« Puis-je vous aider ? » Au sein de l’hôtel particulier qu’elle partageait avec sa sœur cadette Lily, Anaé fut néanmoins surprise de recevoir la visite d’un jeune homme d’un charme particulièrement évident alors qu’elle se préparait à se rendre à un gala de bienfaisance. La visite de celui-ci n’était aucunement marquée sur son agenda et tandis qu’elle le saluait avec respect toute habillée d’une toilette parfaite et enchanteresse, la jolie française fronça légèrement les sourcils sans crier gare. « J’ose à peine imaginer la chose suivante, mais je vais néanmoins deviner la raison que votre visite : ma merveilleuse sœur Lily Beauharnais vous aurait-elle, à tout hasard, proposé un contrat en tant que garde du corps à valoir pour toute cette semaine où mes représentations sont nombreuses ? » Anaé avait pris une grande inspiration et fermé les yeux quelques secondes comme si elle savait d’entrée de jeu qu’elle venait de taper dans le mille. Elle n’avait rien contre ce jeune homme, respectait énormément son métier mais être surveillée sans arrêt lui pesait énormément sur la conscience. Pourquoi devrait-elle sans arrêt avoir peur de son ombre ? Elle n’était que princesse de Suède et non pas une de ces actrices de cinéma aux multiples Oscars… « Cela me gêne énormément pour vous que vous ne vous soyez déplacé pour rien. Peut-être votre avis de professionnel ne sera pas de trop : pensez-vous que votre présence soit requise pendant mes déplacements ? Parlez en toute franchise. » Lily avait déjà dû lui faire un topo sur le rang de sa sœur aînée, sur la mission qui lui serait confiée ainsi que sur le cachet qu’il allait toucher en début puis en fin de semaine, mais Anaé préférait autant savoir qui il était… « Je voudrais savoir où ma sœur a bien pu entendre parler de vous, si vous voulez bien éclairer ma lanterne. »

Un léger sourire étira les lèvres de la jolie française tandis qu’elle revêtait une tenue d’apparat ne laissant aucun doute quant à son sang royal. Anaé n’en n’avait jamais eu honte, bien au contraire, sans quoi elle n’aurait jamais épousé un prince, mais son mariage battait de l’aile depuis des lustres. Ce n’était pas un sujet qu’elle évoquait, pas même en présence de sa sœur, parfaitement consciente qu’il n’y avait bien qu’elle capable de résoudre cet épineux problème, néanmoins la présence d’un tiers totalement inconnu ne pouvait pas lui faire de mal. La brunette était sans arrêt entourée de domestiques, de gens de « confiance » sans que personne ne connaisse quoi que ce soit à sa personne en vérité. Peut-être que l’homme la connaissant le mieux était Shaun, au final… elle se dévoilait d’une façon plus vraie en sa présence, il la poussait à être elle-même, sans fioriture, ni bijou ni robe de bal. « Monsieur Del Toro… tout le plaisir est évidemment pour moi. Je dois avouer que votre franchise vous honore. Beaucoup se seraient empressés de se mettre métaphoriquement à genoux en espérant que je n’accepte que plus vite ce contrat pour lequel je n’ai pris aucune décision. J’apprécie votre façon de voir les choses. » Anaé n’était pas une ingrate. Bien qu’elle n’ait pas demandé à être protégé, elle intima à Javier de la suivre d’un seul regard et ce sans demander davantage de détails. Il avait su se faire discret en l’espace de quelques minutes et cela lui suffisait. La jolie française préférait un discours bref et éloquent plutôt qu’une tartine ne visant qu’à une chose : lui lécher les bottes. Elle l’incita donc à la suivre à l’intérieur de sa limousine, partant du principe qu’il valait mieux l’avoir sous la main quitte à être protégée au moins pour ce soir. « Inutile de vous effacer. Je ne tiens pas à ce que vous ne fassiez tapisserie, voilà qui me dérangerait… vous n’êtes point un objet, n’est-ce pas ? Vous serez donc mon invité. Je n’aime guère à avoir des cavaliers, je dois l’avouer. Voilà qui déplairait énormément à mon époux. » Anaé eut un regard amère, se dirigeant pourtant vers l’extérieur de la limousine, au-delà des vitres teintées. Carl ne se gênait pas pour accumuler les maîtresses de son côté… mais elle n’avait jamais voulu paraître semblable à une prostituée royale, de son côté, voilà la différence.

« Je n’ai jamais cru qu’il puisse y avoir la moindre ambiguïté Monsieur Del Toro » rétorqua-t-elle non sans étirer ses lèvres en un délicat sourire. Anaé ne songeait pas à séduire en ce moment, elle ne voulait surtout pas être considérée comme une personne aux mœurs légères… pas alors que les paparazzi menaçaient d’être d’autant plus attentifs à ses moindres faits et gestes. Cela ne réglait pas son histoire actuelle avec Shaun, son sexy pompier, mais Anaé avait du mal à songer à lui sans être parcourue de longs frissons on ne peut plus agréables. Javier s’était aussitôt rendu compte de son regard amer, mais peut-être avait-elle mieux dissimulé l’évidente rancune qu’elle éprouvait à l’égard de son époux. Celui-ci ne brillait pas uniquement pas son absence, il s’amusait sournoisement à la rabaisser lors de leurs rares moments ensemble. La jolie française n’avait fait que fuir cet état de fait deux ans plus tôt… et même maintenant, la culpabilité ne lui sciait en aucun cas les entrailles… bien au contraire. « Sauriez-vous garder un secret ? » osa-t-elle lui demander tandis qu’elle le regardait désormais dans les yeux, sans le moindre détour. Certes, cet homme était censé la protéger et non écouter ses éventuelles doléances, mais il était l’oreille attentive qu’elle ne trouvait nulle part en ce moment. Il n’y avait aucun mal à vouloir se laisser aller juste cette petite fois… « Je suppose que si vous étiez marié et que vous souhaitiez divorcer, vous ne vous priveriez pas de cette possibilité… mais dans le monde fermé qui est le mien, une fois que l’on a prêté serment, il est extrêmement difficile de s’en défaire. Pourtant… si mon époux me semblait charmant et parfait avant notre mariage, il a changé la semaine suivant celui-ci. Sa distance ne s’est faite que plus pesante de jour en jour et au final… sans grande surprise, j’ai découvert qu’il refusait d’honorer son épouse puisque trop épuisé par d’autres types d’engagements, si vous suivez mon raisonnement. Je n’ai pas quitté la Suède il y a deux ans… je l’ai fuit. Et aucune culpabilité ne s’est jamais imposée à moi depuis. » Anaé pris une grande inspiration avant de placer sa main contre son front. Ce n’est pas envers Carl qu’elle se sentait coupable… mais bien envers Shaun. « J’ai fais la connaissance de quelqu’un de formidable… et à chaque sourire que je lui donne, j’ai l’impression de le trahir. Alors… si je vous disais que tout va bien, sans doute mentirais-je. »

« En théorie, si j’étais une épouse modèle, sans doute vous dirais-je qu’il n’est pas question que je revoie cet homme » énonça-t-elle d’une voix mi sérieuse, mi amusée. Il n’était pas question de ne pas le revoir, à vrai dire. Bien que ce ne soit aucunement digne d’une personne de son rang, en théorie du moins, Anaé ne se voyait pas le rayer de sa vie. Que ce soit immoral, peu recommandable ou quoi que ce soit d’autre, la jolie française se moquait bien d’être jugée… ne faisait-elle pas un métier des plus légers en matière de raison ? Mais là il s’agissait de Shaun, alors forcément, cela ne pouvait qu’être foncièrement différent. Ils n’avaient de cesse de s’opposer, se chamailler, se défier, mais justement, il lui offrait un semblant d’intérêt dans sa vie pâle et fade. Même ses contrats n’étaient plus en mesure de la combler depuis un moment déjà. Sa rencontre avec le pompier avait été extrêmement rude pour ses nerfs, mais en presque masochiste qu’elle finissait par devenir –car cela ne pouvait que s’expliquer ainsi, elle en redemandait. Pire, il lui manquait diablement, comme s’il devenait l’air même dont elle avait besoin pour respirer. « Si je vous suit bien, Monsieur Del Toro… sous couvert d’un contrat, vous seriez capable de m’offrir une possibilité de voir cet homme en toute discrétion ? Dites-moi, auriez-vous des défauts puissamment dissimulés sous cette carapace de perfection ? » Anaé était plutôt avare en compliments d’ordinaire… mais là, il lui retirerait une fière épine du pied s’il lui permettait de ne plus être harcelée pour des galas barbants à souhait et qu’à la place, elle avait la possibilité d’être enfin elle-même. Pas de fioritures, pas de robes sur-mesure au prix dépassant l’entendement, rien qui ressemble de près ou de loin à une obligation.

« Où puis-je signer ? » plaisanta-t-elle alors que bien évidemment, il n’était plus question de supprimer cette soirée. A son plus grand dam, malheureusement. « A vrai dire, le plus étonnant, c’est que nous nous sommes haïs mutuellement lors de notre première rencontre. Je ne suis guère habituée aux personnes ne courbant point l’échine devant moi… j’avais oublié ce que cela pouvait faire que d’être en face d’une personne sincère. Quelqu’un qui ne craint ni courroux ni rétorques éventuelles. Si je me dois d’être honnête avec vous… j’ose espérer que mon époux ne viendra jamais à New York. Qu’il restera sagement dans sa Suède natale entouré de ses conquêtes et ne se préoccupera point de mon sort. Mais… ce souhait est un luxe que je ne peux pas m’offrir, même si cela fait deux ans que j’ai fuis ce pays maudit n’étant pas le mien. J’envie énormément tous ceux qui ne sont ni brisés par leur mariage, ni contraint de vivre une vie qu’ils ne veulent pas vivre. Cet homme me fait oublier absolument tout ce qui assombrit mon existence. Il y met énormément de lumière, si je puis dire. »

Décidément, ce fameux Monsieur Del Toro était très impressionnant. Se trouver en face de quelqu’un ayant la cause des femmes à cœur ne manqua pas d’étonner la jolie française, plutôt habituée à ce que les hommes cherchent à la rabaisser. C’était bien mal la connaître que de l’imaginer en train de courber l’échine et l’âme face à de la testostérone mal placée, mais soit. Sans doute Shaun avait-il pensé qu’elle chercherait à le priver de sa virilité au départ, à l’image de leur très mauvais départ s’étant pourtant transformé en suite des plus délectable… elle frissonnait rien qu’à se remémorer des secondes délicieuses qu’ils avaient vécues ensemble durant ce fameux weekend. Cela la tuait littéralement de ne pas pouvoir fuir ce maudit gala pour courir le retrouver, qu’il pleuve, neige ou vente. Il s’agissait d’une grande première, car d’ordinaire, Anaé n’éprouvait pas l’envie de se soustraire à ce genre d’obligation, bien trop consciente de ses responsabilités. Mais celles-ci semblaient s’amoindrir d’autant que son attachement à son pompier grandissait dans son cœur brisé. « Sachez que si vous acceptez de m’aider, Monsieur Del Toro, je puis vous assurer que ma participation sera totale… vous n’imaginez pas à quel point je vous serais redevable. » Mais la question de son mariage la fit blêmir subitement alors que Javier lui demandait, à juste titre, si Shaun connaissait son engagement marital. A l’extrême limite, sa condition de princesse semblait être dérisoire à côté… « Il s’amuse du fait que je sois princesse et lui simple pompier. Il se moque énormément de ma personne à ce sujet. Mais en retour, je m’amuse du fait qu’il soit capable de rire à mes dépends » avoua-t-elle malicieusement avant de ne laisser ses traits s’assombrir brusquement.

« Si je dois être emprunte d’honnêteté en cette seconde précise… alors non, je ne parviens pas à lui dire que je suis mariée. Je n’avais pas prévu de tomber sous le charme de quelqu’un… je pensais même que cela ne m’arriverait jamais et que mon cœur allait demeurer froid à toute forme d’amour, outre celui que je ressens à l’égard de ma sœur cadette. Il a fait naître un grand bonheur en moi, et d’un même temps une immense malédiction… si je lui avoue ceci, il s’éloignera, je le sais. D’un autre côté, cela me tue littéralement de lui mentir car je sais qu’il ne mérite pas pareil traitement. Je voudrais seulement lui épargner la vengeance de mon époux… dont je ne parviens pas à divorcer, il m’en empêche en soudoyant tous les avocats de cette ville. Disons que ma situation est… nouée. » Anaé s’attendait presque à un jugement immédiat et sans appel. Ma foi, elle ne l’aurait peut-être pas volé, à son plus grand regret.

« Loin de moi l’idée de vouloir le blesser… il est bien le premier à me regarder dans les yeux et à ne pas me considérer comme une simple altesse. » Anaé sentait son affection pour Shaun croître autant que filaient les jours et que ses poumons se gonflaient d’oxygène. Voilà bien ce qu’il était : l’air dont elle avait besoin pour respirer. Son pompier n’en n’avait sûrement pas réellement conscience et loin d’elle l’envie de lui mettre les points sur les i tant qu’elle n’y serait pas absolument obligée. D’un autre côté, elle devient bien admettre que ce Javier Del Toro avait raison sur toute la ligne. « Effectivement, j’attendais bien d’autres paroles… mais qui à ma place n’en espèrerait pas autant ? » Qu’il n’aille pas s’imaginer des choses erronées. Anaé appréciait énormément sa franchise, cette capacité qu’il avait également à la regarder dans les yeux sans craindre son courroux potentiel –bien qu’aucune cruauté n’ait jamais pu être constatée dans son tempérament contrairement à celui de son abominable époux, et à parler sans retenir ses paroles autrement qu’en les englobant dans un discours on ne peut plus soutenu. « Mais n’ayez crainte… sans doute ai-je besoin de les entendre. A vrai dire… je crains que tout avouer ou garder le silence jusqu’à ce que la vérité ne trouve son chemin en pleine lumière du jour ne me fasse goûter au même amer résultat. Shaun n’est pas quelqu’un que l’on trompe à moins de ne vouloir s’en mordre les doigts… qui plus est, il a déjà été trahi par une femme mariée, un être abominable n’ayant pas eu le moindre scrupule envers lui, ni même la plus petite considération. Mais je suis différente de cette femme… je ne souhaite pas lui cacher la vérité davantage. » La jeune femme offrit à son interlocuteur un sourire empreint de tristesse, mais lui prouvant néanmoins que leur conversation lui faisait un indicible bien. « On m’avait énormément vanté vos qualités et votre implication, Monsieur Del Toro… force est de constater que vous êtes à la hauteur de votre réputation. Mais… pourquoi en faire preuve d’autant envers ma personne ? Vous savez, bien que je sois princesse aujourd’hui, mes parents m’ont élevée dans la plus grande des normalités. J’apprécie de pouvoir rendre un service lorsque quelqu’un m’a fait grâce d’une telle faveur. Auriez-vous un souhait auquel je pourrais répondre ? » Anaé ne pouvait pas faire la pluie et le beau temps mais elle pouvait essayer.

Décidément, ce Javier Del Toro était non seulement un homme d’honneur mais également d’une grande vertu. Lily avait eut une excellente idée en l’engageant car Anaé savait d’ors et déjà qu’elle pourrait lui faire confiance. Oh la jolie française serait sûrement l’une de ses rares clientes à ne pas lui mener la vie dure, à se fier à son extraordinaire expérience du terrain et à écouter ses précieux conseils. Bien évidemment, elle émit une très légère expression déçue lorsqu’il lui fit comprendre qu’elle ne pourrait jamais lui renvoyer l’ascenseur de quelque manière que ce soit, mais n’hésita pas à lui faire savoir qu’elle était prête dès lors que la voiture s’arrêta devant le lieu où devait être tenu le gala. Anaé fit bien sûr une entrée des plus remarquées, demeurant particulièrement attendue alors qu’elle n’avait qu’une envie : fuir cette soirée où elle n’allait pas s’amuser une seconde pour rejoindre son pompier à la Marina, qui s’étonnerait sûrement de sa tenue pour mieux lui dire qu’elle avait perdu la tête… ce à quoi elle pourrait répondre qu’effectivement, elle avait perdu l’esprit dès l’instant où elle avait croisé son regard et qu’il s’était opposé à elle. Shaun faisait un challenge de tout, semblait vivre à trois cent à l’heure mais elle ne s’ennuyait pas une seconde en sa compagnie… et il lui manquait atrocement ce soir. Elle aurait aimé pouvoir parader à son bras sans honte, afin de montrer au monde entier à quel point l’amour de Shaun O’Connor était capital pour elle… « Monsieur Del Toro, permettez-moi de vous dire que je vous envie d’une certaine façon. Si votre fille est votre seule richesse peut-être pourriez-vous donner quelques leçons de bienséance à ces richissimes figures ? Voilà qui ne manquerait pas de panache… »