Un peu de chocolat par-là, un peu plus de chantilly, encore du chocolat, du coulis de caramel, ajoutés aux boules de glaces au cookie et à la vanille… Un repas gastronomique et diététique, pas du tout calorique, parfait pour un diner en tête à tête avec son frère. Ce n’est pas comme si Chandler cherchait à perdre du poids de toute façon. Il n’y avait aucun mal à se faire plaisir de temps en temps et à ne pas manger équilibré. La jeune prit son énorme bol avec précaution et avança prudemment dans la cuisine. La montagne de glace risquait de fondre à tout moment et elle ne voulait pas risquer d’en faire tomber. Premièrement parce que ce serait du gâchis et deuxièmement parce que le sol collerait. Elle arriva au salon sans encombre, posa son précieux repas sur la table basse et pris place sur le canapé à côté de son frère. Elle porta son attention à ce qui était diffusé sur l’immense télé. Elle essaya de comprendre, fixa un instant son frère, re-regarda la télé puis à nouveau son frère. Le spectacle qui se déroulait sous ses yeux était incompréhensible. Pourtant, Joey semblait imperturbable. Elle ne lui posa aucune question même si elle brûlait de savoir pourquoi il regardait une telle chose. Elle soupira, attrapa son bol et s’enfonça dans le canapé. Après quelques cuillérées de glace, elle se pencha vers son frère pour lui prendre la télécommande des mains. « Avant que tu protestes… » elle posa son bol sur la table. « Ce que tu regardes est complètement nul, je n’y comprends rien. » Elle le regarda comme s’il était fou et commença à zapper. Avec un peu de chance elle tomberait sur un bon film. « Puis c’est chez moi ici, my house my rules buddy. » dit-elle tout avec un air défi dans le regard. Du genre « vas-y, essaye de me reprendre la télécommande. » Quelque part, c’était aussi sa maison, à Joey. Chandler vivait toujours dans la maison familiale où ils avaient grandi, avec leur père. Joey avait son propre appartement à présent, et elle n’aimait pas vraiment le fait qu’il ne vive plus avec eux. C’était son moyen de lui reprocher gentiment même si au fond elle savait qu’il était tout à fait dans son droit. Mais quand il s’agissait de son frère elle n’était qu’une gamine possessive et capricieuse. Ce qu’elle trouva à la télé sur les différentes chaines qui défilaient sous ses yeux ne lui plut pas plus que ce que regardait son frère. C’était sans doute le karma qui la punissait pour avoir joué au petit chef égoïste. Elle finit donc par éteindre la télé et jeta la télécommande sur le fauteuil d’à côté. « On ferait mieux de louer un dvd je pense. » Elle lui fit un petit regard style chien battu disant « Tu veux bien aller en chercher un, hein ? Tu veux bien y aller ? J’ai pas envie de sortir et j’ai pas envie de laisser ma glace fondre. » C’est alors que son téléphone sonna. « C’est l’hôpital. » annonça-t-elle à son frère tandis qu’elle regardait l’écran de son téléphone. Son cœur se mit à battre la chamade et se gonfla d’espoir. Elle décrocha. La conversation ne dura pas longtemps. Une fois qu’elle eut raccrochée elle tourna doucement la tête vers son frère. « Ils m’ont trouvé un rein. » dit-elle sous le choc. « Je vais avoir un rein. » Elle avait du mal à réaliser.

« Mais j'ai pas envie de sortir... » Bien évidemment, Joey rechigna à exaucer son vœu le plus cher. Son vœu le plus cher du moment. Elle n’hésita pas à sortir le grand jeu pour qu’il cède, il cédait toujours. Comment résister à une jeune femme aussi mignonne et attendrissante ? Quand elle ne voulait pas faire quelque chose, elle était prête à tout pour que quelqu’un d’autre le fasse à sa place. Si Joey refusait avec le coup des yeux brillants, elle irait jusqu’à sortir l’excuse qu’elle avait peur de sortir parce qu’elle risquait de se faire agresser, seule, dans le noir. Il y avait des gens malveillants partout et elle n’avait que peu de possibilités pour se défendre. Comme elle s’y était attendue, son frère accepta. Il se leva, résigné, et se dirigea vers la sortie, sans oublier de montrer son mécontentement. Elle afficha un sourire victorieux. « C'est toi qui a pris mes clefs ? » Elle fronça les sourcils et secoua la tête. Elle ne savait même pas conduire, qu’est-ce qu’elle aurait fait avec ses clefs, franchement ? « Tu n’as qu’à y aller à pieds ! » Son téléphone se mit à sonner, interrompant le ‘duel’ entre frère et sœur. Le nom ‘hôpital’ était affiché sur l’écran. Elle l’annonça à son frère qui se stoppa et s’avança vers elle. Elle décrocha avec fébrilité, soudainement pleine d’espoir. Chandler raccrocha rapidement. Son expression était totalement imperméable. En fait, elle n’arrivait pas du tout à réaliser ce qu’on venait de lui apprendre. Son frère l’encouragea à parler. Il semblait inquiet, enfin en même temps, en sachant qui était de l’autre côté du téléphone et en voyant l’expression de sa sœur, il avait de quoi. D’un ton neutre, la jeune femme annonça à son ainé qu’elle avait un rein. L’hôpital avait un donneur et elle était la prochaine sur la liste des greffes. Elle n’arrivait pas du tout à réaliser. Elle avait attendu ce moment tellement longtemps ! Ça faisait six mois qu’elle vivait un véritable enfer et ça allait être terminé ! C’était bien trop beau pour être vrai pourtant ça l’était.

La réaction de Joey ne se fit pas attendre. Poussant un cri victorieux, il prit Chandler dans ses bras et la souleva en l’air. Encore chamboulée, elle se laissa faire, et se pris au jeu. Elle souriait à présent, elle souriait et était vraiment heureuse. Elle n’aurait pas cru que ce jour arriverait si vite. Elle pensait même n’avoir jamais droit à cette chance. « Andy, ça va être fini ! Tu vas aller mieux sans devoir subir leur machin ! Tu vas aller mieux ! » Elle hocha vivement la tête. Fini les dialyses ! Fini la fatigue ! Tout allait rentrer dans l’ordre, tout allait aller mieux. Enfin. Elle avait tout supporté en silence et avec dignité, elle allait être récompensée. Son frère l’ébouriffa et déposa un baiser sur son front. Elle le serra très fort dans ses bras. Elle n’aurait voulu être avec personne d’autre quand elle aurait eu cette bonne nouvelle tant attendue. Il n’y avait qu’avec lui qu’elle voulait partager ce moment. « Par contre, il va falloir que tu m'aides à chercher mes clefs là, on en a besoin pour prendre ma voiture qui va nous permettre d'avoir un rein Andy ! Un nouveau rein ! » Chandler se mit immédiatement à chercher les clés. Elle soupira parce que la maison était grande et qu’il pouvait les avoir perdues n’importe où. Mais ça valait le coup de chercher. « Je vais avoir un nouveau rein ! » s’exclama-t-elle plusieurs fois, tout en cherchant. Elle finit par mettre la main sur les précieuses clefs : elles s’étaient cachées dans le pot de l’entrée. « Trouvées ! » cria-t-elle pour que son frère rapplique. Il n’y avait plus de temps à perdre à présent. Mue par l’excitation, elle attrapa son frère par la manche et le tira hors de la maison. Elle sautilla jusqu’à sa voiture. Ils s’installèrent et Joey démarra rapidement. « Tu grillerais des feux rouges pour moi ? » demanda-t-elle en plaisantant. Elle ne pourrait jamais lui demander ça sérieusement. Ce serait trop stupide de risquer leurs vies alors qu’elle allait avoir un nouveau rein. Durant tout le trajet ? Chandler pensa à haute voix. « Je vais me faire opérer. Je vais m’endormir et deux secondes plus tard je vais me réveiller avec un nouveau rein. » Nouveau rein, c’était l’expression du jour. « Tu seras là à mon réveil hein ? Papa sera là aussi, tu le préviendras ? » Elle était tellement euphorique qu’elle avait les yeux brillants et qu’elle ne pouvait s’empêcher de penser à tous les détails de l’opération. « Tu vas rester à l’hôpital pendant que je me ferais charcuter ? Tu me laisseras pas seule hein ? » Elle se faisait l’effet d’une enfant. Mais c’était ce qu’elle était au fond, un grande enfant, fragile et vulnérable. Puis elle n’était rien sans son frère, elle avait besoin de lui.

Chandler allait avoir un nouveau rein et cette nouvelle l’avait toute chamboulée. Elle était impatiente, excitée, heureuse. Elle avait un peu peur aussi : peur que l’opération ne se passe pas bien, peur d’un rejet aussi. Les médecins lui avaient déjà expliqué toute la procédure ainsi que ses risques, et ce dernier point était ce qui lui occupait l’esprit la plupart du temps. Elle avait tellement envie de guérir qu’elle espérait beaucoup avoir un rein mais ne s’autorisait pas à s’imaginer sa vie quand ce serait le cas, quand elle serait tirée d’affaire. Comme si Dieu allait la punir parce qu’elle espérait trop. Enfin, soit, l’hôpital l’avait appelé, elle devait s’y rendre immédiatement et ne pas perdre du temps de façon stupide en cogitant trop. Il fallait qu’elle fasse comme elle le faisait habituellement : tout prendre comme ça venait. Ce fut elle qui retrouva les clés de voiture de son frère et elle qui entraina celui-ci dans la voiture. Elle lui demanda même s’il se rait capable de griller des feux rouges histoire qu’ils arrivent plus vite à l’hôpital. L’excitation s’était à présent emparée de sa personne et Chandler n’avait aucune prise dessus. « Mon cœur, mon Andy, tu sais que je t'aime ? Mais si tu veux un nouveau rein, on doit arriver en vie, et si tu veux qu'on arrive en vie, il faut respecter les règles ! » C’était tout jouait ça Buzzkill. Mais soit, il n’avait pas tort. Elle avait enfin trouvé un rein et ce serait trop bête qu’elle meurt avant de pouvoir en profiter. La jeune femme se mordit donc la lèvre et prit un air coupable, elle ressemblait à présent à une petite fille prise sur le fait. Mais il n’était pas blanc comme neige non plus, il roulait vite et semblait tout aussi excité qu’elle, au fond. Il fallait dire qu’il avait attendu ce moment aussi impatiemment que sa petite sœur, voire plus. Il pourrait enfin arrêter de s’en vouloir. Chandler continua à remplir la voiture de ses paroles. Il lui arrivait rarement de parler autant sans prendre de pause entre ses phrases, mais elle n’arrivait vraiment pas à tenir en place. Puis ce qu’elle disait était important aussi, il fallait absolument que son père soit là aussi. Ils avaient toujours été eux trois dans les bons comme les mauvais moments, et leur père devait être présent, c’était limite vital. « Andy, respire ! ». Joey passa ensuite une main sur sa joue, geste ayant sans doute pour but de la calmer. « Je vais être là tout le temps, et je vais être là au moment où tu vas te réveiller ! Je vais appeler papa et je ferais en sorte qu'il soit là ! On sera là Andy, d'accord ? On sera toujours là pour toi, tous les trois, notre famille. » Déjà, elle sentait qu’elle se calmait. Joey savait toujours trouver les mots qu’il fallait, il n’y avait que lui qui savait vraiment la rassurer. La jeune femme le regarda un peu penaude un court instant, puis pris enfin la parole. « Ok; ok, je me calme. Je vais juste avoir un nouveau rein, no big deal. » Puis un large sourire vint de nouveau illuminer son visage. « Je vais envoyer un message à papa d’accord ? Je dois le prévenir moi-même et il doit être là le plus tôt possible. J’aimerais beaucoup le voir avant qu’ils m’emmènent en salle d’opération. » Juste au cas où quelque chose se passe mal et qu’elle ne se réveille pas. Enfin ça, elle se retiendrait bien de le dire à voix haute. Son frère n’apprécierait sans doute pas. « Tu vas avoir un nouveau rein. J'ai envie de le crier tu sais ! Que tout le monde le sache ! » Joey était clairement aussi excité et heureux qu’elle. Il ne suivait pas ses propres conseils puisque c’était lui à présent qui criait et ne faisait pas attention à ce qu’il faisait. Chandler se mit à rire. Il y avait bien longtemps qu’ils ne s’étaient pas retrouvés dans un tel état. Mais après tout ce qu’ils avaient vécu, ils le méritaient bien. Ils arrivèrent devant l’hôpital mains liées. A la vue du bâtiment, Chandler se précipita hors du véhicule et y entra à toute vitesse, se doutant que son frère n’était pas loin derrière. Sans toutefois l’attendre, la jeune femme se dirigea vers l’accueil. « Bonjour, Chandler Davenport. On vient de m’appeler pour me dire qu’un rein était disponible pour moi. Le docteur De La Vega est mon chirurgien. » La secrétaire entra son nom dans son ordinateur puis se tourna vers elle avec un air déconcerté. « Je suis désolée mademoiselle, il doit y avoir erreur : il y a bien une greffe de programmée dans une heure mais la patiente s’appelle Abigail Dobkins. » Chandler cligna des yeux plusieurs fois de suite, prise d’incompréhension. « Non c’est vous qui devez faire erreur, on vient de m’appeler pour me dire qu’on allait me greffer un nouveau rein aujourd’hui. Il ne peut pas y avoir d’erreur. » La femme soupira. « Ecoutez, je connais mon travail, je sais lire ce qui est écrit sur mon écran : ce rein n’est apparemment pas pour vous. Il y a eu erreur. » Ca ne servait à rien de débattre sur le sujet pendant des heures, Chandler ne pourrait rien tirer de cette bonne femme. Seulement, elle ne savait pas quoi faire. Elle se tourna donc, prête à aller à la rencontre de son frère. Il saurait quoi faire, lui. « Joey… » Elle avait un peu pâli, son rythme cardiaque s’était un peu accéléré. Si ce qu’on venait de lui dire était vrai, elle n’aurait donc pas de rein. C’était bien trop beau pour être vrai. Mais le pire, ce n’était pas sa déception à elle : ce serait celle de son frère. « Je… On… On doit rentrer. Ils se sont trompés, apparemment, en m’appelant. Je n’aurais pas de rein aujourd’hui. Enfin, c’est ce que la femme là-bas dit. Et je ne sais pas vers qui me tourner d’autre. Dis-moi que c’est elle qui se trompe s’il te plait… »

Elle n’allait pas pleurer. Elle n’avait pas pleuré quand on lui avait annoncé qu’elle était malade, et elle n’avait pas pleuré une seule fois de frustration ou de colère contre ce qui lui arrivait, elle n’avait pas non plus pleuré parce qu’elle avait mal. Alors ce n’était pas maintenant que des larmes allaient couler sur ses joues. Elle en avait certes envie, mais elle n’allait pas craquer. Elle avait une détermination à toute épreuve et une force presque incroyable, alors qu’elle était d’apparence si frêle, si fragile… Pourtant, elle avait toujours eu l’impression que dans cette épreuve, c’était elle le roc sur lequel s’appuyaient son père et son frère alors qu’elle était supposément la plus faible physiquement. Ce rôle lui allait bien cela dit, comme elle était trop occupée à rassurer les autres elle pensait moins à ce qui lui arrivait. La plupart des gens ne comprenaient pas comment elle pouvait faire comme si tout allait bien et comment elle faisait pour ne jamais craquer alors qu’elle avait toutes les raisons du monde pour le faire. Les gens la traitaient presque tous comme un petit animal fragile qui ne pouvait recevoir que de la pitié ou des regards en biais parce qu’on n’osait pas la regarder en face de peur que ce soit mal interprété, comme si elle pouvait penser que les gens la regardaient seulement parce qu’elle était une bête curieuse.

Chandler était à présent livide. Elle avait vécu la définition parfaite de ce qu’on appelait un ascenseur émotionnel. De la grande joie elle était passée à la déception, à la frustration, presque à la colère. Elle avait du mal à déglutir correctement, elle était un peu paniquée aussi. Elle alla immédiatement annoncer à son frère ce qu’elle venait d’apprendre et se doutait qu’il avait compris que quelque chose n’allait pas rien qu’en la voyant. Elle redoutait plus que tout sa réaction. Le connaissant, il allait faire une scène, et elle n’avait pas vraiment la force de gérer ça. Elle expliqua la situation à Joey en bégayant quasiment. Elle avait envie de rentrer immédiatement, elle ne voulait pas rester une minute de plus ici. « Tu m'attends ? » Chandler soupira. « Joey… »Elle hocha toutefois la tête en le voyant partir. Quoiqu’elle dise de toute façon, son frère n’allait pas l’écouter. Elle l’observa se diriger vers le comptoir d’où elle venait et l’entendit prononcer ces paroles : « Je vous conseille fortement que cette erreur ne se reproduise plus jamais, parce que c'est le genre de choses qui pourraient coûter très chère à l'hôpital ! Car ma sœur a reçu un putain d'appel ! Car ma sœur est venue ici en croyant avoir un nouveau rein ! Alors ne refaites jamais ça si c'est pour au final la blesser, parce que croyez-moi que je vous le ferais payer très chère ! Une fois, pas deux ! » Il revint ensuite vers elle. Elle se laissa aller dans ses bras et ferma même les yeux. Il n’y avait vraiment que lui qui savait la rassurer et la réconforter, que lui qui la faisait aller mieux… Elle ne savait pas pour le coup si elle aurait aussi forte si ça n’avait pas été pour lui, s’il n’avait pas été à ses côtés. Là encore, elle ne savait pas comment elle serait débrouillée si elle avait été fille unique et qu’elle aurait dû faire face au départ de sa mère. Joey était son pilier.

« La prochaine fois Andy... » Oui, enfin, elle ne savait pas si elle y croirait si facilement la prochaine fois. Elle se méfierait toujours, elle ne savait pas si elle pourrait supporter une autre erreur de ce genre et essuyer une nouvelle déception. Comme Saint Thomas, elle ne le croirait que quand elle verrait le rein qu’elle allait recevoir… Ou tout du moins quand elle serait dans la salle d’opération sur le point d’être endormie. Pas avant. Elle releva la tête vers son frère et sourit avant d’hocher la tête. « Oui, la prochaine fois. » dit-elle sur un ton qui se voulait convaincant. Pour l’instant, elle voyait un prochain appel du genre beaucoup trop loin dans le temps pour qu’elle puisse y croire. Elle avait attendu huit mois avant d’avoir celui-ci, qui sait combien de temps elle allait attendre encore ? « D’ici là, il faut qu’on trouve une bonne façon de passer le temps. » Ils commencèrent à avancer vers la sortie. « Je meurs de faim là par exemple. Donc tu pourrais m’emmener manger un bon gros hamburger pour commencer ? J’ai bien envie d’un milkshake aussi. » Et voilà, elle était repartie à faire comme si rien ne s’était passé. Si elle s’attardait trop sur cette grosse déception, elle n’allait pas pouvoir avancer. Il fallait qu’elle passe à autre chose immédiatement sinon ça allait la bouffer.

Positiver. Toujours positiver. Telle était la philosophie de Chandler depuis son plus jeune âge. Agée de quelques années à peine elle avait dû faire face à l’abandon de sa mère. Elle n’avait pas été triste parce que déjà elle n’avait pas eu le temps de la connaitre ou de se fabriquer de bons souvenirs avec elle, ensuite parce qu’elle était entourée de son frère et de son père, étouffée par leur amour. Elle ne pouvait tout simplement pas regretter quelqu’un qui n’avait pas voulu d’elle. Puis franchement, elle n’aurait voulu échanger les deux hommes de sa vie pour rien au monde. C’était cette philosophie donc que la jeune femme essayait de suivre. Il y avait des jours où c’était plus compliqué que d’autres mais dans l’ensemble elle ne s’en sortait pas trop mal. Il fallait dire qu’elle était bonne comédienne alors elle réussissait à ne pas trop inquiéter les autres quand ce n’était pas évident pour elle. Tout un art. La présence, l’amour, le soutien de son frère rendaient tout ceci plus supportable. Si elle restait forte c’était principalement pour lui plus que pour elle-même. Il s’en voulait tellement, il voulait tellement faire pour l’aider qu’elle ne pouvait décemment pas se laisser aller et ne pas se battre. Il n’en souffrirait que plus et elle ne pouvait pas lui faire ça alors qu’il se sentait déjà très mal. Elle ne comprenait pas pourquoi il se « flagellait » comme ça. Elle lui avait dit et répété que ce n’était en rien sa faute mais il ne semblait pas vouloir le comprendre. Heureusement que Joey était avec elle ce soir. Il était la seule chose qui l’empêchait de fondre en larmes et de vraiment craquer. La jeune femme ne voulait pas lui donner une raison de plus de s’en vouloir parce qu’elle savait que la voir dans un tel état lui ferait énormément de mal. Elle esquissa un sourire lorsqu’il tenta de la faire sourire. Elle avait besoin de ce contact physique avec lui, elle avait besoin de savoir qu’il la soutenait, littéralement. « On va pas perdre espoir Andy, on est plus fort que ça toi et moi. » Chandler hocha doucement la tête, toujours ce même sourire triste sur les lèvres. « Nous deux contre le reste du monde. »Ils étaient la force de l’un et de l’autre. La jeune femme n’allait plus en pouvoir dans peu de temps, il fallait qu’ils sortent d’ici. C’est pourquoi elle demanda à son frère de l’emmener manger. Elle pouvait en faire ce qu’elle en voulait d’habitude et d’autant plus ce soir qu’elle venait de vivre sa plus grande déception depuis quelques temps. « On fait tout ce que tu veux mon cœur, c'est toi la grande chef pour une fois. » La jeune femme releva le menton. « C’est toujours moi le chef ! » L’atmosphère se détendait peu à peu et cela lui faisait bien. Elle se sentait peut-être mieux parce qu’ils étaient à présent sortis, l’air frais extérieur faisait toujours énormément de bien. La jeune femme en profita d’ailleurs pour inspirer grandement, ne relevant même pas la remarque désobligeante – mais tellement vraie – de son frère. « « McDo ? En vrai tu veux juste le jouet, tu peux me l'avouer tu sais, je sais que tu restes toujours une petite fille dans un corps de femme. » Tandis qu’ils prenaient place dans la voiture du jeune homme, Chandler répondit sur un air très sérieux. « Bien sûr que je veux le jouet, comment je m’occupe quand t’es pas là sinon ? » Joey commença à rouler et il y eu un court instant de silence. Paisible. La jeune femme regardait son frère de temps à autres. Elle n’aimait pas quand c’était trop silencieux alors elle décida de briser le calme ambiant. « Tu sais, il faut pas t’en faire pour moi. Ce qui s’est passé ce soir, je vais m’en remettre. Je suis une femme forte. » Elle savait qu’il cogitait beaucoup en ce moment et elle ne voulait pas qu’il se fasse plus de soucis qu’il n’en fallait. Elle réussirait à se gérer toute seule.

Se dépêchant reléguer cet épisode malheureux dans leur passé, Chandler et Joey étaient à présents dans la voiture du jeune homme. Mademoiselle avait dit avoir très faim – pour partir loin de l’hôpital et parce qu’elle avait très envie de se faire chouchouter plus que parce qu’elle avait réellement faim – et monsieur n’avait pas attendu longtemps avant de satisfaire son désir. La jeune femme pouvait faire faire ce qu’elle voulait à son grand frère, il ne résistait jamais. Et même quand il essayait de s’opposer à elle il ne réussissait pas à s’y tenir : il finissait toujours par craquer devant l’air irrésistible de sa petite sœur. C’était un atout non négligeable que la demoiselle possédait et elle essayait de ne pas trop en abuser non plus. Elle ne lui demanderait jamais d’assassiner quelqu’un ou de provoquer un accident de voiture pour récupérer un rein en bon état par exemple. Elle n’était pas aussi tordue. Cela dit, elle jouait beaucoup de ça pour des petites choses, comme à savoir qui sortirait louer le dvd ou irait chercher à manger. « Contestation votre honneur ! Le jour de mon anniversaire c'est MOI le chef ! » Chandler regarda son frère comme s’il était fou, sourit puis hocha la tête d’un air de dire « si tu veux oui, brave petit. » Il ne manquait plus qu’elle lui tapote la tête. « Bien évidemment. » Puis la jeune femme continua à jouer l’innocente, comme si son frère ne la connaissait pas par cœur. « Ah ah, c'est pas à moi que tu vas faire croire que tu restes sage à la maison hein ! » Elle se mordit l’intérieur de la joue pour ne pas éclater de rire puis tourna une nouvelle fois la tête vers son frère. Elle releva le menton et prit un air très sérieux. « Bien sûr que oui ! Qu’est-ce que tu crois que je fais à part pleurer l’absence de mon frère adoré ? Tu sais très bien que je reste assise sur une chaise à répéter « Joey est merveilleux » jusqu’à ce que tu rentres. » Un petit sourire apparut sur ses lèvres. En réalité, il avait totalement raison. Elle ne tenait pas en place et n’était pas capable de rester enfermée chez elle à longueur de journée sans rien faire d’autre que lire ou regarder la télé. Elle ne savait pas se reposer comme son médecin le lui conseillait.

L’atmosphère se fit un peu plus pesante l’instant d’après. Un silence s’était installé et Chandler avait pu observer son frère qui semblait en avoir gros sur la conscience. Elle le connaissait par cœur elle aussi et elle savait à quoi il pensait. C’est pourquoi elle s’empressa de le rassurer. Il ne pouvait pas s’en vouloir sans cesse, elle ne le laisserait pas faire. « Je sais Andy, je sais que t'es une femme pleine de vie et plus forte que n'importe qui... » Elle ne se considérait pas spécialement plus forte que n’importe qui, juste… ce n’était pas dans son tempérament de se laisser abattre facilement. C’était juste elle. « Mais c'est uniquement parce que je t'ai obligée à manger tes épinards quand t'étais petite. » Là, elle se mit à rire, appréciant la tentative de radoucir l’atmosphère de son frère. « D’accord, si tu t’attribuer le mérite de ma perfection, je te laisse faire. » Et il n’avait pas tort dans un sens. Il l’avait en quelque sorte élevé, aidant leur père dès que leur mère était partie. Si elle était ce qu’elle était aujourd’hui c’était en grande partie grâce à lui. Malheureusement, ce petit moment ne dura pas très long et ils en revinrent à un sujet un peu plus grave. « Tu veux que j'en parle à papa tout à l'heure ? » La gorge de Chandler serra à l’évocation de leur père. Bien sûr qu’ils devraient lui dire, ils lui disaient tout et d’autant plus les évènements importants comme ça. Mais elle ne voulait pas l’inquiéter et lui faire du mal… Elle savait que la situation lui pesait énormément et qu’il se sentait responsable aussi. « Hum… J’ai pas envie qu’il se fasse du souci plus que nécessaire. Enfin… je sais pas, tu penses qu’on devrait lui dire ? Je sais qu’on doit lui dire mais j’ai pas envie qu’il s’en veuille encore plus. » Elle fit une pause, se reprenant. « Déjà que je n’aime pas le fait que toi tu t’en veuilles… Mais bon s’il faut vraiment lui dire, je veux bien que tu le fasses oui. C’est surement mieux. »

Chandler était quand même vraiment chanceuse d’avoir un frère comme Joey. Elle ne l’aurait échangé pour rien au monde, il était la personne qui comptait le plus pour elle et elle avait besoin de lui pour avancer, c’était vital. Par exemple, là, il était le seul à pouvoir lui changer les idées et à lui faire oublier au moins pour quelques instants ce qu’il venait de se passer. Il faisait ça depuis toujours, il était là pour elle pour qu’elle prenne mieux les mauvaises choses qui lui arrivaient. Sans lui, elle aurait depuis longtemps perdu la tête. D’ailleurs, son petit mensonge lui sembla être l’entière vérité tant elle trouvait son frère réellement merveilleux. « Sale menteuse ! Mais je suppose que ça fait plaisir ! Cela dit, ne le fait pas en vrai, c'est fait un peu pathétique quoi » La jeune femme afficha un air angélique et tout à fait innocent. « Bon ok, je suppose que c’est un mensonge… Mais ! Je pourrais tout à fait le faire quoi. Franchement, tu mérites que quelqu’un fasse ça pour toi. Je peux forcer une fille à faire ça pour toi si tu veux, je peux être très persuasive. » Elle s’efforça alors de prendre un air menaçant pour le prouver à son frère mais elle n’était pas sûre que cela donne le résultat qu’elle espérait.

L’atmosphère se fit ensuite plus pesante. Il était en effet très dur d’oublier trop longtemps ce qu’il venait de se passer, c’était beaucoup trop frais dans leur esprit et surtout la déception était beaucoup trop grand pour qu’ils puissent tout faire disparaitre en un claquement de doigt. Pour essayer de faire retomber tout ça, Joey essaya de s’attribuer la perfection de sa petite sœur. Il avait joué un grand rôle durant son enfance et son adolescence et si elle était si forte aujourd’hui c’était sans aucun doute grâce à lui, seulement, Chandler ne voulut pas l’admettre tout de suite. C’était beaucoup trop drôle de le voir s’offusquer pour ça. « Et ne fais pas comme si je n'avais pas joué un rôle ! Je t'ai presque élevé ! » Chandler haussa les épaules, faisant mine de ne pas avoir entendu. Mais Joey avait raison, c’était lui qui l’avait élevé, il avait joué un plus grand rôle que leur père qui était toujours au travail. Il fallait bien que quelqu’un les fasse vivre. Ce fut à son tour de se pencher au-dessus du levier de vitesse pour aller l’embrasser sur la joue. « Oui et je ne te remercierais assez pour ça. »

Joey amena ensuite sur le tapis la question de leur père. Il allait bien falloir qu’ils lui disent ce qui s’était passé ce soir. Il avait toujours été eux trois et se soutenaient toujours dans les moments difficiles. Il avait le droit de savoir. Seulement, Chandler hésitait, elle ne voulait pas lui mettre un poids supplémentaire sur les épaules. « Je pense que papa s'en voudra encore plus si on lui cache des choses... il est notre famille... on doit se serrer les coudes dans les bons comme les mauvais moments... et papa est plus fort qu'il n'en a l'air... enfin, pour un vieux quoi » La jeune fit la moue et afficha ensuite un léger sourire. « Je sais mais bon il a assez de soucis comme ça. Mais tu as raison, il doit savoir. S’il pense que je ne lui fais plus confiance pour gérer ça il se sentira encore plus mal et moi aussi. » concéda-t-elle. Elle émit ensuite l’idée qu’elle n’avait pas envie que son frère se sente coupable non plus parce que c’était l’une des seules choses qu’il faisait depuis presque un an, se sentir coupable pour elle. « Tu ne devrais vraiment pas t'inquiéter pour moi et mes humeurs. » « Joey… » commença-t-elle. Il ne devait pas se rendre compte de l’ « emprise » qu’il avait sur elle. « Bien sûr que je m’inquiète pour toi. Pourquoi tu serais le seul à avoir le droit de t’inquiéter hein ? C’est nous deux contre tout, rappelle toi. Si tu vas mal je vais mal, c’est comme ça et on ne peut rien y changer. » Elle ne put cependant pas argumenter plus parce qu’ils arrivèrent au mcdo et que Joey se gara. Ce qu’elle pouvait avoir faim ! Elle sortit de la voiture et toute allure et profita de l’air frais qui s’offrait à elle. Son frère la rejoint bien vite. « Je t'aime et je suis là pour toi, je serai toujours là pour toi » Chandler attrapa sa main posée sur son épaule. « J’espère bien, je serais vraiment… rien sans toi. » répondit-elle d’un air très dramatique. « Plus sérieusement, je t’aime et je serais toujours là pour toi moi aussi. Et je compte bien te coller aux basques pendant encore au moins 80 longues années. On ne se débarrasse pas de moi aussi facilement. » Cela dit, elle avait très faim alors elle accéléra la cadence et ils arrivèrent donc assez vite dans le restaurant. « Tu commandes pour moi ? Un happy meal. » Elle ouvrit de grands yeux et cligna rapidement pour ne pas que Joey lui résiste. « Par contre je veux le jouet garcon hein, un Pikachu ça ne se refuse pas. »

« J'ai le droit d'être le seul à culpabiliser, j'appelle ça le droit d'aînesse » Chandler soupira et fit la moue. Sous prétexte qu’il était l’ainé il pouvait tout se permettre ? C’était elle l’enfant malade à qui on devait faire passer tous les caprices ! Elle voyait qu’il plaisantait mais elle ne voulait pas laisser passer ça. Il ne pouvait pas être le seul à porter cette culpabilité, ça allait finir par être trop lourd pour lui. Elle devait l’aider. « Droit de rien du tout oui ! J’ai autant le droit de culpabiliser que toi et n’essaye pas de me contredire. » Bon elle n’avait pas beaucoup d’espoir d’avoir le dessus sur lui s’il n’obéissait pas mais elle pouvait toujours essayer quoi. Ils se garèrent ensuite devant le mcdo et Chandler ne tarda pas à sortir de la voiture. Elle avait besoin de respirer de l’air frais et c’était exactement ce qu’elle trouva dehors. Joey la rejoint bien vite et ils échangèrent encore des je t’aime. Chandler estimait qu’elle ne le lui disait jamais assez, elle n’était pas avare à ce niveau et ne le serait jamais. Elle l’aimait tellement et lui devait tellement qu’elle se devait de le lui rappeler à chaque occasion. Elle lui rappela également que peu importe ce qu’elle subissait en ce moment, elle n’était pas prête d’arrêter de se battre et ce pendant encore quatre-vingt longues années s’il le fallait. Elle n’abandonnerait jamais son frère. Elle n’avait pas le droit, pas après ce que leur mère leur avait fait. « Ouais, t'es comme un chewing-gum collé à mes baskets quoi... » Elle se mit alors à rire avec lui. « C’est ça. Enfin peut-être pas autant qu’un chewing-gum mais presque quoi. » Il y avait quand même des moments de la vie de son frère auxquels elle ne voulait pas assister. Non merci. Elle arrêta d’ailleurs immédiatement d’y penser avant d’avoir des frissons d’horreur. A l’intérieur du mcdo, Chandler supplia Joey d’aller commander et de lui prendre un Happy Meal. Pikachu était juste un peu son idole quoi, elle ne pouvait pas laisser s’enfuir une si belle occasion d’agrandir sa collection. Cela ne sembla pas vraiment enchanter le jeune homme mais il ne lui refusait jamais rien alors elle savait qu’il allait accepter. C’est d’ailleurs pour ça qu’un large sourire pris possession de son visage, avant même d’entendre sa réponse. « Vas t'asseoir, j'y vais » Elle s’exécuta sans se faire prier. Son frère revint ensuite sans trop tarder, le fait qu’il était tard jouait quand même pas mal. Il avait l’air grognon et cela eut pour seul effet de faire rire la jeune femme. « T’es le meilleur frère au monde. De la galaxie. De l’univers tout entier même ! » dit-elle tout en attrapant la peluche au vol. Elle lui envoya ensuite un baiser avec la main. « Pffff, t'as ruinée toutes mes chances avec la caissière, elle doit croire que je refuse de grandir maintenant ! Pffff quoi ! Elle était mignonne en plus » Chandler repartit à rire de plus belle. Elle ne s’inquiétait pas trop pour son frère, il retombait toujours sur ses pattes. « Les filles trouvent ça mignon pourtant. Enfin je crois… » dit-elle tout en faisant mine de réfléchir. Elle haussa ensuite les épaules. « Mais je ne m’en fais pas trop pour toi, tu retrouveras vite une femme prête à tout pour tomber dans tes bras. J’ai confiance. » Elle entama ensuite ses frites, but une gorgée de son coca et mangea un nuggets qu’elle avait préalablement trempé dans le ketchup. Il y avait quand même bien peu à manger dans un Happy Meal… Elle aurait peut-être dû en demander deux… Tant pis. « Après ça on va louer un film ? Ou on peut aller au cinéma ? » « Ça me va, on peut aller au cinéma. On était censés regarder un film au départ donc… Et comme je suis gentille je te laisse le choisir. » Elle avait très envie de popcorn à présent.