que je n’avais même pas encore accepté. Je n’ai pris aucun pécule car je savais que c’était bien différent que tout ce que j’avais vécu. Tu pourras vérifier auprès de ton frère si tu ne me crois pas. » Anaé s’écarta légèrement, sentant venir la réflexion désobligeante et dans l’état actuel des choses, elle n’était pas en état de supporter celle-ci. « J’aimerais pouvoir divorcer d’un simple claquement de doigt… mais tu ne connais pas Carl et tout ce que je peux espérer, c’est qu’il me laissera simplement partir en ayant conscience de mes sentiments pour toi. J’ose espérer que tu m’attendras… » La jolie française déposa un baiser aussi frêle qu’une brise contre la joue de Shaun avant de prendre son manteau et de quitter cet endroit qu’elle ne voulait plus jamais voir, pas même dans ses plus sombres cauchemars. Elle allait mettre toute son énergie et son pécule à chercher à divorcer… mais la donne ne risquait pas d’être aisée, malheureusement.